Interview avec Yuriko Backes dans Paperjam

"Soutenir la compétitivité, assurer la politique sociale, maintenir la transition verte"

Interview: Paperjam (Aurélie Boob)

Paperjam: Votre ministère et la place financière attendent la visite du Gafi à partir du 2 novembre, après deux reports. Tout est prêt pour passer cet examen avec brio?

Yuriko Backes: Le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme est évalué et actualisé en permanence au Luxembourg. Il y a une vraie prise de conscience de l'importance de cela, bien sûr au niveau du gouvernement et de l'administration, mais surtout au sein du secteur financier, et je le prends bien évidemment très au sérieux. Nous avions demandé au Gafi d'effectuer sa prochaine évaluation sur place. Le ministère de la Justice en est le coordinateur, et nous travaillons ensemble. Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été prises pour lutter contre des dérives qui peuvent potentiellement porter atteinte à l'intégrité de la place financière.

Paperjam: Quelles sont les vulnérabilités de la Place par rapport au Gafi? Et comment affronter d'autres Places moins "régulées", donc plus attractives pour certains investisseurs?

Yuriko Backes: Ce qui sera surtout évalué en novembre, ce sera l'efficacité de nos systèmes. Pour certains, cela prendra du temps. Sans doute bien plus de 6 mois (cette interviewa été réalisée lel3 mai2o22, ndlr), donc les résultats se feront sentir dans la durée et au-delà de la visite du Gafi.

Paperjam: Peut-on imaginer une issue défavorable pour le Luxembourg à cette visite du Gafi?

Yuriko Backes: On aura tout fait pour éviter cela! La place financière et la réglementation ont beaucoup évolué ces dernières années, et le Luxembourg n'est plus sur des "listes grises"... J'ai débuté mon mandat en janvier dernier, et l'arrivée du Gafi est prévue en novembre: il se sera passé moins d'un an. Ma marge de manoeuvre aura été effectivement assez limitée dans ce laps de temps. J'ai confiance dans notre système, dans cette prise de conscience qui existe aujourd'hui, et dans tous les efforts déployés au cours des dernières années. Mais il faut comprendre que la réglementation constitue un facteur important d'attractivité pour les investisseurs internationaux. Un cadre doit être donné avec la réglementation, et nous soutenons ce cadre, que ce soit au niveau international ou simplement européen. En ce qui concerne la fiscalité, par exemple, il y a aujourd'hui un level playingfield (pied d'égalité concurrentiel, ndlr) au niveau de I'OCDE, et je crois que c'est plutôt une bonne chose. D'ailleurs, le feed-back que l'on reçoit de I'OCDE, notamment via Pascal Saint-Amans (directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de I'OCDE, ndlr), est très positif. Les investisseurs viennent aussi pour la renommée de notre réglementation, parmi d'autres raisons: la stabilité politique, le triple A, la prévisibilité... Monsieur Saint-Amans a notamment dit que la Place avait su s'adapter aux nouvelles réalités.

Paperjam: Pascal Saint-Amans s'entendait particulièrement bien avec Pierre Gramegna, votre prédécesseur. Vous le connaissez bien?

Yuriko Backes: J'ai fait sa connaissance quelques jours seulement après ma prise de fonctions. Nous avons pu nous entretenir en janvier, et nous avons eu d'autres entrevues lors des réunions de printemps du Fonds monétaire international (FMI) en avril à Washington.

Paperjam: Les directives Atad 1 et Atad 2 ont été revues en 2021 en deux piliers qui prévoient une harmonisation des taxes sur les entreprises à l'international, mais aussi plus d'équilibre sur les bénéfices finaux des entreprises. Quand ce système sera-t-il effectivement mis en place au sein de l'OCDE?

