Discours du ministre du Tourisme, Fernand Boden, prononcé lors de la cérémonie de remise des prix de la Fondation du Mérite européen

J'aimerais tout d'abord vous dire toute la satisfaction et la fierté que j'éprouve à être parmi vous aujourd'hui et, plus encore, à recevoir cette distinction en ma qualité de ministre en charge, depuis bientôt 25 ans, du tourisme. Mon plaisir est d'autant plus grand de constater que la Fondation a décidé de distinguer en même temps deux personnalités éminentes du tourisme international, à savoir M. Francesco Frangialli, secrétaire général de l'Organisation mondiale du Tourisme, ainsi que M. Walter Leu, directeur honoraire de la "European Travel Commission". Il me plaît de voir dans ce geste une juste appréciation non seulement des mérites notoires de ces deux personnalités en faveur du tourisme, mais aussi une reconnaissance de l'importance du tourisme en Europe et dans le monde, et je tiens à en remercier la Fondation.

Consolider l'Union européenne par le tourisme

De par son poids économique, le développement du tourisme en Europe peut fortement contribuer à consolider l'Union européenne, garantissant un lien entre les régions et les pays, avec ses propres spécificités culturelles, ses traditions, son patrimoine.

Avec quelque 400 millions de visiteurs étrangers accueillis annuellement, soit plus de la moitié du tourisme international, l'Europe s'impose, malgré des pertes de parts de marché, toujours comme la première destination touristique choisie au monde. Elle est également la première région émettrice de touristes vers tous les pays de la planète.

Avec 300 milliards d'euros de recettes, on estime le poids économique du tourisme dans l'Union européenne à 5,5 % du PIB communautaire, à 6 % de l'emploi et à 30 % du commerce extérieur des services.

On peut raisonnablement estimer que cette importance économique du tourisme en Europe va encore se renforcer dans les prochaines années.

Les projections de l'Organisation mondiale du Tourisme prévoient ainsi, à l'horizon 2020, plus de 700 millions de touristes qui viendront visiter l'Europe, avec une croissance du volume d'affaires de 2,5 à 4 % en moyenne annuelle.

En termes d'emploi, on estime que, durant cette même période, le tourisme pourrait créer de 2,2 à 3,3 millions d'emplois supplémentaires aux 9 millions d'emplois déjà recensés dans ce secteur d'activité au sein de l'Union européenne.

Parallèlement, les mutations et les bouleversements intervenus dans nos manières de vivre, de travailler, de communiquer et de nous déplacer ont d'ores et déjà une influence déterminante sur la situation et l'essor à venir du tourisme.

Au cours des prochaines années, le tourisme devrait s'assumer comme la principale activité économique au niveau mondial, dépassant, en termes d'exportations, les secteurs liés à la production pétrolière et à l'automobile.

Cette croissance spectaculaire, accompagnée de profondes mutations de nos sociétés, offre des opportunités nouvelles pour satisfaire des objectifs politiques importants tels que la croissance économique, l'emploi, le développement durable, le bien-être des populations et une meilleure connaissance et compréhension mutuelles.

Dès à présent, il S'agit pour l'Union européenne de mieux considérer les enjeux que recouvrent ces réalités et ces évolutions annoncées et de se donner les moyens de faire vivre, dans une démarche de concertation efficace entre les pays, un modèle européen du tourisme.

La coopération européenne en matière de tourisme est une idée qui fait son chemin et en tant qu'Eptemacien, je dirais qu'elle le fait au rythme de la procession dansante d'Echtemach qui avance certes lentement, mais arrive toujours à destination.

Permettez-moi de retracer maintenant, comme vous me l'avez demandé, les étapes importantes de cette coopération européenne en matière de tourisme et de son apport dans l'Union européenne.

Si le Traité de Rome de 1958 ne mentionne pas le tourisme, il commence à apparaître, au début des années 80, comme un facteur de resserrement des relations entre les Etats membres de la CEE.

C'est d'ailleurs sur base de cette idée que la Commission a présenté au Conseil, en 1982, les premières lignes générales d'une politique coordonnée dans ce domaine.

Depuis, au fil des ans, le tourisme n'a cessé de gagner du terrain au sein de l'Union européenne, empruntant parfois un parcours quelque peu chaotique, parsemé d'obstacles et de difficultés reflétant les divergences de vues entre les différents Etats, selon leur vocation à accueillir des touristes, notamment les pays du Sud, ou à en faire partir, comme certains pays du Nord.

Toutefois, une attention croissante est portée par la communauté au tourisme et l'idée d'actions communautaires en faveur du tourisme commence à faire son chemin.

