Interview de Claude Meisch dans Le Quotidien

"Je constate combien le dialogue peut s'avérer payant"

Interview: Le Quotidien (David Marques)

Le Quotidien:  La semaine dernière ont été publiés les résultats des examens de fin d'études secondaires. En s'affichant à 78 %, le taux de réussite est resté stable. Quelle est votre appréciation de cette session 2019? 

Claude Meisch: On ne peut jamais se limiter à analyser les résultats sur une seule année. Il est par contre vrai que le taux de réussite est resté stable après une très bonne année 2018. 
J'aurais préféré avoir un nombre plus élevé de mentions "excellent" et "très bien". La réforme de l'examen que nous avons mise en œuvre a, en effet, été réalisée dans l'optique d'obtenir plus de résultats d'excellence. L'effet de la réforme a été très grand l'an passé, pour cette session cela a été plus limité. Mais globalement, je suis satisfait. 

Le Quotidien:  Le maintien du taux de réussite à un niveau élevé peut-il déjà être relié à la multitude de réformes que vous avez engagées entre 2013 et 2018? 

Claude Meisch: Le plus simple reste de rédiger et de faire voter une loi. Le plus difficile reste la transposition sur le terrain. 
C'est pourquoi j'ai décidé de placer cette législature sous le signe d'une mise en œuvre ordonnée des grandes réformes structurelles entreprises ces cinq dernières années. Chaque année, le nombre de classes internationales et européennes augmente pour répondre aux besoins des élèves. On se trouve dans une continuité de la législature écoulée, mais je me rends compte qu'il faut plus de cinq ans pour que la politique menée produise de véritables effets, pour qu'elle soit entièrement appréhendée et soutenue par les élèves, leurs parents et les enseignants. 

Le Quotidien:  En plus de la consolidation des réformes, vous aviez annoncé en septembre votre volonté de chercher davantage le dialogue avec les acteurs du terrain. Cette intention a-t-elle déjà porté ses fruits? 

Claude Meisch: Un bon exemple de la manière dont on peut travailler ensemble est la réforme du stage pour enseignants qui, grâce au vote jeudi dernier de la Chambre, a été ramené de trois à deux ans. Il y a eu de très virulentes tensions, mais en fin de compte, le dialogue mis en place a permis de dégager un large consensus. En amont, les syndicats et les directions ont été consultés à de nombreuses reprises. 
Le texte final a pu être endossé par tout le monde, à l'une ou l'autre nuance près. Cela démontre que même dans des dossiers extrêmement complexes, on parvient à avancer ensemble. 
Pour le reste, j'ai vraiment apprécié lors de ces six derniers mois de mener un dialogue ouvert avec les acteurs du terrain, sans avoir l'obligation de dégager un accord sur un dossier spécifique. Cet exercice a permis d'obtenir de meilleurs retours que lors de réunions plus formelles. Je compte poursuivre sur cette voie, aussi pour réussir à rendre mon action politique meilleure. 

Le Quotidien:  Ne regrettez-vous pas d'avoir omis d'être plus à l'écoute du terrain avant de lancer les réformes lors de votre premier mandat? 

Claude Meisch: On finit toujours par apprendre du bilan que l'on dresse sur sa propre action. Aujourd'hui, je constate combien le dialogue peut s'avérer payant.
Il existe certes des divergences, mais un grand plus est que chacun puisse être à l'écoute de l'autre et qu'un respect mutuel se dégage. Cela concerne à la fois les parents, les enseignants, les éducateurs et les décideurs politiques. Il faut pouvoir se parler calmement. 

Le Quotidien:  Un autre point de crispation majeur a été la pénurie d'enseignants, notamment dans le fondamental. La semaine dernière, 652 nouveaux enseignants ont été assermentés. Ce nombre est-il suffisant pour combler le déficit? 

