Jean Asselborn, Discours à la 64e session de l'Assemblée générale des Nations unies à New York le 25 septembre 2009.

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Je pense qu’on peut dire à juste titre que nous avons une annus horribilis derrière nous.

Une année marquée par la crise financière et économique mondiale la plus grave depuis la grande dépression de 1929, par l’accentuation de la faim et de la pauvreté - on parle de quelque 100 millions de personnes de plus sombrant dans la faim et la pauvreté chroniques en raison de la crise, et de plus d’un milliard de personnes victimes de la faim en 2009 –, par la hausse dramatique du chômage – l’OIT évoque le chiffre de 50 millions de travailleurs risquant de perdre ou ayant perdu leur emploi-, par la remise en question des progrès durement acquis en matière d’objectifs du millénaire pour le développement, et par le déclenchement d’une pandémie. Une année aussi où des questions sur la pertinence des Nations Unies et des appels à une refonte de la gouvernance internationale se sont fait entendre.

D’où la nécessité de s’arrêter un instant pour faire le point et tirer des leçons, compte tenu également des défis importants qui se posent à la communauté internationale que ce soit en matière de développement, de droits de l’homme et d’état de droit, de maintien de la paix et de la sécurité, de désarmement et de non-prolifération ou de lutte contre le changement climatique. Et quel meilleur endroit pour ce faire que l’assemblée générale des Nations Unies ?

Monsieur le président,

La crise économique et financière qui a frappé le monde voilà un an a été d’autant plus foudroyante qu’elle est survenue alors que nous avions déjà à faire face, sans les avoir surmontées, aux crises alimentaire et énergétique, et à l’accélération du changement climatique.

Je viens d’en rappeler les répercussions néfastes notamment sur les plus pauvres. Pour y faire face, il nous faut une action concertée, une action cohérente, une action globale, un vrai partenariat mondial pour le développement reposant sur des responsabilités partagées des donateurs et des récipiendaires.

Mon pays continuera à apporter sa part à l’édifice en maintenant ses efforts en matière d’aide publique au développement. Ayant consacré en 2008 0.95% de son revenu national brut à l’APD, le gouvernement issu des élections du mois de juin de cette année a non seulement confirmé le maintien de l’objectif quantitatif de 1% de son RNB, il continuera également à insister sur l’amélioration de la qualité de la coopération luxembourgeoise afin d’en augmenter l’efficacité, le tout dans le cadre d’un développement durable intégrant les éléments économiques, sociaux et environnementaux.

Le Luxembourg en appelle à tous les Etats membres à faire les efforts nécessaires pour tenir les engagements pris ensemble dans cette enceinte et que nous avons réitérés au sommet du Millénaire, à Monterrey et plus récemment à Doha.

Mais il nous faut aussi apprendre les leçons de cette crise multidimensionnelle et envisager une réforme plus systémique du système multilatéral existant, y compris de l’architecture financière et économique, et les adapter aux réalités politiques et socio-économiques d’aujourd’hui.

Comme j’ai déjà pu le dire à cette tribune au mois de juin lors de la conférence sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement, les Nations Unies et ses organes principaux devront nécessairement se retrouver au centre d’une telle réflexion. Le Conseil économique et social, mécanisme central de coordination et organe principal des Nations Unies compétent en matière de questions économiques et sociales, aura notamment un rôle important à jouer à cet égard.

Le Luxembourg, qui préside le conseil économique et social cette année, compte assumer ses responsabilités à cet égard et œuvrer en faveur d’une pleine mise en œuvre des divers mandats confiés au Conseil par les Etats membres dans le cadre de la conférence internationale.

Monsieur le président,

Toutes ces actions nécessitent un cadre multilatéral fort se basant sur des règles de droit solides qui lient tous les Etats membres.

En temps de crise, des velléités unilatérales ont malheureusement tendance à réapparaître. S’il est important que les représentants des grandes économies de ce monde se réunissent pour discuter de problèmes communs comme notamment la crise économique et financière que nous avons vécue ces derniers mois, de tels fora ne devraient, et ne doivent pas, se substituer aux structures multilatérales et aux mandats intergouvernementaux existants.

