Le ministre du Travail et de l´Emploi François Biltgen à l'occasion de la 91e Conférence internationale du travail

Monsieur le Président,

Permettez-moi en premier lieu de vous transmettre mes félicitations et celles de mon Gouvernement, à l’occasion de votre élection comme Président de la présente session de la Conférence internationale du travail. Je n’ai aucun doute que votre compétence et expérience vous permettront de faire aboutir à un franc succès cette session si importante de la Conférence.

Ch(è)r(e)s collègues,
Mesdames, Messieurs,

Notre Directeur Général, M. Juan SOMAVIA, a remarquablement préparé notre Conférence par ses rapports: "S’affranchir de la pauvreté par le travail",et le rapport de suivi de la Déclaration sur les droits fondamentaux intitulé cette année "L’heure de l’égalité au travail". Je l’en félicite et l’en remercie.

Selon la Constitution de l’OIT, sa mission  est de promouvoir la justice sociale et, au-delà, une paix universelle et durable. La Déclaration de Philadelphie dit clairement qu’un des obstacles majeurs à la justice sociale, donc la paix, est la pauvreté: "La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous".

A l’heure de la globalisation économique, à laquelle devrait répondre, selon mon Gouvernement, une globalisation sociale, nous devons nous rendre à l’évidence que la globalisation de la pauvreté existe bel et bien. En 1960, le revenu du cinquième de la population mondiale le plus riche était trente fois supérieur à celui du cinquième le plus pauvre. En 1999, le rapport était de soixante-quatorze à un. Eradiquer la pauvreté n’est pas seulement une nécessité sociale et humaine, mais pourra même constituer un facteur de croissance économique.

Face à la globalisation de la pauvreté, nous devons mettre un œuvre un plan d’action cohérent et complet.

Je vois moi-même quatre éléments fondamentaux pour mener à bien cette lutte: 1) le partage des richesses; 2) la primauté du droit, 3) la collaboration tripartite; 4) l’institutionnalisation d’un ordre social mondial.

1) le partage des richesses

J’ai évoqué l’inégale répartition des revenus au monde. Il faut que les richesses soient davantage partagées. Voilà tout l’intérêt de l’aide au développement. Mon pays, le Luxembourg est fier d’avoir tenu ses engagements et d’avoir porté depuis 1995 son budget d’aide au développement non seulement à 0,7% du PIB dès l’année 2000, mais à 0.84% pour l’année en cours et visant 1% en 2005. Je puis vous assurer aussi que mon pays continuera à l’avenir à accompagner les projets de l’OIT. Mais toute aide comptabilisée parmi l’aide au développement ne contribue pas nécessairement à ce développement. Si l’aide humanitaire directe en cas de crises est une évidence, elle ronge le budget et rétrécit donc indirectement l’aide au véritable développement. Une raison de plus de s’attacher à la prévention et de s’attaquer aux racines de la pauvreté en aidant les concernés à sortir eux-mêmes de la pauvreté et d’afficher leur dignité humaine.

2) la primauté du droit

Dignité humaine signifie aussi jouissance de droits. Il est difficile de lutter contre la pauvreté dans des contextes d’autocratie, de domination et d’intimidation. Il faut établir un ordre mondial basé sur le respect de l’état de droit et des droits de l’homme les plus fondamentaux. La moindre des choses – et je souligne "moindre", parce que je crois que c’est vraiment le minimum des minima – serait de faire appliquer partout au monde sans distinction la Déclaration de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux, qui consacre les principes suivants:

- la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective

- l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire

- l’abolition effective du travail des enfants

- l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession

3) la collaboration tripartite

La pauvreté ne saurait être éliminée sans un engagement tripartite décisif. Le travail est le meilleur moyen de s’affranchir de la pauvreté. Pour engendrer du travail, il faut créer de l’emploi. Et l’emploi n’est pas tout. La qualité de l’emploi est tout aussi importante. L’Europe communautaire a compris que la politique économique et structurelle, la politique de l’emploi et la politique d’inclusion sociale sont les trois côtés nécessairement complémentaires d’un même triangle. Cette conviction peut le mieux être véhiculée par un recours au tripartisme. C’est le meilleur vecteur pour affirmer cette politique.

4) l’institutionnalisation d’un ordre social mondial

Je souligne tous les ans à cette tribune les liens de filiation entre les différentes institutions de l’ordre mondial. Certes les liens familiaux se sont raffermis, par exemple entre la Banque Mondiale et l’OIT ou encore par le biais de notre Commission sur la dimension sociale de la globalisation. Ne faudrait-il pas songer à une nouvelle étape du processus vers une plus grande institutionnalisation dans le cadre du système onusien, voire au-delà,  en vue d’un plus grand rapprochement des aspects économiques et sociaux ? Mon Gouvernement souhaite par exemple ardemment, comme nouveau pas en avant, du moins un « memorandum of understanding » du BIT avec l’OCDE. L’OCDE a des responsabilités sociales évidents, même si la conduite de toute cette action doit rester dans le chef de l’OIT.

