Henri Grethen à l'occasion de l'ouverture de la 76e Foire internationale de Luxembourg

Altesses Royales,

L'inauguration de la Foire est devenue au fil des ans une tribune de choix qui offre au ministre de l'économie l'occasion de commenter les hauts et les bas de la conjoncture internationale et luxembourgeoise, mais surtout de formuler quelques réflexions sur l'avenir économique de notre pays, sur les défis et les opportunités.

Ce discours je souhaite le dédier à Vous, Monseigneur, Madame, qui rehaussez de Votre auguste présence cette cérémonie d'ouverture depuis de longues années.

Sous Votre règne, Monseigneur, notre pays a connu un développement économique et social sans précédent, une prospérité que le monde entier nous envie.

Je me permettrais donc de jeter un bref regard en arrière sur les années depuis Votre accession au trône en 1964. J'évoquerai également quelques-uns des grands défis que le Luxembourg devra relever à l'avenir.

Tout au long de ces années, Vous-même Monseigneur, et la Famille Grand-ducale toute entière ont apporté un intérêt sans faille et un soutien actif au développement économique de notre pays. Je suis convaincu que tel sera aussi le cas à l'avenir.

Altesses Royales, soyez-en remerciées vivement.

Altesses Royales,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Les performances de notre économie sont excellentes : les dernières estimations du STATEC révèlent près de 7% de croissance réelle l'année passée et nous pourrions atteindre un score très proche cette année!

L'emploi a augmenté de 5,5% en 1999, un record! Il en résulte un taux de chômage en baisse - même si on compte les personnes en stage de formation ou en mesure de reconversion! Mais l'offre de travail nationale ne sachant répondre totalement à la demande, il en résulte aussi un recours croissant au marché du travail des régions voisines et à l'immigration.

Si nous avons le plus bas taux de chômage d'Europe, il faut savoir que le chômage est avant tout un flux net, un solde. Il se compose de ceux qui quittent les listes des demandeurs d'emploi et de ceux qui viennent s'enregistrer, souvent pour une période très courte.

Il y aura donc toujours un certain volant de chômage frictionnel. Il y aura toujours des personnes qui utilisent les services d'intermédiation et de placement de l'administration de l'Emploi afin de rentrer sur le marché du travail ou pour changer d'emploi. Il y a aussi une partie de chômage structurel, souvent des personnes ayant des compétences inadéquates et dont la durée de chômage est anormalement longue. Ce type de chômage devrait se réduire grâce aux mesures de formation et de mise au travail actives.

Autre paramètre scruté par les instances communautaires : l'équilibre financier du secteur public. Nos finances publiques sont en excédent - y compris les comptes de la Sécurité sociale. Nous avons une charge brute et un stock de la dette publique négligeables en pourcentage du PIB. Le poids est même négatif si on prend en compte les réserves accumulées: les avoirs nets du secteur public ont dépassé 30% du PIB en 1999.

Enfin, la pression des prélèvements obligatoires est en baisse et elle diminuera encore davantage avec la réforme fiscale annoncée par le gouvernement.

Il y a cependant une ombre au tableau conjoncturel qu'il ne faut se cacher: l'inflation.

Par rapport au mois d'avril de l'année passée, les prix ont augmenté au rythme de 2,7%, niveau bien au-dessus du seuil de référence fixé par la Banque centrale européenne. Selon les prévisions du STATEC, cette année l'inflation devrait atteindre 2,4%.

A ce rythme, une tranche indiciaire viendrait à échéance au cours de l'été.

Cela peut paraître une bonne nouvelle pour le salarié ou le consommateur qui s'inquiète de la montée du prix de l'essence à la pompe, mais c'est certainement une moins bonne nouvelle pour les entreprises qui doivent se battre sur les marchés d'exportation.

Je suis cette évolution avec la plus grande attention même si l'inflation sous-jacente, c.à.d. l'indice purgé des prix de l'énergie, reste maîtrisée à 1,5% environ.

N'oublions pas cependant que l'inflation, en raison du mécanisme d'indexation automatique - et donc des effets induits - revêt une importance particulière pour la compétitivité d'une petite économie très exposée.

Le STATEC observe de même que l'inflation salariale s'est nettement accélérée en 1999, avec une hausse du coût salarial nominal par tête de 3.0%. Ont contribué à cette croissance d'une part le mécanisme d'indexation automatique, et, de l'autre, des primes et gratifications en forte hausse.

