Intervention du ministre de la Justice Luc Frieden devant la Chambre des députés - Projet de loi n° 4327 sur l´entraide judiciaire internationale en matière pénale

Seul le texte prononcé fait foi

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Une coopération judiciaire internationale efficace constitue un maillon important dans la lutte contre le crime, en général, et contre la grande criminalité économique, en particulier. Cette lutte contre la criminalité est une priorité pour le gouvernement luxembourgeois.

J’en veux pour preuve notamment la loi du 11 août 1998 portant introduction de l’incrimination des organisations criminelles et de l’infraction de blanchiment au code pénal ainsi que la loi du 31 mai 1999 régissant la domiciliation des sociétés.

La première de ces lois a étendu la liste des infractions primaires du blanchiment au-delà du trafic de stupéfiants en visant notamment les crimes ou délits dans le cadre ou en relation avec une association de malfaiteurs ou une organisation criminelle, les infractions à la législation sur les armes et munitions ou encore les infractions touchant à la corruption ou au proxénétisme. De même cette loi a étendu le devoir d’information des soupçons de blanchiment à des professions autres que celles issues du secteur financier, à savoir les notaires, les casinos et les réviseurs d’entreprise. Finalement cette loi a transposé une action commune de l’Union européenne en introduisant l’incrimination des organisations criminelles dans notre droit pénal. La loi du 31 mai 1999 sur la domiciliation des sociétés a quant à elle réservé cette activité à certaines professions réglementées comme les professionnels du secteur financier, les avocats, les réviseurs d’entreprise et les experts comptables, afin de garantir le contrôle nécessaire pour enrayer les activités illégales ou frauduleuses dans un secteur proche du secteur financier.

Dans la foulée de ces deux lois importantes le gouvernement a engagé un certain nombre de projets de loi dans la procédure législative destinés à renforcer encore cet arsenal juridique de lutte contre la criminalité économique.

Ainsi, le gouvernement vient d’adopter le projet de loi portant approbation de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, faite à Strasbourg, le 8 novembre 1990. L’idée à la base de ce texte est de priver les criminels du profit économique de leurs activités illégales et d’atteindre ainsi le nerf vital du crime organisé.

Un autre projet d’envergure, en instruction à la Commission juridique de votre Chambre et dont la matière est l’objet de travaux considérables notamment à l’Union européenne, au Conseil de l’Europe et à l’OCDE, concerne la corruption. Ce projet vise ni plus ni moins à procéder à une refonte complète de nos dispositions pénales en matière de corruption tout en tenant compte des travaux réalisés en ce domaine dans les différentes enceintes internationales. Dans ce contexte mérite aussi une attention particulière le projet de loi dont est saisi votre Parlement et qui est relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes. Il s’agit ici de transposer dans notre droit interne des normes européennes communes visant la corruption pour autant qu’elle porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

Dans la lutte contre le grand crime économique et financier, national et transfrontalier, nous n’avons pas oublié non plus de doter les autorités de police et les autorités judiciaires de moyens humains supplémentaires. Ainsi un projet de loi qui sera voté encore cette semaine prévoit la création de deux postes de juge d’instruction supplémentaires au tribunal d’arrondissement de Luxembourg (nouveau total: 7 juges d’instruction) ainsi que l’institution d’une chambre correctionnelle additionnelle auprès de ce tribunal. Ces magistrats, ensemble avec l’effectif du Parquet économique, à savoir 8 substituts sur 18 magistrats, devraient permettre une évacuation rapide des procès de criminalité économique et garantir une collaboration efficace au niveau de l’entraide judiciaire pénale avec les autres pays.

Dans ce contexte il y a lieu de noter qu’un quart du personnel de la police judiciaire traitent des dossiers du domaine de la délinquance économique et financière (25 enquêteurs).

Par ailleurs en étroite concertation avec les parquets et la police, le ministre de l’Intérieur et moi-même sommes entrain d’examiner les moyens matériels et humains ainsi que les méthodes d’organisation du Service de Police judiciaire en vue d’éventuels réajustements devant permettre à ce service de pouvoir traiter au mieux les dossiers de criminalité financière de plus en plus complexes.

