Déclarations de Jean-Claude Juncker lors de la conférence de presse à l'issue de la réunion informelle du 1er avril 2003 réunissant 7 Etats membres qui partagent globalement la même conception de l'Europe

Mesdames et Messieurs,

Les trois pays du Benelux ont adopté – je vous le rappelle – le 4 décembre de l’année passée, un mémorandum sur l’avenir institutionnel de l’Union européenne. Les trois pays du Benelux, pour la première fois d’ailleurs, avaient invité ceux qui ont la même vision de l’avenir de l’Union européenne de se joindre à eux. Les contacts pris et les contacts établis, nous nous sommes vus ce soir, alors que nous avions pour première intention de nous voir la veille du récent Conseil européen à Bruxelles, qui pour des raisons que vous savez n’a pas pu aborder le point de l’ordre du jour "travaux de la Convention".

J’ai lu dans la presse de presque tous les pays que c’est la réunion des "sept nains". C’est une description que j’accepte pour le Grand-duché du Luxembourg, mais que je récuse pour les autres pays qui sont autour de cette table.

 Il s’agit, en fait, de la réunion des Etats membres de l’Union européenne qui ont la même vision de l’avenir de l’Union européenne ; qui partagent un certain nombre de points de vue ; qui dans un débat démocratique ont l’intention d’exprimer ce point de vue, notamment lors le la réunion qu’auront les membres du Conseil européen, le 16 avril prochain à Athènes, avec le président de la Convention européenne ; qui voudraient pouvoir discuter avec les membres du Conseil européen un certain nombre de questions.

Par conséquent, il s’agit d’être clair et net dans les réponses que les Etats membres de l’Union européenne peuvent apporter aux interrogations profondes et moins profondes du président de la Convention.

Nous sommes d’accord, c’est une évidence, sur quelques principes généraux :

  • oui à la méthode communautaire et à son renforcement,

  • oui à l’équilibre interstitutionnel,

  • oui au principe de l’égalité des Etats membres,

  • oui à l’extension du vote à majorité qualifiée et concomitamment du pouvoir de co-décision du Parlement.

Sur base de ces principes, et après décision au sein du Benelux,  et avec nos quatre amis, nous avons l’intention de barrer la route à tout risque de dérapage intergouvernemental et à ouvrir la voie à une méthode communautaire renforcée.

Ce qui nous amène à penser que l’Europe n’a pas besoin de nouvelles institutions, que l’essentiel consiste dans le contenu des politiques que l’Union européenne est censée appliquer, mais qu’il n y a aucune raison de doter l’Union européenne telle qu’elle est et telle qu’elle sera - élargie et renforcée - de nouvelles institutions. Nous pensons que dans les nouvelles institutions que certains ont proposées réside le risque de voir l’Union européenne glisser dans toute sorte de dérapage à connotation intergouvernementale.

Il y a deux tendances lourdes en Europe, ceux qui acceptent d’une façon consciente ou inconsciente le dérapage intergouvernemental, et ceux, autre tendance lourde, qui sont les artisans et partisans de la méthode communautaire que nous voudrons voir renforcer, puisque nous pensons qu’elle est la seule méthode qui permettra à l’Union européenne de croître à l’avenir, tout en gardant les équilibres qui furent toujours les siens et qui ont fait son succès au cours des dernières décennies.

C’est la raison pour laquelle nous récusons l’idée de voir le Conseil des ministres, qui doit rester une institution importante de l’Union européenne et qui, comme les autres institutions de l’Union européenne, doit être renforcée, voir être présidée par un président élu à l’extérieur du Conseil européen qui devrait présider ce Conseil européen à titre principal, à temps plein.

Nous pensons que cette nouvelle institution comporte le risque éminent de voir s’établir une Commission bis, de faire de la Commission et de son président un secrétaire du président élu du Conseil européen, un assistant du président du Conseil européen, d’affaiblir - en ce faisant - le rôle moteur et le rôle central de la Commission qui est le gardien de l’intérêt commun de l’Union européenne. Nous voudrions préserver, dans tous ses droits et dans toutes ses virtualités, voire potentialités, la Commission et son président. Nous pensons que l’adjonction ou la superposition d’une telle institution nouvellement créée conduirait à moins de cohérence dans les travaux du Conseil de l’Union européenne.

