Discours du Premier ministre Jean-Claude Juncker prononcé devant l'Institut français des Relations internationales (IFRI)

Monsieur le Président,

Son Excellence,

Mesdames et Messieurs,

je suis ravi comme toujours d’être à Paris et d’être en France, puisque les Luxembourgeois, par vocation, par expérience, par expertise aussi, aiment être en France, puisque nous nous imaginons qu’il y a peu de choses en France que nous ignorons. Et que tout ce qui est français ne nous est pas étranger, à la grande différence des Allemands qui découvrent la France, à chaque fois qu’elle leur parle et qui font semblant d’avoir su avant qu’elle ne parle. Le réciproque étant vrai, ce qui donne une valeur marginale et une utilité marginale au Luxembourg, qui comprend mieux les Français que ne peuvent les comprendre les Allemands et qui sait tout de l’Allemagne y compris les éléments de savoir auxquels les Français ne peuvent pas prétendre. Je suis supposé vous parler de l’avenir de l’Europe et je crois que, non pas le discours, mais la petite causerie que je vais tenir sur l’Europe s’intitule : "Où va l’Europe ?" Et si ce n’était pas naïf à ce point, je dirais que c’est une bonne question.

Il y a différentes façons de parler de l’Europe. On peut parler de l’Europe comme on le fait souvent. On le fait souvent d’une façon technique, artisanale, soit disant informelle. Mais on peut aussi parler de l’Europe d’une façon plus engagée, et plus engageante, plus amoureuse d’une certaine façon, plus tendre, en essayant de voir ce que fut l’Europe et ce qu’elle est devenue par la suite. J’ai parfois tendance, surtout après 18h du soir, de parler de l’Europe d’une autre façon qu’en journée pour ne pas perdre l’essentiel et pour voir la partie devenue aujourd’hui presque invisible. Je considère, en effet, je suis peut-être un des derniers à vouloir le considérer ainsi, que l’Europe est une grande affaire, une grande aventure et un grand projet. Quelque chose dont on n’arrive pas à délimiter le périmètre et dont les juristes disent qu’elle est une construction sui generis. A chaque fois que nous juristes on ne sait pas définir exactement l’objet, on dit qu’il est sui generis.

Je crois que l’Europe fut faite avant nous. Je veux parler de ma génération et un peu de la vôtre. Je crois en effet que les décisions qui comptent, que les décisions qui furent fondamentales, qui furent prises par nos pères et mères, par la génération de guerre, par ceux qui, revenant dans leurs villages et leurs villes détruits, décidaient de ne plus jamais faire la guerre. Après avoir vécu ce qu’ils avaient vécu.

Prenez l’exemple de mon père, l’exemple de beaucoup de Luxembourgeois qui étaient obligés de devenir soldats allemands pendant la Deuxième guerre, non pas parce qu’ils auraient voulu se joindre aux efforts de certains, mais parce que l’occupant allemand avait décidé que tous les jeunes Luxembourgeois nés entre 1920 et 1927 seraient enrôlés de force à la Wehrmacht. Ce qu’en Alsace on appelle, les "malgré-nous", nous les appelons les enrôlés de force.

Il est revenu de guerre, il s’est dit en descendant, revenant des camps de prisonniers russes où il était emprisonné comme soldat allemand, n’arrivant pas à expliquer aux Russes ce qu’était le Luxembourg. Les Parisiens ne sont pas seuls à considérer que le Luxembourg est un palais et un parc. Descendant du train, il se disait, voilà je ne vais plus jamais me plaindre, je vais contribuer à faire de mon pays un autre pays, à faire de l’Europe, sans trop savoir, un autre continent, un continent différent de ce qu’il fut.

Alors nous sommes de ces parents-là, les humbles et les modestes héritiers parce qu’en fait nous n’avons pas ajouté grand chose à leur décision de principe qui fut autrement plus courageuse que nos élucubrations sur des questions institutionnelles ou autres auxquelles nous nous consacrons avec volupté parfois aujourd’hui.

Si on se pose la question de savoir où va l’Europe, je crois, qu’il y a, parmi d’autres, deux où trois recettes qu’il faut appliquer et qu’il faut suivre dans toute leur cohérence et toute leur logique. Je crois d’abord qu’il faut se souvenir, lorsqu’on veut faire l’Europe comme on dit vulgairement, que nous pouvons prendre appui sur une base de confiance qui est nourrie par un passé vécu. Et je crois qu’ensuite, nous devons, pour pouvoir parfaire l’Europe, ajouter à celle-ci un supplément de clarté et, enfin, lui insuffler une certaine dose de règles.

Si nous arrivions à nous diriger vers les décennies qui vont venir le long de ces trois principes-là, nous aurons, peut-être, la chance, dans notre génération, de parfaire ce qu’a fait la génération qui nous a précédé. Je dirais que l’Europe peut prendre appui sur une base, sur un fondement de confiance, qui est nourri par un passé vécu.