1990: "Année européenne du tourisme"

En proclamant 1990 "Année européenne du tourisme", le Conseil et les pays membres de la Communauté européenne contribuent à donner au secteur une visibilité nouvelle au sein des institutions. Le tourisme apparaît alors comme un vecteur essentiel d'élargissement des frontières et le moteur d'un développement régional, national et international.

En tant que président en exercice du Conseil des ministres responsables pour le tourisme de la CE, j'ai eu l'honneur de présider la rencontre ministérielle regroupant le 29 avril 1991 à Luxembourg les délégations officielles des 18 pays de la CE et de I'AELE, ayant participé à I'AET, ainsi que la Commission pour faire le bilan et une évaluation globale de I'AET. J'ai pu dégager dans les conclusions générales un large consensus relatif au constat que le bilan global de la première expérience touristique à l'échelle européenne s'est révélé positif du fait qu'elle a conduit à une vaste mobilisation des sensibilités et des énergies et qu'elle a fait jouer au tourisme son rôle intégrateur dans l'avènement du grand espace européen sans frontières et la création de l'Europe des citoyens.

Le Traité de Maastricht

Les impulsions données par des activités développées dans le cadre de I'AET se sont révélées fructueuses dans le domaine de la coopération communautaire. Elles ont guidé la Commission dans l'élaboration d'une proposition de décision présentée le 19 avril 1991 relative à un programme pluriannuel pour le tourisme communautaire et elles ont largement contribué au fait que dans l'article 3 du Traité de Maastricht du 7 février 1992 il est prévu pour la première fois que l'action de la Communauté peut comporter des mesures dans le domaine du tourisme.

Une déclaration annexée au Traité préconise même la possibilité d'un élargissement des compétences communautaires par l'introduction dans le Traité d'un titre spécifique relatif au domaine du tourisme lors d'une prochaine révision du Traité prévue pour 1996. Ces résultats encourageants ont également été le fruit d'un excellent travail réalisé par le commissaire et les ministres en charge du tourisme au cours de nombreuses réunions informelles. Ils ont d'ailleurs eu des alliés fidèles à la cause du tourisme communautaire dans le chef d'autres institutions comme le PE et le CES qui dans leurs avis, résolutions et recommandations ont exigé la mise en oeuvre d'actions plus incisives dans le domaine du tourisme. Je crois pouvoir affirmer que c'est au cours de cette période allant de 1988 à 1992 que j'ai vécu et ressenti le plus grand engagement politique dans l'intérêt du développement du tourisme communautaire.

De longues et âpres discussions au cours de différentes réunions du Conseil au sujet des actions communautaires prioritaires à retenir dans le programme pluriannuel ont finalement mené à la décision du Conseil du 13 juillet 1992 concernant un plan d'actions communautaires en faveur du tourisme. Ce plan d'actions d'une durée de trois ans à partir du ler janvier 1993 avait comme principaux objectifs, à atteindre par des mesures à mener dans le respect du principe de subsidiarité, les suivants:

– assurer une meilleure cohérence des mesures prises en faveur du tourisme

– favoriser un meilleur étalement saisonnier du tourisme

– favoriser des initiatives transnationales de développement touristique

– soutenir les initiatives qui améliorent l'information des touristes ainsi que leur protection

– mettre en valeur, à des fins touristiques, le patrimoine culturel et encourager une meilleure connaissance des cultures, des traditions et des modes de vie des Européens

– favoriser une meilleure prise en compte de l'environnement, et j'en passe.

L'une des faiblesses de ce plan a été sans doute son ambition de vouloir embrasser trop de volets, et vous connaissez tous le proverbe "qui trop embrasse mal étreint". Même s'il avait été préférable de le centrer sur un nombre réduit de volets essentiels, l'appréciation globale de ce plan a été plutôt favorable et il y a eu un consensus général autour de l'idée de la poursuite de l'action communautaire en matière de tourisme.

En 1995, la réalisation du Livre Vert de la Commission intitulé "Le rôle de l'Union en matière de tourisme" permet de consulter tous les Etats membres et les associations du secteur sur le thème des actions à mener dans le domaine du tourisme et pose la question de son rôle futur au sein de l'Union européenne, dans la perspective de la Conférence intergouvemementale de 1996.

Le commissaire européen d'alors intervient auprès des institutions pour que la Commission soit soutenue dans ses efforts pour promouvoir une politique communautaire dans l'Union européenne. A l'opposé, des pays estiment que le tourisme n'est pas une prérogative de l'Union européenne. La référence restera le traité de Maastricht qui, tout en laissant une grande marge de manoeuvre aux Etats membres conformément au principe de subsidiarité, légitime l'action de la Communauté dans le cadre du tourisme.

