La responsabilité sociale des entreprises - Discours du ministre du travail et de l'emploi François Biltgen à la Chambre des employés privés du Luxembourg

Mesdames, Messieurs,

" La notion de responsabilité sociale de l’entreprise, idée expérimentale sans définition achevée, est bien sûr guettée par le manichéisme et les dérives de toutes sortes. Elle compte déjà ses experts, ses écoles, ses colloques. Elle devra clarifier sa substance et crédibiliser son contenu. "

Voila ce que dit le 2 avril de cette année Madame Nicole Notat à la tribune de la Chambre des Employés Prives. En fait je n’aurais rien à y ajouter ; je pourrais clore le chapitre et passer à l’ordre du jour. Ce n’est pas que je puisse me plaindre d’être au chômage technique. Bien au contraire. Et pourtant je me prendrai le temps pour vous délivrer mes idées à l’égard de la RSE. Non seulement parce que mon ami, le président Jos Kratochwil me l’a demandé et que je n’aimerais pas le décevoir à la fin de son mandat. Mais surtout parce que je crois à la RSE.

Il est vrai que la notion est guettée par le manichéisme. A preuve, la Fédération des Artisans qui, à mon annonce de saisir les partenaires sociaux de la question, s’est de suite offusquée qu’ " on "  (sous entendez l’abominable Ministre du Travail) allait de nouveau noyer les entreprises, surtout les PME, sous de nouvelles obligations ; alors que les entreprises, notamment les PME, seraient par essence de nature sociales : " Neben " Wohlbefinden am Arbeitsplatz " wird auf europäischem und nationalem Plan seit kurzer Zeit laut über " Sozialverantwortung " der Betriebe nachgedacht. In Bezug auf diesen Punkt stellt sich das Handwerk die Frage, ob die Politik ernsthaft annimmt, dass sich die Betriebe nicht sozial verantwortlich benehmen. Wenn dem so ist, wozu dann der ganze Aufwand um Sozialpartnerschaft, Chancengleichheit, Beschäftigungspläne und dergleichen mehr ? "

La RSE est donc une idée fétiche des syndicats, me direz-vous (puisque certains supposent le Ministre du Travail être à la solde des syndicats). Que nenni ! Non seulement le Ministre est aussi peu à la solde des syndicats que ces derniers sont son fan club personnel. Je sais de quoi je parle. Mais en plus, les syndicats sont des plus réticents à s’emballer pour la nouvelle notion.

Dans sa Résolution des 10 et 11 octobre 2001, le Comite Exécutif de la Confédération Européenne  des Syndicats note " Le developpement soudainement accéléré de ce thème ne survient pas par hasard. Le débat sur le modèle social européen a été gagné, au moins dans son affirmation, puisque tous les Conseils des Chefs d’Etat et de Gouvernement depuis Lisbonne y font référence. Certains milieux ultra libéraux qui pensent avoir perdu cette bataille ne renoncent pas pour autant à la mise en cause du contenu de ce modèle.

La tendance correspond au retrait de la responsabilité publique par la promotion de la coordination ouverte, de la " soft law ", du benchmarking au détriment de la régulation, Pas étonnant des lors que l’inspiration américaine soit venue au secours de la tendance libérale du patronat et des politiques. "

Pour reprendre la formule précitée de Nicole Notat il faudra donc d’abord clarifier la substance de la notion (I) avant d’en crédibiliser le contenu en esquissant certains elements nécessaires mais pas encore suffisants pour un modèle luxembourgeois viable (II).

I – Clarifier la substance de la RSE :

Aller d’un fourre-tout socio économique vers un modèle d’amélioration de la productivité

Mesdames, Messieurs.

N’est-il pas surprenant – et rassurant – que tant aux Etats-Unis qu’en Europe le sujet de la " responsabilité sociale des entreprises " soit de plus en plus au centre des débats, même si le concept anglo-saxon de la responsabilité sociale des entreprises ne soit pas nécessairement le même que le concept continental européen et surtout qu’il ne soit pas dénué d’arrière-pensées. N’empêche que l’on peut désormais parler de la fin de la théorie de la " main invisible " (1). A condition de faire un peu de lumière sur le concept de la RSE (2), celle-ci est susceptible d’améliorer la productivité des entreprises (3).

Nous pouvons désormais parler de la fin de la théorie de la " main invisible ".