J’ai commencé ma vie européenne, si j’ose dire, comme jeune secrétaire d’Etat au Travail en décembre 1982. Pratiquant depuis différents Conseils des ministres, Conseil Affaires sociales, Conseil Travail, Conseil Budget, Conseil des ministres des Finances et Conseil européen. Et depuis 20 ans, j’entends dire que l’Europe est en crise. Et à chaque fois que la démocratie s’exerce, on dit que l’Europe est entrée en crise. Comme si elle n’était jamais sortie de cette situation critique dans laquelle elle s’enfourre très régulièrement. Or, il faut savoir qu’en Europe il y a 15, demain 25, gouvernements et personne n’a fait ce petit calcul qui consisterait à se demander combien de partis gouvernent l’Europe. Et si vous le faisiez, vous vous apercevriez qu’il y a 120 partis politiques qui gouvernent l’Europe, sur le nombre des partis politiques, partis de gouvernement en Europe.

Alors croire que tout pourrait se faire par enchantement et non pas par débats et controverses, est une vision naïve de la démocratie européenne. Parce que celui qui, chef d’Etat ou de gouvernement, au Conseil européen s’exprime au nom de son pays, s’exprime d’abord au nom de son parti, au nom de son gouvernement, au nom de ceux qui font partie des gouvernements, au nom de son opinion parlementaire, surtout les gouvernements minoritaires qui n’ont de légitimité que celle qui leur est conférée par les relents minoritaires de leur parlement qui appuient leur politique européenne.

Si vous ajoutiez aux partis du gouvernement les partis d’opposition qui donnent une majorité sur les affaires européennes à leur gouvernement minoritaire, vous arriverez même à un nombre de partis dépassant largement le nombre de 120 auquel je faisais référence.

Si donc il n’y a pas accord, si donc il n’y a pas accord immédiat, si donc il n’y a pas toujours accord spontané, il faut y voir le déferlement des nuances et des sensibilités démocratiques telles qu’elles s’expriment par le suffrage universel et par la composition parfois hétéroclite des gouvernements qui sont supposés concourir à la formation de la volonté européenne.

Crise il y avait toujours. Je me rappelle – j’étais jeune gosse, dix ans – de De Gaulle qui, au moment où, sur base du traité de Rome, l’Europe agricole devait passer d’un mécanisme de décisions fondé sur l’unanimité vers un mécanisme de décisions fondé sur la majorité qualifiée, qui pratiquait la politique de la chaise vide, qui ne participait plus au nom de la France aux travaux du Conseil des ministres, ce qui bloquait institutionnellement toute décision parce que la France n’occupait plus sa place.

On a su, grâce d’ailleurs à l’entremise d’un ancien Premier ministre luxembourgeois, Monsieur Werner, on a réussi à transformer cette crise en nouvelle chance en adoptant ce qu’il est convenu d’appeler le "Compromis de Luxembourg", que je n’aime pas, que je déteste et dont j’ai honte qu’il porte le nom de mon pays parce qu’en fait il veut dire que même lorsqu’on est supposé pouvoir décider à la majorité qualifiée, si un gouvernement décide que ses intérêts vitaux sont concernés, l’unanimité est rétablie de facto.

Nous avons vu dans les années 1980, Madame Thatcher, Premier ministre du Royaume-Uni, expliquer aux autres, avec de plus ou moins bons arguments qu’elle voulait avoir de l’argent en retour, I want my money back. On a su dépasser cette crise, qui fut de taille, au Conseil européen de Fontainebleau, dont je me plais parfois à dire qu’il s’agissait du Conseil européen de Fontaine-bluff. Parce qu’en fait aucun problème n’a été réglé, sauf celui posé par la Grande-Bretagne et pour elle-même.

Nous avons vu les énormes problèmes auxquels a été confronté le système monétaire européen au début des années 1990. Commençant en 1986, premier gouvernement de cohabitation Balladur qui, lors d’un Conseil des ministres de l’Economie et des Finances, s’est vu infliger une belle leçon monétaire européenne. 1987 ensuite, 1990, 1991, 1992, j’étais ministre des Finances. J’étais plus souvent à Bruxelles pour des réaménagements monétaires qu’à Luxembourg pour des problèmes d’aménagement national.

1992 : curieusement personne ne s’en souvient, puisque les grands architectes aiment oublier leurs premiers essais. Août 1992, lorsque l’Allemagne et les Pays-Bas voulaient sortir, alors que nous avions conclu le traité de Maastricht sur l’union économique et monétaire du système monétaire européen, où la France leur demandait de sortir du système. Où le ministre des Finances britannique, Kenneth Clark, le chancelier de l’Echiquier, nous invita dans un discours enflammé, à ne pas céder à ces tentations-là puisque nous perdrions, en suivant le conseil français et la volonté germano-batave, tout espoir de pouvoir réaliser au cours de cette décennie l’union économique et monétaire. Nous avons dépassé cette crise.

Dans ces moments-là, nous étions capables de forger de grands projets. Le marché unique, qui n’est pas encore parachevé mais qui a vu néanmoins l’Europe adopter 300 directives pour enlever des économies européennes des entraves qui les empêchaient de vivre ensemble.

L’année 1990 : chute du mur de Berlin, réunification allemande, énormes problèmes monétaires, politique monétaire de la Banque centrale allemande, la Bundesbank, qui mettait en péril tout espoir de retrouver une croissance européenne qui aurait pu paraître convenable. Nous avons décidé l’union économique et monétaire.

