Henri Grethen lors de la conférence relative à la concurrence, organisé à Luxembourg par le ministère de l'Economie

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement fier que la première rencontre publique des 25 autorités nationales de la concurrence réunies depuis quelques jours, plus précisément depuis le 1er mai dans le nouveau réseau européen de la concurrence, ait lieu au Luxembourg.

Permettez-moi de remercier vivement mes collaborateurs de la Direction de la concurrence et de la protection des consommateurs et en particulier M. Guy Wetzel pour le temps qu’il a consacré à l’organisation de cette journée.

Je tiens aussi à remercier les orateurs de cette conférence d’avoir accepté de nous honorer de leur présence.

***

Depuis le 1er mai, le nouveau règlement n°1/2003, règlement de mise en œuvre des articles 81 et 82 du Traité est applicable et confère aux autorités nationales de concurrence ainsi qu’aux juridictions nationales un rôle plus important. Ce nouveau règlement oblige les Etats membres à désigner une autorité nationale de concurrence capable d’appliquer les articles 82 et 82 du Traité et de coopérer dans le réseau européen de la concurrence mis en place par ce règlement.

***

Le Luxembourg était le seul pays de l’Union européenne à ne pas disposer d’une autorité de concurrence et d’une législation moderne relative à la concurrence. L’OCDE et la Commission européenne ont régulièrement invité le Luxembourg à abolir la tutelle étatique de fixation des prix, législation dont l’objectif justifié à l’époque était de maîtriser l’inflation après la deuxième guerre mondiale. Au fil des ans, tous les pays de l’Union européenne se sont dotés d’une législation relative à la concurrence, et ont mis en place des autorités de concurrence et une législation relative à la protection des consommateurs s’est développée en même temps. L’Allemagne était précurseur en ces deux matières et je suis flatté que le Bundeskartellamt, autorité de concurrence indépendante et prestigieuse, sous la présidence du Dr. Ulf Böge, ait accepté d’organiser cette journée avec mon Ministère.

***

Revenons maintenant au sujet qui occupera toute cette matinée: la réforme du droit luxembourgeois de la concurrence.

Le projet de loi n°5229 relative à la concurrence a été voté  mardi dernier par notre Chambre des Députés.

***

Désormais, le principe de libre fixation des prix vaudra t dans tous les secteurs à l’exception du secteur des taxis, de celui des spécialités pharmaceutiques et de celui des produits pétroliers.

Les entreprises n’auront donc plus besoin, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, de notifier leurs nouveaux prix à l’Office des prix qui sera supprimé. Comme le Conseil d’Etat l’a soulevé dans son avis du 16 avril 2004, il n’existe depuis très longtemps plus de raisons économiques pour le maintien de cette législation contraignante. Le principe de la liberté des prix vaut depuis longtemps dans nos pays voisins et il semble que l’opposition à ce principe soit plutôt d’ordre conceptuel. Les temps des économies dirigistes et planifiées sont définitivement morts.

Cette réforme, préparée depuis longue date et faisant partie du programme de coalition gouvernementale de 1999, a enfin abouti et j’en suis particulièrement fier. Certains diront que ce projet a traîné trop longtemps.

***

Il est vrai que l’on aurait pu abroger la fixation des prix depuis longtemps. Certains secteurs ont d’ailleurs été libéralisés. Abroger la fixation des prix sans mettre en place une législation conforme aux deux nouveaux règlements communautaires dont celui relatif au contrôle des concentrations a seulement été adopté en janvier 2004 n’aurait pas été souhaitable car il aurait fallu changer la loi à nouveau.

On aurait pu se contenter de déposer un projet de loi avant d’attendre l’adoption du nouveau règlement n°1/2003 et ne pas adapter le projet en janvier au règlement communautaire concernant le contrôle des concentrations.

Un tel  choix aurait certainement été plus facile et la date du 1er mai aurait pu être respectée.

Alors que les discussions relatives à cette réforme ont déjà été entamées par mon prédécesseur, je ne pense pas que qui que ce soit puisse reprocher à ce gouvernement de ne pas avoir fait son travail correctement. Il faut savoir que les services de la Commission européenne nous ont conseillés dans l’élaboration de ce projet de loi et j’aimerais remercier aujourd’hui les responsables de la Commission ici présents pour leur aide précieuse.

