Conférence de presse du ministre de la Justice, Luc Frieden au sujet du projet de loi portant transposition de la directive européenne concernant les offres publiques d'acquisition

Extraits de la conférence de presse du 07.02.2006

... Le projet de loi que je voudrais vous présenter, au moins dans les grandes lignes ce matin, a pour objet de transposer en droit national la directive européenne sur les offres publiques d’acquisition, les fameuses OPA. Ce projet de loi doit être transposé en droit national avant le 20 mai 2006. C’est donc une date qui est imposée par la directive. J’observe d’ailleurs que très peu de pays ont jusqu’à présent transposé la directive européenne en question. D’après nos informations seul le Danemark et la Slovaquie ont transposé cette directive. Nous ne sommes donc pas les derniers à la transposer. Nous avions évidemment commencé les travaux il y a plusieurs mois, puisque nous savions qu’il fallait la transposer jusqu’au 20 mai, mais il est évident que les récents évènements ont accéléré quelque peu ces travaux, de sorte que nous avons pu les finaliser aujourd’hui, pour donc les soumettre au parlement et au Conseil d’Etat qui doit donner son avis avant que le parlement ne puisse décider sur ce projet de loi.

Ce projet de loi vise à encadrer juridiquement les offres publiques d’achat. Sur la méthode il veut avant tout que ces OPA se fassent dans la clarté et la transparence. En ce qui concerne son contenu, ce sont surtout des obligations d’information et d’égalité de traitement qui sont prévus dans le projet de loi et le projet de loi prévoit un certain nombre de délais pour le déroulement de la procédure, j’y reviendrai tout à l’heure.

Ce qui est important de savoir, quand on fait une telle législation, législation donc qui transpose une directive européenne, que le projet de loi que le gouvernement soumet aujourd’hui au parlement ne va pas empêcher les offres publiques d’acquisition. Le projet de loi en même temps ne va pas non plus encourager les offres publiques d’acquisition. C’est donc un projet de loi qui va encadrer les OPA, pour les mettre dans un contexte clair. Et je crois que c’est d’ailleurs l’un des rôles de la politique, c’est d’encadrer les processus économiques, c’est d’encadrer les marchés de capitaux, mais dans l’esprit luxembourgeois, c’est de garder une certaine souplesse afin de permettre aux opérateurs internationaux de se retrouver sur la place du Luxembourg. C’est donc une loi objective, si vous voulez, qui ne prend pas parti. Ceci n’est pas une loi anti-Mittal et ce n’est pas une loi pro-Arcelor. Ce n’est pas non plus une loi anti-Arcelor ou une loi pro-Mittal. C’est surtout une loi de procédures. Parce qu’il faut bien savoir et d’où aussi l’origine de ce projet de loi et l’origine de la directive, que les OPA font partie de la vie des sociétés cotées. Le gouvernement souhaite que ce pays qui vit du marché des capitaux, par l’importance de la place financière, reste un pays où le droit des sociétés attire des sociétés internationales. Et donc, je le dis une troisième fois, conformément à notre tradition juridique, nous souhaitons une certaine flexibilité dans la loi, flexibilité qui ne signifie nullement qu’on peut faire n’importe quoi, mais qui signifie que nous laissons un choix aux sociétés elles-mêmes de prévoir un certain nombre de choses et j’y reviendrai tout à l’heure….

C’est une matière très technique et donc je me limiterai sur un certain nombre de points pour souligner les principaux éléments de ce projet de loi.

D’abord ce projet de loi prévoit un certain nombre de principes généraux qui sont applicables aux OPA, principes généraux qui sont principalement que tous les détenteurs de titres de sociétés doivent bénéficier d’un traitement équivalent. Je crois que c’est l’un des éléments clés de ce projet de loi et de cette directive. L’offrant ne peut pas traiter différents actionnaires de la même catégorie de différentes manières. Il faut qu’il les traite tous de la même manière.

Deuxième grand principe général: il faut que tous les actionnaires disposent de suffisamment de temps et d’informations pour être à même de prendre une décision sur l’offre. Donc je crois que c’est très important que l’actionnaire dispose d’informations sur ce qui est en train de se passer et dans ce contexte nous prévoyons aussi que l’organe d’administration de la société visée doit présenter aux actionnaires son avis sur les répercussions d’une offre, sur l’emploi, sur les sites d’activités de la société. Donc ce n’est pas simplement une information financière qui est requise, mais également une information sur les conséquences d’une OPA sur la vie de la société au-delà donc de la valeur des actions qui font l’objet d’une OPA.