Je constate avec satisfaction qu’au niveau des moyens humains, nous nous situons parmi les bons élèves de la classe européenne.

Mais, dans tous les pays européens, nous devons continuer à faire des efforts supplémentaires en moyens humains et matériels pour lutter efficacement contre la grande criminalité financière.

Mesdames et Messieurs les députés, comme vous pouvez le constater, le gouvernement n’a pas été inactif dans la lutte contre le crime économique. Dans le cadre de cette lutte, le volet de l’entraide judiciaire pénale internationale constitue un pan important.

Comme un certain nombre d’autres pays, le Luxembourg n’a à l’heure actuelle pas de législation spécifique en cette matière, les autorités judiciaires transposant les règles nationales de notre code d’instruction criminelle pour juger les litiges qui se posent, si les conventions internationales que le Luxembourg a ratifiées ne s’y opposent pas. Ainsi en 1976 notre pays est devenu partie à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, élaboré dans le cadre du Conseil de l’Europe et qui lie aujourd’hui presque tous les Etats européens.

De même le Luxembourg a ratifié dès 1965 le Traité Benelux d’extradition et d’entraide judiciaire du 27 juin 1962 qui se veut complémentaire à la Convention de 1959. Sans vouloir être exhaustif, on peut encore citer les Accords de Schengen et un certain nombre de conventions internationales à objet plus spécifique, telle la Convention des Nations Unies du 20 décembre 1988 contre le trafic illicite des stupéfiants. Au niveau bilatéral à signaler le traité d’entraide judiciaire pénale avec l’Australie et celui avec les Etats-Unis d’Amérique, ce dernier n’étant toutefois pas encore en vigueur, le Conseil d’Etat n’ayant pas encore avisé le projet de loi en question.

Le projet de loi sur lequel vous allez voter tout à l’heure et que vous allez, je l’espère, adopter, a pour but, tout en sauvegardant les droits des justiciables, de permettre une évacuation plus rapide et plus efficace des commissions rogatoires internationales, ce qui aura à son tour pour effet de diminuer la durée des procès criminels à dimension internationale qui se déroulent à l’étranger. Je note qu’en moyenne, les commissions rogatoires sont exécutées au Luxembourg dans un délai compris entre trois jours et huit mois, en fonction de la difficulté de l’exécution. Si je compare ces délais à ceux qu’observent nos juges d’instructions dans les pays voisins du Luxembourg, ils sont tout à fait comparables. Ainsi sur 103 commissions rogatoires envoyées en France durant l’année judiciaire passée, les délais ont été compris entre quelques jours et douze mois, et pour trente-trois commissions rogatoires même le délai d’un an a été dépassé. Au Luxembourg, les délais, avec cette nouvelle loi, devraient être plus courts encore.

Par ailleurs, pour réduire les délais, le Luxembourg soutient les efforts au niveau européen de renforcer, dans la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, les moyens de coopération, tels EUROJUST et EUROPOL.

En tant que ministre de la Justice je suis convaincu que le texte proposé par votre commission juridique, fruit d’un échange de vues constructif entre les différents acteurs judiciaires, permettra une exécution prompte et loyale de nos accords internationaux en matière d’entraide judiciaire pénale.

Sans vouloir entrer dans le détail de toutes les dispositions du projet de loi, il m’importe cependant de rappeler certaines idées-forces du projet:

1) le projet s’applique seulement aux demandes d’entraide tendant à opérer au Luxembourg une perquisition, une saisie ou tout autre acte d'instruction présentant un degré de contrainte analogue.

Ces demandes se chiffrent à près de 400 par an dont beaucoup ont trait à la place financière.

2) sous réserve de dispositions internationales spéciales prévoyant une transmission directe entre autorités judiciaires, l’autorité compétente pour recevoir et renvoyer les commissions rogatoires internationales n’est plus le ministre de la Justice, mais le procureur général d’Etat.