Certains ont exprimé des craintes qu’à partir du jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le consommateur ne serait plus assez protégé et qu’il faudrait mettre en place un instrument législatif permettant de réprimer des prix excessifs.

Cela m’amène à m’interroger sur les objectifs de la politique de concurrence.

Selon le Commissaire Mario Monti et je cite : « La politique de concurrence mise en œuvre par la Commission européenne, mais aussi par les juridictions et les autorités nationales de concurrence, vise à maintenir et à développer un état de concurrence efficace dans un marché commun en agissant sur la structure des marchés et le comportement des acteurs économiques. La mise en concurrence des entreprises a pour effet, notamment, de réduire les coûts de production, d’accroître l’efficience économique et, par là, de renforcer la compétitivité de notre économie, notamment vis-à-vis de nos principaux partenaires commerciaux. Ainsi, les entreprises stimulées par la concurrence proposent-elles sur les marchés des produits et des services compétitifs en termes de prix et de qualité » Fin de citation.

Grâce à la mise en concurrence, les entreprises peuvent gagner en efficacité et à leur tour répercuter ces gains de productivité. Mais, la mise en concurrence se traduit aussi pour le consommateur final par une offre plus variée de produits et de services à des prix plus bas. Bien évidemment, le consommateur doit pouvoir effectuer son libre choix en connaissance de cause sans être trompé sur le produit ou le service. Le droit de la concurrence vise à garantir le bon fonctionnement des marchés. Le consommateur doit être bien informé. C’est ici que la législation relative à la protection des consommateurs doit intervenir. Il y a certes des synergies entre les deux politiques, mais il y a aussi des conflits et je ne suis pas d’avis qu’il faille conférer les responsabilités pour l’application des ces deux législations à une seule et même autorité. Si j’ai encore la chance de continuer mon mandat après le 13 juin, je peux vous assurer qu’un Code de la consommation verra le jour au cours de la prochaine législature. Comme je l’ai précisé récemment à la Chambre des Députés, l’élaboration d’un tel code est une tâche ardue mais insurmontable à laquelle il faudra s’atteler avec rigueur et vigueur.

***

 Mesdames, Messieurs,

Le consommateur luxembourgeois est, à mon avis, un consommateur a-typique. Je m’explique. Le consommateur luxembourgeois et cela n’est pas du tout péjoratif, mais tout à fait humain, est habitué à connaître son vendeur personnellement. La proximité géographique est un élément très important et cela se comprend vu la taille de notre pays.

Les consultations de tous les milieux concernés effectuées par mon Ministère lors des discussions autour du nouveau règlement d’exemption en matière de distribution automobile ont illustré ce phénomène. Le consommateur luxembourgeois ne cherche pas nécessairement toujours le produit au prix le plus bas en effectuant des comparaisons des prix avant d’effectuer son achat. Il cherche avant tout un produit ou un service de qualité. L’Union luxembourgeoise des consommateurs pourrait, à mon avis, jouer un rôle très important à l’avenir. Des études de comparaisons de prix et de qualité des produits et services répondant aux besoins vitaux et élémentaires du consommateur devraient être davantage développées.

***

Nos entreprises qui exportent sont habituées à la concurrence et sont forçées d’être compétitives. Cette affirmation vaut aussi, peut-être dans une moindre mesure, et cela n’a certainement pas été favorisée par la tutelle étatique des prix, pour les entreprises opérant que sur les marchés nationaux.

Un changement de mentalité est nécessaire et cette affirmation vaut tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Une véritable culture de la concurrence au niveau national doit se développer. Lorsque la nouvelle loi entrera en vigueur, l’on peut dire qu’une nouvelle branche de droit verra le jour au Luxembourg. Les règles anti-trust étaient peu connues au Luxembourg et souvent confondues avec les règles relatives à la concurrence déloyale. L’on pourrait songer à regrouper ces deux compétences d’un seul Ministère.

La loi du 17 juin 1970 concernant les pratiques commerciales restrictives a mené une vie paisible. Depuis son entrée en vigueur, peu d’affaires ont été portées devant la Commission des pratiques commerciales restrictives. L’absence de sanctions pécuniaires et des conditions d’application plus restrictives pour l’application du droit national que celles prévues aux articles 81 et 82 du Traité n’ont pas favorisé l’introduction de plaintes.

