Discours de M. Charles Goerens, ministre de la Coopération et de l'Action humanitaire, lors du lancement du processus d'appels consolidés 2003

(ne vaut que le discours prononcé)

Monsieur le Représentant spécial du Secrétaire général,
Monsieur le Coordonnateur spécial,
Messieurs les Coordonnateurs résidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

L’année 2002 marque le 10e anniversaire de l’adoption par l’Assemblée Générale de l’ONU d’une résolution établissant le Consolidated Appeals Process, le CAP.

Cette année, le Luxembourg figure parmi sept capitales où le CAP 2003 est lancé aujourd’hui:

  • Cette exclusivité est un honneur pour le Luxembourg,

  • mais c’est aussi un gage de la cohérence de notre action humanitaire, dans le cadre plus large de notre effort de solidarité internationale, notamment dans le domaine humanitaire.

Nous nous réjouissons tout particulièrement de pouvoir accueillir parmi nous

  • Monsieur Francis Deng, Représentant Spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays.

  • Monsieur Deng est accompagné de Monsieur Kofi Asomani, Coordonnateur spécial des Nations Unies pour les personnes déplacées, Monsieur Allan Doss, Coordonnateur résident des Nations Unies au Sierra Leone et Monsieur Marc Destanne de Bernis, Coordonnateur résident des Nations Unies au Libéria.

Les défis à rencontrer

Les catastrophes naturelles s’abattent sur l’humanité avec une violence souvent terrifiante. Toute l’Europe a été choquée par les inondations qui ont frappé l’Europe centrale au mois d’août dernier et qui ont coûté la vie à des dizaines de personnes et causé des dommages de plusieurs milliards d’euros.

En février 2001, j’ai pu me rendre compte de l’ampleur des destructions que les tremblements de terre ont infligés au Salvador lorsque, ensemble avec le Président Flores, j’ai pu survoler les régions affectées et visiter le village de San Agostin où quelque 600 maisons avaient été totalement détruites.

A la même époque, la région du Gujarat en Inde a été ravagée par un tremblement de terre qui a causé plus de 20.000 morts, plus de 55.000 blessés et quelque 50.000 sans abri.

Il ne se passe guère de semaine sans qu’un ouragan ne se produise dans la région des Caraïbes, semant la mort et la destruction dans plusieurs territoires.

Au moins aussi violentes et destructrices sont les catastrophes créées par l’homme. Je pense, en particulier aux conflits souvent ethniques qui se multiplient. Tout comme les crimes contre l’humanité. Les armées étant devenues trop puissantes pour s’affronter directement, ce sont les civils qui tombent désormais par milliers dans des conflits d’un nouvel ordre qui concernent moins les frontières nationales que les racines des sociétés humaines. Dans les conflits de notre époque, 90% des victimes sont des civils.

Aujourd’hui, l’humanité doit faire face à des défis nouveaux. Alors que les droits de l’homme sont affirmés au niveau universel, ce sont les gouvernements et les sociétés elles-mêmes qui s’écroulent, éclatent ou se déchirent un peu partout sans le monde, laissant les individus sans défense, sans projet commun, victimes impuissantes de la violence et de la destruction.

Nous assistons en même temps à des violations systématiques et flagrantes du droit international et du droit humanitaire. Les conventions de Genève signées en 1949 et leurs Protocoles additionnels ont été conçus pour protéger et pour assister les populations civiles dans des situations de crise ou de conflit armé. Malheureusement, les Etats, ou ce qui en reste, sont rarement prêts à les respecter et à les mettre en œuvre. Epidémie, famine, exode, populations marginalisées ou abandonnées à l’intérieur d’un Etat, pays oubliés, en voie de désintégration ou d’effondrement, tel est très souvent le résultat de ces conflits.

Notre monde connaît à peu près 20 millions de réfugiés. Des millions de personnes sont déplacées à l’intérieur des pays en conflit.

Mais en même temps, la communauté internationale réagit, s’organise, renforce sa coordination. La société civile, les ONG humanitaires ont pris un essor remarquable et je m’en réjouis. Un engagement et une solidarité admirables portent cette vaste entreprise humanitaire. Toutes ces personnes travaillent dans des conditions de sécurité souvent très précaires. De plus en plus souvent, les militaires s’en prennent aux humanitaires. De tels agissements ne peuvent qu’être condamnés de la manière la plus ferme..