Claude Meisch: Avec les possibilités qu'on s'est données, un recrutement appuyé a pu être mené ces deux dernières années. 
Cela démontre qu'il existe toujours beaucoup de gens qui souhaitent devenir enseignants. Le grand nombre de gens qui choisissent de se reconvertir dans l'éducation après avoir initialement entamé une autre carrière professionnelle est une autre avancée.
Souvent, ils sont diplômés dans des domaines qui ne sont pas si éloignés de l'éducation. Les échos que nous recevons du terrain est que, dans l'enseignement fondamental, le vivier d'enseignants est le meilleur depuis dix ans. 

Le Quotidien:  Comment se présente la situation dans l'enseignement secondaire? 

Claude Meisch: On risque de connaître une situation précaire dans les branches techniques comme les mathématiques, l'informatique ou l'ingénierie, où l'État se trouve en concurrence directe avec le secteur privé. Il faut se poser la question de savoir comment rester à même de pouvoir recruter ce genre d'enseignants, sans quoi la qualité de l'enseignement ou même la survie de ces matières seront remises en question. 

Le Quotidien:  Par le passé, vous avez réclamé que l'université du Luxembourg prenne les mesures nécessaires pour garantir la formation d'un plus grand nombre d'enseignants pour le fondamental. Ce processus a-t-il déjà produit des effets? 

Claude Meisch: Mon vœu a toujours été que l'université forme deux tiers ou même trois quarts de nos enseignants du fondamental. Cet objectif est loin d'être atteint, malgré les importants efforts consentis. L'an dernier, une centaine de candidats ont entamé la formation. Certains ont abandonné en cours de route, ce qui est normal. 
Celui qui souhaite devenir enseignant doit aussi ressentir qu'il est à même de relever ce défi. Ce qui m'inquiète est que l'université me dise que certains candidats ne disposent pas d'un profil assez étoffé pour entamer ces études. 
Il faudra analyser ces lacunes. 

Le Quotidien:  Pour tenir compte de la population scolaire très hétéroclite, vous misez sur une forte diversification des écoles et des études. Est-ce qu'il n'existe cependant pas un risque que cette grande diversité provoque plus de confusion que de résultats concrets? 

Claude Meisch: Un défi est certainement de créer la transparence, de parvenir à transmettre l'information aux bons endroits.
Cela concerne en premier lieu les enseignants, qui conseillent les élèves et parents au bout des quatre cycles de l'école fondamentale pour choisir la voie à suivre dans le secondaire. Notre site mengschoul.lu est un outil intéressant, mais il reste toujours des efforts à faire. Les écoles investissent beaucoup pour encadrer au mieux les élèves et compenser leurs déficits lors des premières années. Il faut faire en sorte que l'on parvienne à guider l'élève vers l'école qui lui correspond le mieux.
Mais avec l'évolution de la société et la migration, il est aussi important que l'école permette à l'élève de s'enraciner dans la société, de comprendre le fonctionnement du pays et de devenir ainsi un citoyen responsable. 

Le Quotidien:  Un reproche majeur qui est toujours fait à récole est qu'elle est trop déconnectée du monde réel. Bon nombre d'acteurs externes plaident pourtant pour une plus grande ouverture. Est-ce que vous partagez cette volonté? 

Claude Meisch: Absolument. Je remarque que les deux côtés s'approchent l'un de l'autre, même si tout n'est pas encore parfait. Le ministère favorise d'ailleurs ce genre d'initiatives. Je citerais, la campagne "Hello Future" menée avec la Fedil (NDLR : Fédération des industriels luxembourgeois). Dans le domaine culturel, on a lancé le site kulturama.lu avec la mise à disposition d'un budget pour favoriser les échanges entre artistes et élèves. 

Le Quotidien:  Les récentes questions parlementaires sur la violence dans les écoles ont permis de conclure que ce phénomène émane souvent d'élèves à besoins spécifiques. Vous en êtes où dans le recrutement d'un personnel spécialisé pour mieux encadrer ces enfants? 