A chaque fois que nous étions en crise ou à chaque fois où nous nous sentions être en crise, à chaque fois où nous pensions ne pas pouvoir sortir de la crise, nous avons forgé de nouveaux projets. Le marché intérieur, le grand marché, l’union monétaire.

Il est évident qu’il faut avoir confiance dans le projet européen puisque très souvent, je n’ai pris que deux ou trois exemples, nous étions au bord du gouffre. Et à chaque fois, nous arrivions à faire redémarrer l’aventure et le rêve européen. Et en fait, sur ces plans-là comme sur bien d’autres, nous étions capables des plus grandes performances, de performances qui, en fait, ne devraient cesser de nous étonner et de performances dont nous avons oublié qu’elles ont profondément impressionné les autres.

Je prendrai l’exemple de l’union économique et monétaire. J’étais, en 1991, jeune ministre des Finances et j’ai présidé la Conférence intergouvernementale sur l’Union économique et monétaire, pendant les six premiers mois de l’année 1991. Affaire qui finalement s’est conclue sous Présidence néerlandaise à Maastricht en décembre 1991. Lorsque je suis devenu ministre des Finances en 1989, j’ai découvert, après l’avoir découvert dans mes lectures de journaux sur mon bureau, le rapport Delors sur l’union monétaire et j’ai découvert que le rapport, si vertueux qu’il ait été et si pédagogique qu’en ait été sa présentation, de profonds différends entre la France et l’Allemagne, que moi, petit Luxembourgeois modeste… . Nous, Luxembourgeois, étant blottis entre la France et l’Allemagne, nous avons pris immédiatement la mesure du différend, différend dont nous savions, pour en avoir parlé aux uns et aux autres, qu’ils ignoraient tout de son existence puisque les deux pays tout en se parlant, amitié franco-allemande obligeant, n’avaient pas vu le volume de leur désaccord.

Les Français qui pensaient, je pense à juste titre, qu’il aurait fallu ajouter une dose supplémentaire de coordination des politiques économiques et les Allemands étant très braqués, je crois à juste titre, sur l’indépendance de la banque centrale et sur l’impossibilité d’organiser d’une façon incessante une interférence entre le politique et le monétaire. Il fallait donc construire un pont entre ces deux sensibilités allemande et française et les Français et les Allemands avaient chacun dans leur mouvance un groupe de partisans et d’adhérents à leur thèse.

Nous avons dû résoudre le problème britannique, que nous avons essayé de résoudre lors d’un conseil informel des ministres des Finances, le 11 mai 1991 à Luxembourg, où nous avons proposé - Jacques Delors dans ses mémoires vient de le rappeler - d’accorder aux Britanniques ce qui est convenu d’appeler le opt-in/out, seule façon finalement de nous sortir de cet embarras qui fut un réel problème, puisque discorde fondamentale sur le projet européen et non seulement sur la composante monétaire. Nous avons dû conclure le pacte de stabilité, nous avons retrouvé les énormes différends entre la France et l’Allemagne, qui n’étaient que le relent et la renaissance de leur désaccord fondamental du début des années 1990. Mais nous avons réussi à avoir la monnaie unique.

Lorsque nous avons signé le traité de Maastricht, le 7 février 1992 dans la capitale du Limbourg néerlandais, nous pensions – Bérégovoy, Waigel, le ministre allemand, et moi-même – qu’en 1999, date ultime prévue pour l’introduction de la monnaie unique, nous serions 4 ou 5 à l’avoir.

Rappelez-vous, si jamais vous l’avez su, que le Luxembourg en 1991-92 était le seul pays à remplir les critères de convergence du traité de Maastricht, les autres ne s’inspirant que par la suite des vertus luxembourgeoises pour les oublier ensuite. Et pour revenir dans le giron d’une ouverture de départ.

Les Américains n’ont pas cru une seconde que les Européens seraient capables de réaliser la monnaie unique. Je raconte parfois qu’en visite chez le président Clinton, en août 1995, Clinton m’interrogeant sur l’Europe et moi exposant toute mon affaire monétaire devant lui, m’interrompant pour dire : « non je voulais parler de la Turquie, l’euro n’est pas une perspective européenne, mais la Turquie est un problème auquel l’Union européenne devra apporter une réponse ». Entretien avec le ministre des Finances Monsieur Rubin, qui me coupait après cinq minutes lorsque j’exposais mes vues sur l’euro, sur les difficultés sur le truc, pour me dire, "parlons d’autre chose puisque c’est un mort-né".

Le même ministre des Finances, moi qui assistait aux réunions annuelles du Fonds monétaire international, une année après, dans mon hôtel pour me dire: "Est-ce que vous pourriez revenir ce soir? Vous venez pour parler de l’euro?". Et moi, qui prenais conscience du fait que j’étais devenu une personnalité de l’histoire lui disant que je n’avais pas le temps. Première dans l’histoire des relations internationales qu’un ministre des Finances luxembourgeois dise non à l’Américain pour le voir et pour parler de choses sérieuses. Alors je l’ai vu le dimanche matin à 7h30 pour prendre le petit-déjeuner. Ce jour-là, je me suis dit, l’euro va être une réussite sinon l’Américain ne demanderait jamais au Luxembourgeois de venir prendre le breakfast le dimanche matin à 7h30.

