Fernand Boden à la clôture du forum "L´entrepreneuriat dans la Grande Région"

Mesdames, Messieurs,

Comme c’est à moi que revient le privilège de clôturer ce Forum consacré à l’entrepreneuriat dans la Grande Région, permettez-moi tout d’abord de remercier toutes celles et ceux qui ont participé à cette journée, que ce soit dans le cadre de l’organisation, des groupes de réflexion ou en tant qu’intervenants. Ce fut une longue journée, avec un programme très dense et très chargé.

Je pense, et en tout cas j’espère, que pour tous les participants ce forum aura été riche en informations et enseignements.

Bien entendu, il est difficile de faire le tour de la question en une journée. Le terrain, nous l’avons vu, est bien trop vaste, la matière trop complexe, pour être traitée d’un seul tenant. Voilà pourquoi l’idée a été formulée, dans l’un des documents de synthèse, que ce forum de l’entrepreneuriat devrait connaître une suite, notamment sous forme d’une “Journée de l’entrepreneuriat dans la Grande Région” organisée chaque année.

S’il fallait retenir une orientation générale pour stimuler la création d’entreprises dans la Grande Région, elle se déclinerait en deux axes principaux : d’une part, la mise en place d’un cadre général favorable à la création d’entreprise et aux PME, que ce soit au niveau administratif, réglementaire, financier ou fiscal, d’autre part, la volonté d’encourager et de raviver cet esprit d’entreprise qui fait tellement défaut.

Les différentes réflexions et propositions, et notamment l’échange des “best practices”, qui ont été formulées aujourd’hui nous donnent des pistes précieuses sur lesquelles nous pouvons engager notre action qui se doit d’être conjointe et concertée.

Le sommet européen de Lisbonne avait retenu comme principal message que c’est à travers la prospérité des entreprises que passe la prospérité de l’Europe. D’ailleurs, les différents Etats membres redoublent d’efforts pour soutenir la création d’entreprise. Aussi, les mesures incitatives et les programmes en faveur des entreprises ne manquent-ils pas, que ce soit au niveau national ou européen.

Pour ce qui est de la Grande Région, nous pouvons constater que de manière générale, nos entreprises vont plutôt bien, mais que les jeunes et les nouveaux entrepreneurs, essentiels pour une économie dynamique, ne suivent pas en conséquence. En effet, les statistiques nous dressent un portrait déconcertant de l’évolution du secteur des indépendants par rapport à celle du marché du travail. Pour ne citer que l’exemple luxembourgeois, le chiffre est frappant. Tandis que l’emploi salarié a progressé de 41 pour cent au cours des 10 dernières années, le nombre des indépendants n’a augmenté que de cent unités, en passant de 16.700 à 16.800, ce qui équivaut à 0,6 pour cent.

Les raisons qui expliquent l’absence actuelle de l’envie d’entreprendre sont nombreuses : elles tiennent à notre niveau de vie, nos systèmes d’enseignement et de formation, notre culture, notre structure économique et aux opportunités qu’offre notre marché du travail. Mais elles se rejoignent généralement sur un problème central : celui de la peur du risque, et plus précisément de la crainte de l’échec. 

Un sondage récent, mené à l’échelle européenne, montre que les Luxembourgeois figurent parmi les champions d'Europe de cette discipline. La question posée était la suivante : “êtes-vous en accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante : il ne faut pas créer une entreprise s’il existe un risque qu’elle échoue ?”. Plus de 60 pour cent des Luxembourgeois ont soutenu cette affirmation. En comparaison, auprès des Irlandais, cette réponse n’atteint que 25 pour cent.

Devant ce constat, il est impérieux d’agir. De nombreuses propositions constructives et concrètes ont été formulées aujourd’hui.

Au niveau des aides aux entreprises, une adaptation et modernisation des instruments publics de soutien financier à la création d’entreprise me semble indispensable. Dans la même optique, et compte tenu du fait que très souvent les jeunes entrepreneurs ne disposent pas de capital d’amorçage suffisant, des instruments spécifiques de renforcement de fonds propres ou quasi-fonds propres est une solution efficace. L’exemple allemand de l’Eigenkapitalförderung en donne un exemple concret.

Les pouvoirs publics, dans le cadre de leur organisation, peuvent prendre des mesures utiles pour faciliter la tâche des créateurs d’entreprise. Les formalités et les charges administratives sont autant d’obstacles pour les entrepreneurs et les créateurs d’entreprises. Le développement de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication par les administrations est une des pistes à suivre. Dans la suite de l’initiative E-Europe, les différents Etats membres ont commencé à s’engager dans cette démarche. Tout ne se fera pas en un jour, mais la volonté existe et se concrétise.

Des réseaux de soutien, de guidage et d’information pour les créateurs d’entreprises sont indispensables. A ce niveau, les organisations professionnelles ont leur rôle à jouer. L’Etat ou les collectivités locales pourront assumer leur part en créant des guichets uniques pour faciliter l’ensemble des démarches administratives.

La reprise d’entreprise mérite tout autant notre attention. Car le drame de la situation actuelle est qu’à l’absence d’un renouvellement des entreprises vient s’ajouter le risque de voir disparaître nombre d’entreprises existantes par défaut de repreneurs.

C’est extrêmement flagrant dans le secteur de l’artisanat. Les instruments d’accompagnement dans ce domaine doivent dès lors être perfectionnés.