Claude Meisch: On avance. Des ressources supplémentaires ont été débloquées en septembre dernier et il en sera de même pour la rentrée à venir. Mais la question qui me préoccupe fou-jours autant est de savoir d'où vient ce phénomène. De mon temps, il y a aussi eu l'un ou l'autre enfant excité, il y a eu des cas de harcèlement moral et aussi l'une ou l'autre rixe dans la cour d'école. Mais aujourd'hui, le phénomène est bien plus large et d'une tout autre gravité. Il faut en discuter à l'échelle de l'ensemble de la société. Les cas d'élèves qui ne sont pas en mesure de suivre un cours normalement sont souvent liés à des problèmes de développement socioémotionnel.
Une réflexion doit être menée, aussi pour définir comment la politique peut remédier à ce phénomène. 
Mais il faut aussi que l'un ou l'autre tabou, ayant trait à la vie privée des familles, soit remis en question. 

Le Quotidien:  Quelle est aujourd'hui la relation de l'école avec les parents d'élèves? 

Claude Meisch: On s'est donné une représentation nationale des parents d'élèves. En automne, les nouveaux représentants vont être élus sur le plan local, et début 2020 sur le plan régional et national. Sur le plan national, ils pourront disposer de congés pour assumer leur rôle d'interlocuteur démocratiquement légitimé du ministère. Cela doit nous permettre d'entendre encore un autre son de cloche et de rendre le débat sur l'éducation plus vivant, mais aussi plus équilibré. 

Le Quotidien:  L'éternel chantier de la formation professionnelle a débouché sur une récente réforme de la réforme. Peut-on désormais s'attendre à davantage de sérénité dans ce domaine? 

Claude Meisch: On va continuer de prendre une série d'initiatives dans ce domaine.
Une récente entrevue avec les Chambres professionnelles a permis d'évoquer la possibilité de rattacher le diplôme d'aptitude professionnelle (DAP) à un diplôme de fin d'études secondaires. L'artisanat est toujours considéré comme l'épine dorsale de notre économie. Or les mêmes personnes qui affirment cela s'opposent souvent à ce que leur enfant entame à 15 ans une formation pour devenir menuisier. Mon intention est donc d'offrir aux élèves qui disposent des capacités nécessaires la possibilité d'entamer des études supérieures tout en finalisant leur DAP.
Ce n'est pas évident, il faudra faire preuve de beaucoup d'imagination pour concrétiser ce projet à terme, mais je suis convaincu que cette combinaison de diplômes ne pourra que revaloriser la formation professionnelle. 

Le Quotidien:  En décembre, vous avez hérité à nouveau de l'Enseignement supérieur. Entretemps, avez-vous réussi à retrouver vos marques et quels sont les défis majeurs qui se posent dans ce ressort? 

Claude Meisch: Retrouver mes marques n'a pas duré bien longtemps. Marc Hansen a géré le ressort de manière autonome en tant que ministre délégué, mais les développements dans l'enseignement supérieur ont toujours continué à m'intéresser. Ce qui compte est de consolider les efforts consentis ces 15 dernières années. Une autre priorité sera de continuer à développer le secteur. Il nous faut non seulement poursuivre les efforts pour atteindre l'excellence internationale, mais aussi mieux définir ce que la recherche peut apporter à la société luxembourgeoise. Une stratégie nationale est en cours de préparation. 

Le Quotidien:  L'année scolaire a aussi été marquée par la forte mobilisation des jeunes pour le climat. Comment jugez-vous cet engagement? 

Claude Meisch: Je reste entièrement favorable à ce que la jeunesse s'engage et descende aussi dans la rue pour défendre ses intérêts. Le message lancé par 10 000 ou 15 000 jeunes était adressé aux décideurs politiques et économiques pour qu'ils prennent des mesures contre le changement climatique.
Déboucher en fin de compte sur un catalogue de mesures avec lesquelles les jeunes peuvent s'identifier était l'ambition du gouvernement. Le processus n'est pas terminé. On s'est donné rendez-vous pour Pâques 2020 afin de tirer un premier bilan des mesures prises. Ce qui m'importe est que les jeunes fassent part de leur avis de la bonne manière et à la bonne place sans toutefois perdre de vue leur propre avenir. 

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