Donc égalité de traitement et obligation d’information sont deux points extrêmement importants.

Deuxième principe qui résulte de ce projet de loi, c’est que ce projet de loi définit l’autorité compétente pour le contrôle d’une offre. Il faut bien voir dans quel contexte cette directive OPA a été élaborée. Cette directive OPA a été élaborée dans un contexte européen. Elle vise d’ailleurs uniquement les sociétés qui sont cotées dans l’Union européenne ou qui relèvent du droit d’un Etat membre de l’Union européenne. Le projet de loi désigne la commission de surveillance du secteur financier, la CSSF, comme autorité compétente pour le contrôle des OPA au Luxembourg. Ce choix est dans la logique des choses, puisque la CSSF est déjà compétente pour la surveillance des marchés financiers et les prospectus de titres. Donc pour moi c’était très clair que ce rôle allait incomber à la CSSF. La CSSF pour être plus clair encore, est donc dorénavant compétente pour les OPA qui visent les sociétés dont le siège est à Luxembourg et dont les titres sont cotés au Luxembourg ou dans un autre Etat de l’Union européenne. Mais elle est également compétente pour les sociétés d’un autre état de l’Union européenne, dont les titres sont exclusivement cotés au Luxembourg. Donc si vous avez une société dont le siège est à Luxembourg et dont les titres sont cotés à Luxembourg, la CSSF est compétente.

Troisième règle que je voudrais relever de ce projet de loi c’est la protection des actionnaires minoritaires. La principale mesure de protection pour les actionnaires minoritaires est celle qui impose à toute personne qui acquiert le contrôle d’une société cotée, en venant à détenir un certain pourcentage de titres de cette société, d’offrir aux autres actionnaires les mêmes conditions qui ont été offertes à celui qui vend en premier lieu. Le seuil de contrôle que nous avons fixé à cet égard est de 33 1/3 pourcent. Donc si on acquiert un tiers de la société, alors il faut offrir aux autres actionnaires exactement les mêmes conditions et ce qu’on entend par les mêmes conditions, c’est qu’il faut leur offrir un prix qui correspond au prix le plus élevé payé dans une période allant jusqu’à 12 mois avant la prise de contrôle. Donc tous doivent dans ce cas là être servis de la même manière, si j’ose m’exprimer ainsi, dès qu’on acquiert donc plus de 33,3 pourcent d’une société.

Qu’est-ce qu’il faut offrir ? Et bien là le Luxembourg permettra le choix à l’offrant. La directive laisse aux Etats membres la définition de ce que l’offrant peut offrir. Le projet de loi prévoit que la contrepartie proposée par l’offrant doit consister en des titres, des espèces ou une combinaison des deux. C’est un point important dans la mesure où nous estimons qu’il appartient aux sociétés elles-mêmes de définir les conditions de l’offre. Il appartient aux actionnaires de se faire une image claire, si cette offre leur convient ou non, sans que l’Etat impose le choix de la contrepartie.

Quatrième point important de ce projet de loi, il concerne l’information sur l’offre. Je l’avais déjà mentionné parmi les principes généraux. Je le mentionne encore une fois ici. Il est essentiel à nos yeux que la décision de faire une offre soit rendue publique par l’offrant, immédiatement à la suite de la prise de décision par l’offrant. Cela est important pour que les marchés sachent qu’il y ait une offre. Et donc nous avons prévu dans ce projet de loi que si une société décide de lancer une offre, elle doit dans les dix jours soumettre à la commission, à la CSSF, un document d’offre et elle doit immédiatement rendre public la décision qu’elle a prise. En même temps évidemment où elle rend public sa décision, elle doit avoir informé la commission de son intention.

Le document d’offre qui est un élément clé dans les OPA, doit contenir un certain nombre d’informations sur la teneur de l’offre, l’identité de l’offrant, la contrepartie offerte, les intentions de l’offrant sur l’activité de la société visée, sur le maintien des emplois, le maintien ou non en postes des dirigeants, la période d’acceptation de l’offre. Donc l’ensemble de ce qui peut intéresser l’actionnaire doit être compris dans le document d’offre.