C'est ainsi que pendant les années 1995-1996, des mesures sont adoptées par la Commission en vue d'améliorer la connaissance du tourisme, la qualité des services touristiques et la coopération entre les organismes publics et privés en charge des politiques nationales du tourisme.

Ces mesures contribuent à faciliter la mobilité des citoyens et leur accès au tourisme, à améliorer l'encadrement économique et social pour le développement des activités touristiques et à établir une relation saine entre les activités touristiques et les ressources naturelles en vue d'un développement touristique équilibré et durable.

"Philoxenia"

En 1996, un programme pluriannuel en faveur du tourisme européen – baptisé "Philoxenia" – est élaboré par la Commission pour la période 1997-2000. Ce programme aurait eu pour objectif général, par le biais de la coordination et de la coopération, d'encourager la qualité et la compétitivité du tourisme européen afin de contribuer à la croissance et à l'emploi. Là encore, les réserves émises tenant à l'inexistence de compétences communautaires et au blocage des dépenses budgétaires ne permettront pas d'approuver le programme. Après de larges débats, la présidence luxembourgeoise avait relancé le programme sur la base d'un texte de compromis qui, tout en tenant compte du principe de subsidiarité, était axé sur l'amélioration de la coordination et sur le renforcement de la coopération de l'ensemble des activités liées au tourisme au niveau européen.

Le Conseil des ministres du Tourisme a tenu sous ma présidence en date du 26 novembre 1997 un débat sur ce programme pluriannuel, mais sans parvenir à un accord, deux délégations n'ayant pu se rallier au compromis proposé par la présidence, alors que l'unanimité était requise. Nous étions tout près du but et avions la ligne d'arrivée en point de mire. Malheureusement même des pressions très fortes exercées à plusieurs niveaux sur le ministre allemand de l'Economie ont certes réussi à le faire chanceler, mais pas à lui faire franchir le pas décisif vers l'adoption du programme.

Je reste convaincu que ce programme d'actions fortement remanié, centré sur la mise en place d'instruments de travail horizontaux et sur la définition de méthodes de travail respectant le principe de la subsidiarité, aurait crée une plus-value sur le plan communautaire et aurait donné aux Etats membres la possibilité de déterminer, en collaboration avec la Commission, et d'un commun accord, des actions à mettre en oeuvre dans des champs d'activité qui présentent un intérêt commun et une priorité politique pour l'Union.

Les réflexions engagées, même si elles n'ont pas abouti à l'adoption du programme, ont cependant mis en lumière les besoins d'une meilleure coordination et d'une plus grande consultation entre les Etats membres afin de faciliter l'élaboration d'un futur modèle de développement du tourisme au niveau de l'Union européenne.

Le tourisme et l'emploi

La présidence luxembourgeoise avait organisé les 4 et 5 novembre 1997 à Luxembourg une importante conférence sur le thème "L'emploi et le tourisme: orientations pour l'action", à laquelle ont participé plus de 300 personnalités du monde syndical, politique et professionnel et dont les conclusions ont été transmises au Conseil européen spécial sur l'emploi du 21 novembre 1997. Dans sa réunion du 26 novembre 1997, le Conseil des ministres européens du tourisme mène également un débat à ce sujet et souligne dans ses conclusions qu'un développement équilibré et durable du tourisme en Europe pouvait contribuer de façon significative à la lutte contre le chômage dans les Etats membres. Il reconnaît le besoin d'exploiter au maximum la contribution du tourisme à la création d'emplois dans le cadre de différents programmes et politiques communautaires. Le Conseil a par ailleurs invité la commission à explorer davantage, en coopération avec les Etats membres, les résultats de la Conférence sur l'emploi et le tourisme et d'informer le Conseil des progrès réalisés dans ce domaine.

A partir de là, les étapes s'accélèrent. Un groupe de haut niveau sur le tourisme et l'emploi est constitué à la suite des conclusions du Conseil et une communication de la Commission du 28 avril 1999 ("Accroître le potentiel du tourisme pour l'emploi") entérine cette prise de conscience. La stratégie proposée d'approfondissement de la connaissance du secteur du tourisme et de meilleure utilisation des politiques existantes est largement soutenue par le Parlement, le Comité économique et social européen et le Comité des régions.

Le Conseil "Marché intérieur" du 21 juin 1999 invite une nouvelle fois la Commission et les Etats membres à coopérer étroitement afin de "maximiser la contribution que peut apporter le tourisme à la croissance et à l'emploi, au regard, en particulier, de la contribution des petites et moyennes entreprises" qui composent pour l'essentiel ce secteur économique.