Ces facteurs de hausse ne portent pas à conséquence tant que la productivité du travail progresse rapidement et que le coût unitaire de production reste maîtrisé. En d'autres termes, tant que la politique de modération salariale est mise en œuvre par les partenaires sociaux - ce à quoi il se sont d'ailleurs engagés - il n'y a pas de danger de dérapage pour la compétitivité.

Altesses Royales,

Au moment où vous vous apprêtez à transmettre Vos prérogatives constitutionnelles au Prince Henri, autorisez Votre ministre à retracer succinctement l'évolution économique du pays.

Votre règne se caractérise, du point de vue économique, par trois traits majeurs qui sont autant d'étapes dans le développement de notre économie: l'augmentation et la généralisation du bien-être social, la mutation réussie de notre appareil de production vers une société post-industrielle et l'avènement de ce qu'on appelle aujourd'hui "la nouvelle économie".

Le Luxembourg n'aura jamais été aussi riche et prospère. Les chiffres donnent une image saisissante du chemin parcouru depuis 1964: en valeur nominale le produit intérieur brut est passé de quelque 38 milliards de francs à environ 700 milliards en 1999.

Au cours de cette ère glorieuse et florissante, la richesse produite a été multipliée par vingt alors que les prix ont simplement quadruplé.

Le niveau de vie s'est amélioré très nettement. Si au milieu des années '60 la population déboursait encore près de la moitié de son revenu pour l'alimentation, cette part est tombée à 20% à la fin du siècle. De nos jours, on a du mal à s'imaginer qu'à peine un quart de la population disposait du chauffage central en 1960, que moins du tiers était propriétaire d'une voiture, qu'un tiers avait le téléphone et moins de 10% avaient la télé.

Le taux de mortalité infantile, généralement considéré comme indicateur du niveau de vie, qui était encore de 32 pour mille au début des années 1960 - taux qui ne fut d'ailleurs guère favorable dans la comparaison avec les autres pays industrialisés - atteint, avec moins de 5 pour mille à l'heure actuelle, un des niveaux les plus bas du monde développé.

La plupart des démographes estimaient à la fin des années '60, que le taux de mortalité n'était pas susceptible de baisser. L'évolution réelle leur donnera tort. A l'âge de 60 ans, on pouvait espérer vivre encore un peu plus d'une quinzaine d'années en 1965. Actuellement, l'espérance de vie moyenne à cet âge est de près de 20 ans.

Au Luxembourg, le niveau de vie moyen des bénéficiaires de pensions ne se situe que de 5% en dessous de celui de l'ensemble de la population. Selon une étude du CEPS, les personnes de plus de soixante ans ont vu leur niveau de vie augmenter plus rapidement que celui des ménages plus jeunes.

Avant transferts sociaux, 26% des ménages disposent d'un revenu inférieur à 60% du revenu médian. Notre système social, arrive à réduire cette proportion de ménages moins favorisés à 14%. En ciblant davantage les prestations, en étant plus sélectif, l'Etat-providence pourrait encore améliorer son efficacité redistributive.

Les bouleversements affectant l'économie du pays se reflètent également dans les statistiques démographiques. La population résidente atteint aujourd'hui 440.000 personnes, comparées aux 330.000 de 1964. L'emploi s'est accru au même rythme, c'est-à-dire de plus de 100.000 personnes.

Il est vrai aussi qu'au cours de la dernière décennie du 20e siècle est apparu un phénomène jusque-là pratiquement inconnu au Luxembourg - du moins sur une période aussi longue - le chômage. Mais il faut reconnaître que notre pays est parmi ceux dans le monde occidentale qui maîtrise le mieux ce fléau de la fin du 20e siècle.

Sur le plan du développement structurel on peut distinguer 3 périodes:

Une première, qui va de 1964 à 1974, est marquée par l'apogée de la sidérurgie, par le développement de grandes infrastructures économiques et les débuts de la diversification industrielle; une deuxième, allant de 1975-1985, est caractérisée par la crise économique et sociale, mais aussi par l'intensification des efforts de diversification et l'émergence de nouveaux secteurs porteurs. Finalement, une troisième période, débutant vers le milieu des années '80 voit la croissance au Luxembourg littéralement s'envoler.