Autre élément important parmi les éléments sur laquelle la directive laisse aux états membres un certain choix, cela concerne les obligations du conseil d’administration ou des directions de la société visée, la société visée. Donc non pas de l’offrant. Le conseil d’administration peut entreprendre, selon notre projet de loi, des actions en vue de faire échouer une OPA, sans demander l’autorisation préalable de l’assemblée générale. La directive, je le répète, laisse aux Etats membres le choix de prévoir que l’assemblée générale doit être consultée en toute hypothèse ou alors de laisser tout cela au niveau du conseil d’administration. Nous estimons qu’il n’appartient pas à l’Etat de fixer cette règle et donc nous disons le conseil d’administration peut entreprendre des actions sans demander l’autorisation de l’assemblée générale, mais en même temps nous prévoyons que les sociétés peuvent imposer, c’est leur choix, peuvent imposer au conseil d’administration, de demander une telle autorisation à l’assemblée générale au préalable. C’est donc à l’assemblée générale elle-même, dans le cadre de ses statuts, dans le cadre de ses assemblées générales de décider si oui ou non dans une situation d’OPA elle demande au conseil de venir consulter l’assemblée générale. C’est donc un élément de plus où nous montrons que notre législation sera une législation qui laisse un choix aux sociétés. C’est conforme à l’esprit de notre droit des sociétés, c’est conforme à la dimension internationale du centre financier du Luxembourg.

La même philosophie vous la retrouverez dans le cadre des restrictions aux transferts des actions qui sont prévues, le cas échéant, dans les statuts des sociétés. Certaines sociétés prévoient en effet un certain nombre de restrictions de transfert de titres dans les statuts. Nous avons prévu dans le projet de loi que ces restrictions de transfert de titres sont inopposables à l’offrant uniquement, uniquement si la société le décide ainsi. Donc si la société décide que les restrictions de transfert de titres qui sont prévus dans ses statuts doivent être inopposables à l’offrant ou ne jouent pas dans le cadre d’une OPA, la société doit décider elle-même.

Si je dis cela à contrario, si la société ne décide rien, alors dans ce cas là les restrictions au transfert de titres jouent également dans le cas d’une OPA. Certaines sociétés ont de telles restrictions de transfert de titres, d’autres ne les ont pas. On pourra en discuter tout à l’heure, mais c’est un élément clé dans une OPA. Donc notre principe est, ils jouent dans le cas d’une OPA, sauf si la société décide qu’ils ne jouent pas.

Ensuite autre principe de ce projet de loi. il concerne le retrait obligatoire ou le rachat obligatoire dans certaines circonstances. Le projet de loi prévoit en effet que si à la suite d’une OPA, un offrant vient à détenir une très grande majorité de titres, dans notre cas nous prévoyons que ce seuil est de 95 pourcent, dans ce cas là, l’offrant peut forcer les actionnaires restants à vendre ces titres. C’est ce qu’on appelle en jargon de droit financier le « squeeze out », mais nous prévoyons aussi le « sell out », c'est-à-dire que si l’offrant acquiert déjà 95 pourcent, dans ce cas les actionnaires restants peuvent forcer l’offrant à leur racheter leurs titres également, évidemment au juste prix. Donc les actionnaires très très minoritaires dans ce cas là peuvent demander à l’offrant qu’il leur rachète aussi leurs titres.

Deux points encore que je voudrais soulever, cela concerne les délais, puisque j’avais dit en guise d’introduction que ce projet est un projet important pour voir un peu dans quels délais une telle OPA doit se dérouler. Lorsque l’offrant décide une OPA, il doit informer directement la CSSF et informer le public. Deux, endéans un délai de dix jours, il doit soumettre son document d’offre à la CSSF. Trois, la CSSF dispose alors de trente jours pour examiner le document. Le document est rendu public après approbation par la CSSF. Les actionnaires ont alors un délai compris entre deux et dix semaines au maximum pour accepter ou non l’offre et au terme de ce délai l’offre a réussi ou non. Ensuite des opérations de retrait obligatoire peuvent avoir lieu et il y a certaines nuances encore, mais cela sont les grands principes. Pourquoi ces délais sont ils si courts ? Parce qu’on a à faire à des sociétés qui sont cotées et il faut éviter que la société visée ne soit dérangée trop longtemps par les opérations d’une OPA. Parce qu’on pourrait en fait s’imaginer qu’un offrant lance une OPA sur une société pour perturber son travail pendant des mois ou des années. Cela est évidemment inacceptable et donc il est important que la loi prévoit des délais stricts endéans lesquels chaque acteur doit se positionner, doit agir.