Yuriko Backes: Le pilier 1 de cette réforme vient réviser les règles relatives à la répartition des bénéfices des entreprises multinationales afin de donner plus de droits d'imposition aux pays dans lesquels les consommateurs finaux sont situés. Le pilier 2 vise à combattre les problèmes Beps restants, c'est-à-dire le transfert des bénéfices par les entreprises vers des pays à fiscalité basse. Un seuil d'imposition minimum effectif de 15% au niveau de chaque juridiction a été décidé en octobre dernier. Le Luxembourg a soutenu cela depuis le début, mais les pourparlers au niveau européen ne progressent pas comme prévu. Aujourd'hui, ce qui bloque pour que ce soit transposé en directives, c'est l'adhésion de la Pologne. La présidence française (qui se terminera le 30 juin 2022, ndlr) veut tout faire pour que ce dossier soit bouclé dans les meilleurs délais.

Paperjam: On reproche encore souvent au Luxembourg de faciliter le montage de structures juridiques diverses, par exemple dans le secteur de la gestion immobilière, qui rapportent peu à l'État, mais font courir un risque préjudiciel énorme. Faut-il à nouveau faire le ménage?

Yuriko Backes: Notre système fiscal comprend des mécanismes permettant une certaine optimisation dans le domaine immobilier, qui ne sont plus adaptés à la situation actuelle. Sur l'amortissement accéléré, le gouvernement a mis en place des mesures: le taux d'amortissement accéléré a déjà été baissé de 6 à 5%, et la durée d'amortissement, de 6 à 5 ans. Par ailleurs, il est passé à 4% sur 5 ans pour un investissement dans l'immobilier locatif au-dessus d'un million d'euros. Ces mesures sont en application depuis janvier 2021. Nous avons également pris des mesures pour parer aux abus potentiels des fonds d'investissement spécialisés (FIS). Depuis le leß janvier, les détenteurs de véhicules issus de ces fonds ont l'obligation de signaler aux instances fiscales de leur pays de résidence qu'ils détiennent des immeubles luxembourgeois, et sont imposés s'ils perçoivent des revenus directs ou indirects à hauteur de 20% du montant brut, sans possibilité de déduction des frais. L'autre dimension est la spéculation. Prenons l'exemple de l'application du taux de faveur sur la plus-value immobilière à partir de seulement deux ans de détention: c'est un système qui a été introduit en 1978. Or, avec la crise immobilière, il me semble qu'il doive être adapté, car il peut, dans certains cas, alimenter la spéculation. Il apparaît donc envisageable de considérer, par exemple, un allongement de ce délai. Je ne veux toutefois pas détailler, à ce stade, un élément isolé d'une réforme dans ce domaine, car d'autres réformes sont en cours, notamment une nouvelle loi sur l'impôt foncier, et tout est lié. Je veux continuer à rassembler toutes les pièces pour avoir une meilleure vue d'ensemble avant de prendre des décisions. Je suis tout à fait consciente que le système actuel peut mener à des dysfonctionnements, et nous devons aborder ces problèmes.

Paperjam: Les sociétés financières ont besoin de réglementation. Cependant, l'abondance de règles et mises à jour finit par coûter cher aux petites sociétés, qui doivent créer des postes et recruter des profils pointus pour rester en conformité avec la loi. Comment éviter la sclérose réglementaire et l'échec d'un système qui se voulait au départ vertueux?

Yuriko Backes: On travaille dans un contexte européen, voire international. On a vu, par exemple, pendant la crise du Covid, que la réglementation en place a finalement aidé le pays à conserver ses fondations pour éviter que tout ne s'écroule. Le secteur financier a pu jouer son rôle en soutenant l'économie. Un cadre réglementaire solide et robuste est tout à fait nécessaire, mais il faut effectivement trouver le bon équilibre pour maintenir la compétitivité du secteur financier en Europe. Il faut éviter de créer une forteresse Europe: c'est important vis-à-vis du reste du monde. Mon choix est celui d'avoir un dialogue permanent avec les représentants de la place financière et les parties prenantes qui nous font remonter leurs avis, ce qui nous aide ensuite à mieux comprendre les enjeux sur le terrain. L'équilibre est parfois difficile à trouver. Mon défi est alors d'y parvenir!

