Lydie Polfer devant la 56e session de la Commission des Droits de l'Homme

Monsieur le Président,

Permettez-moi de vous féliciter à mon tour pour votre élection à la Présidence de la Commission des droits de l'homme. Je tiens à vous assurer la confiance et le soutien de mon pays dans l'exercice de vos importantes responsabilités.

Le Luxembourg appuie les positions que le Portugal a défendues à cette tribune au nom de l'Union européenne. Mon pays achève cette année son premier mandat en tant que membre de la Commission des droits de l'homme. Cette participation souligne combien il nous importe de maintenir et de promouvoir le caractère universel de l'action internationale pour les droits de l'homme.

La défense des droits de l'homme n'est pas le monopole des Etats. Le fait de voir à chaque session s'élargir le cercle des ONG qui participent à nos débats confirme l'intérêt croissant de la société civile à participer activement à la promotion et à la protection des droits de la personne humaine. Cette sensibilisation assure la vitalité de notre engagement en faveur des droits de l'homme, parfois au prix de la vie de celles et de ceux qui s'engagent dans cette voie. La protection des défenseurs des droits de l'homme est un sujet dont cette Commission doit rester saisie, car il est important d'assurer - par la mise en place d'un mécanisme approprié - le suivi de la déclaration adoptée ici-même il y a deux ans. Les responsables des Etats doivent à ceux qui s'engagent sur le terrain une protection effective.

La responsabilité des Etats dans le respect et la promotion des droits de l'homme est cardinale. C'est à l'Etat qu'il appartient de garantir le droit, et c'est le respect et la pratique du droit qui fondent la légitimité des Etats. Cette responsabilité s'étend également au niveau international, où les Etats agissent collectivement à l'intérieur du système des Nations-Unis ou dans d'autres organisations intergouvernementales. Les différents pactes et conventions le proclament, les mécanismes intergouvernementaux de contrôle de la mise en œuvre de ces engagements le confirment : les droits de l'homme ont valeur universelle, et les Etats sont solidairement et collectivement responsables de leur mise en œuvre partout dans le monde.

Monsieur le Président,

Les nouvelles qui se précisent au sujet des souffrances endurées par les populations de la Tchéchénie et des violations graves de leurs droits, sont alarmantes. Je salue le fait que les autorités russes aient consenti à inviter le Haut Commissaire aux Droits de l'Homme à se rendre désormais dans la région. Il est important que le Haut Commissaire nous fasse profiter de ses conclusions à cette 56e session.

Dans cette enceinte, la situation en Tchétchénie demande à être approchée de la même manière que l'ont été les allégations de violations graves des droits de l'homme dans d'autres régions du monde. En effet, dans cette région de la Russie quelles que soient les complexités de la situation sur le terrain, nous ne pouvons admettre que, sous prétexte de rétablissement de l'ordre répétée ou de lutte contre le terrorisme, des forces militaires s'en prennent de manière répétée aux populations civiles.

Aussi je lance un appel à la coopération des autorités de la Fédération de Russie,

  • pour qu'elles établissent la transparence en autorisant la présence sur place d'observateurs internationaux et des médias,
  • pour qu'elles offrent aux organisations humanitaires internationales les conditions qui leur permettent de subvenir aux besoins immédiats de la population tchétchène, des réfugiés et des personnes déplacées et de rétablir les conditions de vie décentes sur les territoires dont ces personnes sont originaires,
  • pour qu'elles identifient les responsables de violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire, et qu'elles veillent à ce que ceux-ci soient jugés pour leurs crimes.

Les conventions de Genève ont le mérite d'imposer les limites du droit à la conduite de guerre. Ce serait un mauvais calcul que de tolérer le développement de zones de non-droit, qui ne feraient qu'approfondir ces conflits. Il ne saurait y avoir d'avenir au délais du respect du droit.

La décision la plus difficile n'est-elle pas de renoncer à s'installer durablement dans la haine. Le travail accompli par les tribunaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie confirme que pour substituer la justice à la vengeance, il faut la coopération des Etats et celle des individus.