Si les tragédies sont nombreuses, il serait faux d’ignorer les succès.

En Afghanistan plus de 1,7 millions de réfugiés et plus de 400.000 personnes déplacées ont pu rentrer. Mais plusieurs millions restent dans les camps des pays voisins et restent exposés à la sécheresse, aux tensions, à la pauvreté. Les effets de 23 ans de guerre ne peuvent être surmontés du jour au lendemain.

En Angola, la guerre civile a été arrêtée. Un immense effort de reconstruction et de réconciliation nous attend, 3,5 millions de personnes ont été déplacées et doivent rentrer. Des milliers de soldats sont à démobiliser et à réintégrer dans la société. Le retour de plus de 400.000 réfugiés est à organiser.

En Afrique australe plus de 15 millions de personnes sont menacés par la famine. Une crise alimentaire sévère frappe aussi l’Ethiopie. Tâchons toutefois, notamment dans ce dernier pays, de ne pas déséquilibrer le marché des prix alimentaires par des importations précipitées et à bon marché là où les transports d’une région excédentaire à une région déficitaire pourraient régler le problème.

Dans les territoires occupés, la population a connu une dégradation générale brutale de ses conditions de vie. La famine sévit en Corée du Nord. En Colombie, la guerre civile fait des dizaines de victimes chaque année.

En Côte d’Ivoire, l’opposition armée d’une partie de l’armée a conduit à une explosion de violence, à des déchirements ethniques et une division de facto du pays. La stabilité politique et le développement de ce pays, mais aussi de toute la région sont compromis. La communauté internationale doit être vigilante afin d’éviter des drames majeurs susceptibles d’anéantir la paix et des années de développement.

L’actualité des dernières semaines nous a également rappelé la tragédie qui continue de se dérouler dans le Caucase et en particulier en Tchetchénie.

Je n’ai fait qu’évoquer les conflits les plus graves et les plus actuels. Je pourrais continuer cette liste pendant un bon moment.

Je salue  les efforts que ne cessent de déployer la communauté internationale notamment à travers ses diverses agences humanitaires dont la coordination est assurée par l’Office de coordination des Affaires Humanitaires qui organise ce processus de lancement.

L’action humanitaire du Luxembourg

Au cours des dernières années, le Luxembourg a considérablement renforcé son action humanitaire.

Cela s’est traduit tout d’abord au niveau des moyens mis à la disposition de cette action qui correspond à environ 10% de notre Aide Publique au développement. Celle-ci a atteint 0,82% de notre RIB en 2001. Ainsi, nos contributions volontaires aux budgets des différentes agences des Nations Unies ont connu une augmentation de 20% en 2001 et l’augmentation aux programmes a été de 8%.

Nous avons consenti un effort exceptionnel en 2001 en faveur de l’Afghanistan. Nous avons financé à hauteur de plus de sept millions de dollars américains des programmes d’urgence, de réhabilitation, de reconstruction, de lutte contre les mines antipersonnel et protection des femmes et des enfants. Ce programme inclut en particulier un vaste programme d’aide du FNUAP en faveur des femmes afghanes et de leurs enfants.

En 2001, nous avons soutenu des programmes de reconstruction au Salvador et en Inde, suite aux tremblements de terre. A San Agostin, au Salvador, la reconstruction de quelque 500 maisons sera achevée d’ici fin mars prochain.

Nous coopérons avec l’UNWRA, avec diverses ONG locales et luxembourgeoises au Moyen Orient afin d’alléger les souffrances de la population palestinienne.

En 2001, nous avons davantage structuré notre action humanitaire en signant, pour la première fois des memoranda avec trois organisations humanitaires: le CICR, le PAM et le HCR. Cette coopération qui nous permet du reste d’intensifier également le dialogue avec ces organisations, a été renouvelée cette année, appuyée par des budgets en augmentation de 50%. Nous avons concentré notre coopération sur la Corne d’Afrique, l’Afrique australe, la région des Grands Lacs enfin l’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Liberia, Guinée, Côte d’Ivoire).

Je rappelle que nous avons comme politique de réserver une attention particulière dans l’élaboration de ces memoranda aux conflits oubliés. Le départ de CNN et des médias n’implique pas forcément la fins des souffrances des populations affectées.

Notre service « Action humanitaire » assure la liaison continue avec les différents acteurs dans le domaine humanitaire, les organisations onusiennes, le CICR, le service humanitaire de la Commission européenne (ECHO), les ONG.