1) La fin de la théorie de la " main invisible "

Certes, il y a 30 ans Milton Friedman, futur prix Nobel d’économie et chantre du monétarisme, affirmait sans ambages " L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits " . Aujourd’hui cependant le sujet fait son petit bonhomme de chemin et les entreprises ne peuvent plus s’y dérober.

En fait, l’histoire de la RSE au niveau européen remonte jusqu’en 1994 à la " Déclaration européenne des entreprises contre l’exclusion " adoptée sur l’initiative de Jacques DELORS, Président de la Commission européenne et de 20 dirigeants d’entreprises. Dès octobre 1996 fut créé le réseau européen d’entreprises destiné à promouvoir la responsabilité sociale, qui est devenu par la suite CSR Europe. C’est l’agenda de la politique sociale européenne, adopté à Nice en décembre 2002 qui prévoya de lancer la discussion sur la RSE.

Ainsi, en juillet 2001, la Commission de l’UE a présenté le Livre Vert " Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises. Suite à la large consultation publique qui s’en suivit, la Commission a publié le 8 juillet 2002 sa " Communication concernant la responsabilité sociale des entreprises : Une contribution des entreprises au développement durable. "

Le concept de la RSE est défini par la Commission européenne comme " l’intégration volontaire par les entreprises des préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. " 

Je le traduirai en " langage branché " comme suit : ce n’est pas le seul " shareholder " qui compte, mais tous les " stake-holders ".

Adam Smith disait " Tout individu s’efforce d’employer son capital en sorte que la valeur de ses produits soit maximalisée. En règle générale, il ne se propose pas de promouvoir l’intérêt général et il ignore d’ailleurs dans quelle mesure il y parvient. Il ne se préoccupe que de sa sécurité propre, que de son gain propre. Et, ce faisant, il est conduit par une main invisible à atteindre un objectif qu’il n’avait aucunement visé. En poursuivant son intérêt particulier, il sert souvent l’intérêt social plus efficacement que dans les cas où il a réellement l’intention de le promouvoir. "

Or, le concept de la RSE rompt avec l’approche libérale classique. En fait de plus en plus d’entreprises sont aujourd’hui conscientes qu’à terme le succès commercial et les bénéfices pour les actionnaires ne découlent pas uniquement d’une maximisation des profits à court terme, mais exigent au contraire un comportement qui, pour être axé sur le marché, n’en est pas moins responsable. Elles comprennent qu’elles peuvent contribuer au développement durable en gérant leurs opérations en vue, d’une part, de renforcer la croissance économique et d’accroître leur compétitivité et, d’autre part, de garantir la protection de l’environnement et promouvoir leur responsabilité sociale, y compris les intérêts des consommateurs. C’est une question de culture d’entreprise avant tout. Soulignons cependant que même si le concept de la RSE n’a fait que récemment son entrée dans la politique communautaire, il y a de tout temps eu des entreprises qui étaient prêtes à assumer leur responsabilité sociale.

La Commission de l’UE relève qu’en dépit de la variété des approches de la RSE, il existe un large consensus sur ses principales caractéristiques :

 "- les entreprises adoptent un comportement socialement responsable en allant au-delà des prescriptions légales et elles s’engagent dans cette démarche volontaire parce qu’elles jugent qu’il y va de leur intérêt à long terme ;

- la RSE est intrinsèquement liée au concept de développement durable;  les entreprises doivent intégrer les retombées économiques, sociales et environnementales dans leur gestion ;

- la RSE n’est pas une option à " rajouter " aux activités centrales de l’entreprise – elle a trait à la gestion même de l’entreprise. "

Mesdames, Messieurs,

N’empêche qu’il y aura encore lieu de faire un peu de lumière sur le concept. En éclaircissons donc les zones d’ombre.

2) Eclaircissons les zones d’ombre

Non seulement que les enjeux politiques à l’égard de la RSE divergent. En plus la notion est plus que floue, ce qui contribue à engendrer le dialogue de sourds qu’on connaît.

En effet la RSE a à la fois un contenu interne et un contenu externe. Elle a une dimension nationale et une dimension internationale. Enfin elle a un enjeu financier, économique et finalement social et éthique.

a) Commençons par les dimension interne et externe. Au sein de l’entreprise, les pratiques, socialement responsables touchent premièrement les salaries et concernent par exemple l’investissement dans le capital humain, la santé et la sécurité, ainsi que la gestion du changement. Les pratiques écologiques responsables ont surtout trait à la gestion des ressources naturelles utilisées dans la production. C’est la dimension interne de la RSE. Reprenons ces éléments.