Pour que nos structures multilatérales gardent toute leur pertinence, il faut toutefois qu’elles reposent sur la confiance et la coopération : confiance entre le citoyen et l’Etat, confiance entre Etats eux-mêmes, qu’ils soient du Nord ou du Sud, riches ou pauvres, et confiance des Etats dans les Nations Unies qui sont notre bien commun.

A nous d’assumer nos responsabilités, de dépasser nos divisions, de faire avancer la réflexion et la prise de décision, et d’en assurer la cohérence. A nous d’entreprendre les efforts de réforme nécessaires en vue d’un Conseil de sécurité qui reflète enfin les réalités géopolitiques d’aujourd’hui, qui soit plus représentatif, plus performant et plus transparent; d’une assemblée générale revitalisée, d’un Conseil économique et social plus fort et plus efficace. A nous de démontrer la pertinence continue de notre organisation, sa capacité d’action et de formulation de réponses communes, de réponses globales, de réponses légitimes.

Monsieur le président,

Dans le monde globalisé qui est le nôtre, "there is no turning away". Nous sommes tous concernés, et les défis qui se posent à nous relèvent d’une complexité toujours croissante, y compris en matière de paix et de sécurité.

Nous avons commémoré hier le 60ème anniversaire de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, un anniversaire qu’on aurait d’une certaine façon préféré ne pas devoir commémorer, car s’il nous a permis d’exprimer notre reconnaissance pour le travail remarquable accompli tous les jours par cette agence onusienne aux services du peuple palestinien, il est aussi synonyme d’échec. 60 ans après, la situation au Proche-Orient reste irrésolue.

Alors que nous nous félicitons que la nouvelle administration américaine soit déterminée à chercher une solution fondée sur la coexistence de deux Etats et une paix globale au Proche-Orient, et qu’avec nos partenaires de l’UE nous sommes résolus à œuvrer activement aux côtés des Etats-Unis et des autres membres du Quatuor, dont les Nations Unies, pour atteindre cet objectif, nous regrettons profondément qu’Israël persiste dans sa politique de colonisation. On ne peut le répéter trop souvent : les activités d’implantation de colonies de peuplement sont non seulement illégales au regard du droit international, elles constituent aussi un obstacle à la paix. Continuer la colonisation, c’est persister dans l’humiliation des Palestiniens, dans la domination du peuple palestinien. Sans signal net d’arrêter cette politique, il n’est guère probable que de sérieuses négociations puissent redémarrer.

Nous appuyons pleinement l’intention du Président américain de s’impliquer dans les négociations, et comptons l’y soutenir. Anapolis a montré qu’Israéliens et Palestiniens seuls autour de la table des négociations ne parviennent pas à faire preuve d’un engagement à la mesure des problèmes fondamentaux que sont Jérusalem, la question des réfugiés et du droit de retour, la sécurité et la question des frontières.

Nous appelons toutes les parties à prendre leurs responsabilités et à créer par leurs actions un contexte favorable pour la reprise des négociations, pour un règlement du conflit. La fin des divisions entre Palestiniens et la réconciliation inter-palestinienne autour du président Mahmoud Abbas, qui a démontré en Cisjordanie que des progrès substantiels sont réalisables en matière de sécurité et de gouvernance, en font tout autant partie que l’adoption de mesures de confiance par Israël et les pays arabes, et la recherche en parallèle de solutions aux conflits opposant d’une part, Israël et la Syrie et, d’autre part, Israël et le Liban.

