Intervention de Lydie Polfer devant la Commission des Droits de l'Homme

Monsieur le Président,
Madame le Haut Commissaire,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Je tiens à mon tour à vous féliciter, Monsieur le Président, de votre élection et je vous apporte le soutien de ma délégation.

L’engagement de celles et de ceux qui vous ont précédé dans cette tâche a confirmé à quel point la dignité de cette enceinte est redevable à l’intelligence et au courage des personnalités qui en assurent la conduite.

Ma visite à Genève coïncide avec un moment important de l’ordre du jour de cette 57e session. L’examen des situations par pays interpelle les Etats, non seulement sur le plan individuel, comme pourrait le faire croire la singularisation d’une situation donnée, mais aussi dans leur collectivité : le respect des droits de l’Homme revêtant une valeur universelle, il revient aux Etats d’exercer leur responsabilité commune à l’égard de l’humanité, dont ils représentent la réalité multiple. Quand, sous l’effet de la globalisation, elle prend appui sur l’interdépendance des Etats pour formuler le droit au développement , la Commission des droits de l’Homme se fonde expressément sur la responsabilité collective des Etats. C’est là sa force et la source durable de sa légitimité.

C’est dans cet esprit que mon pays appuie les positions que la Suède défend ici pour la première fois au nom de l’Union européenne.

J’ose espérer que dans les années à venir, d’autres pays pourront– à l’instar de la Suède - témoigner dans cette enceinte du succès du processus d’élargissement de l’Union européenne, qui a fait du respect des droits de l’Homme un critère d’adhésion. Ce critère, qui vaut pour l’extérieur, s’applique forcément à l’intérieur de l’Union : c’est un paramètre d’honnêteté intellectuelle pour la construction européenne ; c’est aussi pour l’ Union l’obligation de se confronter avec ses propres contradictions, non pas dans un esprit de diffamation, mais dans l’idée de consolider la communauté de droit au contact de la réalité démocratique.

Dans cette enceinte, des voix se sont élevées à juste titre contre l’usage de l’Internet – la Toile, comme nous dirions en Francophonie – à des fins de propagande raciste. La communication virtuelle résiste à l’emprise législative, comme elle échappe à la censure, et de ce fait reflète sans filtre aucun l’état d’esprit d’une société : l’on y trouve le pire et le meilleur, et il nous faudra rechercher les moyens réglementaires d’éviter les abus. Nous ne devons toutefois pas nous cacher la vérité : ce qui affleure sur l’Internet existe ailleurs, et ce n’est pas la répression d’une avancée technologique qui nous donnera la clé d’un avenir meilleur.

Lorsqu’en Afghanistan, le régime taliban, dans un accès de pruderie religieuse, s’en prend à des icônes, témoins muets d’anciennes confluences de civilisations, il se complaît à exhiber une culture de l’intolérance dont la brutalité apparaît quotidiennement dans l’atteinte à la vie des femmes et des fillettes afghanes.

Lorsque les foules démantelaient il y a dix ans en Europe les statues qu’un pouvoir totalitaire avait érigées comme autant de marques d’oppression, ces foules exprimaient leur soif de liberté. Quand un pouvoir décide froidement de détruire les vestiges culturels d’un passé qui ne le menace en rien, il n’exprime en revanche que sa volonté d’anéantir tout ce qui ne lui ressemble pas.

Le combat contre le racisme est aussi un combat pour la liberté d’expression. Les préparations régionales de la prochaine Conférence mondiale contre le racisme ont été affectées par des restrictions que la vocation universelle de la Conférence de Durban nous aidera, je l’espère, à surmonter. Le régionalisme peut être un instrument puissant sur la voie du rapprochement progressif ; quand il se pose en alternative au multilatéralisme, il devient facteur d’exclusion.

La Commission  établie pour enquêter sur les violations des droits de l’Homme dans les territoires arabes occupés appelle l’Union européenne à jouer un rôle plus actif dans la relance du dialogue entre Palestiniens et Israéliens.  Je persiste à croire que le processus de Barcelone, cet instrument de dialogue et de coopération que l’Union européenne a en partage avec un grand nombre de pays arabes et Israël, doit pouvoir contribuer à promouvoir le respect des droits de l’Homme sur le pourtour méditerranéen, pris dans son ensemble.