· Aujourd’hui l’un des défis majeurs des entreprises est d’attirer et de garder les travailleurs qualifies. La RSE contribue ainsi à une meilleure gestion des ressources humaines, facteur productif par essence.

· Intégrer la santé et la sécurité dans la RSE est également un facteur naturel d’accroissement de la productivité. J’y reviendrai tout a l’heure.

· Les restructurations à grande échelle observées en Europe suscitent des inquiétudes chez l’ensemble des salariés et autres parties prenantes. Car la fermeture d’une entreprise ou des suppressions massives d’emplois peuvent provoquer une crise économique, sociale ou politique grave dans une communauté. Concrètement, dans une restructuration, la forme est souvent aussi importante que le fond. Malheureusement certaines entreprises croient déjà avoir suffi à la RSE  en l’appliquant au seul volet de l’adaptation au changement.

· Généralement, une réduction de la consommation des ressources ou des émissions polluantes et déchets peut entraîner une diminution des répercussions néfastes sur l’environnement. Une telle démarche peut aussi profiter à l’entreprise en réduisant sa facture d’énergie et ses frais d’élimination des déchets et en abaissant ses dépenses de matières premières et de dépollution. C’est à nouveau un facteur de rentabilité et de compétitivité.

Venons en maintenant brièvement à la dimension externe qui concerne les communautés locales, les partenaires commerciaux et autres, mais encore les droits de l’homme et les préoccupations environnementales à l’échelle planétaire.

· La RSE a ainsi trait à l’intégration des entreprises dans leur milieu social, que ce soit au niveau européen ou international. Les entreprises apportent leur contribution à la communauté locale notamment, en fournissant des emplois, des salaires et prestations et recettes fiscales. Inversement, elles dépendent de la bonne santé, de la stabilité et de la prospérité des communautés qui les accueillent. Ceci concerne le recrutement mais encore la clientèle.

· En travaillant en étroite collaboration avec leurs partenaires commerciaux, les entreprises peuvent réduire la complexité et le coût de leurs opérations tout en en augmentant la qualité.

· L’une des dimensions de la RSE est fortement liée aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne leurs activités internationales et leurs chaînes de production à l’échelle de la planète. Cet aspect est reconnu dans des instruments internationaux tels que la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.

· Etant donné qu’un grand nombre de leurs problèmes écologiques ont des répercussions transfrontalières et qu’elles consomment des ressources venant du monde entier, les entreprises sont aussi des acteurs de l’environnement a l’échelon planétaire.

Sur base de ces définitions, il nous est assez facile de distinguer la dimension nationale de la RSE de sa dimension internationale. Celle-ci concerne avant tout les multinationales. C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’enjeu de la clause " sociale " reprise par la législation belge par exemple.

b) Enfin j’aimerai distinguer l’enjeu financier, social ou éthique et finalement économique.

L’enjeu financier concerne avant tout les entreprises cotées en bourse. En effet par le biais de fonds dits " socialement responsables " ou de " développement durable ", de plus en plus d’investisseurs entendent conjuguer rentabilité et responsabilité. Leur nombre et leurs critères de sélection se multiplient. On dénombrait 4 fonds de ce type en Europe au début des années 80 et plus de 280 en 2002.

La RSE a un enjeu économique : ce sont les gains de productivité et de compétitivité. Elle doit être comprise comme un investissement et non un coût. J’y reviendrai.

Pourtant, au-delà de des enjeux économiques et financiers qui profitent surtout à l’entreprise en cause avant de profiter à la communauté, n’oublions pas l’enjeu social et éthique, qui profite à la communauté mais par ricochet également a l’entreprise. Je profite de l’occasion pour souligner que tout ce qu’on peut appeler RSE n’est pas nécessairement social ou éthique. Toute philanthropie ou mécenariat n’est pas nécessairement témoin de RSE. Et pour certaines entreprises la RSE se résume à la protection de la réputation de l’entreprise. Ceci dit, la RSE ne doit pas être désintéressée bien au contraire.