Les nouvelles règles de fond et de procédure de la nouvelle loi constituent quasiment des copies des articles 81 et 82 du Traité et du règlement n°1/2003. On a estimé qu’il serait dans l’intérêt de la sécurité juridique des entreprises, de leurs conseils, mais aussi de la future autorité de concurrence de rester le plus près des textes communautaires. Cela permettra aux preneurs de décisions et aux entreprises de s’orienter à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

***

Mesdames, Messieurs,

La nouvelle loi constitue un défi et une chance pour les entreprises et les consommateurs au Luxembourg. Défi pour les entreprises parce qu’elles seront amenées à effectuer une auto-évaluation des conditions d’exemption. Mais défi aussi pour les consommateurs qui doivent davantage comparer les prix et la qualité des produits et services avant de passer à l’achat.

La nouvelle loi constitue une chance pour les entreprises. Celles qui ne respectent pas les nouvelles règles de jeu peuvent être sévèrement sanctionnées.

Mais chance aussi pour les consommateurs. Je suis convaincu que les responsables de la future autorité de concurrence entretiendront un dialogue permanent et constructif avec les responsables de l’Union luxembourgeoise des consommateurs.

***

Venons-en maintenant brièvement à la structure de l’autorité de la concurrence et à ses pouvoirs sans évidemment entrer dans les détails. Maître Harles vous présentera le projet de loi bientôt dans tous ses détails.

***

Le choix de la forme juridique était le choix le plus difficile à effectuer. J’estime que l’indépendance de cette autorité constitue une caractéristique fondamentale qu’il a fallu garantir. Permettez-moi de vous informer, que contrairement à ce que certains essaient de faire croire, le règlement n°1/2003 n’exige pas la mise en place d’une autorité indépendante et les nouvelles règles permettront au Luxembourg d’assumer les tâches et obligations découlant de la nouvelle réglementation communautaire.

***

Le Conseil de la concurrence est une autorité administrative indépendante qui peut prononcer des amendes élevées à l’encontre d’entreprises commettant des infractions à la loi ou aux articles 81 et 82 du Traité. Les entreprises peuvent proposer des engagements au Conseil de la concurrence permettant de résoudre le problème rencontré. Elles peuvent obtenir une immunité ou une réduction d’amendes lorsqu’elles dénoncent un cartel dans lequel elles sont impliquées. Les programmes de clémence ont fait leurs preuves aux Etats-Unis et depuis que la Commission européenne a adopté les nouvelles règles de clémence, de nombreux cartels ont pu être démantelés.

Les décisions du Conseil de la concurrence sont susceptibles de recours devant le Tribunal administratif et les procédures d’inspection sont effectuées sous contrôle judiciaire.

Finalement, ce sera le Conseil de la concurrence qui représentera le Luxembourg dans le réseau européen de la concurrence.

L’instruction des plaintes se fera par l’Inspection de la concurrence, un service à créer au sein du Ministère de l’Economie. Les fonctionnaires y seront détachés pour une durée 7 ans, renouvelable et ils doivent prêter serment entre les mains du président du Conseil de la concurrence.

***

Comme l’a fait remarquer le Conseil d’Etat à juste titre dans son avis du 16 avril 2004, le Conseil de la concurrence a des compétences générales, donc beaucoup plus larges que les autres autorités de régulation sectorielle. Alors que ces dernières ont toutes des compétences mais seulement sectorielles, le Conseil de la concurrence est appelé à s'occuper de tous les secteurs de l'économie, y compris le secteur financier, si son domaine de compétences est concerné. Dans son avis, le Conseil d'Etat tient à souligner que l’autorité du Conseil de la concurrence s'impose par conséquent à celle des autorités sectorielles en ce qui concerne son domaine de compétences.

***

Il ne faut pas sous-estimer le rôle et les pouvoirs de la future autorité de la concurrence. Dans son arrêt rendu récemment dans l’affaire Consorzio Industrie Fiammiferi, plus connu sous l’abréviation « CIF », la Cour de justice des Communautés européennes a précisé qu’une autorité nationale de la concurrence a le devoir de déclarer inapplicables des mesures de l’Etat contraires à l’article 81. 