Monsieur le Président

Les conclusions que vient de nous présenter le Président du groupe de travail sur le droit au développement montrent que nous ne sommes peut-être pas encore prêts pour envisager de transformer le droit au développement en une catégorie juridique pleinement opératoire, avec des procédures de mise en œuvre et des mécanismes de suivi. Le concept du droit au développement n’est pourtant que la traduction de l’idéal des Lumières, selon lequel tous doivent jouir des mêmes libertés.  Nous devons  continuer à travailler sur cette idée, qui est  en avance sur son temps, car dans le domaine du développement, les échéances pressent.

Les accords de Cotonou, qui marquent une étape nouvelle dans la coopération entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique  intègrent la dimension des droits de l’Homme, et sortent de l’ombre portée du passé colonial pour s’orienter vers un partenariat sans paternalisme ni complaisance.

Le dialogue entre les civilisations passe par le respect mutuel, mais il comporte aussi un engagement commun envers les droits de l’Homme. C’est dans ce contexte que je place en particulier l’initiative européenne en faveur de l’abolition de la peine de mort : car quels que soient les modèles de société  qui s’expriment ici et même se confrontent, il demeure que l’abolition de la peine de mort est le moment fort où le souverain renonce à l’exercice d’un pouvoir absolu par respect pour les droits de l’individu. Quand mon pays s’engage avec l’Union européenne contre l’exécution de personnes mineures au moment des faits incriminés, ou encore de personnes mentalement handicapées, il n’implore la pitié de personne ni ne conteste la validité d’un jugement : mais il dénonce l’abus de la puissance étatique que représente la  peine de mort.

On nous objecte souvent que c’est faire beaucoup de cas pour bien peu de chose, alors que des millions d’innocents sont victimes de la violence, de l’ignorance et du dénuement. Peut-être, mais se voiler la face devant des abus circonscrits, serait admettre la relativité des droits de l’Homme.

De manière inquiétante, les situations où l’Etat faillit à son devoir de protection envers les populations civiles persistent et se multiplient. Ceci est notamment le cas en Tchétchénie, où les actes de violence continuent d’affecter la population civile. Je saisis cette occasion pour rappeler aux autorités russes les engagements qu’elles ont pris dans le cadre de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, qui visent à rétablir des conditions qui permettent le plein respect du droit humanitaire et des droits de l’Homme de la population tchétchène.

Je partage  le point de vue de M. RUUD LUBBERS lorsqu’il attire notre attention sur le sort de ceux qui subissent sans réagir, ces victimes qui sont moins qu’un réfugié ; ceux dont  Mme le Haut Commissaire a choisi d’être la voix.

Madame le Haut Commissaire

Il y a dix jours vous nous avez annoncé que vous quitterez vos fonctions avec la conclusion de la Conférence mondiale contre le racisme.

Si je dois respecter votre décision, je la regrette, et je la ressens personnellement comme un avertissement.

Vous nous avez dit que si nous ne savions pas répondre de façon constructive aux enjeux de DURBAN, les futures générations ne nous jugeraient pas avec clémence.

J’ai l’impression qu’en nous accompagnant jusqu’à Durban mais pas au-delà, vous tracez une limite à la diplomatie multilatérale. Vous attirez notre attention sur les risques d’effritement du système multilatéral, un système dont vous savez la fragilité mais dont vous appréciez aussi le caractère unique et donc la valeur.

Durban est une chance qui s’offre pour recentrer l’engagement de la communauté internationale sur les droits de l’Homme. Le droit au développement apparaît dans ce contexte comme le chaînon manquant entre le discours des défenseurs des droits de l’homme, les activités des organisations internationales et les réalités mouvantes de la globalisation.

Vous nous aiderez, j’en suis convaincue, à aller de l’avant, et nous aiderons l’Afrique du Sud à faire face aux obligations multiples que crée l’organisation d’un événement de cette envergure. Mon pays n’a pas failli à son obligation de solidarité.

Votre départ annoncé, Madame, nous impose une obligation de succès, il aura sinon le goût amer du désaveu.

Je vous remercie.

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