Une manière de mesurer l'ampleur des modifications intervenues dans la structure économique consiste à comparer les parts respectives de l'emploi dans les trois grands secteurs économiques. La part de l'agriculture est divisée par 5. De plus de 10% en 1964 elle passe à 2% à la fin du siècle. Le poids du secteur industriel dans le tissu économique se trouve réduit de plus de la moitié; sa part dans l'emploi intérieur représentait au début des années '60 quelque 45% contre un peu plus de 20% aujourd'hui. Par contre le secteur des services marchands - qui occupait environ 55.000 personnes en 1964 - connaît une véritable explosion en passant à plus de 170.000 à l'heure actuelle, correspondant à 70% de l'emploi total. C'est donc le tertiaire qui est à lui seul responsable de l'accroissement de l'emploi intérieur.

Parallèlement la structure de la population s'est considérablement modifiée.

Le manque de main-d'oeuvre a été comblé très naturellement par l'immigration - et, plus récemment, par les frontaliers. Si les étrangers ne représentaient que 12% de la population résidente en 1964, cette part est de plus de 35% actuellement; elle a donc pratiquement triplé. Aujourd'hui le poids des Luxembourgeois dans l'emploi salarié n'est plus que de 40% contre 80% au début de Votre règne. Luxembourg, terre d'accueil…… !

Jusqu'au milieu des années '70, la sidérurgie constituait le poumon de la croissance luxembourgeoise, la production d'acier brut passant d'environ 4 millions de tonnes en 1963 à 6,5 millions de tonnes en 1974. A ce moment, le quart de la somme des valeurs ajoutées du pays lui est imputable et la croissance en volume de l'économie luxembourgeoise atteint, avec un taux annuel de près de 5%, un niveau exceptionnel.

La croissance dans les années '60 trouve également son expression dans le développement des infrastructures du pays tel l'aménagement hydroélectrique de la Sûre et de l'Our, la canalisation de la Moselle et la construction du port de Mertert, la mise en service des installations de traitement et de distribution d'eau potable du SEBES ainsi que le développement du réseau autoroutier et de la distribution du gaz naturel.

Dans le contexte international, le Luxembourg, en tant qu'entité nationale souveraine, semble avoir acquis une plus grande "visibilité" - et des moyens d'influence plus efficaces - dans le cadre de la construction européenne.

La place dominante de la sidérurgie jusqu'en 1974 ne doit cependant pas faire oublier les débuts de la diversification industrielle, entraînée par des capitaux étrangers. Si l'implantation de Goodyear au début des années '50 constituait pour pratiquement 10 ans un phénomène isolé, l'ouverture des marchés et la perspective de réduction des barrières douanières en Europe avaient contribué à la prise de conscience qu'une nouvelle division du travail et d'une mutation des marchés pouvaient mettre en cause les branches industrielles traditionnelles - impression qui fut corroborée par la fermeture de la dernière tannerie à Wiltz en 1959.

C'est dans ce contexte que se situe la création du "Board of Industrial Development", mis en place dès 1959 aux Etats-Unis, qui se trouvait appuyé par les services du ministère des Affaires économiques. La Famille Grand-ducale était intimement associée à cet effort de prospection, S.A.R. le Prince Charles assumant la fonction de Président du BID, le flambeau ayant été repris en 1977 par S.A.R. le Prince Héritier Henri.

La nouvelle loi d'expansion économique de 1973 était à peine entrée en vigueur que le monde se voyait confronté au premier choc pétrolier, déclenché en octobre 1973, qui allait entraîner l'industrie sidérurgique des pays industrialisés dans la crise.

En un an la production d'acier brut luxembourgeoise diminuait de pratiquement 2 millions de tonnes et la part de la sidérurgie dans la valeur ajoutée passait d'un seul coup de 25% en 1974 à 12% en 1975. En volume, le PIB connaissait un recul de plus de 4% au cours de cette année.

Très endettée, suite aux investissements opérés avant cette nouvelle crise, l'industrie sidérurgique - à qui notre pays devait sa prospérité - a failli disparaître dans son intégralité. Ce n'est que grâce aux efforts de tous les concernés - patronat, syndicats, Etat, pouvoir législatif et collectivité nationale - que cette issue fatale et une crise sociale aigue a pu être évitée. Le "modèle luxembourgeois" était né.

