Discours de Anne Brasseur à l'occasion du lancement de la campagne de sensibilisation à la formation professionnelle continue

La Formation professionnelle Continue, pour avancer avec le monde (seule la parole fait foi)

De nos jours le lifelong-learning est dans la bouche de tout le monde. Et rares sont les conférences, les réunions, les tables-rondes, les réceptions, les remises de diplômes, …, pendant lesquels le sujet du lifelong-learning n’est pas abordé d’une façon ou d’une autre.

Mais qu’est-ce au juste, le lifelong-learning ?

Je suis en fait souvent très surprise des idées que se font beaucoup de gens du lifelong-learning.

  • Est-ce un nouveau mode de vie?

  • Est-ce un nouveau médicament qui prolonge la vie ? On pourrait alors se demander si cette pilule miracle est remboursée par la sécurité sociale?

  • Est-ce une attitude, une déontologie choisie librement ou une contrainte nous imposée par le monde socio-économique en plein changement?

  • Ou est-ce juste un terme plus "in" pour ne parler, en fin de compte, que d’éducation et de formation?

Même ceux dont c’est la tâche et la spécialité de promouvoir le lifelong-learning ont souvent des avis et opinions tout à fait différents.

  • Pour certains, c’est la formation professionnelle continue avec l’objectif de former les employés aux nouvelles tâches et rôles qu’ils doivent assumer dans un monde professionnel en plein changement.

  • Pour d’autres, disciples de Grundtvig, c’est plutôt un dispositif de diverses activités éducatives organisées à l’intention d’adultes avec une finalité de promotion sociale, d’épanouissement personnel et de développement culturel.

  • Pour d’autres encore, c’est un partenariat monde de l’éducation – monde professionnel oeuvrant pour l’éducation continuée (pour utiliser le terme en vogue chez nos amis belges) avec l’objectif de veiller au plein emploi et à l’accroissement du degré d’employabilité des travailleurs.

  • Pour les férus de l’informatique, enfin, c’est les cours à distance sur Internet, systèmes sophistiqués de plate-formes éducatives électroniques avec évaluation on-line, chat-lounges et autres gadgets de nos temps.

Face à cette panoplie d’avis et de définitions, comment expliciter la diversité et la richesse de ce qui constitue toute une philosophie de l’éducation ; comment faire passer le message de l’urgence et de la multiplicité des besoins de la population pour apprendre et se former tout au long de la vie dans un monde en développement continuel ?

Je pourrai en effet citer la définition de l’Encyclopédie internationale de l’éducation et de l’apprentissage:

"Lifelong-learning est le développement du potentiel humain à travers un processus continuel qui stimule, et rend capable tout individu à acquérir tous les savoirs, savoir-faire, valeurs et savoir-être dont cet individu aura besoin tout au long de sa vie, et afin qu’il soit en mesure de les appliquer avec confiance, créativité et satisfaction personnelle dans toutes les situations concrètes, qu’elles soient personnelles, culturelles et professionnelles, auxquelles il sera confronté à un moment de sa vie."

En effet, il n’y a pas de réponse simple et toute faite à la question de ce qu’est le lifelong-learning. Toutefois, pour moi personnellement, les trois caractéristiques suivantes du lifelong-learning semblent primordiales:

  • Tout d’abord, l’apprentissage doit être "lifelong", tout au long de la vie, du berceau jusqu’à la tombe, de la maternité jusqu’à l’éternité, de 0 jusqu’à 90 ans – et pourquoi s’arrêter là ?

  • Deuxièmement, il faut qu’il s’agisse d’apprentissage, plutôt que d’enseignement, "learning rather than teaching", pour utiliser les termes anglais ! Donc une motivation continuelle auprès de la population pour apprendre à tout moment et à tout endroit, une mentalité de l’apprentissage, plutôt qu’une simple participation à des cours et formations aussi indispensables que ces derniers puissent être.

  • Et finalement, tout cela doit être englobé dans un système organisationnel de formation et d’apprentissage tout au long de la vie, système auquel doit participer toute la communauté, nationale voire internationale, et non seulement les organisateurs de formation, qu’ils soient étatiques ou privés, commerciaux ou sans but lucratif, afin que deviennent disponibles et accessibles toutes les ressources dont dispose la communauté pour son développement, enrichissement et épanouissement.