Mesdames, Messieurs,

Revenons donc à l’enjeu de productivité, puisque c’est celui-ci qui doit me faire convaincre le milieu économique de ne pas rejeter le débat sur la RSE, mais de s’y engager à fond.

3) Deux bonnes raisons de productivité pour les entreprises d’adopter la théorie de la RSE

Pour les entreprises il y a deux bonnes raisons de se rallier à la théorie de la responsabilité sociale des entreprises :

- d’abord la prise en compte de la responsabilité sociale dans le cadre de la stratégie d’entreprise en augmente la productivité et donc la rentabilité ; nous le démontrerons à l’image des accidents de travail ;

- ensuite, une entreprise socialement rentable peut améliorer son image de marque, ce qui peut augmenter sa résonance auprès des clients respectivement améliorer ses chances de recruter voire de fidéliser du personnel qualifié et motivé.

a) Revenons aux accidents de travail. Dans le " bench-marking " européen des accidents graves de plus de trois jours en 1998, le Luxembourg a occupé seulement le 10e rang avec un ratio de 4,719 accidents sur 100 salariés. Pendant cette même année, nous avons connu en tout 11,8 accidents déclarés par rapport à 100 salariés-unité. Ce ratio a augmenté en 1999 à 12,6 et en 2000 à 12,7. Certes, le score luxembourgeois est hypothéqué par la réglementation assez généreuse à l’égard de la prise en compte des accidents de trajet, mais il n’empêche que le nombre d’accidents est trop élevé. D’ailleurs si le nombre d’accidents est avec 31/100 salariés le plus élevé pour les travaux de toiture, la place d’honneur revient avec 28/100 aux travailleurs intérimaires en général. Un bel exemple que la précarité des relations de travail fait augmenter les accidents, partant l’absentéisme et fait finalement décroître la productivité !

Faisons un petit calcul: En 2000, nous avons connu 27.092 accidents du travail, soit 100 accidents du travail par jour (dont d’ailleurs 21 accidents de trajet) respectivement 1 accident mortel tous les 9 jours. On peut estimer qu’il en est résulté 300.000 journées de travail perdues, soit 1.150 hommes-années. On peut encore estimer qu’en moyenne le coût d’un accident est de 25.000 € pour l’employeur et d’environ 2.900 € de frais par salarié par année ce qui engendre 580 millions d’€ de frais pour les employeurs, soit 2,5% du PIB. Quelle aubaine si on pouvait aujourd’hui augmenter notre PIB d’un coup de 2,5% simplement en supprimant les accidents du travail !

Voilà pourquoi j’ai pris, en ma qualité de ministre du Travail, et en étroite collaboration avec l’ITM la décision de proposer au Conseil de Gouvernement d’inclure l’indice des accidents de travail dans les indices de développement durable sur base desquels le Luxembourg est à juger. Et nous avons convoqué les partenaires sociaux pour finaliser avec eux un objectif quantifié et chiffré de réduction des accidents de travail d’ici 2006, p.ex. de 10%. Cet objectif ne pourra être réalisé que si nous nous en donnons les moyens. Ainsi, il ne suffira pas seulement de respecter les loi – c’en est une condition certes nécessaire, mais non suffisante – mais il faut insuffler vie aux lois. C’est une question de culture d’entreprise. C’est une question de bien-être au travail. C’est enfin une question de partenariat social.

b) Nous l’avons dit : une entreprise socialement responsable peut en profiter pour améliorer son image de marque.

Tout d’abord, une entreprise socialement non responsable risque de voir son image ternie par ses agissements. Le magazine " Liaisons sociales " dans son numéro de septembre 2002 rapporte deux exemples parlants : " Nike a ainsi perdu des parts de marché à la suite de la dénonciation par Amnesty International de l’exploitation d’enfants en Chine pour fabriquer ses chaussures. Idem pour Shell, pourtant en pointe sur le développement durable, qui a subi aux Pays-Bas un violent boycott après que le groupe a décidé de couler une de ses plates-formes en mer. "

Si on retournait ce débat dans un sens positiviste, on pourrait s’imaginer de décerner aux entreprises socialement responsables un " label ", si possible de niveau sinon international, du moins européen. Ce label leur permettrait de gagner la confiance des clients et des collaborateurs potentiels. Nous aborderons cette question également au Luxembourg, tout en espérant pouvoir nous placer dans des cadres européens voire internationaux.