Cinq groupes de travail sont mis en place par la Commission sur ces thèmes prioritaires et les travaux réalisés font l'objet, en septembre 2000, d'un rapport intermédiaire de la Commission.

Dans le même ordre d'idées, en février 2000, le Parlement européen prend une résolution sur les conclusions du groupe de haut niveau sur le tourisme et l'emploi, invitant la Commission et les Etats membres à coordonner leur politique en la matière et à définir des priorités stratégiques accompagnées d'un programme d'actions.

Depuis quelques années, et avec le soutien actif notamment des présidences portugaise, française, belge, espagnole, grecque et italienne, une nouvelle approche du tourisme dans l'Union européenne est en train de se dessiner, une approche plus flexible, décentralisée, et suscitant de nouvelles formes de partenariat entre les différents niveaux politiques et les acteurs socio-économiques.

Lors du séminaire des ministres européens du Tourisme qui s'est tenu à Vilamoura en mai 2000, des propositions ont été faites afin d'inciter l'Union européenne à se doter rapidement d'un programme d'actions, en particulier dans le domaine du développement durable du tourisme.

Sous les effets conjugués de la mondialisation, des nouvelles technologies de communication, des nouveaux rythmes de travail et de vie et d'une demande sociale de qualité des Européens, le tourisme est devenu un domaine transversal à la croisée de l'économique, du social et de l'environnemental.

Il importe donc de promouvoir, d'une manière générale, une approche intégrée du tourisme et de ses politiques, afin de mieux coordonner les différentes institutions qui interviennent dans la définition et la mise en oeuvre de ces politiques. Les Etats membres peuvent à cet effet utiliser la méthode ouverte de coordination.

Dans sa communication de novembre 2001 intitulée "Une approche coopérative pour l'avenir du tourisme européen", la Commission a proposé de continuer à "promouvoir le développement durable des activités touristiques en Europe en définissant et en mettant en oeuvre un Agenda 2l".

La dernière communication en date, appelée "Orientations de base pour la durabilité du tourisme européen» va encore plus loin. A ce stade, ses orientations de base fournissent à la Commission européenne de la matière première pour lancer un vaste processus d'Agenda 21 pour le tourisme durable en Europe.

Beaucoup d'efforts ont été déployés dans le but de parvenir à une entente entre les Etats membres concernant le tourisme et beaucoup de travail a été réalisé, même si depuis le Traité de Rome, le tourisme n'a pas été retenu parmi les domaines justifiant une politique communautaire. Les Etats ou plutôt certains Etats restent dans ce domaine attachés à des politiques nationales valorisant la diversité des pays membres, éléments identitaires des destinations touristiques. Cette solution de compromis du plus petit dénominateur commun m'a toujours laissé un peu sur ma faim.

Je me suis toujours prononcé pour une politique cohérente au niveau communautaire dans le secteur du tourisme et je n'ai jamais caché ma préférence pour l'introduction d'un titre spécifique relatif au tourisme dans les Traités, laquelle aurait documenté la volonté de l'Union européenne de renforcer les actions communautaires en matière de tourisme et d'améliorer la coordination en la matière, le tout dans le respect du principe de subsidiarité. Elle aurait certainement eu des incidences favorables sur l'avenir du tourisme en Europe sur les plans juridique, financier, psychologique et politique.

Même si je suis toujours d'avis que le maintien du statu quo actuel risque de constituer de facto un pas en arrière dans la mesure où des programmes et actions sans base légale solide seront de plus en plus difficiles à adopter dans une Union élargie, je constate néanmoins avec satisfaction que des relations plus actives sont nouées ces dernières années entre Etats membres et que l'importance d'une plus grande prise en compte de ce secteur d'activité dont le caractère horizontal a des incidences non négligeables sur d'autres secteurs, est largement reconnu. Cela laisse apparaître que la meilleure voie à suivre actuellement est celle de l'encouragement de la concertation et de la coopération efficaces entre Etats membres et les représentants des différents secteurs de l'industrie touristique, par le biais d'actions à moyen terme et sur des bases à définir ensemble.

En tout état de cause, il est essentiel de se donner les moyens de faire vivre ce modèle européen de tourisme.

Au-delà de sa dimension économique et technique, le tourisme est devenu le reflet de nos sociétés et des mutations qui s'y opèrent. Il possède désormais à ce titre une forte dimension politique, car il contribue à accompagner le retour au plein emploi, à redistribuer les fruits de la croissance et à faire de l'Europe le leader mondial d'un tourisme raisonné, digne de la culture et du rayonnement de ce continent.

Continuons donc notre effort commun de faire avancer la politique communautaire en matière de tourisme et de mettre en oeuvre des actions touristiques présentant un intérêt commun et profitable à tous.

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