Il s’agit là d’un abandon de compétence important de la part du ministre de la Justice au profit d’une autorité judiciaire, un peu à l’instar de la législation française dans le cadre des Accords de Schengen. Il faut savoir que le contrôle de l’opportunité effectué par le ministre de la Justice pour voir si une commission rogatoire ne porte pas atteinte à la souveraineté, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels du pays, ceci en conformité d’ailleurs avec les accords internationaux, a été critiqué par le Rapport d’évaluation dont le Luxembourg a fait l’objet au sein de l’Union européenne comme étant susceptible d’induire des retards et de faire, dans certains cas, double emploi avec le contrôle de légalité du juge d’instruction.

J’ai proposé moi-même cette modification substantielle alors que l’appréciation ministérielle préalable sur l’exécution des commissions rogatoires était considérée - à tort - dans certains pays étrangers comme étant un contrôle à objectif politique. Dorénavant, les mêmes contrôles que ceux qui étaient effectués par le ministère de la Justice seront effectués par le Procureur Général d’Etat.

3) si le projet de loi introduit le principe de la proportionnalité, il importe cependant de préciser que ce principe ne peut jamais conduire à un examen au fond, ce que le texte n’omet d’ailleurs pas de préciser. Il s’agit seulement d’éviter qu’un juge exécute une commission rogatoire, alors qu’un examen sommaire permet déjà de constater que les moyens à mettre en œuvre ne permettent pas d’atteindre l’objectif visé par la demande d’entraide.

4) droits de la défense obligent, toute personne justifiant d’un intérêt peut exercer un recours contre l’acte judiciaire exécutant la demande d’entraide étrangère.

Ce principe semble aller de soi dans un Etat de droit, de sorte qu’on comprend mal à ce sujet certaines critiques venant occasionnellement de l’étranger.

Par ailleurs – et il s’agit là d’une innovation importante par rapport à la situation actuelle – dans la mesure où le point de départ pour intenter un recours sera à l’avenir le même pour chacun, l’usage parfois abusif des voies de recours moyennant des recours en cascade appartiendra au passé.

5) la transmission des objets, documents et fonds saisis est subordonnée dans tous les cas à l’accord de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement, à l’instar de ce qui est prévu par la Convention Benelux de 1962.

Il s’agit là encore d’une garantie importante pour le justiciable, relevée à raison par votre commission juridique.

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Je ne voulais faire ressortir que ces quelques éléments du projet qui me semblent constituer les dispositions essentielles du texte. La nouvelle loi sur l’entraide est la résultante d’un compromis équilibré qui, d’une part, ne néglige pas les droits de la défense et, d’autre part, permet une évacuation rapide et conforme au texte et à l’esprit des conventions internationales des demandes d’entraide qui nous parviennent de l’étranger.

Finalement je voudrais ajouter qu’une fois le projet sur l’entraide judiciaire voté, le gouvernement procédera à la ratification du Protocole de 1978, additionnel à la convention de 1959 et concernant plus particulièrement l’entraide judiciaire en matière d’escroquerie fiscale.

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

grâce aux efforts conjoints du gouvernement et du parlement au cours des dernières années, - aujourd’hui vous en fournissez une nouvelle preuve -, le Luxembourg est un centre financier européen onshore très sérieux où l’argent de la drogue, de la corruption, de la criminalité organisée ne trouve ni paradis fiscal, ni havre judiciaire.

Le Luxembourg en tant que membre de la l’Union européenne a transposé les règles prudentielles et de surveillance établies par les directives communautaires de sorte que les régimes d’autorisation et de surveillance luxembourgeois bénéficient d’une reconnaissance mutuelle dans l’Union européenne. Le régime de surveillance ne peut être qualifié de léger sachant que les autorités de surveillance prudentielle travaillent à l’heure actuelle avec un effectif de 165 personnes qui permettent d’assurer une surveillance prudentielle effective et efficace. En plus, les professionnels du secteur financier sont soumis à des contrôles réguliers par les réviseurs d’entreprises agréés qui sont en général les grands cabinets de révision internationaux.