Donc, tous, en fait, pensaient que nous ne réussirions pas. Même ceux qui aujourd’hui gouvernent l’Europe parce que les trois quarts des Premier ministres d’aujourd’hui étaient des opposants à la monnaie unique lorsqu’ils étaient les dirigeants de leurs oppositions parlementaires respectives. Je dis parfois devant des évêques, que si l’église catholique avait autant de vocations tardives que l’euro, il faudrait construire des seigneurs au lieu de fermer des églises. C’est une considération à part, mais que j’arriverai facilement à prouver.

Donc, fort de cette confiance à laquelle nous autorise nos sorties de crises répétées et nos performances dont nous étions capables, nous pourrions, pour réussir l’Europe, ajouter aux projets européens le supplément de clarté qui nous fait actuellement défaut.

Nous avons l’énorme problème, on le sous-estime je crois, qu’il n’y a pas d’opinion publique européenne. Elle n’existe pas, l’opinion publique européenne, tout comme la nation européenne n’existe pas. J’aime bien ces romantismes, mais c’est des romantismes. La nation européenne n’existe pas.

Il y a, comme on dit en France, il y a un feeling européen. Il n’y a pas de nation européenne. Il y a donc, et nous confondons cet amalgame avec l’opinion publique européenne, une addition de 15 voix, de 25 opinions publiques nationales. Or, dans ces opinions publiques nationales que nous confondons avec l’opinion publique européenne, il y a deux camps qui s’opposent, parfois sans le savoir. Il y a dans tous nos pays le camp de ceux qui pensent qu’il n’y a pas suffisamment d’Europe, qu’il faut plus d’Europe, et il y a le camp de ceux qui estiment que déjà nous avons trop d’Europe et qu’il faudrait enlever, par tranches entières, des compétences à l’Union européenne.

Le grand problème des gouvernements européens d’aujourd’hui me semble être celui-ci : comment réconcilier ces deux tendances de l’opinion publique ? Comment réconcilier, comment marier ces oppositions, qui parfois s’expriment virulamment et qui parfois ne s’expriment pas du tout, mais qui existent en tant que réflexe dans nos opinions publiques nationales.

Alors, je crois qu’il faut sur ce point, puisque telle est la situation, essayer de nous sortir de cette non seulement apparente contradiction en ajoutant de la clarté au discours européen et en disant très clairement que tant que les nations existeront - et elles existeront toujours puisque les nations ne sont pas une invention provisoire de l’histoire, elles se sont installées dans la durée - il faut dire qu’il nous faut, lorsque nous projetons de nous doter d’une Constitution, garder un certain nombre d’intergouvernementalisme raisonné et raisonnable.

En prenant soin chaque fois de construire des passerelles qui un jour, lorsque l’état de l’opinion ou l’état du monde auront changé, d’aller vers un système communautaire plus achevé. Garder l’intergouvernemental et le marier au communautaire qui existe, qui doit pouvoir continuer à exister sans qu’il ne soit remis en cause jour après jour. Marier, si vous voulez, l’intergouvernemental provisoire et le communautaire définitif et prendre cette double approche comme l’architecture de base pour la Constitution dont nous voulons nous doter. Dans ce débat constitutionnel, dont je prétends que ceux qui nous observent ne comprennent pas au millimètre près les éléments que nous soumettons à ces examens. Dans ce travail de constituants, il faut, je crois, se concentrer sur l’essentiel.

D’abord, admirer le fait qu’après tant de déchirures, après tant de morts, après tant de désaccords, après tant de dérives et d’adversités, 25 pays de l’Union européenne nourrissent ensemble l’idée de se doter d’une Constitution. L’Union européenne, qui est un groupement d’Etats-Nations et qui est plus qu’un groupement mais qui n’est pas Etat sui generis, comme je disais au début de ma causerie, c’est la première fois qu’un ensemble politique qui n’est pas Etat ou qui n’est pas partie composante d’un Etat est pris par la volonté de se doter d’une Constitution.

Dans l’histoire des hommes et des idées, c’est une première. Dont les autres, ceux qui nous observent à travers la planète entière, se rendent compte du caractère premier de la démarche et dont nous-mêmes, nous sommes devenus strictement incapables de voir l’extraordinaire de notre démarche. Donc, il faut se féliciter du fait que tous, nous disons les 25 gouvernements, les 25 pays membres que nous voulons une Constitution. Il y deux ans, il y en avait au moins 5 ou 6 qui n’en voulaient pas. Aujourd’hui, 25 Etats membres veulent une Constitution.

Alors, nous discutons un certain nombre d’éléments qui font, qui alimentent les controverses de notre Union, la double majorité, la majorité qualifiée, toutes les questions annexes. Et je crois qu’il faut résoudre ces problèmes, puisque ce sont de réels problèmes. Et là encore on voit que certains peuvent changer d’idée.

Lorsqu’à Nice, en 2000, nous étions plusieurs à proposer la double majorité, certains n’en voulaient pas. Ils n’habitent pas tellement loin d’ici que je verrai demain. Aujourd’hui, ceux qui n’en voulaient pas, se font les avocats pressés de l’introduction de cette double majorité et ceux qui, à l’époque, pouvaient l’envisager, ne veulent plus rien entendre de l’introduction de cette double majorité.