Dans ce contexte, je tiens à souligner également à quel point il est urgent de trouver une solution durable à la crise de Gaza par la mise en œuvre intégrale de la résolution 1860 du Conseil de sécurité. Il faut en finir avec la situation intenable où un million et demi de Palestiniens vivent dans une prison. Redonner espoir et motivation au peuple palestinien est une obligation humaine élémentaire. Il faut également faire toute la lumière sur les événements à Gaza, y compris dans la suite du rapport de la mission d’établissement des faits de l’ONU, qui vient d’être publié, et qui a fait part d’actes des plus choquants. Il en va aussi de la crédibilité des Nations Unies.

Monsieur le président,

La crédibilité de la communauté internationale est aussi engagée en Afghanistan, et ce à plus d’un titre.

Crédibilité d’abord en termes d’établissement et de maintien de la paix et de la sécurité, crédibilité aussi en ce qui concerne la défense de l’Etat de droit et le respect de nos valeurs fondamentales, crédibilité enfin en ce qui concerne le développement économique et social du pays et la lutte contre la pauvreté.

Tel est le mandat onusien de 2001.

Force est de constater que huit années après l’adoption de ce mandat, nos progrès restent insuffisants. Au vu des attaques et attentats sanglants perpétrés de manière croissante à travers le pays, au vu des évènements autour des récentes élections présidentielles, au vu des chiffres alarmants en termes d’objectifs de développement, nos opinions publiques s’interrogent même si en fait nous ne régressons pas.

Il n’y a pas de solution facile, mais il n’y a surtout pas d’alternative à notre engagement continu.

Je tiens à souligner ici qu’ensemble avec nos partenaires de l’UE et de l’OTAN, nous resterons engagés à côté des autorités et du peuple afghans. Il ne peut être question d’abandonner la population meurtrie par des décennies de conflit et de violation de ses droits les plus élémentaires. L’objectif doit être un Etat démocratique stable où toutes les forces, y compris les Talibans, reconnaissent et respectent l’Etat de droit et les droits de l’homme fondamentaux.

Un autre conflit qui nous occupe depuis longtemps, et où nos espoirs de paix durable se sont, une fois de plus, vus remis en question au cours de l’année écoulée, est celui en République démocratique du Congo. Une fois de plus, c’est la population civile qui en souffre les conséquences. Nous sommes gravement préoccupés par les exactions commises contre la population civile, et en particulier les femmes et les enfants.

J’aimerais dans ce contexte saluer vivement les efforts actuellement en cours au Conseil de sécurité pour donner un suivi à la résolution 1820 sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que l’engagement personnel du Secrétaire général dans la lutte contre la violence sexuelle. Il importe que le système de l’ONU tout entier s’attaque au phénomène de la violence sexuelle, qui est utilisée de plus en plus comme une arme de guerre dans les conflits armés et encore après la fin des hostilités. Il est essentiel de renforcer les efforts pour prévenir de tels actes et pour traduire en justice ceux qui commettent ces crimes horribles. J’espère vivement que le Conseil de sécurité tiendra compte des recommandations du secrétaire général en la matière, et mette notamment en place un mécanisme pour enquêter sur les violences sexuelles commises lors des conflits dont le Conseil est saisi.

Si beaucoup pourrait encore être dit sur les défis qui se posent en matière de maintien de la paix et de la sécurité, notamment au vu de la réflexion en cours sur l’avenir des opérations de maintien de la paix, réflexion dont je ne puis que me féliciter, permettez-moi de m’attarder un moment sur les développements encourageants qu’on observe actuellement dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération nucléaires.

Je tiens à saluer l’initiative du Président Obama d’avoir engagé le Conseil de sécurité dans une discussion plus large des questions de non-prolifération et de désarmement, au-delà des situations spécifiques des questions de sanctions. A quelques mois de la 8ème Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, il importe de faire part de notre détermination à mener à bien les travaux et ce concernant les trois piliers du TNP, l’objectif à terme devant être un monde exempt d’armes nucléaires. Il en va de même pour le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), l’autre pierre angulaire du régime de non-prolifération nucléaire. Comme j’ai déjà pu le dire hier lors de la conférence des Etats ayant ratifié le TICE, l’appel du Conseil de sécurité à signer et à ratifier le TICE, et l’engagement du président Obama à tout faire pour assurer une telle ratification également aux Etats-Unis, revêtent une importance cruciale. Le traité doit enfin entrer en vigueur.