Les clients de la place financière sont en majeure partie des citoyens européens et les principales activités des banques établies à Luxembourg, toutes d’ailleurs faisant partie de groupes bancaires internationaux réputés, se font à l’intérieur de l’Union européenne.

Le gouvernement luxembourgeois note avec satisfaction que le récent rapport du Financial Stability Forum relève le haut degré de surveillance et le respect des standards internationaux par les autorités de surveillance de notre place financière.

A juste titre, notre pays ne figure sur aucune des listes noires publiées ces jours-ci.

En effet, le Luxembourg est un membre à part entière de l’Espace économique européen, c’est-à-dire que les professionnels financiers sont soumis à des règles d’accès à la profession de surveillance de l’activité courante et de transparence établies par des directives communautaires et conformes aux standards développés par les pays du G-10 dans le cadre du Comité de Bâle.

L’introduction du passeport européen par la deuxième directive de coordination bancaire a amené la Commission de surveillance du secteur financier à conclure des accords de coopération (memoranda of understanding MOU) avec les autorités de contrôle compétentes des autres pays de l’UE.

Par ailleurs le Luxembourg est membre de fora au sein desquels coopèrent les autorités de surveillance prudentielle des plus grands centres financiers, tels que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs, le forum of European Securities Commissions ; il adhère par conséquent aux principes internationaux en matière de surveillance prudentielle et de coopération qui sont élaborés par ces instances.

En 1998 le Luxembourg a été le treizième pays membre du Groupe d’Action Financière a faire l’objet du deuxième cycle des évaluations mutuelles, et les conclusions qui ont été tirées par le GAFI démontrent que la législation luxembourgeoise en matière de blanchiment respecte les Recommandations du GAFI. Je constate également que, dans la lutte contre le blanchiment des capitaux d’origine criminelle, des accords efficaces ont été conclus entre les autorités luxembourgeoises (en l’occurrence le Procureur d’Etat de Luxembourg) d’une part et les cellules compétentes françaises ou belges, le TRACFIN en France et le CTIF en Belgique.

Je voudrais également rappeler ici que là où il s’agit de combattre les crimes ou délits graves transfrontaliers, le secret bancaire est levé en justice – c’est le cas notamment dans l’exécution des commissions rogatoires internationales. Le secret bancaire absolu n’a jamais existé au Luxembourg. Le nouveau projet de convention d’entraide judiciaire que vient de nous transmettre la présidence française – et que je viens de soumettre pour examen à votre Chambre – ne pose donc à cet égard aucun problème au Luxembourg alors que c’est déjà le droit applicable.

Le secret bancaire, je tiens à le souligner, gardera pour les citoyens honnêtes une importance pour la protection de leur vie privée. L’OCDE vient de reconnaître son rôle légitime. Les accords de Feira n’ont pas touché au secret bancaire, mais n’ont traité que du secret fiscal.

En dehors du champ d’application de la coopération judiciaire, le secret fiscal (qui n’est qu’un aspect du secret bancaire) vis-à-vis des administrations fiscales étrangères sera levé, selon le calendrier arrêté à Feira, au plus tôt en 2010 et sous réserve des développements internationaux en la matière puisqu’il s’agit d’éviter la fuite des capitaux en dehors de l’Union européenne. Dans la lutte contre l’évasion fiscale, l’introduction d’une retenue à la source sur les revenus de l’épargne constitue, elle aussi, un instrument alternatif efficace.

Dans la lutte contre le crime organisé et la grande criminalité économique, le gouvernement luxembourgeois attache beaucoup d’importance à la création de l’espace judiciaire européen dans l’intérêt de la sécurité de nos citoyens et d’un développement durable de notre économie.

Permettez-moi de remercier votre commission juridique et en particulier son président-rapporteur d’avoir terminé l’instruction de ce projet de loi important encore avant les vacances parlementaires, de sorte que la nouvelle loi sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale peut entrer en vigueur dès l’automne de cette année.

Je vous remercie de votre attention.

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