Jean-Claude Juncker: Tout va devenir encore plus imprévisible

Le projet de Constitution crée un poste de président du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement auquel vous vous êtes longtemps opposé.

Jean-Claude Juncker: Je reste sceptique sur l'architecture institutionnelle proposée par la Convention. Même si je ne conteste plus la création de ce président stable du Conseil, je m'interroge sur la portée exacte de cette novation. Certes, les ailes de cet "homme providentiel" ont été rognées pour l'empêcher de voler les compétences du président de la Commission. Mais ce "chairman" va-t-il permettre d'éliminer toutes les faiblesses des présidences semestrielles tournantes actuelles? J'en doute. Songez au système complexe des présidences des conseils des ministres spécialisés. Aujourd'hui, tout est simple: au premier semestre 2005, je sais que le Luxembourg présidera toutes les formations du Conseil, que ce soit celui des ministres de l'Economie et des Finances ou le Conseil des ministres de l'lntérieur et de la Justice. Avec le projet de Constitution, chaque formation du Conseil élira, selon des modalités à déterminer par le Conseil européen, son propre président pour des durées variables. Tout va devenir encore plus illisible et imprévisible. Et la responsabilisation des acteurs européens va en pâtir. Et quels seront les rapports entre le président du Conseil européen et les multiples présidents du Conseil des ministres?

En revanche vous acceptez désormais la réduction de la taille de la Commission après avoir longtemps défendu le principe d'un commissaire par Etat membre.

Jean-Claude Juncker: Les petits Etats ont su opérer le virage quand il l'a fallu. Il est donc curieux que la Commission persiste à plaider pour que chaque pays dispose d'un commissaire alors qu'il y a beaucoup plus important, comme de demander l'extension supplémentaire du vote à la majorité qualifiée.

La principale attente des opinions publiques ne risque-t-elle pas d'être déçue puisqu'aucun progrès réeln'est fait sur le plan de la politique étrangère?

Jean-Claude Juncker: Il est remarquable que la Convention n'ait pas su surmonter les blocages lourds et les volontés nationales fortes des grands pays membres. Je regrette que la politique étrangère reste arrimée au principe de l'unanimité. Giscard, qui préside la Convention, a dit que la Constitution aurait une durée de vie d'un demi-siècle. Est-ce que cela voudrait dire que, durant les cinquante prochaines années, nous ne pourrions pas voter à la majorité qualifiée dans ce domaine et que l'on renoncerait à ce que l'Union soit un acteur majeur sur la scène internationale? Mais attention, peut-on reprocher cela à Giscard: ne sont-ce pas certains Etats membres qui refusent tout progrès en matière de politique étrangère? Avec cette Constitution, la situation que nous avons connue lors de la guerre en Irak se répétera à l'identique. Il ne sera pas possible de dépasser nos désaccords. Les instruments ne permettent pas de tout résoudre mais leur existence peut nous y aider. Or, là, il n'y a rien en dehors de la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères.

Croyez-vous que certains pays sont prêts à créer des "coopérations renforcées" en matière de politique étrangère?

Jean-Claude Juncker: Je le crois. La contribution franco-allemande à la Convention montre que ces deux pays sont portés par l'ambition d'aller de l'avant: ce qu'ils proposaient va bien au-delà de ce que l'on trouve dans le projet de Constitution. Par exemple, ils souhaitent le vote à la majorité qualifiée.

Le Luxembourg n'a guère de sacrifice à faire en matière de politique étrangère. Seriez-vous prêt à abandonner votre droit de veto en matière fiscale?

Jean-Claude Juncker: Bien sûr. Il faut de la majorité qualifiée notamment en matière de fiscalité des entreprises. Pour surmonter le blocage des Britanniques, mais aussi des Suédois et des Irlandais, il faudrait creuser l'idée de mettre en place une majorité "superqualifiée" dans ce domaine afin d'empêcher le blocage par un seul pays.

Le projet de Constitution présenté par Giscard risque-t-il d'être détricoté par les gouvernements?

Jean-Claude Juncker: Si l'idée avait été d'adopter sans changement le projet de Constitution, on n'aurait pas prévu de Conférence intergouvernementale pour succéder à la Convention. Elle n'a pas clos tout le débat, même s'il ne faut pas le rouvrir. Les gouvernements ont du travail utile à faire, notamment en rendant le texte plus cohérent et en en améliorant la rédaction. De même, il faudra rouvrir le dossie- des modalités du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres. Beaucoup d'Etats membres ont des remarques à faire à l'égard du système proposé de double majorité (majorité d'Etats représentant 60 % de la population européenne).

Votre nom est souvent cité comme premier président du Conseil européen...

Jean-Claude Juncker: Je serai candidat aux élections nationales luxembourgeoises en juin 2004. Si les électeurs veulent à nouveau de moi comme Premier ministre, je le resterai durant cinq ans. Sinon, j'irai vers d'autres horizons.

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