Paperjam: Le déficit public s'élève à -0,7% du PIB en 2022. Le Programme de stabilité et de croissance envisage un rétablissement graduel des finances publiques à l'horizon 2026. Une situation qui n'est pas alarmante, mais qui laisse présager des difficultés pour 2022. Qu'est-ce qui impacte le plus les dépenses de l'État? Les mesures anti-inflationnistes sont-elles les seules en cause?

Yuriko Backes: Il faut mettre tout cela en perspective. Nous sommes l'un des rares pays qui respectent les règles de Maastricht avec un déficit de moins de 3% et une dette nettement en dessous de 60% du PIB. La dégradation de la situation budgétaire en 2022 s'explique évidemment, d'une part, par les mesures de la tripartite et de l'Energiedësch, et, d'autre part, par la situation économique détériorée, ce qui risque d'avoir des répercussions sur les recettes fiscales. Il est important pour moi, dans tous les cas, d'assurer la stabilité de nos finances et la bonne gestion des deniers publics. C'est de mon ressort. Je prends cela très au sérieux, en tant que "bonne mère de famille"...

Paperjam: Vous pensez que l'on peut gérer un budget public comme on gère celui de la maison?

Yuriko Backes: C'est évidemment un tout autre niveau, mais c'est toujours une question de priorités... Est-ce qu'on mange sain? Quid de l'éducation des enfants? C'est aussi applicable aux choix politiques au niveau d'un pays. Sachant qu'il y a un accord de coalition qu'il faut respecter, trouver le bon équilibre entre les différentes priorités est nécessaire pour pouvoir réaliser ses objectifs, aussi face à de nouvelles situations.

Paperjam: Revenons au déficit public et aux complications que cela peut créer à l'avenir...

Yuriko Backes: Nous sortons — enfin, nous l'espérons — de la pandémie, nous sommes venus en aide aux entreprises et aux ménages pendant cette période, et cela a coûté très cher à l'Etat, mais c'était notre rôle. Mon prédécesseur a fait le nécessaire pour que les finances publiques soient bien gérées et que les investissements publics qui ont été réalisés soient les bons. J'ai présenté les chiffres sur l'exécution budgétaire au début de cette année, et on était vraiment sur une excellente trajectoire. Ensuite, la situation a fondamentalement changé le 24 février, avec le début de la guerre en Ukraine...

Paperjam: C'était d'ailleurs le sujet majeur de votre dernier voyage à Washington, au FMI...

Yuriko Backes: Oui, parce que la crise est mondiale, et que tout est lié. La croissance régresse partout, aux niveaux mondial, européen et luxembourgeois. Le Statec prévoyait, en début d'année, une croissance autour de 4% pour 2022, revue ensuite à 3,5%, avant que les toutes dernières projections augurent seulement 1,4%. Cela fait 2% de moins en quelques semaines... C'est d'ailleurs le même recul que celui prévu pour notre pays parle FMI. Personne n'aurait pu prévoir qu'une telle situation survienne en Europe, ni les conséquences sur les pays en voie de développement. Les chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale sont perturbées, les prix de l'énergie et des denrées alimentaires ont grimpé énormément. Cela démontre à quel point nous sommes interdépendants économiquement, et comment la géopolitique complexe vient s'inviter dans les finances et l'économie dans chaque État. La croissance est ralentie, l'inflation — qui avait déjà commencé pendant la pandémie — s'est accélérée davantage, en lien avec la crise du marché de l'énergie. Cette guerre est un sujet qui est dorénavant au coeur de chaque réunion de l'Ecofin et de l'Eurogroupe. Les recommandations des institutions internationales sont très claires: les mesures de soutien prises au niveau national pour les entreprises et les ménages doivent être bien ciblées et limitées dans le temps... Or, personne ne peut prédire quelle tournure cette guerre va prendre: va-t-elle se terminer dans quelques semaines, ou finir avec un incident nucléaire, comme le pensent certains? Cette imprévisibilité rend la gestion très complexe pour nous tous: les gouvernements, les entreprises, les ménages...

