Réflexions du ministère de la Culture à propos de "Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la culture 2007"

I

La presse a fait état vendredi, 27 juin d'un "verdict négatif" que le jury institué selon l'article 2,2 de la Décision 1419/1999/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 "instituant une action communautaire en faveur de la manifestation "Capitale européenne de la culture" pour les années 2005 à 2019" aurait prononcé face à la candidature de "Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la culture, 2007". Cette «information» est erronée, voire mal intentionnée:

La publication du pré-rapport du 2 juin a créé une confusion et une irritation certaines auprès de beaucoup de personnes. En effet, le moins que l'on puisse dire c'est que les deux pages de ce pré-rapport du jury ne reflètent que très imparfaitement les discussions menées lors de l'entretien du 14 mai. A lire ce texte, on a plutôt l'impression que c'est la version avant discussion avec la délégation luxembourgeoise qui a été publiée.  Ce texte semble faire croire que le projet présenté n'aurait "pas de vision". 

C'était, en effet, la question que le jury avait formulée au début de la discussion, le 14 mai, entre la délégation luxembourgeoise (Guy Dockendorf, Claude Frisoni, Jean-Claude Felten, Jean Reitz et Carlos Guedes) et le jury (José Antonio Jáuregui, Julius Norbo, Camilla Lundberg, Nikos Panayotopoulos, Olaf Schwenke), en présence de trois représentants de la Commission dont M. Antonios Kosmopoulos, chef d'unité. Deux membres nommés du jury (Veronica Ratzenbock et Henning Jensen) n'ont pas assisté à la réunion.

Après la présentation de la "vision 2007" par la délégation luxembourgeoise, le président a applaudi et dit: "You have touched my heart! If this is the spirit, then it's ok!". Or, cette appréciation très positive de la vision 2007, ne ressort quasiment pas du rapport, ce qui a fait croire à certains que l'idée d'associer la Grande Région au projet de la capitale culturelle de l'Europe en 2007 aurait été refusé.

Mettre  en doute la vision 2007 et contester la pertinence des thèmes comme le semble vouloir dire le texte du pré-rapport est en flagrante opposition avec l'accueil de la présentation faite au jury.

II

Scripta manent, verba volant! C'est pourquoi il est utile de rappeler les arguments développés dans la présentation du 14 mai dernier:

1) La vision de "Luxembourg et Grande Région, capitale culturelle de l'Europe, 2007"

L'originalité de la proposition "Luxembourg et Grande Région, Capitale culturelle de l'Europe 2007" est d'associer, pour la première fois depuis la création de cette manifestation en 1985, cinq régions de quatre pays différents. Ces régions sont des entités administratives et politiques très différentes:

  • un État souverain, le Luxembourg, dont la population et la création artistiques sont trilingues,

  • deux Länder allemands, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat qui jouissent dans le cadre de l'État fédéral allemand, d'une large autonomie,

  • une Région française, la Lorraine, régie par des autorités nationales (les préfets et la Direction Régionale des Affaires culturelles), représentant le pouvoir central, puis le Conseil Régional, les Conseils Généraux (départements de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges),

  • une région belge, partie d'un Royaume fédéral, représentée par deux communautés, l'une germanophone, l'autre fracophone.

La délégation luxembourgeoise a expliqué au jury que la difficulté à faire travailler ensemble des entités aussi différentes, constituait un des défis de ce projet et une large part de son intérêt. Tous les obstacles qui nuisent à la coopération transfrontalière, à la libre circulation des créateurs et de leurs productions, à la libre circulation des travailleurs culturels, aux coproductions, aux échanges de publics, aux créations communes transnationales seront inventoriés, répertoriés, éprouvés durant la préparation et la réalisation de la manifestation.

Les larges consultations menées depuis un an et demi avec les partenaires des cinq régions ont bien montré que la préparation de l'événement avait une importance capitale et que cette préparation était d'autant plus longue que le défi de faire travailler ensemble cinq régions de quatre pays différents est autrement plus grand que celui qui consiste à faire travailler ensemble les citoyens d'une seule ville!