Au moment où les crises pétrolières et sidérurgiques surgissent en Europe et dans le monde, le besoin de recyclage des importantes liquidités internationales contribue à l'émergence d'un nouveau secteur porteur, qui naît dans la foulée du développement des euro-marchés. Les données statistiques sont éloquentes. En 1970 on comptait une trentaine de banques; elles sont plus de 200 aujourd'hui. La part du secteur financier ne représentait que 4% du PIB en 1970, à comparer aux plus de 20% qu'aujourd'hui. Si l'euromarché est à la base de l'essor de la place financière dans les années '70, le "private banking" prend le relais dans les années '90. Les actifs nets des organismes de placement collectif passent de 632 milliards de francs en 1985 à près de 30.000 milliards aujourd'hui!

Dans le sillage du secteur financier et de la quête de productivité du secteur industriel, un nouveau pôle de croissance se crée dans le domaine des "services aux entreprises" telles que l'informatique, la comptabilité, l'ingénierie et l'architecture, la publicité, l'immobilier, les conseils aux entreprises, etc. Actuellement ces nouvelles entreprises de services emploient plus de 26.000 personnes, les situant au même niveau que les activités financières - soit plus de 10% de l'emploi intérieur total.

La période depuis 1985 est aussi marquée par l'émergence - aidée par le développement des nouvelles technologies de l'information et des communications - d'une branche nouvelle autour des média et des communications. Production, distribution et transmission audio-visuelles et multimédia sont les mots clés de cette nouvelle branche qui est vouée à un bel avenir à l'ère de l'internet et du "savoir instantané".


Au cours de la période de 1985 à 1999, le taux de croissance annuel moyen du PIB au Luxembourg atteint 5,5%. Il retrouve - et dépasse même - les taux exceptionnels enregistrés au cours des dernières années précédant la crise.

Au cours de la troisième phase de Votre règne, Monseigneur, la croissance a été puissamment impulsée par le secteur financier qui a pris la relève du secteur industriel. Par un effet d'entraînement, d'autres secteurs d'activité comme les services aux entreprises ou encore les entreprises de la branche "média et communications" ont participé au mouvement. Le goulot d'étranglement qu'aurait pu constituer le manque de main-d'œuvre au sein de la population résidente a été évité par le recours à l'immigration et aux frontaliers qui contribuent en même temps à limiter la pression à la hausse des coûts du travail, inévitable au cas où la demande de main-d'œuvre dépasse l'offre.

Un cercle vertueux s'est enclenché.

Les rentrées fiscales générées par cette évolution favorable permettent aux pouvoirs publics d'augmenter leur participation au financement de la sécurité sociale - participation qui est actuellement de pratiquement 50% des recettes courantes des régimes de protection sociale -, tout en renversant la vapeur en matière de pression fiscale. Les impôts et cotisations sociales sont passés de 30% du PIB en 1970 à plus de 50% en 1983.

La pression des prélèvements obligatoires s'est réduite depuis lors à moins de 45%. L'allégement fiscal s'est fait principalement au profit des charges grevant le travail, à savoir impôts directs et cotisations sociales. C'est le niveau modéré - dans la comparaison européenne - des cotisations sociales et du coût indirect du travail qui permet aux entreprises luxembourgeoises de rester compétitives en matière de coût du travail; ce qui favorise en retour la croissance et la création d'emplois. Sur cette évolution se greffe une politique de modération salariale qui a fait l'objet d'un consensus au sein de la "tripartite" en 1994 et dans le cadre des Plans nationaux pour l'Emploi de 1998 et 1999. Les surplus budgétaires ont été investis largement dans des travaux d'infrastructures publiques qui ont permis à leur tour d'améliorer la productivité du secteur privé.

Telle est la logique qui est à la base du développement économique au cours de la dernière décennie.

Altesses Royales,

J'ai brossé très sommairement l'histoire économique des trente-six années écoulées. Le tableau serait certes très incomplet si je ne citais le mouvement vers l'intégration européenne qui a marqué cette période et qui a permis de préserver la paix sur le continent européen et qui a créé les bases de notre prospérité. Au moment où nous fêtons le cinquantième anniversaire de la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schumann, il m'appartient de rendre un hommage appuyé au chef de l'Etat qui a accompagné et encouragé ce projet historique de la construction européenne. Un projet visionnaire qui a abouti à la création d'une union économique et monétaire et qui s'apprête à franchir une nouvelle étape vers l'intégration politique des vieilles nations européennes.