Le lifelong-learning est donc quelque chose de nouveau ?

Pas du tout !

  • Déjà dans la Grèce antique, Platon inventait le concept "Dia Viou Paedeia" - pour lui, c’était l’obligation de chaque citoyen de développer son potentiel tout au long de la vie afin de pouvoir pleinement participer à la vie politique de la cité.

  • Au 17e siècle, Comenius décrivait l’univers comme une école pour tous les êtres humains, en insistant sur le fait que l’apprentissage est un instinct humain de base, et de ce fait, un droit inné.

  • Plus près de nous, dans les années 1930, l’écrivain anglais de science fiction H. G. Wells a défini l’histoire humaine comme "an eternal race between education and catastrophe", une course perpétuelle entre éducation et catastrophe – tout en étant d’ailleurs d’avis que ce sera la catastrophe qui va en fin de compte remporter la victoire. Les écrivains de science fiction ont certes le droit d’être apocalyptiques, à nous de veiller à ce que leurs cauchemars ne deviennent pas réalité – à en juger de certains évènements récents, on pourrait se demander si ce n’est pas déjà chose faite.

Le lifelong-learning n’est donc rien de nouveau. Pourquoi alors en parler avec autant d’insistance ?

En effet, les récents développements économiques, socioculturels et géopolitiques lui ont donné une nouvelle signification – et une nouvelle importance - qui se reflètent dans beaucoup de réflexions des instances éducatives européennes: le livre blanc "Créer un espace européen de l’apprentissage tout au long de la vie" publié par la Commission Européenne en est un exemple parmi d’autres. De même, tant les instances supranationales telles que l’UNESCO et l’OECD qu’une large majorité de gouvernements nationaux ont inscrit le lifelong-learning dans leurs programmes éducatifs et sociaux.

Au tournant d’un nouveau millénaire, beaucoup de choses ont changé. En tant que race humaine, nous sommes en train de nous rendre compte que le monde n’est pas limité – que nous ne pouvons pas continuer à exploiter ses richesses minérales et ses ressources alimentaires à l’infini, que nous ne pouvons pas continuer comme si de rien n’était, sans mettre en danger notre propre existence. Et avec une croissance de la population mondiale estimée à 50 milliards dans les 50 prochaines années, apprendre à s’adapter devient une nécessité pour nous tous.

Des changements importants ont aussi affecté le monde du travail. Parmi ces changements le plus important me semble être le fait que nous ne pouvons plus nous attendre à avoir un emploi stable pendant toute notre vie. Au contraire, les employés de demain seront amenés à changer continuellement de carrières, devront être adaptables, versatiles et flexibles, tant psychologiquement que géographiquement, tant en ce qui concerne leurs savoirs et compétences qu’au niveau des valeurs et des mentalités qui les animent et les motivent. Ils auront donc un besoin continuel de s’adapter à de nouvelles données socio-économiques, à de nouvelles technologies de travail, à de nouveaux environnements sociaux et culturels. Ils devront donc, tout au long de leur vie, apprendre et se former, non seulement en tant qu’acteurs socio-économiques, mais aussi, et peut-être surtout, en tant qu’êtres humains qui – pour revenir à Comenius - ont un droit fondamental : apprendre pour se développer et s’épanouir.

Il est donc clair que dans notre monde moderne, les compétences de base acquises dans l’enseignement et la formation initiales, aussi importantes qu’elles soient, ne sauront plus suffire pour toute une vie, mais devront être renouvelées, étendues, adaptées et complétées tout au long de la vie.

Le 21e siècle sera donc le siècle de l’apprentissage – ou il ne sera pas ! Parce que l’autre alternative, celle de H. G. Wells, n’est pas envisageable : au lieu de compétitivité économique, d’intégration sociale, d’épanouissement personnel, nous serons confrontés à la faillite économique, à la pauvreté, aux désordres sociaux, à la destruction de nos structures démocratiques, à la disparition de notre civilisation.

L’enjeu est donc de taille. Pouvons-nous relever le défi ?