Nous espérons que ces développements encourageants amèneront certains à adopter une attitude plus constructive, respectueuse de leurs obligations internationales.

Au-delà des questions de non-prolifération, il importe de ne pas négliger le désarmement. La décision des Etats-Unis et de la Russie de mener des négociations en vue de la conclusion d’un nouvel accord global suite à l’expiration du Traité sur la réduction des vecteurs d’armes nucléaires stratégiques (START II) en décembre prochain, ne peut à cet égard qu’être saluée.

Permettez-moi de dire encore un mot sur un dossier qui est également pertinent en termes de sécurité et de défense. Je parle de l’heureuse décision de l’administration américaine de renoncer au projet de mise en place d’un bouclier antimissile. Il m’a toujours semblé que la voie à suivre dans ce contexte serait non pas l’adoption de mesures unilatérales, mais la discussion et la coopération avec nos partenaires russes en vue d’assurer notre sécurité commune.

Monsieur le Président,

Je ne voudrais, je ne puis, conclure sans dire un mot sur le changement climatique, peut-être le défi le plus important pour la prospérité du monde à long terme. Je tiens à remercier encore une fois le secrétaire général pour avoir organisé le sommet du 22 septembre qui a permis la mobilisation politique au plus haut niveau indispensable si nous souhaitons faire de la conférence de Copenhague un succès, et définir une nouvelle orientation vers un développement durable, vers une croissance verte, économe en émissions de carbone.

Les preuves scientifiques sont là; à nous de réagir de façon déterminée face à ces faits. Ce sera aux pays développés de montrer l’exemple en convenant de cibles de réduction des émissions de CO² d’ici à 2050 ambitieuses, supérieures à la moyenne, en prenant des engagements juridiques contraignants, y compris des engagements intermédiaires, dans le cadre d’un régime multilatéral efficace à participation globale, et aux contributions conformes aux possibilités de chacun.

Parallèlement, la question de l’adaptation aux effets du changement climatique et du financement, forcément additionnel, de ces efforts d’adaptation devra être traitée prioritairement à Copenhague.

J’observerais au passage que les efforts de désarmement que je viens de décrire, devraient libérer des ressources financières qui pourraient trouver ici un meilleur usage.

Le Luxembourg, quant à lui, s’est d’ores et déjà engagé, ensemble avec ses partenaires de l’Union européenne, à atteindre un objectif de "20-20-20" c.à.d. augmenter de 20 % l’efficacité énergétique de l’Union européenne, porter la part des énergies renouvelables à 20 % de la consommation énergétique finale et réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne d’ici à 2020 par rapport aux niveaux de 1990. La coopération luxembourgeoise intègre par ailleurs depuis quelques années les questions d’adaptation au changement climatique de façon systématique dans ses programmes de développement.

Le changement climatique n’a toutefois pas seulement un impact potentiel sur le développement, mais aussi sur la pleine jouissance des droits de l’homme et sur la sécurité des pays. C’est pourquoi je me félicite vivement du rapport présenté par le secrétaire général suite à l’initiative prise à ce sujet par les petits Etats insulaires en développement du pacifique, qui aborde la problématique dans toute sa portée.

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Le Luxembourg reste fermement convaincu de la pertinence d’une approche multilatérale dont les Nations Unies sont au centre, et continuera à y asseoir sa politique et à apporter sa contribution à la réalisation de ce monde plus juste, plus pacifique et plus prospère dont l’objectif est inscrit dans notre charte fondatrice.

C’est également en raison de cette motivation ardente d’œuvrer en faveur d’un multilatéralisme fort et efficace que le Luxembourg, membre fondateur des Nations Unies, aspire à devenir pour la première fois, membre non-permanent du Conseil de sécurité en 2013-2014.

Je vous remercie.

Dernière mise à jour