Il y a le problème hispano-polonais, attitude espagnole et attitude polonaise qui se ressemblent mais qui ne sont pas strictement identiques puisque l’histoire et l’explication est tout à fait différente dans le cas polonais et dans le cas espagnol. Et comme il faudra nous mettre d’accord sur cette question et comme il ne s’agit pas de trouver un compromis qui n’est pas une solution, mais de trouver une solution qui doit être un compromis, il s’agit de décrire le problème en toute clarté, de le résoudre en toute clarté pour que la solution devienne intelligible. Et donc je crois que, les choses étant ce qu’elles sont et les hommes étant ce qu’ils sont, que nous devrons pour un certain moment poursuivre l’application du mécanisme de pondération des voix, tel qu’il a été décidé à Nice. Et puis à partir de 2012, 2013, 2014 adopter le principe de la double majorité qui a ceci d’alléchant qu’il combine les principes, qui à priori semblent contradictoires, à savoir l’égale dignité des Etats membres et la prise en compte de l’élément démographique.

Moi, qui n’aime pas parler de démographie parce que c’est une notion qui me fait toujours mal, je dois tout de même admettre qu’après avoir procédé à un premier tour de table de vote où chaque Etat membre de l’Union européenne dispose d’une voix - la France une voix, le Luxembourg une voix - qu’au deuxième tour on vérifie l’élément démographique et, donc, si la majorité ainsi obtenue correspond bien à la majorité démographique de l’Europe, c’est un principe démocratique que de respecter l’égale dignité entre les Etats membres et les différences entre les Etats membres. Et moi je n’ai jamais compris ce débat parfois féroce entre les grands et les petits Etats membres. Différenciation que je n’accepte pas, mais que j’assume.

Ce qui est essentiel, c’est que tous les Etats membres soient à dignité égale, mais de là à prétendre qu’ils sont tous égaux est un saut qualitatif auquel je ne me livrerais pas sans avoir vérifié l’exactitude de mon propos. Il y a une différence entre les Etats membres, les génies européens voulant que nous gommions, autant que faire se peut, la différence entre les grands et les petits. Parfois en blaguant et pour irriter les autres, je dis qu’il n’y a que deux grands Etats membres : la Grande-Bretagne et le Grand-Duché. Mais à vrai dire, les grands devraient accepter qu’à eux seuls, ils ne sont pas vraiment grands, et les petits devraient accepter qu’il y a des Etats membres qui sont plus grands et qu’ils seraient très petits, voire minuscules, si l’Union européenne n’existait pas et si elle ne comprenait pas les grands et les petits. Et si on introduisait le système dit de la double majorité, on arriverait à réconcilier le principe de l’égale dignité des Etats membres et la nuance démographique, qui fait partie de tout raisonnement démocratique cohérent.

Puis, il y a l’essentiel du débat constitutionnel qui est de savoir dans quel domaine, dans quels champs d’action dorénavant nous allons décider par majorité qualifiée et quels sont les domaines où nous resterons au mécanisme de l’unanimité. On dit toujours, y compris dans la presse française, que la Conférence intergouvernementale lors du sommet de Bruxelles de décembre, a connu l’échec en raison de l’opposition de l’Espagne et de la Pologne. Ce n’est pas entièrement faux, mais ce n’est surtout pas entièrement vrai. Parce que là où les Etats s’opposent, les gouvernements et les parlements, c’est sur la délimitation des champs d’action politique où dorénavant on décidera à majorité qualifié, ou en ayant recours au système du mécanisme de vote à l’unanimité.

Je prendrais un exemple, peu discuté : toutes les affaires qui relèvent de ce qu’on appelle aujourd’hui le troisième pilier du traité de l’Union, les affaires de justice et les affaires intérieures. Nous sommes plusieurs parmi les 15, et puis des 25, à vouloir introduire dans ce champ d’action publique et politique la majorité qualifiée quand on arrive au vote. Et il y a parmi les 15, et parmi les 25, ceux qui obstinément s’accrochent à la règle de l’unanimité pour pouvoir décider sur les affaires de justice et d’affaires intérieures.

Alors qu’il est évident que lorsqu’on veut réconcilier les Européens avec l’Europe, il faudra faire en sorte que d’une façon très visible les Européens puissent s’apercevoir que l’Europe est une machine de lutte contre le crime organisé et contre la criminalité internationale. Or, si nous restons à l’unanimité, l’affaire sera donc très difficile. Si nous passons à la majorité qualifiée, l’action politique à organiser sera devenue autrement plus facile.

Mais si sur ce point de détail, qui est un point de programme substantiel tout de même, il y a désaccord entre les 15, il y a désaccord entre les 25, ça n’a rien à voir avec l’opposition hispano-polonaise sur l’affaire du droit de vote, c’est une question qui concerne le fond des choses, les vraies politiques de l’Europe. Parce qu’on n’arrivera pas à convaincre les Européens de l’utilité de l’Europe en leur faisant des discours sur la majorité qualifiée, sur la double majorité, sur ceci ou cela, sur la comitologie, sur l’indépendance de la Banque centrale.