En effet, la RSE a une dimension mondiale et la Commission européenne en est bien consciente : " En respectant les normes internationales les entreprises multinationales peuvent contribuer à assurer un fonctionnement des marchés mondiaux plus propice au développement durable et il est dès lors important de fonder la promotion de la RSE sur les normes et accords internationaux. " 

 

II - Crédibiliser le contenu de la RSE

Esquisse de certains éléments nécessaires mais pas encore suffisants pour un modèle luxembourgeois viable

Mesdames, Messieurs,

Après avoir tenté de clarifier la substance de la RSE , je m`attacherai à en crédibiliser le contenu en esquissant certains éléments nécessaires mais pas encore suffisants pour mettre en œuvre un modèle luxembourgeois viable.

Je le dis dès l’ingrès, il ne m’appartient pas de vous brosser un modèle d’ensemble. En effet vous aurez compris qu’un modèle d’ensemble sera un modèle holistique qui embrassera l’ensemble des aspects de la RSE. Compris de la sorte, la RSE doit faire partie de la politique gouvernementale du développement durable. D’ailleurs, je le répète,  c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a inclus, sur demande du Ministre du Travail et de l’Emploi, un chapitre sur les accidents de travail dans les indicateurs retenus pour mesurer le développement durable au Luxembourg.

Je me bornerai donc à esquisser quelques éléments concernant plutôt la dimension interne et nationale de la RSE.

En date du 14 mars 2002 j’avais  communiqué aux partenaires sociaux au Luxembourg le Livre Vert présenté par la Commission pour qu’ils puissent le cas échéant éclaircir nos idées. En date du 25 avril le Secrétariat Européen Commun de la CGT-L et du LCGB me continua la résolution déjà précitée de la CES à laquelle ces syndicats disaient se rallier, alors que la Aleba, Coep et UEP m’adressèrent le 2 mai une contribution propre. J’ai lu dans l’ " Echo de l’Industrie ", organe de la FEDIL, dans le numéro juillet-août 2002 une contribution de la FEDIL, s’inspirant largement de l’avis de l’UNICE, l’Union des Confédérations de l’Industrie et des Employeurs d’Europe. Mais à ce jour j’attends toujours la prise de position de l’UEL, qui m’a cependant été annoncée pour bientôt.

Tout en me réjouissant de toute contribution de la part des partenaires sociaux, puisque je crois que la RSE devrait se réaliser le mieux dans le cadre du dialogue social, je vous livrerai néanmoins certaines de mes réflexions.

On peut définir la RSE comme une stratégie basée sur la triple performance se traduisant par des

1) engagements volontaires au-delà des exigences réglementaires afin de

2) réconcilier les attentes des parties prenantes dans le cadre d’un

3) processus de dialogue.

Mesdames, Messieurs,

Considérons d’abord qu’il doit s’agir d’engagements volontaires allant au-delà des exigences réglementaires.

1) Des engagements volontaires au-delà des exigences réglementaires

C’est sur ce premier point que les opinions divergent le plus entre les partenaires sociaux.

Je cite la CES qui met en garde devant certains éléments de confusion et d’illusion produit par le Livre Vert, dont le suivant: " L’illusion que la méthode " volontaire " et " exemplaire " de quelques entreprises plus ou moins vertueuses sera suffisante pour faire progresser la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, y compris dans les pays en voie de développement. "

L’UNICE quant à elle dit : " La RSE est menée par l’entreprise et doit le demeurer. L’UNICE s’oppose donc fermement à toute tentative de créer une approche européenne ou un cadre européen de la RSE, idée qu’elle considère inadéquate et injustifiée. Une approche normative ou réglementaire, et même l’établissement d’un cadre, pourraient compromettre l’engagement des entreprises en matière de RSE, alors qu’une approche volontaire ancrera fermement et durablement les bonnes pratiques dans une entreprise. La RSE doit trouver sa source au sein de l’entreprise ; ce n’est pas une discipline qui peut être imposée. "

Y a-t-il une voie pour sortir de ce dilemme ? Je crois que oui. Tout d’abord je définirai deux axiomes à importance égale :

1) La RSE ne saura remplacer le cadre normatif européen et national.

2) La RSE ne saura se contenter de respecter ce cadre normatif, mais devra le dépasser.