Par conséquent, nous respectons les principes qui furent toujours ceux de l’Union européenne, et qui sont les nôtres. Nous pensons qu’en principe la présidence semestrielle par rotation devrait rester de mise, même dans une Europe agrandie à 25 ou à 27 pays membres.

Nous pensons, en effet, que le principe de l’égalité des Etats membres est mieux  assuré en restant avec la règle qui fut toujours la nôtre. Nous pensons que beaucoup d’arguments sont avancés contre le maintien de ce statu quo, mais nous ne découvrons pas dans les nouvelles propositions des arguments d’une taille telle qu’elle l’emporterait en qualité sur le mérite que revêt la présidence rotative.

Nous sommes d’accord à envisager – comme nous l’avons fait dans le mémorandum du Benelux – quelques amendements, mais en principe nous pensons que la présidence semestrielle rotative devrait rester de vigueur pour éviter ce glissement vers l’intergouvernementalisme, qui trouve une première indication dans une partie des propositions qui ont été faites et qui envisage de faire du secrétaire général du Conseil le président du Conseil affaires générales - éléments à évidence intergouvernementale ou comportant de nouveaux risques de voir l’Europe se déplacer de la méthode communautaire vers la méthode intergouvernementale.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’Europe n’a pas besoin de cette nouvelle institution dont les contours sont flous, peu déterminés, où on n’a pas pris soin de voir quel peut être le pouvoir d’injonction de ce président du Conseil éventuellement élu. Par conséquent, tout cela nous paraît être une idée qu’il ne faudrait pas poursuivre.

En ce qui concerne la composition de la Commission, nous pensons tous qu’il faudrait que nous restions au compromis que nous avions trouvé à Nice, c’est-à-dire que la Commission devrait se composer d’un représentant par Etat membre jusqu’à ce que l’Union européenne ait atteint le nombre d’Etats membres équivalent à 27, qu’ensuite il y aurait réduction du nombre des Commissaires en-dessous du nombre des pays membres, mais cette réduction devrait se faire – comme nous l’avons dit à Nice – dans la stricte observation du principe de l’égalité entre les Etats membres. Nous pensons que le Président de la Commission devrait être élu suivant des modalités à convenir par le Parlement européen, et que donc le Conseil européen cantonnerait son rôle à celui qui désignerait le Président du Conseil Européen, le vote du Parlement une fois intervenu.

Nous sommes tous en faveur de la création du poste, qui n’est pas une nouvelle institution au sens de traité, d’un ministre des Affaires étrangères européen, qui présiderait le Conseil relations extérieures, qui disposerait d’un pouvoir d’initiative, et qui serait le véritable moteur, ensemble avec les Etats membres, de la politique extérieure de sécurité commune. Ce ministre des Affaires étrangères sera membre de la Commission ou pourra participer aux travaux de la Commission.

Pour les décennies à venir nous pensons que l’instrument de la Convention pourrait être l’élément préparatoire de futures conférences intergouvernementales, et nous voudrions donc reconduire la Convention, c’est-à-dire cette formation tripartite composée de parlementaires européens et nationaux ainsi que les représentants des chefs d’Etat et de gouvernement, s’il s’agit d’apporter des modifications substantielles au traité à venir.

Sur les questions de calendrier, nous restons au scénario sur lequel nous nous étions mis d’accord à plusieurs reprises, c’est-à-dire constater - si ce constat devait se révéler faisable - un consensus au sein de la Convention au cours de l’été de l’année en cours ; puis - après une brève interruption des travaux pour permettre aux uns et aux autres de cogiter sur l’ensemble des résultats de la convention - débuter une conférence intergouvernementale au cours des mois d’automne de l’année en cours.

Nous avons pour le reste décidé, comme tel est leur souhait, d’inviter autour d’une table commune, le 16 avril à Athènes, les pays candidats qui partagent la même vision de l’Europe et qui se sentent apparentés aux idées, qui sont celles du Benelux et des Etats qui se sont associés à nous, pour faire en sorte que l’Europe puisse avancer sur des bases solides, et qui ne sont pas fondamentalement différentes de celles qui furent les nôtres jusqu’à présent.

Voilà en bref le résumé ultra-rapide de ce que nous venons de discuter. (…)

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