Réunir cinq régions, quatre pays, trois langues (au moins), des centaines d'institutions, des milliers de créateurs, d'acteurs culturels et sociaux autour d'un projet culturel plurinational et transfrontalier est sans précédent. Associer des populations de nationalités, d'expression linguistique, de traditions différentes, dans une région qui fut dans le passé le cadre de conflits, d'annexions, d'occupations sanglantes est un acte symbolique fort de confiance dans la citoyenneté européenne et dans le rôle déterminant de facteur de cohésion sociale qu'est la culture. Là où l'histoire a conduit des peuples à se faire la guerre, le projet de "Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la culture 2007" offre la possibilité de confronter des expériences et des pratiques permettant la découverte commune:

  • là où les crises économiques ont contraint des hommes à quitter leurs racines, le projet 2007 propose de vivre des émotions collectives fortes et enrichissantes;

  • là où Charlemagne décidait de diviser l'Europe, le projet 2007 donne l'image d'une coopération exemplaire;

  • là où le quotidien des hommes et des femmes les amène à franchir les frontières et à vivre l'Europe dans la réalité pratique, le projet 2007 contribue à l'édification d'une citoyenneté européenne.

Les cinq thèmes retenus, d'un commun accord par les cinq partenaires, sont:

  • Les migrations (émigration et immigration): le Grand-Duché de Luxembourg;

  • Culture et patrimoine industriels: la Sarre;

  • Les grandes personnalités européennes: la Rhénanie-Palatinat;

  • Culture et mémoire: la Lorraine;

  • Expressions de la modernité: la Communauté française Wallonie Bruxelles et la Communauté germanophone de Belgique.

Ils convergent tous vers un objectif commun, le rôle de laboratoire de l'Europe de la Grande Région. Si ce projet est dénué de vision, alors c'est que Robert Schuman n'en avait pas! Comment le jury peut-il à la fois juger ces thèmes "obsolètes" ou non adaptés et recommander au Luxembourg de documenter la diversité de sa population, alors que le thème assumé par le Grand-Duché est précisément les migrations humaines? Le document remis a-t-il vraiment été lu (avec ses anexes) et les arguments exposés par la délégation luxembourgeoise écoutés?

2) Le budget et la programmation de l'événement:

L'ampleur de l'événement, la mobilisation politique et culturelle, les moyens mis en oeuvre devraient permettre de trouver des solutions utiles à tous les acteurs culturels d'Europe, aux problèmes existant jusqu'à aujourd'hui: c'est pourquoi la délégation luxembourgeoise, en accord avec ses partenaires des quatre autres régions, pense irréaliste de présenter, quatre années avant le début possible des manifestations de 2007, un programme et un budget.

Comment imposer un budget à des partenaires transfrontaliers, dont les sources de subventionnement sont fondamentalement différentes? Quelle serait la réalité d'un partenariat dont l'une des parties imposerait ses vues aux autres? Il en va de même pour une programmation qui ne reposerait pas sur une large concertation des acteurs culturels et créateurs des cinq régions.

Le Luxembourg a une solide expérience dans l'organisation de cette manifestation majeure et, à la publication coûteuse de plaquettes luxueuses pour présenter sa candidature, a préféré le long et patient travail de réflexion et de concertation avec ses partenaires.

Le bilan de l'année 1995 a été extrêmement positif, tant du côté culturel, que du côté impact économique et impact touristique. Ce qui plus est, les effets bienfaiteurs de l'année culturelle 1995 se font encore sentir aujourd'hui: l'opération 1995 s'est donc vraiment inscrite dans la durée et devrait rassurer tous ceux qui se posent des questions sur la viabilité du projet 2007.

Il est utile de rappeler ici que c'est le Luxembourg, qui lors de sa Présidence du Conseil des Ministres, pendant le deuxième semestre de 1997, a remis sur les rails la manifestation «Capitale culturelle de l'Europe»: en effet, après la décision de nommer 9 (neuf!) villes capitales culturelles de l'Europe pour 2000, les dossiers de candidature pour l'année 2001 avaient été égarés: ce n'est qu'au bout d'un travail de bénédictin de la Présidence luxembourgeoise que les sept villes candidates ont pu être contactées.

Les soussignés ont, en octobre 1997, rendu visite aux sept villes candidates (Porto, Rotterdam, Genova, Bâle, Valencia, Riga, Lille) et ont préparé avec elles un séminaire de présentation qui eut lieu, les 7 et 8 novembre 1997, au château de Bourglinster et réuni, outre les sept villes candidates, les 15 pays membres, la Commission, le Parlement, le Comité des Régions ainsi que le réseau des capitales et des mois européens de la culture. Ce séminaire a largement permis d'aboutir à la réforme de la procédure de nomination des capitales culturelles de l'Europe en 1999, et notamment de recentrer la nomination sur une seule ville! Il n'est pas prétentieux de rappeler ici que ce sont les recommandations de la Présidence luxembourgeoise, où les soussignés ont pris une part importante, qui ont contribué à faire adopter la décision 1419/1999/CE, avec les critères  de programmation et d'évaluation, tels qu'ils sont énoncés à l'article 3 et à l'annexe II.