C’est les contenus politiques qui intéressent les citoyens de l’Europe. Et si l’on veut pouvoir ajouter en contenu politique aux politiques telles qu’elles sont, il faut parfois savoir se défaire de l’idée que tout doit être décidé à l’unanimité et marquer un pas décisif en direction d’une introduction de la majorité qualifiée.

Ce qui nous ramène bien sûr à la question éternelle, redondante, de l’Europe à géométrie variable, groupes pionniers, noyau dur. Mais moi, je vais vous dire que je voudrais qu’à 25, nous soyons à même de réaliser l’essentiel de nos ambitions. Je critique non pas ouvertement mais fermement ceux qui donnent l’impression de vouloir faire du noyau dur une finalité de négociations.

Si on donne aux autres l’impression que de toute façon la finalité de la négociation consiste à isoler 7, 8, 9, 10 pays qui formons le noyau dur, à les séparer de ceux qui n’en feront pas partie tout en les calmant en leur disant que plus tard ils pourront rejoindre le groupe pionnier, on n’arrivera pas à de bonnes solutions parce que l’intention est claire, aux yeux des autres : à savoir, une négociation qui en fait aurait pour seul but la discrimination de ceux qui ne pensent pas comme nous. Egalement que le noyau dur, qui ne peut pas être un but, une finalité des négociations, peut être une conséquence des négociations.

Si au cours des négociations nous devions constater qu’il y a un groupe d’Etats qui veut plus d’Europe et un groupe d’Etats qui ne le veut pas et qui, en fait, voudrait avoir moins d’Europe, alors il n’est pas incohérent que de tirer la conclusion, la conséquence, qui consisterait à dire que nous allons permettre à ceux qui veulent aller plus vite de ce faire, et à ceux qui, avançant à un rythme plus posé, de rejoindre ce groupe à ambitions plus élevées, plus tard.

Mais, traiter cette question comme si on pouvait la décider aujourd’hui, n’est pas la bonne méthode. Parce que nous ne sommes pas encore arrivés au point où nous pourrions distinguer deux camps d’Etats membres : ceux voulant plus d’Europe et ceux voulant moins d’Europe. Et si jamais ce constat devait s’avérer faisable, parce que s’imposant, je crois que l’Europe à géométrie variable, l’Europe avec un groupe de pionniers ou un noyau dur s’imposerait comme seule méthode qui nous permettrait de garder vivantes les grandes ambitions européennes. Il y a, et là encore il nous faudra plus de clarté, l’élargissement, élargissement dont j’ai toujours pensé, et je l’ai dit en 1995, 1996, qu’il serait l’entreprise la plus impopulaire que jamais l’Europe n’aurait entreprise. Et je crois que nos opinions publiques, toutes nos opinions publiques ne se réjouissent pas de la perspective de l’élargissement mais nourrissent de profondes angoisses lorsqu’elles prennent conscience du fait que l’élargissement est décidé et que l’adhésion se fera au 1er mai de l’année en cours.

Mais c’est une affaire énorme que celle de l’élargissement. Qui l’aurait cru ? Et là encore, indépendamment de tous les problèmes que pose l’élargissement, c’est une performance à mes yeux impressionnante.

Voilà dix Etats membres, dont certains n’existaient pas encore il y a douze années. Passer d’un régime d’économie administrée vers un système d’économie de marché, inventer des lois fiscales dont ils ignoraient jusqu’à l’existence, se doter de plans cadastraux qui n’existaient pas, se soumettre à un stress de transformations et d’ajustements dont nous n’avons aucune idée tellement nous sommes devenus paresseux, lorsqu’il s’agit des réformes structurelles auxquelles nous invitons chaque jour les pays dits candidats. Voilà ces dix pays, qui avec une élégance tout de même remarquable, ont su s’insérer dans le corset des logiques européennes qu’ils n’ont pas pu négocier mais qui se sont imposées à ces nouvelles et courageuses démocraties.

Alors, il faudrait tout de même que nous abandonnions cette condescendance avec laquelle nous traitons les peuples d’Europe centrale et de l’Europe de l’Est, qui se sont avérés être autrement plus courageux, autrement plus entreprenants, autrement plus conséquents que les anciens Etats membres de l’Union européenne, qui ont un record de réformes très largement inférieur aux performances d’ajustement de transformations des pays de l’Europe centrale.

Et parfois, parlant de l’élargissement, je conte, alors que je n’étais pas présent, cette phrase de Churchill à La Haye, en 1947 lors du premier grand Congrès européen auquel assistait Adenauer et Mitterrand parmi d’autres qui, disant devant le refus de l’Union soviétique de voir le plan Marshall s’appliquer aux pays de l’Europe centrale "quel temps perdu et quelle chance manquée", disant dans la tristesse au moment de lancer le Conseil de l’Europe : "nous allons commencer aujourd’hui à l’Ouest, ce qu’un jour nous allons terminer à l’Est". Et c’est là où nous sommes.

Les pays candidats sont des peuples de l’Europe centrale, il ne faut pas dire de l’Europe de l’Est, mais nous sommes aux confins de l’Est et nous réalisons en fait une entreprise qui, à Churchill, arrivé au sommet de son autorité morale – le grand Churchill – qui lui paraissait être un rêve que nous n’arriverions pas à traduire en instrument politique.

