Contribution de Lydie Polfer au débat sur l'Avenir de l'Europe

Trouvez en suite la contribution de Lydie Polfer, ministre des Affaires étrangères, au débat sur "l'Avenir de l'Europe" lancé par MM Göran Persson, Guy Verhofstadt, Romano Prodi et Mme Nicole Fontaine:

"Le lancement de ce site est une excellente initiative. Dans la phase actuelle de l'intégration européenne, un dialogue sérieux et interactif entre les responsables politiques et les citoyens est une nécessité. En tant que ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, je voudrais y apporter ma contribution personnelle. Mon propos, à ce stade du débat, tiendra en quelques points simples et, je l'espère, de bon sens:

  • Le traité de Nice a été une étape obligée dans la marche vers l'unification européenne, et cela pour deux raisons. Il a d'abord ouvert la voie à l'élargissement vers l'est et le sud, qui fait entrer l'Europe dans une nouvelle phase de son développement. Il a ensuite mis en évidence la nécessité d'un débat fondamental sur l'avenir de l'Europe. Tout le monde a compris à Nice que l'approfondissement de l'intégration dans le contexte d'une Europe élargie passe par une "réinvention" de l'Europe. C'est là tout le sens de la Déclaration adoptée par les chefs d'Etat ou de gouvernement en marge de Nice.

 

  • "Réinventer" l'Europe requiert un nouveau souffle, de l'audace et de la vision. Ayant dit cela, j'ajoute qu'audace ne doit pas rimer avec démagogie. L'unification européenne est un réel succès historique. Une des clés de ce succès est la méthode communautaire. Qu'il faille l'adapter, tout le monde en conviendra. Mais je ne voudrais pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous continuerons d'avoir besoin d'institutions fortes et des règles d'une communauté de droit. En même temps, nous devons tenir compte du fait que nous vivons dans une union d'Etats et de peuples. Toute équation future devra en tenir compte. Une approche qui privilégierait l'un des deux volets au détriment de l'autre serait vouée à l'échec. Miser sur l'intergouvernementalisme classique mène à l'impasse; faire abstraction du facteur de l'Etat-nation, de même.

 

  • La réflexion sur l'avenir de l'Europe doit se faire à trois niveaux, comme le dit très bien Guy Verhofstadt. D'abord celui des principes et des grands objectifs, ensuite celui du contenu des politiques, enfin celui de la méthode et des instruments. Nous avons certainement dans le passé trop mis l'accent sur le troisième volet, au détriment des deux autres. Cela explique peut-être la relative désaffection des citoyens par rapport à l'UE et le divorce entre l'opinion publique et la classe politique. Je pense que le citoyen s'intéressera davantage à l'Europe si nous parlons des grands enjeux politiques plutôt que de questions de pouvoir institutionnel et de mécanique.

 

  • Après la Seconde guerre mondiale, les raisons de faire l'Europe étaient évidentes: réconcilier les peuples, écarter à tout jamais le risque d'une réédition des guerres fratricides, rebâtir une économie prospère. Ces raisons n'ont pas vraiment disparu, mais l'Union est devenue la victime de son propre succès : aujourd'hui, les Européens ont le sentiment que la paix et la prospérité "vont de soi". Leur soutien à un processus qui requiert des sacrifices et des efforts de compréhension ne peut plus être gagné sur la base du seul motif incantatoire qu'il faut s'unir. Le thème de l'élargissement constitue peut-être une bonne occasion pour "revenir aux sources": l'extension de l'Union vers l'est et le sud est véritablement une oeuvre de paix. Il devrait aussi nous inciter à une réflexion plus générale sur la problématique de la solidarité : solidarité avec les futurs partenaires, mais aussi solidarité entre régions et Etats, solidarité comme élément fondamental du modèle européen de société, solidarité avec les générations futures, solidarité face aux effets de la mondialisation.

 

  • La question de la délimitation des compétences est un des quatre thèmes repris dans la Déclaration de Nice. J'aimerais que nous élargissions un peu le débat et que nous nous interrogions de façon plus approfondie sur ce que doit être le contenu des politiques de l'UE. Ou, pour poser la question différemment, qu'attend le citoyen de l'UE? Veut-il plus ou moins d'Europe? Je n'ai évidemment pas la réponse définitive à cette question. Mon impression est que le citoyen veut les deux à la fois, selon les domaines. En matière de relations extérieures, le reproche que l'on entend le plus souvent est plutôt celui de l'absence d'action de l'Europe, ou de son impuissance. Dans d'autres domaines, par contre, l'Union est accusée de trop rentrer dans les détails, ou encore d'exercer ses compétences de façon non appropriée. Il serait intéressant de susciter les réactions des participants au débat sur ces questions.

 

  • Les questions institutionnelles ont leur importance, certes. Il faut, toutefois, éviter, d'en faire un objectif en soi. Les institutions et les instruments sont des outils au service d'une cause. C'est pour cela qu'il est si important de commencer par reposer les questions de base sur ce que nous voulons faire ensemble. Dans le cas contraire, nous risquons de nous épuiser dans des batailles d'influence et de statut, comme cela a été un peu le cas à Nice. La querelle entre "petits" et "grands" est une querelle qu'il faut dépasser. Nous risquons aussi de perdre l'adhésion des citoyens qui ne comprennent plus quels sont les vrais enjeux qui se cachent derrière des débats souvent ésotériques et difficilement compréhensibles pour le commun des mortels. Dans ce contexte, j'ajouterai une autre considération: autant le citoyen s'intéresse à qui est responsable pour quoi, autant il se moque des détails des procédures. Nous avons parfois tendance à limiter la recherche de la transparence à la publicité des textes et des actes et à oublier que la vraie transparence requiert une compréhension des grands enjeux et des responsabilités. Le moment venu, il faut des experts et des spécialistes pour traduire dans des textes constitutionnels et juridiques le résultat du débat démocratique à mener. Mais, de grâce, essayons cette fois-ci d'avoir ce débat au préalable, et de l'avoir de la façon la plus large possible."

 

Communiqué par le ministère des Affaires étrangères

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