Par ailleurs, cette décision n'indique, concernant l'axe temporel, qu'une seule contrainte pour les candidatures des États membres: "La ou les candidatures des villes sont présentées au Parlement européen, au Conseil, à la Commission et au Comité des régions, par l'État membre concerné avec une éventuelle recommandation de celui-ci, au plus tard quatre ans avant le début de la manifestation". (art. 2,1). Ce que le Luxembourg a fait par ses courriers du 23 décembre 2002.

Ces courriers indiquaient très clairement qu'il était prématuré et irréaliste de vouloir présenter un pré-programme et un budget ad hoc.

3. Identité d'un directeur artistique

L'expérience, non seulement de "Luxembourg, Ville européenne de la Culture, 1995", mais aussi celle du Réseau des Villes et Mois culturels européens, le prouve: ce dont la préparation et la réalisation de cette manifestation ont vraiment besoin, c'est d'un coordinateur, respectueux des choix et options des acteurs culturels et des créateurs. Aucune des quelque 25 capitales culturelles de l'Europe que les soussignés ont pu visiter ou dont ils ont rencontré les responsables n'ont présenté le même projet: chaque capitale culturelle de l'Europe est riche de sa propre identité et c'est, finalement, ce qui réussit à mettre en valeur l'idée de la diversité culturelle européenne si chère à Melina Mercouris, la  Ministre de la Culture de la Grèce qui avait lancé le projet en 1985.

Le Luxembourg et ses quatre régions partenaires sont en train de créer, chacun, une structure juridique, les cinq entités étant chapeautées par une asbl de droit luxembourgeois. Cinq responsables sectoriels devront donc être désignés, ainsi qu'un coordinateur général. La simple courtoisie impose de laisser les cinq régions faire leurs choix librement.

III

Le but de ces réflexions est, entre autres, d'inviter les responsables en charge du dossier, ainsi que c'est d'ailleurs prévu par l'article 6 de la décision 1419/1999/CE, de faire des propositions "en vue de la révision de la (présente) décision". En effet, si on peut comprendre la déception du précédent jury qui, malgré deux avis négatifs formulés à propos de la candidature de Patras (GR) comme capitale culturelle de l'Europe, a vu la nomination, à l'unanimité des 15 Ministres de la Culture réunis à Bruxelles le 6 mai dernier, de la Ville de Patras comme capitale culturelle de l'Europe, il importe aussi de prendre en compte, de manière réaliste, les compétences, l'expérience et les visions de la candidature de "Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007".

Les quatre régions partenaires ont accueilli avec enthousiasme l'idée de coopérer avec le Grand-Duché pour ce projet. Les autorités politiques, mais aussi les responsables culturels et sociaux (Inter-régionale des syndicats, Conseil économique et social de la Grande Région) ont délégué des représentants à toutes les réunions de préparation, prouvant ainsi leur désir et leur capacité à se mobiliser dès à présent. Cependant, avant d'entamer les démarches pour réunir leurs parts respectives de budget, chacune de ces entités doit avoir l'assurance que ce projet deviendra réalité. C'est une des particularités de ce dossier: cinq régions y contribuent, mais seul le Luxembourg présente cette candidature. Une fois la candidature retenue, les cinq partenaires apportent leur part, en ce qui concerne le budget, les hommes, les femmes et les idées. Par la suite, le développement du travail concret pourra se faire avec un suivi du jury, ses conseils avisés et ses suggestions. Comme le jury a déclaré ne presque pas connaître la Grande Région, le Luxembourg est heureux de pouvoir les accueillir à la rentrée, au Luxembourg, pour leur faire rencontrer les responsables politiques et culturels de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat, de la Lorraine, des communautés francophone et germanophone de Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg!

29 juin 2003

Claude FRISONI
Ancien coordinateur général de "Luxembourg, Ville européenne de la Culture, 1995"
Directeur du Centre culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster

Guy DOCKENDORF
Premier Conseiller de Gouvernement
Directeur des Affaires culturelles
Président du Comité Affaires culturelles (1997)
Président du groupe de travail "Affaires culturelles" de la Grande Région

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