Le respect de la loi sera la condition nécessaire, mais nettement pas suffisante pour permettre l’éclosion de la RSE

Bien entendu, tout dépend du niveau législatif. Au Danemark par exemple, le niveau législatif proprement dit est faible. Voilà pourquoi la RSE joue un rôle primordial. Le Luxembourg connaît une autre situation. Du moment que nous ne voulons pas fixer des règles uniformes au contenu de la RSE – ce qui me semble logique –, la RSE devra forcément revêtir un contenu fort différent dans les différents pays.

Mais se posera toujours la question de savoir si on doit fixer un cadre réglementaire européen ou national, non pas donc au contenu, mais à l’exercice de la RSE.

Définissons alors la finalité d’une réglementation de la RSE. Il ne saura s’agir de définir dans le détail les moyens par lesquels une entreprise pourra démontrer sa RSE. L’entreprise doit rester autonome et souveraine dans la mise en œuvre de ces moyens. Sinon, il s’agirait d’une ingérence étatique douteuse et contre-productive dans l’initiative de l’employeur.

En revanche, je crois qu’il y aura lieu de dresser un cadre pour mesurer si les objectifs de la RSE sont atteints. Bien entendu la participation à un tel cadre sera volontaire et ne saurait être imposée. Mais j’ai bien peur qu’à défaut d’un tel cadre souple et respectueux du caractère volontaire de la RSE, celle-ci restera encore longtemps au stade d’ " idée expérimentale sans définition achevée " selon l’expression de Nicole NOTAT.

Mesdames, Messieurs,

Dans un tel cadre, il devrait être possible de réconcilier les attentes des parties prenantes.

2) Réconcilier les attentes des parties prenantes

J’ai dit que je me bornerai, en tant que Ministre du Travail et de l’Emploi, à la dimension interne et surtout nationale de la RSE.

Ainsi, je pourrai sans trop de problèmes définir l’objectif que j’attacherai à la RSE à ce stade, à savoir l’atteinte du bien-être au travail.

Les éléments constitutifs de la RSE seront

- certainement la santé et la sécurité (baisse substantielle des accidents de travail), mais encore

- l’égalité des chances,

- le climat de travail et notamment la prévention de conflits et de discriminations (mobbing, harcèlement sexuel, stress, etc),

- la formation continue,

- et bien d’autres éléments encore touchant à la qualité de l’emploi.

Quels sont les moyens progressifs que je pourrai m’imaginer pour atteindre par étapes ces objectifs :

a) les échanges d’informations et de discussions,

b) les best practices,

c) l’audit social,

d) la labellisation,

 

a) les échanges d’informations et de discussions,

Au stade actuel de la discussion sur la RSE, il y a lieu tout d’abord de favoriser l’échange d’informations et de discussions pour arriver à la définition d’un cadre national à la RSE.

Ainsi, étant donné que le Ministre du Travail, dans d’autres fonctions, est responsable de la coordination du plan eLuxembourg, je pourrais considérer la création d’un site sur la RSE au Luxembourg en incluant les parties prenantes (Gouvernement, ONG, UEL, syndicats, chambres professionnelles, etc). On pourrait ainsi rassembler par un outil performant toutes les initiatives à ce sujet au Luxembourg (avec des liens vers les sites étrangers) et créer une plate-forme de discussion par un forum interactif.

b) les best practices

Il ne faut pas oublier qu’il existe déjà aujourd’hui des best practices au Luxembourg. Je ne citerai que

- les Semaines nationales et européennes de la santé et de la sécurité au travail organisées par la Chambre de Commerce, l’Euro Info Centre, la Chambre des Métiers et l’ITM avec le soutien de la Commission européenne, qui ont toujours vu primer certaines entreprises particulièrement performantes,

- la récente étude " Great Place to Work Luxembourg 2003 "

- le prix Femina décerné annuellement par le Ministère de la Promotion Féminine,

- et bien d’autres encore.

On pourra certainement aller plus loin. Force est cependant de constater qu’il n’y a pas encore de base commune pour définir les bonnes pratiques au niveau européen en raison des législations nationales divergentes.

c) l’audit social

L’audit social applique au champ social les démarches et les méthodes générales de l’audit. L’apparition de normes internationales sociales et éthiques fait de l’audit social une discipline et une démarche de plus en plus sollicitées. L’auditeur social a pour but de vérifier la conformité des pratiques de la gestion des ressources humaines aux politiques et règles en vigueur et d’apprécier la cohérence et l’efficacité des procédures et outils mis en place ainsi que le fonctionnement des hommes au travail.