J’en suis certaine, si tout un chacun est prêt à prendre sa responsabilité. Et quand je regarde le développement pendant ces dernières années du taux de participation aux cours et formations qui rentrent dans le cadre du lifelong-learning, je peux même me permettre d’être optimiste. Pour ne donner qu’un seul exemple : en 1996, année européenne de l’apprentissage tout au long de la vie, 7.405 personnes étaient inscrites dans les cours organisés par le Service de la Formation des Adultes ; en 2002, ce nombre était déjà à 11.360 personnes. Pendant cette même période, les autres institutions organisant des formations lifelong-learning ont connu un développement similaire. On peut donc en conclure que la population du Grand-Duché de Luxembourg est consciente de l’importance du lifelong-learning et est prête à s’y investir.

Pour satisfaire cette demande croissante, l’offre d’activités d’apprentissage et de formation qui peuvent s’inscrire dans le contexte du life long learning s’est considérablement agrandie et diversifiée.

  • Les deux services qui auprès de mon ministère s’occupent du lifelong-learning, à savoir le Service de la Formation Professionnelle et le Service de la Formation des Adultes, n’ont pas manqué à élargir l’offre de leurs cours, à améliorer la flexibilité de leur organisation, à garantir la qualité des cours, à resserrer la coopération avec le monde économique et les partenaires sociaux.

  • Les chambres professionnelles offrent des cours de plus de plus nombreux et diversifiés – offre qui par leur richesse prouve qu’elles ont pleinement reconnu l’importance du lifelong-learning pour notre pays.

  • La loi cadre sur la formation professionnelle continue du 22 juin 1999 a largement contribué à dynamiser les entreprises à s’investir dans la formation professionnelle continue, tout comme le règlement grand-ducal du 30 mars 2000 a incité le secteur des administrations communales et des associations sans but lucratif à développer leurs efforts pour l’apprentissage tout au long de la vie.

Notre pays, voire notre région, disposent donc de solides bases pour continuer à promouvoir le lifelong-learning. Mais, permettez-moi, avant de conclure, d’esquisser rapidement un modèle du lifelong-learning tel que j’aimerais bien qu’il se réalise dans notre pays.

Pour que le lifelong-learning devienne vraiment efficace et attractif, il faut le concevoir sous forme d’une communauté dans laquelle les entreprises, les chambres professionnelles, les écoles, les institutions de formation, les autorités locales, les associations, en fait tous les citoyens, puissent coopérer afin que notre société devienne une société de l’apprentissage

  • De laquelle personne ne saurait être exclue;

  • Qui reconnaisse l’apprentissage comme une activité motivante, satisfaisante et utile;

  • Qui mette à la disposition de tous les citoyens toutes ses ressources, connaissances, compétences et talents;

  • Qui prenne en compte les besoins et les motivations de tous;

  • Qui incite ses citoyens à être ouverts sur le monde car sans cette ouverture il ne saurait y avoir d’apprentissage;

  • Qui utilise les technologies modernes comme moyen d’accès au savoir et comme outil de communication à la portée de tous;

  • Qui encourage les citoyens à développer des projets personnels d’apprentissage tout au long de la vie, et les oriente, guide et encadre dans leur processus individuel d’apprentissage;

  • Qui reconnaisse, à l’instar de Comenius, l’apprentissage non seulement comme un besoin inné mais aussi comme un droit fondamental;

  • Qui veille à l’épanouissement personnel de tout citoyen comme base à la stabilité sociale et au développement économique.

Certes vous allez me dire que cette société de l’apprentissage est une utopie, un rêve impossible.

Je suis cependant convaincue que la campagne nationale de sensibilisation au life long learning que nous lançons aujourd’hui est un premier pas décisif pour réaliser la société de l’apprentissage, ne réunit-elle pas autour d’une même idée tous les acteurs de la formation professionnelle continue et de l’éducation des adultes, n’a-t-elle pas comme objectif de promouvoir et de positionner le lifelong-learning comme une opportunité formidable de maintenir des compétences à niveau dans tous les domaines, voire pour acquérir de nouvelles connaissances, de nouveaux savoir-faire afin que la société de demain devienne une société de l’apprentissage pour tous – une société dynamique qui garantit le développement économique et dans laquelle chaque citoyen peut s’épanouir et trouver sa place.

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