Interview de Xavier Bettel dans Le Monde

"Il n'est pas question d'instaurer un directoire Paris-Berlin"

Interview : Le Monde (Jean-Pierre Stroobants)

Le Monde : Quel regard portez-vous sur les premiers mois de pouvoir du président Macron ? 

Xavier Bettel : Je le connaissais avant son élection. Il est une chance pour son pays et pour l'Europe. Il manquait en France, où le libéralisme fait toujours peur, un courant politique conscient qu'avant de distribuer l'argent, il faut le gagner et qui, simultanément, ne prône pas le conservatisme. 

Le Monde : M. Macron songerait à une sorte d'En marche ! européen. Êtes-vous pour ? 

Xavier Bettel : Je ne quitterai pas ma famille politique, le groupe libéral et démocrate, mais je suis partant pour dépasser le clivage gauche-droite paralysant. Le Parlement européen compte des groupes qui veulent avancer, d'autres qui veulent détruire, et des conservateurs eux-mêmes très divisés. 

Le Monde : Comment le rôle du "moteur" franco-allemand en Europe vous apparaît-il ? 

Xavier Bettel : Un moteur a besoin de carburant et le Benelux le lui fournit. Nous sommes 28 autour de la table et il n'est pas question d'instaurer un directoire entre Paris et Berlin, pas plus qu'une révolution des "petits". Les propositions de M. Macron sont, en tout cas, les bienvenues. Il met le turbo, suggère des pistes, ne parle pas d'un tout ou rien. La défense, la réforme de la zone euro, un ministre des finances et un Parlement de la zone euro : on peut discuter de tout, établir des priorités. Je suis favorable à l'amélioration de la gouvernance et aux consultations citoyennes. 

Le Monde : La Commission a critiqué la politique fiscale "agressive" du Luxembourg pour attirer les multinationales... 

Xavier Bettel : Non! Elle dit que notre politique "pourrait être utilisée afin de... " Cette supposition m'a un peu surpris, d'autant qu'elle ne tenait pas compte de dizaines de remarques que nous lui avons adressées. 

Le Monde : L'image du paradis fiscal perdure... 

Xavier Bettel : Le pays a été retiré des listes et nous avons procédé à des réformes considérables, sous présidence européenne luxembourgeoise, je le souligne. Quand je suis arrivé au pouvoir, il y a quatre ans, j'avais un peu l'impression d'être un pestiféré. Je peux vous assurer que notre image a beaucoup changé, comme je l'ai récemment constaté au Forum économique mondial de Davos. 

Le Monde : Il n'y a plus de sociétés "boîtes aux lettres" à Luxembourg ? 

Xavier Bettel : Les mécanismes de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] et du G2O de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices ont permis d'éviter les structures sans substance. Il y a, en France, 3 millions de sociétés avec très peu de personnel. Ce n'est pas interdit au niveau européen, mais mon but n'est pas d'attirer des sociétés qui ne créent pas d'emplois et ne paient pas d'impôt. 

Le Monde : Le durcissement des règles fiscales n'est-il pas inquiétant pour un pays comme le vôtre ? 

Xavier Bettel : Non. Si nous avions voulu organiser le blocage sur le secret bancaire ou d'autres points, nous n'aurions pas notre taux de croissance actuel. Une politique de niche légale est une opportunité, une politique de niche flirtant avec les limites serait néfaste. 

Le Monde : On vous dit réticent à l'idée d'une taxation des GAFA... 

Xavier Bettel : Nous demandons d'attendre le rapport promis par l'OCDE pour atteindre une convergence et faire en sorte que l'Europe ne soit pas moins attractive que d'autres. Je me demande, par ailleurs, alors qu'une guerre de l'acier menace, s'il est bon de lancer un mécanisme qui aboutirait à taxer, pour l'essentiel, des sociétés américaines. Mais il est inacceptable que de grandes entreprises réalisant des bénéfices considérables ne paient pas d'impôt alors qu'un travailleur est, lui, taxé à hauteur de 40 % ou 50 %. Tolérer cela, c'est pousser les gens vers les extrêmes. 

Le Monde : Une cassure Est-Ouest au sein de l'Union menace, à propos des réfugiés notamment... 

Xavier Bettel : Je m'inquiète que l'on parle de solidarité à géométrie variable. Quant à l'idée de lier l'octroi de fonds structurels au respect de l'État de droit, je m'interroge. Est-ce juridiquement faisable ? Et, en agissant ainsi, ne renforcerions nous pas, en fait, certains dirigeants qui pourraient, une fois encore, désigner les réfugiés et "Bruxelles" comment les ennemis ? Il convient, en revanche, de réfléchir à la réforme de l'article 7, qui suppose actuellement l'unanimité pour priver un État membre de son droit de vote. 

Le Monde : Vienne, Budapest, Rome peut-être : populistes et extrémistes arrivent au pouvoir. Quelles sont les réponses ? 

Xavier Bettel : Les dirigeants concernés doivent respecter les valeurs et, le cas échéant, rappeler à l'ordre leurs alliés qui les bafouent, voire décréter qu'il est impossible de gouverner avec eux. L'ltalie m'inquiète, mais cette élection n'a pas été influencée par la question européenne. C'est le thème des réfugiés, une affaire mal gérée faute d'un accord sur un système permanent de répartition ou une vraie solidarité, qui a encouragé certaines formations. Idem pour le FPÖ en Autriche et pour l'Afd en Allemagne.

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