Je ne devrai pas me répandre trop longtemps sur cet aspect du cadre de la RSE, alors que justement la Chambre des Employés Privés travaille sur ce sujet et je me contenterai de l’en féliciter. Il va de soi que j’entends accompagner tant que faire se peut les initiatives de la Chambre avec notamment l’Institut International de l’Audit Social (IAS) .

d) la labellisation

Voilà cependant un sujet qui risque de devenir rapidement pierre d’achoppement, ceci notamment parce que trop de notions divergentes peuvent s’y cacher derrière.

Ainsi je ne parlerai pas du label social belge, discutable du point de vue conformité au droit communautaire qui concerne les produits et non les entreprises, Je m’attacherai quant à moi à ces dernières.

Je pourrai m’imaginer la création d’un " indice social ", solution qui pourrait être adaptée à la situation spécifique de notre marché de travail et serait aisément communicable à un large public, selon les dires de Mme Françoise Lavabre-Bertrand  : " On pourrait ainsi favoriser le développement d’une compétition saine entre les employeurs sur leur image et la qualité de gestion de leurs ressources humaines. Les entreprises et les DRH sont généralement friands d’instruments de mesure de leur capital social. "

Un tel indice existe au Danemark. Exprimé sous la forme d’un chiffre de 0 à 100, cet indice indique aisément aux salariés et aux parties prenantes externes d’une entreprise quel est le niveau de responsabilité sociale de celle-ci.

Dans une étape subséquente, on pourrait penser à attacher certains avantages à un tel indice social :

- par exemple, le décernement annuel d’un prix de la responsabilité sociale, en distinguant cependant selon la taille des entreprises,

- la prise en compte de cet indice dans le cadre de clauses sociales inscrites dans les marchés publics ; mais un tel exercice pourrait présupposer une labellisation harmonisée en Europe ;

- l’octroi de certains avantages légaux et financiers sous bénéfice d’un niveau certain de RSE.

Je vous dis cependant très franchement que cette dernière étape me semble actuellement utopique, faute de véritable engouement des entreprises luxembourgeois dans la discussion de la RSE et faute d’une harmonisation des labels européens. Je serai déjà content si, par le biais de l’échange d’informations et de discussions, de définition de best practices et de l’introduction d’un indice social à caractère bien entendu purement volontaire, la notion de RSE puisse s’implanter au Luxembourg où visiblement elle n’existe pas.

Un récent rapport de la Commission  recensant les différentes actions en matière de RSE  ne sait énumérer pour le Luxembourg que le seul Prix Fémina du Ministère de la Promotion Féminine !

Mais attention ! Si la notion est méconnue, cela ne veut pas dire que les entreprises au Luxembourg ne seraient pas socialement responsables, bien au contraire. Voilà pourquoi que je reste d’avis que notre pays n’aurait rien à perdre avec une labellisation. La plupart des entreprises en gagneraient en termes d’image de marque.

Mesdames, Messieurs,

Si nous voulons réconcilier les attentes des parties prenantes, il nous faut avant tout un processus de dialogue.

3) processus de dialogue.

Une des pierres d’achoppement actuelles dans les discussions sur la RSE est la question de savoir s’il s’agit d’un concept top down ou bottom up. Je me prononce sans aucune restriction pour la deuxième solution. C’est le dialogue social qui doit définir la RSE

- au niveau de l’entreprise,

- au niveau national,

- au niveau européen.

Si la RSE naît du dialogue social, la question de savoir si un cadre national ou européen sera respectueux du caractère volontaire de la RSE deviendra finalement un faux débat.

En ce qui concerne le Luxembourg, je pourrai absolument m’imaginer – et je le souhaite ardemment – que suite à la création d’une base légale pour les accords interprofessionnels, tel que le prévoit le projet de loi sur les relations collectives du travail, les partenaires sociaux Luxembourgeois concluent un tel accord concernant la mise en œuvre de la notion de la RSE.

Vous me permettrez de vous faire part de mes convictions sur le dialogue et le partenariat social, que d’aucuns croient devoir mettre en cause, tant au Luxembourg que surtout en Europe.