Avec la création d'emplois additionnels suite à la période de croissance continue sous Votre règne, la société luxembourgeoise s'est également enrichie de l'apport culturel des immigrants. Aussi les arts et les sciences ont-ils connu un essor sans précédent dans notre histoire.

Dans ce contexte il me plaît de relever les nombreuses initiatives aussi discrètes qu'efficaces prises par Vous, Madame, pour animer la vie culturelle sans laquelle la transition vers l'économie de service n'aurait pas pu atteindre la qualité compatible avec les exigences de notre société. Soyez-en remerciée de tout cœur.

Altesses Royales,
Mesdames, Messieurs,

Le cercle vertueux de la croissance fonctionne bien, trop bien même!

Certains s'inquiètent de la manière de préserver cette croissance auto-entretenue qui dispense autant de bienfaits en termes d'emplois et de recettes fiscales.

D'autres se soucient - et c'est légitime - des conséquences d'une croissance qui pourrait s'emballer, d'un développement mal maîtrisé. Dans un petit pays, dont les ressources en territoire utile sont limitées, le risque de surcharge à court terme est bien réel.

La congestion des infrastructures est d'ores et déjà perceptible, le manque de main-d'œuvre qualifiée devient un souci permanent des entreprises. On ne peut éluder les grandes questions sur l'avenir de l'économie. Quel est le niveau de croissance à long terme soutenable du point de vue de l'environnement et de la qualité de la vie? Comment assurer une croissance non inflationniste? Et puis, comment assurer que les fruits de la croissance profitent à tous?

Tous les acteurs de la société, politique ou civile, les forces vives de la nation devraient s'atteler à un vaste exercice de prospective.

Par prospective j'entends une réflexion collective pour éclairer l'action présente à la lumière des futurs possibles, un effort pour anticiper les grands facteurs de changement qui façonnent la nouvelle économie luxembourgeoise.

Selon le professeur Michel Godet, je cite : "l'objet de la prospective est de déterminer, compte tenu des forces en présence et des projets des acteurs, quelles pourraient être les valeurs des paramètres d'environnement, c.à.d. quels sont… les scénarios possibles, réalisables et souhaitables". Fin de citation.

Les grands facteurs qui sont à l'œuvre sont : la globalisation et le changement technologique, l'économie de l'information et du savoir, le vieillissement de la population et le financement de la sécurité sociale, le rôle économique de l'Etat et de la gouvernance.

Un exercice de prospective doit se hasarder à faire certaines prévisions sur le long terme.

PROGNOS, un institut suisse très réputé, avait été chargé par le gouvernement au début des années '90, de prévoir l'évolution de l'économie luxembourgeoise sur vingt ans.

Pour l'an 2000, l'institut prévoyait un niveau d'emploi de 177.000 et de 187.000 en 2010. En fait, nous en avons plus de 250.000 en 1999. L'institut prévoyait 24.000 frontaliers pour l'an 2000 et 34.000 en 2010. Les chiffres montrent qu'il sont plus de 85.000 à franchir la frontière tous les jours. L'institut tablait sur une croissance moyenne du PIB de 2,3% à partir de l'an 2000. En fait, nous assistons depuis quelques années à un décollage de la croissance qui se situe à 5,5% en moyenne.

Au début des années '80, le Conseil économique et social s'était lancé dans un exercice similaire. Quelques années plus tard, il s'avérait que les prévisions en termes d'emplois étaient totalement contredites par la réalité.

Les projections démographiques rentrent également dans cette catégorie. En 1995, le STATEC a élaboré trois scénarios d'évolution de la population du pays sous certaines hypothèses de migration, de fécondité et de mortalité.

Les prévisions de population élaborées pour cette année ont été dépassées. Dans le scénario le plus dynamique, il y aurait 493.000 habitants en 2010, 553.000 en 2020… et 744.000 en l'an 2050. Si la croissance économique se ralentit, le solde migratoire sera plus faible et, selon la projection, la population sera de 558.000 en 2050.

La démonstration est faite que la prévision est un art difficile et périlleux, surtout lorsqu'il concerne l'avenir.

Cela n'empêche pas que nous lancions un grand débat national sur l'avenir de notre économie et de la société que nous souhaitons.

Pour ma part, je pense que l'un des grands défis économiques que le Luxembourg doit relever est celui de l'émergence de la nouvelle économie.

