La ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Erna Hennicot-Schoepges à la conférence ASEM sur les cultures et les civilisations

Monsieur le Président,

(1) En ce début du 21e siècle, le sujet de notre conférence ASEM devrait nous mener à des conclusions importantes pour l'avenir de notre monde qui ne sait pas trop bien où il va!

Le 21e siècle devra, selon une phrase d'André Malraux, Ministre de la Culture de la République française, «réintégrer les dieux». Il dit en 1955: «Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux.»

Le 21e siècle que nous avions appelé de tous nos voeux pour être une ère de paix et de bien-être pour tous est loin de répondre à cette espérance: les trois dernières années nous ont prouvé que beaucoup reste à faire si nous voulons éviter cette rupture entre les civilisations décrite par le professeur américain Huntington.

Ce siècle devrait être celui où il n'y aurait plus, ni colonisateurs, ni colonisés, ni oppresseurs, ni opprimés. A repenser son histoire, l'Europe a engendré bien des conflits, étouffé bien des cultures, en Amérique, en Afrique, en Asie avec la conviction que sa culture était la seule valable, la seule capable de faire progresser les peuples.

(2) Imposer de force ses propres valeurs à autrui – sans se demander quelles pourraient être les valeurs communes qu'on pourrait partager et avec lesquelles chacun pourrait croître de son côté, c'est étouffer la vraie richesse des civilisations. La Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948 parle, timidement, des droits culturels; celle de 1993 emploie déjà les termes de pluralisme, de tolérance mais aussi de diversité. Nous savons que la notion de diversité culturelle – qui remplace avec bonheur l'ancienne «exception culturelle» a pris toute son importance dans el cadre des négociations sur les services au sein de l'OMC.

La crainte de voir traitée comme simple marchandise ce qui est la plus noble expression de chaque peuple, de chaque individu, - la culture – a donné un sursaut à nos politiques culturelles. Le Conseil des Ministres de l'Union européenne a clairement ancré le principe du respect de la diversité culturelle dans le mandat qu'il a confié à la Commission européenne pour el nouveau cycle de négociations. l'UNESCO aussi, en fait son thème, son cheval de bataille lors de la dernière Conférence générale de Paris.

(3) Quelles sont donc ces valeurs communes qui peuvent assurer la cohésion de nos sociétés? Je citerai D. Bell, sociologue et journaliste américain, qui écrit que dans nos sociétés modernes, l'anxiété a pris la place de la culpabilité, la psychologie a remplacé la religion.

Et pourtant on parle sans cesse de valeurs, sans y reconnaître une universalité, une obligation morale qui serait reconnue par tout un chacun. Ces valeurs peuvent-elles être multiples, plurielles voire diamétralement opposées... acceptées par les uns et refusées par les autres?

Le 20e siècle a été témoin de toute la cruauté dont l'homme est capable s'il perd les repères de ce qui fait de lui un être exceptionnel: à savoir, son intelligence, sa sensibilité, sa capacité créative.

(4) Suite à ces guerres meurtrières, il faut se rallier aux droits fondamentaux de l'être humain, au respect de sa personne qui dépasse la simple tolérance, au respect de sa race, de ses croyances et de sa religion. Ce ralliement tracera aussi le cadre qui garantira la diversité culturelle. L'Europe des 15 est sur le point de s'élargir pour devenir 25, bientôt 28... Elle sera d'autant plus forte qu'elle acceptera d'abandonner une partie de sa souveraineté, qu'elle arrivera à vaincre ses réflexes d'États-nations. En fait, si elle accepte de vivre quotidiennement, dans sa plénitude et dans ses contradictions, la diversité culturelle.

(5) Si importante que soit pour l’avenir l’action concertée des Etats en ce qui concerne la défense et l’illustration du concept de diversité culturelle, il est nécessaire que le monde culturel prenne lui-même des initiatives pour mettre en valeur sa richesse et sa vitalité. C’est pourquoi nous nous proposons d’organiser sur ce thème un colloque en juin 2004, en retenant une approche originale illustrant la vocation particulière du Grand-Duché de Luxembourg en ce qui concerne le dialogue des cultures.

Le vrai dialogue des cultures sera seulement possible si aucune culture ne se considère comme supérieure, capable d'assimiler toutes les autres cultures. La coexistence, le respect de l'autre et de ses propres valeurs, voilà les principes de base qui devraient guider ce dialogue.

Je vous remercie de votre attention.

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