Cap sur le logement abordable

Interview de Sam Tanson dans Wunnen

Interview: Wunnen

Wunnen: Dans quel esprit abordez-vous la problématique du logement, dont les enjeux sont importants ?

Sam Tanson: La situation est la suivante : nous sommes un pays extrêmement dynamique, et beaucoup de personnes viennent travailler et habiter au Luxembourg. Forcément, cela crée un marché du logement tendu, cela me semble dans la logique des choses. Le défi à relever est lié au fait que le logement prend une place de plus en plus pesante dans le budget des personnes, et que de plus en plus de personnes ont du mal à se loger, que ce soit dans le locatif ou dans l'acquisition. Pour moi, le rôle des pouvoirs publics consiste à créer des logements abordables en faveur de ceux qui ont du mal à se loger.

Wunnen: Le programme du nouveau gouvernement en matière de logement -changement de cap ou poursuite des efforts ?

Sam Tanson: Il y a un peu des deux. D'une part, on construit sur ce qui a été lancé ces dernières années ; et d'autre part, j'estime qu'il est très important de mettre l'accent sur le locatif abordable et de prévoir un nouveau cadre légal, tant pour les aides au logement que pour les conventions avec le public et le privé en vue de la construction de logements.

Wunnen: Votre prédécesseur Marc Hansen soulignait que la marge d'action de la main publique était limitée, étant donné la grande part de foncier disponible détenue par le privé...

Sam Tanson : Nous devons tout tenter pour avoir les communes à bord avec nous, même si beaucoup a déjà été fait dans cette direction. Les inciter à mobiliser plus de terrains et construire plus de logements abordables. La moitié des communes environ n'ont jamais développé de projets en collaboration avec le ministère du Logement. Je pense qu'il reste encore matière à amélioration dans ce domaine. D'autre part, nous pouvons également travailler avec le privé pour réaliser du logement abordable. Cela se fait déjà aujourd'hui dans le cadre de différentes conventions.

Il ne faut pas opposer le public et le privé, les deux peuvent travailler ensemble. Nous allons créer - la base est dans l'accord de coalition - un fonds qui sera géré par le ministère du Logement, pour acquérir de nouveaux terrains, avec à la clef des avantages fiscaux pour les cédants. Il s'agira ensuite de déterminer quels acteurs publics pourront réaliser les constructions - Fonds du logement, Société nationale des habitations à bon marché, communes. L'objectif est de mettre sur pied des incitations positives pour mobiliser davantage de terrains à bâtir.

Wunnen: Mettre l'accent sur les logements publics locatifs, n'est-ce pas enfermer les personnes dans des schémas contraignants? L'accès à la propriété a toujours été une sorte de garantie pour le futur...

Sam Tanson: Je ne pense pas. Au contraire, je vois plusieurs aspects positifs dans cette réorientation. D'une part, cela favorisera la mixité sociale - surtout si on fixe un locatif abordable généralisé : je me demande en effet dans quelle mesure il est pertinent de continuer à distinguer logement social et logement à coût abordable. Prévoir juste de créer des logements locatifs abordables, et faire en sorte que le loyer soit calculé en fonction du revenu des personnes, cela conduira à plus de mixité sociale. Il est important, surtout pour les revenus les plus faibles, qu'on ait suffisamment d'offre abordable dans le parc locatif public. Il sera possible, pour ceux qui le voudront, d'habiter tout au long d'une existence dans le même cadre, avec un loyer qui sera adapté en fonction du revenu. Par ailleurs, bénéficier d'un loyer abordable, calqué sur les revenus disponibles, cela signifie aussi pouvoir épargner afin d'acquérir un logement dans le futur.

Wunnen: Qui assurera la gestion du parc locatif public ?

Sam Tanson: Les mêmes entités qui sont déjà actives à l'heure actuelle - Fonds du logement, SNHBM, communes -, mais nous devrons élargir les missions des uns et des autres. Il s'agit en particulier, et c'est là le grand chantier de cette période législative, de revoir la loi de 1979 concernant l'aide au logement ainsi que le rôle de tous les acteurs dans la construction de logements. Cela prendra du temps, mais il est indispensable de mettre sur pied un cadre légal qui définisse clairement ces catégories de location. Ce qui n'empêchera pas en parallèle de réaliser des projets qui fonctionneront par voie de convention.

Wunnen: Est-ce que le loyer du locatif public variera en fonction de la localisation ?

Sam Tanson: Dans le cadre du locatif public, c'est le promoteur public qui déterminera le prix à appliquer. Et cela devra aller dans le sens de la mixité sociale. Le but n'est pas de faire 5% en dessous du prix du marché en vigueur dans chaque localité. Le but est d'offrir des logements locatifs abordables à différentes personnes à différents endroits. Au Kirchberg par exemple, le Fonds du Kirchberg a déjà entamé des projets qui vont dans ce sens, projets dans lesquels la SNHBM est directement impliquée. C'est là aussi tout le problème des fameux 10% qui doivent être réservés par le promoteur privé au logement à coût modéré - une loi que nous devons également reconsidérer, car selon l'endroit où la construction se fait, les prix de ces logements ne sont plus du tout abordables.

