La ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Erna Hennicot-Schoepges lors de la conférence ministérielle de la Francophonie sur la société de l´information

Monsieur le Président,

A l’instar des orateurs qui m’ont précédée, je voudrais tout d’abord remercier le pays hôte de son accueil  chaleureux et de son hospitalité généreuse.

Vous me permettrez sans doute en tant que ministre de la Culture d’exprimer mon admiration devant l’histoire glorieuse du Maroc, sa culture nourrie d’influences multiples, phénicienne, carthaginoise, berbère, chrétienne et islamique, son art raffiné, sa riche littérature arabe et francophone, cette dernière étant illustrée aujourd’hui par des écrivains de renommée internationale, comme Driss Chraïbi et Tahar Ben Jelloun, lequel était récemment en visite au Luxembourg pour une brillante conférence.

Point de rencontre des mondes oriental, africain et européen, le Maroc a toujours échappé à son "insularité" géographique par toutes sortes d’échanges commerciaux et culturels. Il était donc pour ainsi dire prédestiné pour accueillir aujourd’hui, dans ce cadre prestigieux, la conférence ministérielle de la Francophonie préparatoire au Sommet mondial sur la société de l’information.

Les interrogations concernant ce qu’on appelle, par un terme peut-être un peu fallacieux, la "société de l’information" sont multiples et soulèvent de nombreux défis, qui font l’objet du projet de résolution finalisé hier par une réunion d’experts.

Le premier défi étant l’égalité de l’accès à l’information entre les pays développés et les pays en voie de développement. Car le partage équitable de l’information et du savoir constitue la condition sine qua non pour réduire la faim et la pauvreté, prévenir la maladie et la malnutrition, préparer et consolider la démocratie, protéger l’environnement et promouvoir le développement durable.

Mais il s’agit également de réduire la fracture numérique au sein des sociétés développées. En se méfiant toutefois de quelques équations simplistes, voire trompeuses:

L’information n’est pas encore le savoir, mais elle y mène.

Le savoir n’équivaut pas encore à la connaissance, qui en est pour ainsi dire la synthèse: le savoir maîtrisé, intégré dans une vision d’ensemble, scientifique ou philosophique, et qui a pour horizon le bien-être de l’homme, lié à l’avenir notre planète.

L’information n’est donc pas un but en soi, tout comme l’outil informatique d’ailleurs, mais un simple moyen. D’ailleurs, trop d’information tue l’information. Face au déferlement quotidien d’informations dans les médias, ce qui nous manque le plus aujourd’hui, c’est la capacité de les analyser, de discerner leur importance souvent très relative, de déjouer leur pouvoir de manipulation. Tout autant que d’informaticiens, il nous faudra des philosophes pour nous donner des repères, pour construire des Phares dans la future Société de l’information. Il nous faudra peut-être un nouveau Kant pour écrire une "Critique de la raison informatique".

Le futur Sommet mondial de la société de l’information ne pourra donc pas se réduire à un débat d’experts, même si cette expertise reste évidemment incontournable. Il devra ouvrir un large débat de société autour de quelques axes de réflexion fondamentales: l’éducation et le rôle de l’université au XXIe siècle; la relation entre la science et les pouvoirs politiques; les problèmes éthiques concernant les NTI, comme la cybercriminalité, le respect des libertés fondamentales, la protection des données personnelles et de la vie privée…

L’Organisation internationale de la Francophonie me semble une plate forme privilégiée pour aborder tous ces problèmes et apporter sa vision politique, économique et culturelle dans les grands débats de Genève et de Tunis. Pour cela il faudra que l’OIF soit encore plus présente et active dans le cybermonde, sans renier sa propre identité.

A cet effet, elle devra d’abord éviter, au sein de sa propre communauté, la fracture entre les info-riches et les info-pauvres, grâce, notamment au plan d’action qui s’appuie sur le Fonds francophone des inforoutes.

Elle devra ensuite continuer courageusement son combat contre l’uniformisation linguistique et culturelle, en exploitant à fond les possibilités de l’Internet. Elle devra user de tout son poids, qui est considérable, pour imposer dans les débats au Sommet la diversité culturelle et linguistique comme un des principes fondateurs de la société de l’information. Ou plutôt la société du savoir qui (comme l’a dit si bien relevé Abdoul Waheed Khan, sous-directeur général de l’UNESCO pour la communication et l’information, dans une interview récente à Planète Science) "comporte une dimension de transformation sociale, culturelle, économique, politique et institutionnelle, ainsi qu’une perspective de développement plus diversifiée".

Amorcer le grand virage de la société de l’information vers la société du savoir, tel pourrait bien être, en effet, l’une des contributions majeures de la Francophonie à Genève et à Tunis.

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