Dernier élément, cela concerne les offres en cours. Il est évident que lorsqu’on fait une loi, la loi est votée à un certain moment, il se peut que des offres publiques d’acquisition soient en cours. Nous prévoyons dans ce projet de loi, puisque c’est un projet de loi qui a pour objet de créer un cadre juridique clair et qui s’inspire directement de la directive européenne, que ce projet de loi est applicable aux offres publiques d’achat en cours. Le projet de loi prévoit évidemment aussi que les étapes déjà valablement accomplies au moment du vote de la loi, ne doivent pas être répétées, à condition que les conditions minimales, les conditions minimales du projet de loi sont observées. En d’autres termes, si le document d’offre a été remis, a été approuvé par la CSSF ou est en train d’être examiné par la CSSF, il ne faut pas que l’offrant remette un nouveau document d’offre ou si la période d’acceptation est en cours, l’OPA n’est pas stoppée, mais je lance un appel à toutes les parties en cause, y compris dans l’OPA qui en ces jours fait couler beaucoup d’encre, je lance donc un appel à toutes les parties pour s’orienter dans l’OPA en cours au projet de loi. Cela vaut aussi pour les OPA, qui le cas échéant, pourraient être lancées d’ici la fin de la procédure législative. Je crois que c’est dans l’intérêt de toutes les parties, offrants, sociétés visées, CSSF, de s’orienter au projet de loi que nous allons déposer aujourd’hui au parlement.

Évidemment cela n’est pas juridiquement contraignant, nous le savons fort bien, mais je crois que toutes les parties apprécient s’il y a un cadre juridique clair, dans la mesure où ce projet de loi s’inscrit dans la logique de la démarche européenne, je crois que aucun tort n’est fait par ce projet de loi à aucune des parties en cause, bien au contraire.

J’ajoute que en ce qui concerne les décisions de la CSSF, qui seront prises, le projet de loi, puisque nous sommes dans un Etat de droit, prévoit aussi des voies de recours. Un recours en annulation est prévu contre les décisions de la CSSF devant le tribunal administratif de Luxembourg.

En conclusion, je crois que c’est un projet de loi qui clarifie un certain nombre de choses concernant les OPA, qui encadre juridiquement les marchés des capitaux. C’est un projet de loi qui s’inscrit dans la tradition juridique du centre financier du Luxembourg qui veut attirer des sociétés internationales également à l’avenir, mais nous ne sommes pas dans une situation où chacun peut faire ce qu’il veut. Nous souhaitons une égalité de traitement des actionnaires. Nous souhaitons une information complète des actionnaires. Nous souhaitons que tout un chacun sache, non seulement la valeur des actions, mais aussi les conséquences d’une OPA sur l’emploi, sur les dirigeants, sur les activités de la société. C’est donc un projet de loi qui renforcera le cadre juridique de la place financière du Luxembourg, qui fera modèle pour beaucoup de pays en Europe, puisque nous sommes parmi les premiers à transposer cette directive et j’ai donc l’espoir que le parlement pourra décider dans les meilleurs délais sur ce projet de loi qui vous sera d’ailleurs distribué dans quelques minutes et qui sera également à partir de ce matin sur le site Internet du gouvernement, donc chacun pourra le consulter. Ce n’est donc plus à partir de ce matin un document secret, puisqu’il sera aussi déposé au parlement, s’agissant d’un projet de loi.

Donc en gros pour rappeler les grands principes généraux applicables: traitement équivalent des actionnaires, information adéquate. Le projet de loi fixe l’autorité compétente. Il prévoit un dispositif clair pour la protection des actionnaires minoritaires. Il laisse aux sociétés un certain nombre de choix, choix sur la contrepartie des titres, choix aussi pour l’autorité qui peut le cas échéant prendre des démarches pour faire échouer l’offre, choix pour la société pour éventuellement neutraliser les restrictions statutaires, mais au niveau de la société, donc flexibilité traditionnelle du droit luxembourgeois, dispositions sur le « squeeze out » et délais clairs, enfin application aux offres en cours, je dis cela parce que je me rends bien compte que c’est une matière extrêmement compliquée et dont beaucoup d’entre vous ne se seraient jamais occupés s’il n’y avait pas l’OPA en cours. Mais c’est, je vous le dit, une matière en fait intéressante pour les marchés des capitaux, intéressante pour le Luxembourg.

Il est parfois très utile d’être à la fois ministre du trésor et ministre de la justice, puisque en tant que ministre du trésor, je suis responsable des marchés de capitaux et responsable politique de la CSSF et en tant que ministre de la justice je suis en charge du droit des sociétés et donc c’est cette combinaison idéale qui m’a permis de trancher rapidement un certain nombre de points, de mettre ensemble les équipes et le fait que j’ai été pendant de nombreuses années avocat, travaillant notamment dans ces matières, n’a pas été un désavantage pour finaliser ce projet de loi sur lequel nous travaillons donc depuis un certain nombre de mois et qui doit être donc transposé avant le 20 mai.

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