Paperjam: Les accords du Comité de coordination tripartite ont prévu un paquet de mesures qui ont ciblé les ménages les plus défavorisés. Mais la classe moyenne et les PME n'ont-elles pas été oubliées?

Yuriko Backes: Nous avons aidé les ménages les plus affectés par l'augmentation des prix et par la perte de pouvoir d'achat, via un premier paquet de mesures (Energiedësch), comprenant entre autres l'adaptation de l'allocation de vie chère, suivie du Solidaritéitspak, avec sa panoplie de mesures, dont le crédit d'impôt énergie. On peut tout critiquer, tout le temps, mais je crois qu'il faut comprendre que beaucoup a été fait pour les ménages, y compris au cours des dernières années. Ce gouvernement a pris les mesures qui s'imposaient, et ce, avant la crise actuelle, avec, par exemple, la réforme fiscale que mon prédécesseur a menée en 2017. Aujourd'hui, les transports publics, les cantines, les livres scolaires sont gratuits... Je l'ai déjà dit: beaucoup a été fait pour le pouvoir d'achat des ménages. En même temps, nous avons aussi aidé les entreprises, en leur donnant plus de prévisibilité. L'accord tripartite prévoit un report de la prochaine indexation, à avril 2023. En effet, cet accord fixe la limite à une seule indexation par an, et la dernière a eu lieu en avril 2022. Cela est d'une importance majeure pour la compétitivité de notre pays, et donc pour l'emploi. Pour les entreprises les plus impactées par les prix de l'énergie, des aides spécifiques sont prévues dans un cadre (aides d'État) permis par la Commission européenne. Nous avons également mis en place un nouveau régime de prêts garantis par l'État. L'ensemble des aides issues de l'Energiedésch, ainsi que de la tripartite, qui comprennent également des aides pour les étudiants, pour les adultes handicapés, des aides au logement... coûtent plus de 800 millions d'euros. Si on ajoute les prêts garantis pour les banques, à hauteur de 500 millions d'euros, on arrive à un total de 1,3 milliard d'euros portés par l'État. C'est un paquet important, nécessaire, et qui aura un impact conséquent sur le budget de l'État.

Paperjam: L'impact sur les finances publiques est réel. Quels sont les moyens mis en oeuvre pour accroître les ressources, sachant que plusieurs défis majeurs, notamment démographiques, sont attendus dans les 20 prochaines années?

Yuriko Backes: Nous devons avoir une vision à long terme, malgré l'imprévisibilité. J'ai présenté les dernières prévisions dans le cadre du Programme de stabilité et de croissance, fin avril. Aujourd'hui, la dette publique s'élève à quelque 25,2% du PIB, un chiffre qui augmentera cette année et les suivantes, sous l'effet de la crise. Malgré tout, les projections montrent que notre dette continue de rester en dessous de la barre des 30% du PIB, que le gouvernement s'est fixée. Une autre chose qui me semble importante, et qui est l'une des leçons de la dernière grande crise financière et économique traversée par l'Europe en 2008, c'est de conserver, malgré cette crise, le rythme soutenu d'investissements publics. Cela, nous le faisons via des dépenses d'investissement de plus de 3 milliards par an, ce qui représente 4% du PIB. À travers ces investissements records, nous contribuons à la croissance qualitative de demain. Je pense qu'au cours des prochaines années, nous devrons trouver le bon équilibre entre soutenir la compétitivité des entreprises, assurer la politique sociale et maintenir la transition verte. C'est un pilier essentiel pour le gouvernement, et pour moi, en tant que ministre, de maintenir cette dynamique déjà lancée par mon prédécesseur, et ce, notamment au niveau de la place financière.

Paperjam: Outre le pouvoir d'achat, un autre sujet, qui y est lié, inquiète: celui des pensions. Une réforme est-elle à l'ordre du jour?