Alors il faut dire bravo aux nouveaux Etats membres qui étaient courageux et qui ont imposé à leurs peuples, surtout aux gens simples, des sacrifices qui ne ressemblent que de très loin à ceux que nous imposons à nos populations pour répondre aux exigences du pacte de stabilité. Seulement de très, très loin. Et par conséquent, il faudrait s’appliquer à mieux apprendre la réalité des nouveaux pays membres. Nous, qui pensons tout savoir et qui en fait ne savons rien sur les exigences auxquelles furent confrontés ces 70 millions de nouveaux Européens au sens Union européenne du terme, alors que pendant toute leur histoire, ils étaient Européens. Parce que Varsovie, Sofia, Budapest sont des villes européennes autant que Bruxelles, Paris, Strasbourg, Luxembourg.

C’est tout le problème, celui de la clarté. Expliquer aux Occidentaux, si j’ose dire, en abusant d’une formule géographique qui est mal choisie, expliquer à nos opinions publiques dans cette partie d’Europe quels étaient les sacrifices de ceux qui vont devenir membres au 1er mai 2004, au lieu d’alimenter, par des commentaires critiques ceux qui déjà sont très réservés devant la perspective de l’élargissement, toutes les angoisses, généralement et quelconques.

J’ai beaucoup regretté que tous les gouvernements, y compris le mien, aient imposé en matière de libre circulation des personnes une période transitoire qu’on arrive à expliquer chez nous, mais qu’on n’arrive pas à expliquer dans les pays candidats et que nous aurions pu facilement expliquer chez nous, si nous n’avions pas balancé cette idée à un moment qui semblait propice à toutes les démagogies dont sont capables des gouvernements, y compris, je l’ajoute d’une façon autocritique, le mien.

Même remarque sur les perspectives financières. On m’avait soumis une lettre, qui n’a finalement requis que six signatures de tous les pays contributeurs net, au président Prodi pour lui signifier que l’ambition européenne se résumait à 1 % du PIB de l’Union européenne. Le Luxembourg est contributeur net, deux fois plus que la France, plus que l’Allemagne, mais moins que les Pays-Bas et plus que la Suède, mais nous n’avons pas voulu signer cette lettre parce que nous pensions qu’il ne faudrait pas donner l’idée aux Européens que sur les sept années à venir, jusqu’en 2013, nous serions capables de faire face à tous les défis généralement quelconques de l’Europe telle qu’elle est endéans un plafond de 1% du PIB.

Et puis nous avons pensé que si, avant le début des négociations sur les perspectives financières, on disait déjà qu’en aucun cas il ne saurait être question d’aller au-delà de la limite de 1%, que nous compliquerions en ce faisant d’une façon extraordinairement dangereuse les négociations qui vont être entamées d’ici quelques mois.

Ne pas toujours dire avant les négociations quels doivent être les résultats des négociations. Ne pas donner aux autres l’impression que les négociations ne sont que de forme, mais faire en sorte que tous nous comprenions qu’il y a des problèmes de fond qui doivent trouver réponse et que de la solution des problèmes de fond doivent découler les volumes financiers que nous sommes prêts à mettre à la disposition de l’Europe.

Ceci dit, je suis en désaccord avec maints éléments de la proposition de la Commission sur les perspectives financières, qui par parties me semblent être mal ficelées. Mais je crois qu’il faudra d’abord nous mettre d’accord sur les politiques que nous voulons servir avant de mettre à la disposition de l’Union européenne les moyens qui permettront de servir ces politiques.

Plus de clarté, je dirais également en ce qui concerne la politique extérieure de sécurité commune, il faudrait que nous apprenions en Europe à mettre les bonnes étiquettes sur les bonnes bouteilles. On ne peut pas mettre sur une bouteille vide l’étiquette politique extérieure de sécurité commune.

A Maastricht, je suis le dernier survivant de Maastricht parce que je suis le seul ministre des Finances à avoir apposé sa signature sur le traité de Maastricht qui soit encore en fonction ; donc l’euro et moi nous sommes les seuls survivants du traité de Maastricht. A Maastricht, nous n’avions pas de politique extérieure de sécurité commune mais nous avons dit, prétendu, que nous aurions une politique extérieure de sécurité commune, alors que très régulièrement elle s’éclate en mille pièces lorsqu’il s’agit de faire l’aveu d’une même politique de sécurité et de politique extérieure commune.

Je n’ai pas besoin, c’est beaucoup trop facile, de faire référence aux débats européens que nous avons connus avant et dans la mouvance de la guerre de l’Iraq. Il ne suffit pas de dire « nous avons une politique extérieure de sécurité commune » en y attribuant plusieurs articles de traités, sans se donner la peine de mettre ensemble des éléments qui pourront constituer les fondements d’une politique extérieure de sécurité commune, dont je crois que le reste, et nous avons tragiquement besoin puisqu’il y a à travers de la terre une énorme demande d’Europe. Ceux qui ne sont pas Européens regardent vers l’Europe pour savoir quel peut être, quel doit être le message européen sur les grands problèmes de notre époque.

Nous mettre d’accord avant de dire que nous avons une politique extérieure de sécurité commune sur la nouvelle signification des relations transatlantiques, dont je dis, à Paris comme ailleurs, qu’elles ne connaissent pas d’alternatives et qu’elles sont sans option alternative pour les Européens.