L'expérience montre aussi que l'œuvre de justice est une partie indispensable du travail de deuil, dont une société éprouvée par un traumatisme grave doit s'acquitter pour s'habituer à vivre en paix. A défaut, tout effort de reconstruction serait en vain. J'ose espérer qu'au Kosovo, où je tiens à saluer l'engagement de Bernard Kouchner, l'évolution des mentalités finira se faire niveau et justifiera les efforts importants de rétablissement de la paix et de reconstruction consentis par la communauté internationale.

Monsieur le Président,

Les droits de l'homme ne sont pas des concepts figés, leur universalité s'inscrit dans un processus historique. Le dialogue entre les civilisations que nombre d'entre nous appellent de leurs vœux met en évidence les frontières culturelles qui nous traversent sans forcément nous séparer ; il ouvre également la perspective d'une humanité plurielle, qui cherche à se défaire de l'emprise réductrice de l'intolérance, de la xénophobie et du racisme.

L'agenda de ce début de siècle intègre les préoccupations que regroupe la notion positive de culture de la paix. Le dialogue est une composante essentielle de cette culture, il demande un effort de compréhension réciproque dans un esprit de critique constructive, car mieux comprendre l'autre implique qu'il faut accepter de se remettre en question soi-même.

Le Luxembourg continue d'attacher la plus haute importance au dialogue critique que l'Union Européenne entretient depuis 1997 avec la Chine et, je l'espère, prochainement avec l'Iran. Ce dialogue n'est pas une fin en soit, il comporte un élément de plus en plus important d'assistance technique et fait l'objet d'une évaluation régulière. Je dois cependant constater que sur des points essentiels, comme la liberté de pensée, nous restons dans l'expectative.

Les différences d'appréciation qui existent au sein de cette Commission quant à la mise en œuvre des droits de l'homme ne justifient pas que les sujets qui nous divisent soient refoulés par le biais d'un recours parfois excessif aux règles de procédure.

Les membres de cette Commission ont vu se retourner des situations qui paraissaient désespérées : la victoire sur l'apartheid en constitue le plus bel exemple. J'ai la ferme conviction qu'avec le temps, l'abolition de la peine de mort connaîtra une évolution semblable. Le Luxembourg soutient activement l'initiative de l'Union européenne sur l'abolition de la peine de mort : cette initiative est un élément important de la campagne mondiale lancée il y a un an par l'Union européenne.

Cette année, le groupe de travail chargé d'élaborer un protocole additionnel sur les enfants dans les conflits armés a pu conclure ses travaux après des années de blocages. Mon espoir est de voir désormais ce projet passer les instances onusiennes, afin qu'il puisse être ouvert le plus rapidement possible à la ratification par les Etats.

De même, nous devons nous fixer l'objectif de conclure dans les meilleurs délais les négociations relatives au protocole sur la vente, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants. De l'indignation à l'action, le chemin est parfois plus ardu qu'on ne le pense, mais il ne devrait y avoir d'hésitation là où l'intérêt supérieur de l'enfant est en jeu.

Monsieur le Président,

Les droits de l'homme ne sont jamais acquis, et aucun pays ne peut se prévaloir d'une supériorité quelconque en la matière. A tout moment, et dans toutes les régions, la vigilance est de mise.

Dans mon pays l'afflux, soudain et massif de réfugiés en provenance des Balkans a suscité un débat national sur notre capacité d'accueil et nos engagements internationaux en matière d'asile.

Ce débat a contribué à la mise en œuvre d'une réforme législative portant sur l'allègement des procédures de demande d'asile ; il a également mis en évidence le besoin d'une instance consultative chargée de veiller sur la promotion et la protection des droits de l'homme.

Nous prévoyons de mettre en place une commission consultative indépendante, qui vérifiera que les droits de l'homme de tous les citoyens sont effectivement respectés par l'ensemble des organes de la puissance publique.

Dans le même esprit, les attributions du ministre en charge de la coopération au développement ont été étendues à l'action humanitaire. L'accent est mis sur l'épanouissement de l'individu dans une communauté de droit. L'effort luxembourgeois dans le partenariat au développement atteint cette année 0,7% du PIB, notre objectif étant d'atteindre le seuil de 1% d'ici la fin de la législature.

Ma satisfaction est de voir que l'acceptation de cet effort national par l'opinion publique de mon pays se situe dans la continuité d'une politique extérieure centrée sur le respect de la personne humaine.

Je vous remercie.

(Publié le 22 mars 2000)

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