Yuriko Backes: C'est en effet lié, mais le sujet des pensions est aussi du ressort d'un autre ministère. La problématique n'est pas nouvelle, et les défis sont bien connus... L'inspection générale de la Sécurité sociale a présenté, récemment, un nouveau rapport sur le sujet. Les réserves financières de notre système de pension restent importantes aujourd'hui, mais on sait qu'elles vont fondre avec le temps, et, à terme, on devra relever ce défi. Le gouvernement en est parfaitement conscient. Sur ce sujet-là, encore, je pense que le modèle luxembourgeois sera le bon: il faut aborder les défis dans un esprit de concertation, et non pas de confrontation, dans le cadre d'un dialogue avec toutes les parties prenantes. Ce qui a été convenu par le gouvernement, c'est que le Conseil économique et social — à qui il a été demandé d'analyser la situation — se penche dessus. Par la suite, le gouvernement et les différentes parties prenantes se réuniront pour envisager des pistes d'action concrètes.

Paperjam: Quelle option a votre préférence? Une indexation des montants des pensions ou une réforme de la fiscalité?

Yuriko Backes: Un débat sur la fiscalité aura lieu au Parlement au mois de juillet, alors, je ne veux pas me prononcer en détail à ce stade sur ces questions... Il faut voir les choses dans leur ensemble. Si on touche à un seul élément, on risque d'avoir des répercussions majeures ailleurs. Ma façon de faire de la politique, c'est d'écouter et de bien comprendre tous les enjeux, dans un dialogue ouvert avec les différentes parties prenantes, afin de prendre les décisions qui s'imposent. Celles-ci ont toujours un impact à long terme. Ce ne sont en rien des décisions à prendre à la légère.

Paperjam: Mais cette réforme fiscale est-elle nécessaire?

Yuriko Backes: Le Premier ministre a dit, lors du discours sur l'état de la Nation, qu'il n'y aurait pas de grande réforme fiscale dans l'immédiat... Lorsque j'ai pris mes fonctions en janvier, j'ai quand même essayé d'évaluer ce qui était réalisable à court terme et d'analyser ce qui s'imposait à moyen et long termes. Mais avec la situation dans laquelle on se trouve actuellement, la marge de manoeuvre s'est malheureusement encore réduite. Je ne suis pas satisfaite de ce constat, car je voudrais faire de la politique et agir sur ce qui est nécessaire, comme, par exemple, le statut des familles monoparentales, mais la gestion de la crise est la priorité maintenant.

Paperjam: Indexer le barème de l'impôt à l'inflation est-il un moyen pour l'État de récupérer des recettes?

Yuriko Backes: C'est une question qui revient toujours... Bien sûr, je n'écarte la discussion sur aucun sujet. Mais il faut se rendre compte qu'une telle refonte profiterait surtout à ceux qui gagnent le plus. Et cela n'est pas forcément ma vision des choses.

Paperjam: Quelles sont vos autres priorités?

Yuriko Backes: D'abord, une gestion du budget responsable, puis le soutien de la transition digitale et verte pour maintenir la compétitivité de notre économie et de la place financière. Cela veut également dire qu'il faut garantir notre soutien social aux plus démunis. Une autre priorité: l'attraction des talents. C'est l'une des choses qui me sont très souvent rapportées par les différents acteurs de la place financière. Nous devons pouvoir garder ces talents au Luxembourg, mais aussi en attirer de nouveaux, avec de nouvelles compétences. Enfin, il faut soutenir les start-up, surtout celles qui investissent dans les transitions digitales et durables.

Paperjam: Vous avez pris votre carte de membre du DR Quelle est votre vision politique?

Yuriko Backes: Compétitivité et attractivité, politique sociale, le tout dans une logique de développement durable. En tant que nouvelle membre du DP, mon objectif est de trouver cet équilibre: que notre politique soit en même temps sociale et libérale. Pour moi, ces deux volets sont complémentaires. Le point vert du logo DP illustre le troisième axe sur la durabilité, et cela est présent en filigrane dans tout le reste.

Paperjam: Vous semblez vous inscrire dans la continuité des engagements pris par Pierre Gramegna ces dernières années. Quels sont vos points de divergence avec votre prédécesseur?