L’enjeu est d’importance. Si la globalisation se concrétisait par la délocalisation des entreprises de pays développés dans des pays à bas salaires et dans des migrations d’ordre économique dans les pays développés on risquerait de se voir confronté au dumping social tous azimuts. La pauvreté ne serait pas réduite dans les pays en voie de développement mais serait le cas échéant renforcée dans les pays développés.

Mesdames, Messieurs,
Chers collègues

La pauvreté est un phénomène global. Une des principales sources de l’émergence du facteur de la pauvreté dans les pays développés est la discrimination, dont la discrimination au travail. Si le travail est le meilleur moyen de lutter contre la discrimination, l’existence du travail ne suffit pas à elle seule pour éviter l’appauvrissement des gens.

Je ne soulignerai que quatre exemples: 1) L’égalité de rémunération entre hommes et femmes; 2) Les formes atypiques de travail; 3) Le salaire; 4) La culture de la sécurité.

1) L’égalité de rémunération entre hommes et femmes

Une certaine féminisation de la pauvreté semble établie. L’inégalité des rémunérations subsiste, malgré, par endroits, des instruments législatifs forts. Certes, toutes les explications n’ont pas été analysées. Certaines autres sont claires: Je pense avant tout au fait que les femmes se retrouvent plus que les hommes dans des secteurs à bas salaires et dans lesquels de surcroît, la négociation collective n’est pas aussi répandue. De même, plus d’égalité des sexes dans les structures représentatives des partenaires sociaux et les instances politiques pourrait contribuer à remédier à la situation décrite. Je pense également à l’interruption de carrière pour raison familiale qui explique dans beaucoup de cas que les femmes ne poursuivent pas la même carrière que les hommes.

2) Les formes atypiques de travail

Toutes formes atypiques de travail ne sont pas nécessairement à considérer comme négatives, surtout du moment qu’elles peuvent créer ou mener à  l’emploi. Je pense avant tout aux contrats à durée déterminée, au travail intérimaire, au travail à temps partiel, mais encore au télé-travail. Nous savons que cette dernière forme peut permettre de mieux concilier travail et famille.

Des actions normatives sont cependant indispensables si nous voulons soutenir ces formes de travail tout en en évitant les abus éventuels en matière de salaires ou de conditions de travail.

J’aimerai surtout revendiquer une action normative de l’OIT en matière de relation de travail. Il existe de plus en plus de relations salariales que l’employeur tente de cacher dans leur caractère véritable. Le problème des faux indépendants n’est qu’un des éléments. Je pourrai donc absolument me déclarer d’accord que l’OIT engage une action normative sur ce domaine en vue de fixer des critères universels permettant de sortir de cet engrenage. Ainsi, il faudrait pouvoir qualifier d’office de relation salariale une situation même si elle est cachée sous forme d’indépendance.

3) Le salaire

Tout travail mérite salaire. La question qui se pose cependant est celle de savoir si ce salaire doit être fixé uniquement par le jeu de l’offre et de la demande ou si bien au contraire il n’y a pas lieu de fixer un salaire social minimum respectueux de la valeur humaine du travail. Je suis fort content de lire dans le rapport que « L’adoption d’une politique de salaire minimum, dont le but premier est d’instituer un plancher pour la structure des salaires afin de protéger les travailleurs les plus mal payés, vise à améliorer les gains de ceux dont la représentation, au bas de la hiérarchie professionnelle, est disproportionnée, à savoir les femmes, les migrants et d’autres groupes qui peuvent être victimes de discrimination fondée sur l’origine ethnique, l’âge, le handicap, la santé, etc ». Par ailleurs cette politique a le mérite d’établir un objectif de référence pour les gains des travailleurs indépendants, notamment des faux indépendants respectivement des travailleurs dans l’économie informelle.

4) La culture de la sécurité

Une autre discrimination importante concerne la sécurité au travail. Là encore, l’économie informelle ou la structure des faux indépendants est plus particulièrement visée. Là aussi une action concertée s’impose. Dans cette optique, nous saluons que l’OIT ait choisi le 28 avril comme Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail. Nous allons nous y associer. Un programme commun centré sur des mesures préventives est nécessaire.

Mesdames, messieurs
Chers collègues

Il y a lieu de mettre davantage d’importance sur les valeurs éthiques dans les relations économiques et sociales. Je cite à témoin M. Klaus SCHWAB, Président fondateur du Forum de Davos qui a déclaré le 23 janvier 2003 au "Monde" "Il faut désormais revenir aux valeurs fondamentales…Les chefs d’entreprises doivent maintenant comprendre que nous entrons dans une période de modestie et que l’humilité devient une valeur en hausse". Pourquoi ne pas commencer par susciter l’intérêt des entreprises par l’implémentation concrète de leur responsabilité sociale ? Cette action volontaire permettrait, dans le meilleur des cas, à éviter ou atténuer des mesures normatives apparemment si redoutées par le monde économique.

Je vous remercie de votre attention.

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