Le Conseil de la concurrence et l’Inspection de la concurrence peuvent être amenés à prêter assistance à la Commission européenne dans le cadre de procédures d’investigations menées sur bases du règlement n°1/2003 et du règlement n°139/2004 concernant les concentrations. Comme vous avez pu le constater, la nouvelle loi n’introduit pas de contrôle de concentrations en droit national.

***

Mesdames, Messieurs,

Certains craignent qu’il n’y a pas de concurrence au Luxembourg dans certains secteurs ou que des entreprises en position dominante ou en position de monopole abuseraient de leur position. La taille du marché luxembourgeois en fait que dans certains secteurs l’existence de plusieurs entreprises ne se justifie pas économiquement.

S’il devait s’avérer que malgré les outils à disposition du Conseil de la concurrence, l’on n’arriverait pas à sanctionner de comportements abusifs, la loi permettra au Ministre de l’Economie, par voie de règlement grand-ducal, d’intervenir dans des secteurs et de fixer des prix maxima ou des marges. J’espère qu’une telle situation ne se produira pas et je suis convaincu que les entreprises occupant de telles positions sont conscientes du fait qu’une responsabilité particulière leur incombe selon la jurisprudence bien établie de la Cour de justice des communautés européennes.

***

Les règles anti-trust prévues par la nouvelle loi font partie d’un  volet du droit de la concurrence communautaire. Les règles relatives aux aides d’Etat et les discussions autour des services d’intérêt économique général sont des sujets qui vont nous occuper de plus en plus.

La Commission européenne a lancé un débat sur l’application des règles de concurrence dans le secteur des professions libérales. Visés sont les pharmaciens, les avocats, les notaires, les architectes, les ingénieurs et les experts-comptables. Il n’y a plus de doute que ces professions peuvent être considérées comme des entreprises pour l’application des articles 81 et 82 du Traité. Les professions libérales constituent un secteur important dans nos économies et particulièrement au Luxembourg. Les services sont le principal moteur de la croissance dans l’Union européenne puisqu’ils représentent 54% du PIB et occupent 67% des travailleurs.

Vous savez tous qu’on a décidé à Lisbonne de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde. Dans le rapport de la Commission européenne de février 2004 sur la concurrence dans les secteurs des professions libérales, la Commission européenne rappelle le rôle nouveau que doivent jouer les autorités de concurrence à partir du 1er mai 2004. Dans les prochains mois, les responsables de la politique de réglementation, les professions concernées, les autorités de régulation et l’autorité de concurrence seront amenés à réexaminer si les règles régissant ces professions paraissent toujours justifiées. Il ne s’agit pas de supprimer tout du jour au lendemain, ni de tout complètement libéraliser, mais toutes ces professions, mais aussi les autorités publiques seront amenées à appliquer le test de proportionnalité en examinant les règles régissant ces professions. Cela suppose des consultations sérieuses avec les professions concernées. Je suis persuadé qu’un tel dialogue sera possible.

Comme le soulève la Commission européenne dans son rapport, les autorités nationales de concurrence chargées de la concurrence et les juridictions nationales seront appelées à jouer un rôle dans l’évaluation de la légalité des règles appliquées par ces professions. Il est vrai que les restrictions de concurrence dans ces secteurs présentent essentiellement une dimension nationale. C’est pourquoi la Commission estime dans son rapport que la mise en œuvre administrative des règles de concurrence dans le secteur des professions libérales relèvera avant tout de la compétence des autorités nationales de la concurrence. La Commission précise dans ce rapport qu’elle continuera d’examiner les cas individuels si nécessaire et espère que la coordination au sein du nouveau réseau européen de la concurrence garantira une application cohérente des articles 81 et 82 dans l’Union européenne.

***

Vous voyez donc que le Conseil de la concurrence et l’Inspection de la concurrence ne croiseront pas les doigts dans les années à venir et je suis confiant qu’un dialogue constructif va avoir lieu avec tous les acteurs concernés et qu’il seront tous mus par un objectif partagé : la sauvegarde de l’intérêt général.

***

Mesdames, Messieurs,

Il ne me reste qu’à vous souhaiter de discussions fructueuses et à vous remercier tous d’avoir suivi l’invitation à cette conférence.

Dernière mise à jour