Comment assurer le passage de la phase de reconstruction à celle de développement ?

Le passage de la phase de reconstruction à celle du développement pose des problèmes particulièrement épineux. Nous aurons l’occasion d’en discuter tout à l’heure. En effet, très souvent les organismes et les ONG de l’humanitaire quittent le terrain, sans que le relais nécessaire par les acteurs chargés du développement ne soit assuré. Peut-être qu’au Luxembourg la coordination nécessaire est plus facile. Permettez-moi en tout cas de vous présenter l'action que nous avons menée, à cet égard, au Kosovo depuis 1999. Je me félicite dans ce contexte, que les efforts entrepris par les gouvernements en coopération avec la communauté internationale de ces dernières années, ont permis de ne plus devoir inclure les Balkans, cette année, dans la liste du CAP.

Dès la fin du conflit armé en 1999, notre Ministère était présent sur le terrain. Le Luxembourg était parmi les cinq premiers pays à ouvrir un bureau à Pristina.

A partir de ce bureau, nous avons géré notre aide humanitaire et organisé l’accueil et le suivi des réfugiés kosovars revenant dans leur pays après un séjour au Luxembourg.

Dans un premier temps, de juillet - août 1999 à l’automne 2000, nous y avons mis en œuvre des programmes humanitaires d’urgence pour plus de douze millions d’euros, ceci tant dans le domaine de l’urgence pure – distribution de biens de première nécessité, de « shelter-kits », de dernées alimentaires, contribution aux frais de fonctionnement de différents camps de réfugiés, aide médicale – que dans le secteur de la réhabilitation et de la reconstruction de maisons individuelles et d’infrastructures collectives et de l’appui à l’agriculture locale.

Ensemble avec quelques autres pays donateurs, le Luxembourg a ainsi contribué à un vaste programme de mécanisation agricole.

Le Ministère a également largement contribué aux frais de fonctionnement liés au maintien d’une antenne de la FAO.

Enfin, en ce qui concerne l’appui direct à la population rurale, plus d’un tiers des plants de pommes de terre plantés au Kosovo en 1999 et 2000 étaient d’origine luxembourgeoise.

Dès la fin de l’année 2000, la coopération luxembourgeoise a opéré un glissement de l’aide humanitaire vers l’aide au développement, mouvement qui s’est concrétisé par un passage progressif du budget Kosovo du service aide humanitaire vers le service bilatéral Balkans nouvellement créé.

Avec CARITAS, nous avons poursuivi un programme substantiel de reconstruction de plusieurs villages.

Aujourd’hui, nous continuons à soutenir l’agriculture au Kosovo, en fournissant des intrants agricoles, mais également en travaillant dans le domaine de la multiplication de semences avec le but de contribuer à l’autosuffisance de l’agriculture du Kosovo.

Dans ce même esprit, nous investissons dans la formation des jeunes kosovars en finançant la construction d’une école primaire à Prizren et le création d’un centre formation professionnelle en mécanique à Pristina.

Dans le domaine de la santé, également à Prizren, nous préparons la réalisation d’un programme pour la rénovation de l’hôpital régional et la formation du personnel médical et paramédical.

Afin de soutenir le développement économique du Kosovo et de contribuer à la création d’emplois, nous avons décidé de financer le lancement d’une entreprise de fabrication de produits agroalimentaires à Istog

Notre programme au Kosovo montre donc parfaitement les nombreuses facettes de notre activité et plus particulièrement le passage harmonieux de l’humanitaire au développement, passage facilité par le fait que ces différentes activités sont placées sous la même responsabilité ministérielle.

Le Kosovo peut cependant également servir à illustrer la problématique des réfugiés et celle, plus sensible encore, des personnes déplacées.

Dans le contexte de la crise au Kosovo, le Luxembourg a été, en 1999, le pays qui, proportionnellement, a accueilli le plus grand nombre de réfugiés. Nous sommes donc très sensibles à cette problématique, de sorte que toute notre action au Kosovo s’est structurée sur base de cette réalité. Ma devise dans ce domaine a toujours été qu’il faut ouvrir une perspective dans son pays à chaque réfugié qui ne peut être définitivement accueilli au Luxembourg.

En collaboration avec le HCR, la Croix-Rouge et Handicap International nous avons mis en œuvre plusieurs programmes en faveur des réfugiés dans les pays voisins du Kosovo.

