Discours du ministre de l'Economie Henri Grethen à l´occasion du 75e anniversaire de SOTEL

Altesses Royales,
Madame et Messieurs les Bourgmestres,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers Invités,

En cette année 2003, nous avons l'occasion de célébrer le soixante-quinzième anniversaire de l'éclosion du secteur électrique luxembourgeois, car à côté de SOTEL, ce sera également au tour de CEGEDEL de fêter ce prestigieux anniversaire. Si cette dernière a pu acquérir au fil des années une large notoriété auprès de la population, SOTEL reste encore un acteur peu connu. Il ressort en effet d'une récente enquête d'ILReS qu'uniquement 4% de la population citent spontanément le nom de SOTEL en tant qu'acteur sur le marché de l'électricité luxembourgeois.

C'est donc à bon escient que les responsables de SOTEL ont entrepris un important effort de recherche et de rédaction en dressant, de leur point de vue bien sûr, le tableau de l'histoire de l'électrification du Grand-Duché de Luxembourg.

La brochure aujourd'hui présentée par SOTEL nous aide à prendre conscience de la rapidité et de l'ampleur de l'évolution industrielle et économique du Luxembourg depuis la fin de la première guerre mondiale.

Mais ce n'est pas seulement notre pays qui a changé. Avec l'avènement de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, suivie plus tard par le Traité de Rome et de la création de la Communauté européenne, les nations de l'Europe occidentale ont enfin appris - timidement d'abord - à collaborer tant sur les plans économique que politique.

De cette collaboration naquit le tant attendu Marché Intérieur, la Commission européenne agissant en tant que sage-femme. Peu à peu le Marché intérieur a inclu tous les produits et tous les services offerts à l'intérieur de la Communauté européenne. Tous? Non, le secteur de l'énergie et notamment celui de l'électricité résista encore vaillamment aux tentatives de libéralisation de la Commission européenne.

S'agissant d'infrastructures de production et de transport, et en ce qui concerne les réseaux électriques, de monopoles naturels, il n'est que logique que l'électricité fut longtemps considérée comme relevant de l'Etat plutôt que de l'initiative privée. Le métier d'électricien comprenait donc tout naturellement toutes les activités se rapportant de près ou de loin à l'électricité, à savoir la production, le transport, la distribution, l'achat et la vente.

Certes, il y avait aussi une collaboration internationale entre les grands électriciens, soulignée surtout par la mise en œuvre d'un réseau européen interconnecté, dont la vocation primaire consistait cependant à se prêter mutuellement secours, moins à se faire du mal en se faisant de la concurrence.

Fort de l'appui du Royaume-Uni et des pays scandinaves, la Commission européenne a finalement réussi après un siège de plus de dix ans de prendre cette forteresse des marchés électriques cloisonnés.

Face au projet européen de l'ouverture des marchés de l'énergie et de la soi-disante dérégulation, le Luxembourg est resté méfiant, car notre système électrique présente quelques particularités qui en font un système à part par rapport à ceux de nos voisins européens.

La première ne vous surprendra guère car elle concerne la petite taille de notre territoire qui ne permet pas l'établissement de grands réseaux électriques. Eu égard à l'actuel absence de toute ligne à très haute tension - de 400 kilo-Volt donc - on serait même tenté de dire que le Luxembourg n'a tout simplement pas de réseau de transport.

La deuxième tient du fait que le Luxembourg ne possède pas de parc de production d'électricité proprement dit, qui lui permettrait d'être autosuffisant voire même d'exporter de l'énergie électrique. Cette absence est plutôt le fruit des hasards et errements passés de la politique, que dictée par une quelconque logique économique ou technique.

Permettez-moi d'ouvrir à cet endroit une parenthèse concernant la production d'électricité en générale et le nucléaire en particulier. Lors d'un discours que j'ai prononcé à l'occasion de l'inauguration de la centrale TGV à Esch-sur-Alzette en novembre dernier, j'ai profité de l'occasion pour faire – à titre tout à fait personnel – un rapprochement entre l'intelligence des Finnois, documentée par la fameuse étude PISA, et le recours à l'utilisation de l'énergie nucléaire de ce même peuple. Il est évident qu'une telle remarque n'engage en rien le Gouvernement et que celui-ci n'envisage pas de rouvrir le dossier du nucléaire.

Au niveau européen et mondial cependant, je pense qu'on aura tout intérêt à éviter de pratiquer une politique d'autruche à l'égard du nucléaire, mais de suivre attentivement les développements de ce secteur, qu'il s'agisse de la fission classique ou de la fusion. Car toute politique énergétique lucide interdit de mettre tous les œufs dans un même panier.

N'oublions pas non plus qu'à côté des risques, le nucléaire comporte aussi des chances. Ainsi, l'énergie produite lors de la fission d'un gramme d'uranium 235 est équivalente à trois tonnes de charbon et la fusion d'un gramme d'hydrogène en hélium développe l'équivalent énergétique de 45 barils  de pétrole. Face à un éventuel changement climatique, probablement accéléré par des émissions massives anthropogènes de dioxyde de carbone, ces chiffres ne doivent pas nous laisser indifférent.

Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faudrait négliger les sources d'énergie renouvelables, car il suffirait par exemple de couvrir 2,6 % du Sahara avec des cellules photovoltaïques pour assurer la consommation totale de toute forme d'énergie de notre planète entière. Ou, en d'autres termes: l'installation dans les tropiques d'un carré de 469 km de longueur, rempli de panneaux photovoltaïques, suffirait également à couvrir tous nos besoins en énergie.

D'autre part, il ne faut pas perdre de vue qu'un "rétrofit" d'une centrale électrique au charbon permet d'augmenter son rendement de manière à pouvoir remplacer la production d'électricité de cent éoliennes.

Ne passons pas non plus sous silence l'utilisation rationnelle de l'énergie. Monsieur Claude Turmes, Député européen du parti des Verts, me rejoins d'ailleurs dans mes réflexions lorsqu'il déclare lors d'un colloque intitulé "Energie: quelle politique française pour la prochaine législature?" organisé par le Sénat le 26 juin dernier, qu'il serait plus important aujourd'hui de renforcer les normes internationales de consommation minimum des appareils ménagers que d'engager des débats stériles sur le nucléaire ou les énergies renouvelables!

On retiendra donc qu'il faut considérer toutes les ressources énergétiques sans préjugées et œillères idéologiques et en faire un assemblage intelligent répondant tant aux critères d'économicité que d'écologie.

Revenons à présent au secteur électrique luxembourgeois pour révéler une troisième particularité qui consiste dans le fait que nos réseaux électriques ne sont pas seulement de taille très réduite mais ils sont aussi scindés et plus ou moins isolés.

Je m'explique: Le réseau de CEGEDEL, ou réseau public, est raccordé au seul réseau allemand, tandis que le réseau de SOTEL est uniquement raccordé au réseau belge, si l'on fait abstraction d'une petite dérivation sans importance technique vers la France. En outre, il n'existe pas d'interconnexion permanente entre les réseaux de CEGEDEL d'une part et de SOTEL d'autre part.

Cette absence d'interconnexions conjuguée à un parc de production quasi inexistant fait que les réseaux de SOTEL et de CEGEDEL sont traités comme étant des antennes des réseaux de leurs fournisseurs traditionnels, à savoir Electrabel et RWE. Il en résulte que et SOTEL et CEGEDEL doivent payer l'utilisation des réseaux belge et allemand comme s'ils étaient des clients éligibles dans ces réseaux respectifs. Ces frais sont bien entendu répercutés sur les clients éligibles luxembourgeois qui doivent également payer l'utilisation des réseaux luxembourgeois. Les entreprises luxembourgeoises, qui ont aujourd'hui la possibilité de choisir leur fournisseur grâce à l'ouverture du marché de l'électricité, sont donc confrontées à un double péage – ou "pancaking" pour employer un bel anglicisme – d'abord pour l'utilisation du réseau luxembourgeois, ce qui est normal, et ensuite pour l'utilisation soit du réseau belge soit du réseau allemand.

Il faut avouer que ce double péage n'est pas conforme à l'esprit de la directive sur la libéralisation du marché de l'électricité européen ni au projet de règlement de la Commission européenne sur l'organisation des transits transfrontaliers.

L'organisation européenne des gestionnaires de réseaux de transport, en abrégé ETSO, vient d'approuver en décembre dernier un nouveau mécanisme pour régler le commerce transfrontalier et qui est entré en vigueur cette année. Le grand avantage de ce mécanisme est qu'il prévoit une contribution unique de seulement 0,5 EURO par Méga-Watt-heure pour une opération de transit international, ce qui est sensiblement moins chère que les frais normaux d'utilisation des réseaux belge ou allemand.

En tant que Ministre responsable de l'Economie, il m'importe que les entreprises établies sur notre territoire aient les meilleures conditions possibles pour accéder aux infrastructures et marchés et qu'en tout cas elles ne soient pas désavantagées par rapport à leurs concurrents à l'étranger.

Une quatrième et dernière particularité résulte directement des trois autres mentionnées tant tôt. Nos entreprises d'électricité n'ont pas la taille pour se mesurer à leurs concurrents étrangers. CEGEDEL compte moins que cinq cents emplois, SOTEL même pas vingt. Or, la proposition de directive concernant l'ouverture complète des marchés de l'électricité ne tient que partiellement compte des particularités d'un système à la luxembourgeoise. Lors de la mise en œuvre de cette directive il faudra par conséquent veiller à préserver autant que faire se peut les niveaux de synergies et l'efficacité atteints aujourd'hui. Une collaboration plus étroite entre les gestionnaires de réseaux de transport, notamment en ce qui concerne une éventuelle interconnexion des réseaux de SOTEL et CEGEDEL serait accueillie avec intérêt. Ce qui ne signifie pas qu'il faille exclure toute concurrence entre ces deux entreprises au niveau de la fourniture, bien au contraire. En revanche, je ne vois pas d'avantage pour notre économie nationale si la concurrence devait se faire au niveau des réseaux proprement dits, même la directive européenne ne prévoit pas cette possibilité.

Pour conclure, je souhaiterais que tous les acteurs concernés par la transposition et la mise en œuvre de la directive sur l'ouverture du marché de l'électricité auront le discernement et la lucidité nécessaire pour préserver nos entreprises d'électricité tout en augmentant la performance et l'efficacité de nos réseaux électriques qui constituent un pilier porteur de notre infrastructure nationale.

Je vous remercie de votre attention.

Dernière mise à jour