Yuriko Backes: J'arrive au gouvernement à un moment très particulier et très difficile, donc il existe forcément des différences... Je ne marque pas de différence volontaire vis-à-vis de Pierre, c'est juste que c'est moi. Un volet qui m'est cher est celui du gender. J'ai pris l'initiative d'organiser des événements avec les femmes qui travaillent sur la place financière. C'est un secteur traditionnellement dominé par les hommes, alors qu'on a des femmes incroyables et magnifiques sur notre Place. Sur le fond, elles ne disent pas des choses différentes, bien sûr, mais dans la manière d'échanger, dans le networking, il y a une différence très stimulante. Vis-à-vis des futures générations intéressées par une carrière dans la finance, je trouve leur modèle formidable. D'autres développements prometteurs s'annoncent dans ce domaine. La Bourse vient notamment de conclure récemment un partenariat avec United Nations Women, afin de faire progresser lagenderfinance et l'émission de gender bonds. Cela entre dans le cadre du cinquième objectif de développement durable des Nations unies, les obligations liées au genre constituant une partie des obligations sociales durables.

Paperjam: Qu'attendez-vous de vos équipes, et avez-vous apporté du changement? Allez-vous recruter des profils pointus?

Yuriko Backes: J'ai un comité de direction qui est exclusivement masculin, c'est un héritage... Je n'ai pas changé d'équipe, car je la trouve très bien. L'aspect ressources humaines, ici, comme dans mes fonctions précédentes, est une chose très importante pour moi. Pour m'aider à gérer cela, j'ai recruté une personne qui sera responsable des ressources humaines et du bien-être au travail. Au ministère, il y avait historiquement trop peu de gens pour assurer toutes ces missions importantes pour notre économie, et cela a déjà été corrigé par mon prédécesseur. Mais il reste encore une marge de progression, et je veillerai à ce qu'il y ait aussi plus de parité et de diversité.

Paperjam: A terme, la guerre en Ukraine risque de créer à nouveau deux blocs: Est et Ouest. Est-elle de nature à remettre en cause, selon vous, la position de contre-pouvoir de l'Europe?

Yuriko Backes: Tout d'abord, cette crise et les conséquences de cette guerre sont une catastrophe humanitaire pour l'Ukraine: des femmes avec leurs enfants, des personnes âgées qui fuient, les hommes qui restent pour se battre... On n'a pas vu arriver cette guerre, la misère, et les conséquences désastreuses sur l'Ukraine et son économie et celles des pays en voie de développement, toutes nos économies. Plusieurs éléments semblent toutefois permettre de garder un certain optimisme. Je veux souligner que l'Europe s'est montrée unie comme jamais, et notamment dans sa rapidité de réaction concernant les sanctions contre la Russie. Je pense également aux élections en France et en Slovénie. La France a frôlé le pire, et, heureusement, elle a fini par réélire un gouvernement pro-européen. La Slovénie a fait volte-face en faveur d'une politique résolument en faveur de l'Europe. En outre, je vois que cette crise géopolitique va nous forcer à accélérer la transition énergétique et à nous défaire de notre dépendance aux gaz et énergies fossiles. Enfin, la réaction de solidarité des Européens dès le début de la guerre est incroyablement éloquente. Le dernier Eurobaromètre indiquait que 93% des citoyens de I'UE approuvent l'octroi d'une aide humanitaire aux personnes touchées par la guerre. 88% sont favorables à l'idée d'accueillir au sein de I'UE des personnes fuyant la guerre. Et 80% approuvent le soutien financier accordé à l'Ukraine. On n'a jamais vu ça.

Paperjam: Que veulent les Européens, selon vous?

Yuriko Backes: L'enquête Eurobaromètre montre clairement que les Européens veulent l'euro. Ils veulent une politique étrangère commune, une politique de défense commune. Il s'agit là d'une conséquence directe de cette guerre. En matière de géopolitique, je crois qu'il ne faut pas oublier que des pays comme la Chine ou l'inde ne voient pas forcément l'agression russe comme nous la voyons. Il faut rester ouverts aux discussions avec des puissances comme la Chine et construire l'avenir ensemble, notamment dans le domaine de la lutte contre le changement climatique.

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