Wunnen: D'après un rapport récent de la Fondation Idea, le chiffre avancé pour la construction de logements nouveaux depuis 2010 - 6.500 par an - a été sur-évalué. "Les 2.730 logements construits par an en moyenne sur la période ont apparemment suffi, compte tenu du stock qui était disponible, pour loger la population." Faut-il vraiment 6.500 logements neufs par an? N'y a-t-il pas là un mauvais message donné au marché, qui alimenterait la hausse des prix ?

Sam Tanson: Ce qui est certain, c'est qu'à l'heure actuelle le marché est tendu ; les augmentations constantes sont liées à une pénurie de logements neufs. Cela dit, il est toujours délicat de se référer à des projections établies il y a dix ans. Mais que ce soit 6.500, 5.000 ou 4.500, ce que nous savons, c'est que l'offre ne suffit pas pour répondre à la demande très élevée, car le pays est dynamique et il attire beaucoup de monde. Pour moi, il ne faut pas batailler sur les chiffres. Le ministère ne peut guère influer sur le nombre de logements construits par les promoteurs privés, mais là où nous pouvons avoir un impact, là où réside notre rôle, c'est dans la construction à destination des 3.000 demandeurs qui sont actuellement sur la liste d'attente du Fonds du logement. Ce chiffre est sûr. Il nous faut construire dans l'immédiat au moins 3.000 logements abordables.

Wunnen: Comment endiguer la ségrégation socio-spatiale induite par le marché immobilier ? Entre une capitale et ses alentours qui se gentrifient et le reste du pays.

Sam Tanson: Il faut faire attention à ce qu'on dit : la capitale n'est pas peuplée uniquement de gens aisés, la situation est plus complexe que cela. Vous avez toujours à Luxembourg-Ville des endroits, des quartiers, qui brassent les populations de toutes les couches. Il est un fait que la capitale a vu sa population augmenter de manière prodigieuse ces vingt dernières années. Par ailleurs, l'aménagement du territoire national constitue un défi considérable, il faut faire en sorte que la création de logements accompagne le développement économique, que ce soit dans la capitale et ses alentours, dans le sud du pays ou au niveau de la Nordstad. Il faut donner la possibilité aux gens d'habiter près de leur lieu de travail, car il y a tellement de problèmes qui sont liés à cet éloignement entre domicile et lieu de travail, notamment le trafic automobile.

Wunnen: Vous détenez à la fois les portefeuilles du logement et de la culture. D'après un colloque récent organisé par le Service des sites et monuments, le patrimoine bâti au Luxembourg (27.000 objets identifiés) offre un grand potentiel pour la création de logements. Or, trop souvent, les immeubles existants qui ne sont pas protégés sont rasés par des promoteurs pour donner place à des résidences dénuées de caractère. De plus, démolir pour construire, c'est une double consommation d'énergie grise...

Sam Tanson: Il y a, d'une part, un besoin fondamental de protection du patrimoine et, d'autre part, un besoin fondamental de loger les gens. A une certaine époque, le patrimoine n'était pas considéré comme une priorité, on pensait surtout qu'il fallait construire du neuf à tout prix. On a aujourd'hui une plus grande conscience de l'importance de préserver l'existant qui a de la valeur. Je pense qu'il n'y a pas lieu d'opposer ces deux volets, logement et patrimoine, il faut réussir à les concilier. Il y a beaucoup d'exemples de ce qu'on peut faire en matière de revalorisation de l'existant dans différentes communes - qu'il s'agisse de patrimoine historique classique ou de patrimoine industriel. Dans de nombreuses localités à travers le pays, de plus en plus de gens achètent des maisons anciennes et les mettent en valeur avec quelques éléments nouveaux, en gardant l'esprit d'époque, des carrelages, des charpentes, et ça donne de très beaux mélanges d'ancien et de nouveau. Il faut être créatif et adapter les bâtiments existants aux besoins actuels de la vie en communauté.

Wunnen: On voit ici et là des maisons ou des bâtiments inhabités, parfois à l'état d'abandon. N'y aurait-il pas là une autre piste à creuser ?

Sam Tanson: Ce sont les communes qui sont les mieux à même d'identifier ces cas - maisons vides, terrains inexploités - et d'engager des actions. Il nous faut sensibiliser les communes davantage aux opportunités qui se présentent à elles pour réaliser des projets de logements. Elles doivent garder l'oeil ouvert.

Wunnen: L'accord de coalition mentionne des "Wunnengsbauberoder", des conseillers de l'habitat professionnels : de qui s'agit-il et quel sera leur rôle ?

Sam Tanson: Il y a déjà des personnes au sein du ministère qui travaillent en lien avec les communes, et nous souhaitons renforcer ce volet afin d'aller de manière proactive vers les communes, plus stratégique aussi. Il nous importe de considérer avec les communes quels sont leurs besoins, leurs appréhensions, comment nous pouvons les accompagner dans un certain nombre de démarches. C'est dans cette optique que nous souhaitons renforcer la cellule des conseillers au sein du ministère du Logement.

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