Moi je ne suis pas, comment dire, un « suiviste » de la politique et de la diplomatie américaine, mais suffisamment réaliste pour savoir que les chemins européens et nord-américains doivent être grosso modo les mêmes et pointer dans la même direction.

Réinventer le lien de solidarité transatlantique, tel est le devoir du moment, ce qui nous permettra d’ailleurs d’expliquer à ceux, qui le 1er mai seront devenus - et c’est pour moi un moment de bonheur - des nouveaux Etats membres qu’ils ne doivent pas choisir entre l’OTAN et l’Union européenne. Essayer d’expliquer que l’idée qui consiste à croire que l’OTAN est responsable pour la stabilité et pour la paix et que l’Union européenne est responsable de tout ce qui relève de l’économique. Chasser cette mauvaise idée des têtes des uns et des autres, voilà une exigence du moment parce qu’elle risque, si elle n’est pas bien comprise, de nous diviser à chaque instant. De grands problèmes se poseront alors.

Et puis, ajouter une bonne dose de rêves aux projets européens, telle me semble être une des recettes qu’il faudra appliquer. Prenez l’Europe sociale. J’ai été pendant 15 ans ministre du Travail. J’ai beaucoup souffert de cette absence d’ambitions sociales de l’Europe. Nous avons le marché intérieur mais nous n’avons pas d’encadrement social de ce marché intérieur. Ce marché intérieur aujourd’hui est presque en entier couvert par l’union monétaire qui impose ses règles, ce que je ne critique pas puisque j’étais parmi ceux qui l’ont voulue. Mais tant qu’il n’y a pas d’encadrement social, les Européens, notamment les travailleurs européens, auront l’impression que le projet européen ne les concerne que très peu.

Nous avions expliqué à tout le monde qu’il faut éliminer les entraves entre nos sous-économies de la zone euro. Nous arrivions à expliquer aux Européens que les politiques monétaires nationales n’existent plus, et qu’elles sont remplacées par une politique monétaire européenne conduite d’une façon autonome et indépendante par une Banque centrale européenne. Et nous sommes incapables, parallèlement à ces sauts qualitatifs, parallèlement à ces massacres de mythes qui ont fait une partie de nos nations, la politique monétaire entre autres, nous sommes incapables d’avoir ne fusse qu’un socle de droits sociaux minimums qui s’imposeront à tous les gouvernements et à toutes les parties intervenant dans les politiques contractuelles nationales, voir transnationales.

L’Europe sociale, en fait, n’est pas un rêve. Elle se situe à mi-chemin entre le rêve et une réalité, puisque ceux qui souffrent de la non-exploration de la dimension sociale de l’Europe sont déjà identifiés et identifiables. Il faudrait que nous leur donnions de nouvelles raisons d’espoir en faisant en sorte que l’Europe prenne soin également des desiderata sociaux des uns et des autres.

Et puis, devant la désaffection des jeunes en ce qui concerne le projet européen, leur proposer une nouvelle politique qui tient mieux compte de la responsabilité de l’Europe dans le monde. Qui leur permettrait de redevenir fiers de l’Europe, qui leur permettrait de mieux comprendre que l’Europe n’est pas un projet pour la seule Europe, mais un projet pour la planète entière. Pourquoi ne pas fixer comme objectif européen, sur un certain temps, l’éradication de la pauvreté, la lutte contre la famine, la lutte contre la misère, qui est un problème européen en interne, je parlais de la politique sociale, mais vers l’extérieur également puisque nous ne pouvons pas rester aveugles devant la misère de l’humanité.

Pourquoi est-ce qu’on n’aime plus l’Afrique, pourquoi est-ce qu’on ne regarde plus l’Afrique, pourquoi est-ce qu’on n’aime plus regarder les autres parties du monde qui n’arrivent pas à se sortir d’une situation qui est planifiée, puisqu’elle tue. 30.000 morts chaque jour ; enfants qui n’ont rien à boire et rien à manger. Pourquoi est-ce que cela n’interpelle pas l’Europe? Et pourquoi est-ce que nous ne ferions pas de cette grande politique à l’échelle planétaire un grand projet européen qui nous permettrait, outre la vertu politique qui s’en dégagerait, de réconcilier les jeunes qui aiment les grands projets avec l’Europe et avec les grands et les petits Etats. Cela permettrait aux petits Etats de montrer que parfois les petits ensembles sont plus grands que ceux qui peuvent s’autoproclamer grands parce que la géographie et la démographie les sert bien.

Moi, je suis toujours très étonné de ne pas être régulièrement invité aux réunions du G7, un élément qui m’échappe total.

Mais parmi les sept nations qui composent le G7, il n’y a pas une seule qui dépense, comme l’ONU nous y a invité, 0,7% de son PIB à la coopération. Mais, les 5 pays qui le font - la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège et le Luxembourg - dépensent plus que 0,7% de leur PIB à l’aide au développement et à la coopération - ne font pas partie du G7. Donc je préfère petites nations et petits voisins à une grande voisine ; je préfère faire partie du G 0,7 que de faire partie du G7. Voilà pour les grandes et pour les petites nations et voilà pour ma causerie sur l’Europe.

Merci.

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