La situation des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, appartenant le plus souvent à des minorités ethniques, est bien plus complexe. Sans statut reconnu et sans protection aucune par la moindre convention, leur sort est bien souvent marqué par l’indifférence des autorités et l’hostilité des voisins.

Au Kosovo, nous finançons depuis bientôt trois ans un tel camp, géré par une ONG italienne, le « Consortium Italien pour la Solidarité » sous la responsabilité de l’UNHCR. Il y a dans ce camp plus de 400 personnes, jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants.

Pourquoi soutenir le CAP ?

L’action du Luxembourg s’ajoute à celle d’un grand nombre d’autres Etats-membres et à celles surtout menées par plusieurs organisations onusiennes. Il est évident que ces différentes actions appellent une coordination étroite et continue. Selon le rapport d’une évaluation externe du CAP :

"Le CAP reste le seul instrument de coordination qui rassemble chaque année les membres du Inter-Agency Standing Committee (IASC, c-à-d. tous les fonds et programmes onusiens et les départements du Secrétariat concernés par l’Action Humanitaire, des ONG) et de plus en plus de gouvernements donateurs et bénéficiaires pour partager leurs analyses, pour discuter et définir une stratégie commune et des objectifs pour l’assistance humanitaire dans un pays ou une région".

Le Luxembourg est impliqué de manière engagée dans les efforts de coordination au sein de la communauté humanitaire, notamment par deux activités de notre RP à New York:

  • En effet, nous avons assumé la Présidence du Humanitarian Liaison Working Group d’octobre 2000 à novembre 2002,

  • Nous avons assuré la coordination des résolutions humanitaires de l’AG en 2000, 2001 et 2002.

Les efforts en cours

Le Luxembourg salue les efforts qui sont en cours pour améliorer le suivi stratégique des appels consolidés et pour accroître l’implication des agences dont les projets n’y ont pas encore été intégrés.

L’exercice de coordination ne doit pas se limiter aux sièges des fonds et programmes, ni aux capitales des pays donateurs. Il doit également trouver son prolongement sur le terrain.

Cet exercice ne doit pas se limiter non plus aux activités purement humanitaires. En effet, l’effort humanitaire risque de ne pas pouvoir déployer tous ses bienfaits ou risque d’en perdre, si les phases transitoires en amont et en aval de l’action purement humanitaire sont ignorées ou mal coordonnées avec la phase de l’aide d’urgence.

Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays

La nature changeante des conflits armés a fait grossir les chiffres des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Ces personnes ne bénéficient pas du même statut de protection que les réfugiés qui ont quitté leur pays.

L’accès des acteurs humanitaires à ces personnes est compliqué par le fait qu’elles se trouvent souvent encore dans des régions très peu sûres.

Il faut regretter que les autorités de certains pays continuent à considérer l’assistance humanitaire à ces populations déplacées sans avoir franchi de frontière comme immixtion dans les affaires internes. Les lignes directrices établies par l’équipe de M. Deng ne sont malheureusement pas encore universellement reconnues et appliquées.

En attendant les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, et les plus vulnérables parmi eux – enfants et femmes – restent exposées à des conditions de vie et à des traitements inhumains. S’il est certes difficile de définir les degrés dans le malheur, il faudra néanmoins garder à l’esprit cette réalité cruelle.

Conclusions

L’action d’OCHA et des diverses agences humanitaires mérite notre plein appui. Aussi ai-je le plaisir d’annoncer une augmentation de notre budget d’aide humanitaire pour 2003. Ce budget nous permettra d’augmenter de façon conséquente les enveloppes pour les contrats à conclure avec les agences onusiennes.

Pour tenir compte de la gravité des situations en Afrique australe, nous avons décidé de réserver encore cette année aux agences humanitaires de l’ONU opérant dans cette région une contribution additionnelle de 1,5 millions d’euros.

Je voudrais également annoncer ma décision d’accorder au Programme Alimentaire Mondial une contribution supplémentaire de 100.000 euros pour son programme en Côte d’Ivoire, de 400 000 euros au Haut-Commissariat des Réfugiés pour son programme régional en Afrique de l’Ouest (Sierra Léone, Libéria et Guinée) et enfin une contribution de 230.000 euros pour un programme alimentaire en Ethiope.

Je vous remercie

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