L’idée d’une plate-forme informatique permettant d’interconnecter toutes les banques de données en matière d’entreprises afin de rapprocher au-delà des frontières entrepreneurs désireux de céder leur entreprise et candidats-repreneurs, est une piste très intéressante.

L’ouverture des frontières demeure un souci majeur. Le document de réflexion qui a été présenté au sujet de cette question fait l’inventaire des difficultés qui subsistent. Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. En attendant que ces problèmes, souvent d’ordre juridique, soient résolus définitivement dans le cadre de la politique d’harmonisation européenne, des mesures immédiates peuvent être utiles pour pallier les défauts actuels, notamment par des plates-formes d’informations accessibles par Internet ou l’ouverture de bureaux transfrontaliers destinés à soutenir les entreprises dans les démarches administratives en vue d’opérations transfrontalières.

Voici quelques exemples de suggestions concrètes formulées dans le cadre de ce forum sur l’entrepreneuriat dans la Grande Région.

Mais un environnement réglementaire favorable ne suffit pas. Les statistiques nous montrent qu’en dépit des différents mécanismes de soutien, le nombre des entrepreneurs est loin de s’envoler.

Or, il nous faut des créateurs d’entreprises, de même qu’il nous faut des repreneurs pour des entreprises existantes. Cela devient une question existentielle pour la pérennité et la diversité de notre paysage économique.

Car nous savons, dans nos Régions, quels sont les effets d’une structure économique trop fermement liée à quelques grands ensembles industriels. Une économie solide doit être une économie diversifiée. Elle doit par conséquent pouvoir s’appuyer sur un tissu de petites et moyennes entreprises innovatrices et dynamiques. D'où l’importance de trouver, dans nos Régions, les créateurs, les faiseurs de demain.

Le forum d’aujourd’hui a confirmé ce dont nous nous doutions tous :

l’avenir de l’entrepreneuriat dépendra de notre faculté à relancer l’esprit d’entreprise dans la Grande Région. Pour réussir dans cette démarche, il nous faudra un véritable changement de mentalités.

Cela commence dès le plus jeune âge. L’un des documents de synthèse de ce forum livre une belle illustration en donnant l’exemple de deux mères voyant leur enfant tomber d’un toboggan. Quelle réaction adopter ?

- Ce n’est rien, essaie encore ! ou

- tu vois, il ne fallait pas monter là-dessus !

L’état d’esprit des Américains les incite à adopter la première réaction ; la seconde est nettement plus répandue dans nos contrées.

Un élément essentiel dans la politique d’encouragement de l’esprit d’entreprise doit donc résider dans une nouvelle approche éducative, en rapprochant l’école et l’entreprise.

C’est un véritable défi. Notre culture est également profondément marquée par un grand nombre de préjugés, notamment entre les différentes catégories socio-professionnelles. Le rapprochement du monde éducatif avec le monde de l’entreprise, de leurs acteurs surtout, et notamment des enseignants et des chefs d’entreprise, doit être renforcé.

Faire tomber le mur des préjugés, c’est évidemment redresser l’image du chef d’entreprise dans notre société.

Nos jeunes, nous le savons, admirent les grands sportifs, dont l’image est souvent utilisée par les professionnels de la communication. La raison de cette image positive tient au fait que ces champions incarnent le succès, l’effort, l’exploit, l’engagement, le dépassement de soi, l’optimisme, bref un ensemble de valeurs positives qui sont tout autant requises dans le monde de l’entreprise.

Pourtant, l’image du créateur d’entreprise qui réussit n’atteint pas le niveau de popularité de celle du champion sportif, du moins en Europe.

Il s’agit donc également d’un problème de communication. Ne devrions-nous pas mettre davantage en valeur la plus-value que la création d’entreprise apporte à la communauté. La création d’une entreprise n’est jamais un acte isolé. Elle a un impact direct sur la société du fait de son activité, des bénéfices qu’elle génère, des emplois qu’elle crée et des salaires qu’elle distribue.

En outre, pourquoi ne pas mettre en valeur ce qui est l’essence même de la création de l’entreprise : l’action d’une ou plusieurs personnes qui font quelque chose de raisonnable afin d’en retirer un profit. Notre société semble avoir un problème avec toute idée liée à la recherche de profit. Pourtant, elle est aussi nécessaire à la création d’entreprise que l’appétit est nécessaire pour manger. Créer son entreprise cela veut dire générer son propre revenu, en toute indépendance. Voilà qui devrait éveiller des envies.

Ceci étant, nous devons garder une approche réaliste. On ne crée pas des entrepreneurs, on ne peut que susciter des vocations !

Tout le monde n’a pas les qualités requises, outre celles purement professionnelles, pour être créateur d’entreprise, à savoir la faculté de gérer les problèmes quotidiens, les doutes et les incertitudes, les épreuves que produit inévitablement la vie de l’entreprise. Mais il existe dans chaque génération un nombre suffisant de personnes qui répondent à ces exigences. Il s’agit de les encourager à franchir le pas. Pour cela, il faut à la fois valoriser l’image du créateur d’entreprise et instituer un cadre propice pour l’aboutissement de leurs idées.

Ce qui me ramène au début de mon discours et par conséquent aux conclusions de notre forum.

Les acteurs de la Grande Région sont conscients du défi et des options à prendre. Notre démarche future, si elle s’inscrit dans les principes évoqués aujourd’hui permettra de faire de la Grande Région une terre d’entreprise et d’avenir.

Je vous remercie de votre attention !

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