De quoi s'agit-il?

Dans son rapport e-Europe, paru en mars de cette année, la Commission européenne tente de cerner le phénomène. La nouvelle économie désigne la transformation des activités économiques suite aux technologies numériques qui rendent l'accès, le traitement et le stockage d'information moins chers et plus faciles.

L'énorme volume d'information change la façon dont les marchés fonctionnent, restructure les entreprises et ouvre de nouvelles opportunités de création de richesse.

L'économie américaine illustre la naissance de cette nouvelle économie: huit années de croissance continue, une expansion de 4% par an ces dernières années, une inflation contrôlée à 2% et, finalement, le plein emploi, puisque le chômage est tombé en-dessous de 4% avec un taux d'emploi très élevé.

Les défenseurs de la nouvelle économie font valoir que les technologies numériques représentent une nouvelle grande étape de l'histoire des sociétés industrielles. Dans cette optique, Internet serait tout aussi révolutionnaire que l'invention de la machine à vapeur, de la fée électricité ou du moteur à combustion.

Enfin, la nouvelle économie se caractérise par une nette croissance de la productivité totale des facteurs et par un regain de la productivité du travail.

Mesurée à cette aune, le Luxembourg est déjà entré dans la nouvelle économie. Les performances macro-économiques sont très "américaines" et la productivité du travail a été proche de celle des Etats-Unis, pendant la période de 1985 à 1998. Ajoutons à cela que l'accès à la Toile progresse rapidement chez nous: près de 30% des ménages seront connectés à la fin de l'année selon une récente étude d'ILRES.

Me référant à des estimations du Statec la productivité totale des facteurs, un indicateur du progrès technologique, n'a pas encore décollé. Les chiffres indiquent qu'elle ne dépasse pas la moyenne communautaire.

C'est donc vers un grand effort du côté de l'esprit d'entreprise, de l'innovation, de la R&D, de la diffusion de la technologie que doit se porter notre attention.

Certains en viennent à opposer la "vieille économie" et la "nouvelle économie", l'industrie et les services. Or la tertiarisation de l'économie n'a rien à voir avec la désindustrialisation. L'importance prépondérante des services dans l'économie est grandement un artifice statistique produit par une classification arbitraire inventée au début du 20e siècle.

Le professeur Manuel Castells de l'Université de Berkeley l'a montré dans son livre "La société en réseaux". Au cours du dernier siècle, la production d'objets matériels est restée constante et représente environ 40% de l'emploi total. La tertiairisation est un artifice statistique qui empêche de bien saisir la mutation des structures.

Il me semble préférable d'aborder la transformation de l'économie sous l'angle de l'information, de la connaissance et des compétences. Ce nouveau paradigme permet de penser le changement qui s'opère et qui touche toutes les entreprises et toutes les institutions.

L'accès à l'information ne suffit pas. La compétitivité d'une nation, d'une entreprise est basée sur la connaissance, sur l'accumulation structurée de l'information scientifique et technologique, elle se fonde sur les capacités managériales construites au cours des années dans un environnement global. Ce sont les compétences des hommes et des femmes qui sont à la base de l'avantage compétitif et de la richesse des nations.

Il nous faut créer l'esprit d'entreprise pour investir dans la nouvelle économie. Mon action portera sur trois grands axes :

Tout d'abord la promotion de nouvelles activités, de start-ups et l'attraction de nouvelles entreprises à haute valeur ajoutée dans des secteurs d'avenir. Le technoport Schlassgoart a fait des débuts encourageants.

Ensuite, le financement de capital-risque. Pour mener une aventure dans la "net-economy" il faut des capitaux.

Je me félicite du développement d'une industrie luxembourgeoise du capital-risque, avec la création récente de fonds ou de sociétés spécialisées, mouvement auquel la SNCI participe activement.

Enfin, dernier axe, le développement d'un environnement législatif et réglementaire favorable. Je songe au commerce électronique. Le récent avis du Conseil d'Etat permet d'entamer la phase terminale du processus législatif. Il est clair que dans un environnement aussi complexe et évolutif, il nous faut adapter le cadre réglementaire pour répondre aux besoins des entreprises.

Voilà donc tracé les défis et les ingrédients d'une réflexion qu'il s'agira de mener au cours des mois qui viennent et que j'espère large et ouverte."

Communiqué par le ministère de l'Economie

(Publié le 29 mai 2000)

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