Jusque dans les années 1970, avant la crise sidérurgique et la révolution des services tertiaires, il était facile au législateur de fixer dans le détail les conditions de travail obligatoires. Il n’y avait grosso modo que deux régimes, celui de l’ouvrier, à savoir le travail industriel et le régime des employés privés, à savoir le travail classique au bureau. Aujourd’hui ce monde du travail n’existe plus, il s’est atomisé, les régimes de travail les plus divers se côtoient et il sera de plus en plus difficile au législateur de régler les relations du travail, sauf à en fixer les conditions les plus minimales. Voilà pourquoi d’aucuns proclament la fin du travail et surtout la fin du droit du travail. Tout serait à régler – au maximum - au niveau de l’entreprise. Je ne saurai souscrire à cette théorie qui aura comme résultat de figer la notion de travail à une notion purement économique. Or la notion de travail est d’abord une notion humaine.

Nous ne devons donc pas abandonner les cadres législatifs, mais, selon les aspects nationaux divergents, on n’échappera, nulle part, à l’obligation de les flexibiliser.

Je vous brosserai  l’image des cadres de tableaux superposés. Le cadre le plus large sera le cadre de l’ordre social mondial ; à l’intérieur de ce dernier se retrouvera le cadre du droit communautaire, qui, lui, fera de la place au cadre national. Mais ces trois cadres législatifs devront se doubler de cadres à fixer par les partenaires sociaux à ces trois niveaux.

Ce seront bien entendu les cadres législatifs qui définiront les limites des cadres de dialogue social. Mais contrairement à ce qui fut longtemps l’approche du droit du travail, les accords entre partenaires sociaux n’auront pas comme unique but d’améliorer dans le sens du travailleur chaque disposition législative prise individuellement, mais devront pouvoir réguler entièrement des pans, certes délimités par la loi. Le droit du travail sera moins souvent impératif et d’ordre public qu’aujourd’hui et plus souvent supplétif.

Je sais bien sûr quel danger sous-jacent de dumping social se cache dans cette approche.

Voilà pourquoi elle ne peut être réalisée que sous deux conditions cumulatives :

1) Le dialogue social ne saura remplacer le cadre législatif. En l’absence d’accord – satisfaisant - entre partenaires sociaux, le législateur doit prendre sa responsabilité.

2) Si les normes doivent résulter du dialogue, cela signifie que la négociation prendra le dessus ; or toute négociation véritable ne saura se faire qu’entre partenaires égaux et forts. Vous comprendrez ainsi ma lutte pour préserver des syndicats forts et si possible universels et mon attachement à la notion de représentativité nationale. L’émiettement du paysage syndical mettrait en échec l’approche que je viens de vous dessiner. Et vous aurez compris que je réfuterai toute négociation confinée à l’unique enceinte de l’entreprise.

Le dialogue social est ainsi également un élément de compétitivité, à l’instar de la RSE prise dans son ensemble.

 

Mesdames, Messieurs,

Le sujet de mon intervention portait sur la question de savoir si la RSE était un phénomène de mode ou une nécessité économique. Ma réponse est claire. La RSE est une nécessité économique. C’est un investissement économique et non un coût.

Mais elle n’est pas seulement une nécessité économique. Elle est encore une évidence humaine, sociale et éthique. L’homme n’est pas seulement un " homo economicus ". L’homme, dans toutes les civilisations que le monde a connu  à ce jour, avait des valeurs, des éthiques.

Un monde économique sans valeurs, sans éthique courrait à sa propre perte. Et d’autres que moi vous le disent. Voilà pourquoi en guise de conclusion, et à titre de témoin, je vous citerai ce que M. Klaus SCHWAB, Président fondateur du Forum de Davos a déclaré le 23 janvier 2003 au " Monde " " Il faut désormais revenir aux valeurs fondamentales…Les chefs d’entreprises doivent maintenant comprendre que nous entrons dans une période de modestie et que l’humilité devient une valeur en hausse. "

Pourquoi donc ne pas commencer par susciter l’intérêt des entreprises via l’implémentation concrète de leur responsabilité sociale ? Cette action volontaire permettrait, dans le meilleur des cas, à éviter ou atténuer des mesures normatives apparemment si redoutées par le monde économique.

Je vous remercie de votre attention.

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