La ministre de la Culture Erna Hennicot-Schoepges lors de l'ouverture du 1er Forum européen de la culture

Altesse Royale,
Excellences, Mesdames, Messieurs,

Les plus beaux moments dans la vie d’un ministre (surtout de la culture) sont ceux où se réalisent une belle idée, un projet longtemps choyé, voire un rêve dont on n’osait presque pas imaginer la concrétisation.

Un de ces moments était l’inauguration récente du Centre Pierre Werner en ces lieux même. Et aujourd’hui, tout logiquement, sa première grande manifestation, le Forum européen de la culture, que j’ai le privilège et la joie d’ouvrir par ces quelques mots de bienvenue.

Bienvenue donc aux personnalités prestigieuses qui nous ont fait l’honneur de venir au Luxembourg et que, faute de temps, je ne pourrai pas tous saluer individuellement comme je le voudrais, et comme ils le mériteraient.

Bienvenue aux participants du Forum qui apporteront leurs expériences personnelles, leur manière souvent originale de vivre la diversité culturelle.

Bienvenue aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont œuvré à la réussite de ces Journées de rencontre et à qui je voudrais d’emblée exprimer mes plus vifs remerciements: tout particulièrement à nos partenaires allemand et français de l’Institut Pierre Werner ainsi qu’au président et aux membres de son Conseil scientifique. Merci également au maître de céans, si je puis dire, Monsieur Claude Frisoni, pour son aimable accueil.

Altesse Royale, Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Comme vous vous en doutez bien, le moment et le lieu de ce colloque ne sont pas dus au hasard.

Le mois de mai 2004 entrera dans l’histoire comme le printemps d’une nouvelle Europe, élargie à 25 pays par l’adhésion de dix nouveaux membres. Elargissement géographique et  politique, certes, mais élargissement aussi, et surtout de son identité culturelle, j’allais dire de son essence historique.

Les dix nouveaux membres font reculer les frontières de l’Union Europenne vers l’Est, avec une nouvelle jonction du Nord au Sud qui s’étend des trois Etats baltiques à la Méditerranée, le Mare nostrum où viennent de nous rejoindre l’île de Malte et - malheureusement une partie seulement de - l’île de Chypre.

Le lieu du Forum, l’ancienne abbaye de Neumünster, magnifiquement restaurée - j’espère que vous en serez d’accord - et adaptée à ses nouvelles destinations, est un lieu chargé d’histoire, d’histoire luxembourgeoise et européenne.

Situés au quartier du Grund, en contrebas de l’ancien château de Sigefroi, berceau de la ville de Luxembourg, nichés au cœur du périmètre inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, les trois bâtiments qui forment le Centre Culturel de Rencontre encadrent un vaste parvis, prédestiné à devenir l’Agora, plus vaste encore et plus ouverte aux quatre vents que la belle verrière qui porte actuellement ce nom.

Construite au XVIIe et XVIIIe siècle, l’abbaye de Neumünster perdit sa destination première pour devenir une prison, en 1795, après la prise de la forteresse de Luxembourg par les soldats de la Révolution française.

Sans entrer dans le détail de ses mutations successives, on peut dire que les bâtiments ont fondamentalement gardé cette fonction jusqu’en 1984 et en 1988 Robert Krieps transformera en salle d’exposition le Tutesall, atelier où les détenus fabriquaient des sachets.

Lieu spirituel à l’origine, lieu de pénitence et d’enfermement pendant longtemps, l’abbaye de Neumünster retrouve ainsi une nouvelle dignité: une vocation culturelle, illustrée par les trois noms emblématiques qui en assument pour ainsi dire le patronage spirituel: le sculpteur Lucien Wercollier, le brillant linguiste Robert Bruch, mort tragiquement à la fleur de l’âge, et Robert Krieps, qui fit partie des 3500 Luxembourgeois qui transitèrent par le Grund avant d’être déportés par les nazis.

Vous comprendrez, Altesse Royale, Excellences, Mesdames et Messieurs, que je ressens une légitime fierté d’avoir su mener à bon terme le réaménagement de ces lieux historiques, dans le plein respect, j’ose le croire, de ce que j’appellerais l’esprit du lieu.

Esprit vivifié par l’implantation déjà mentionnée de l’Institut Pierre Werner, créé en l’honneur et en mémoire de notre regretté ancien Premier Ministre, Européen visionnaire considéré à juste titre comme le père de l’euro.

La vocation de l’Institut culturel franco-germano-luxembourgeois Pierre Werner est de créer une dynamique dans la réflexion, les échanges intellectuels et la recherche entre l’Allemagne, la France et le Luxembourg et, le cas échéant, d’autres pays dans la tradition de l’esprit de Colpach.

Colpach, château idyllique dans l’Est du pays où les époux Emile Mayrisch et Aline de Saint Hubert surent attirer dans l’entre-deux-guerres l’élite intellectuelle et culturelle de l’Europe. Comme l’a noté Marie Delcourt, hôte des Mayrisch et chroniqueur de leur brillant foyer culturel, l’ «esprit de Colpach était l’esprit même de la nouvelle Europe». Une Europe qui serait pacifiée par la réconciliation franco-allemande et attachée au respect de sa diversité culturelle.

Une Europe, unie et plurielle, dont Colpach était en quelque sorte le paradigme et le microcosme symbolique. Car à Colpach se côtoyaient des gens comme André Gide, Jean Schlumberger, Jacques Rivière, Paul Claudel, Jules Romains, Jean Paulhan, Henri Michaux, Maria van Rysselberghe, Annette Kolb, Stefan Zweig, Ernst Robert Curtius et j’en passe…

A Colpach, Aline Mayrisch de Saint Hubert «traduisait Maître Eckhart en français et les Caves du Vatican en allemand». Les conversations autour de la grande cheminée se caractérisaient par une liberté d’esprit totale. La tolérance absolue et le respect mutuel constituaient «une des composantes nécessaires de l’esprit de Colpach, où utopisme et tradition faisaient alternativement leur partie, de même que Saint-Simon et Nietzsche fraternisaient sur les rayons de la bibliothèque».

Il n’est pas difficile de retrouver l’esprit de Colpach dans la philosophie de ce premier Forum européen de la culture. La prestigieuse liste des invités fait penser aux hôtes des époux Mayrisch.

Ils sont venus à Luxembourg, non pas avec une idée préconçue de la culture et de son enjeu dans la construction d’une «nouvelle Europe», mais en tant que témoins, porteurs d’une expérience unique et irremplaçable.

L’esprit de Colpach se retrouve dans l’approche et l’orientation générale du Forum, axé davantage sur le vécu personnel que  sur des considérations théoriques ou des soucis d’ordre politique. Si son but primordial est de «donner à la diversité culturelle toute sa dimension humaine», celui-ci n’exclut pas d’autres objectifs, comme celui de mettre en valeur la vocation multiculturelle de notre pays.

Situé aux confins du monde germanique et du monde latin, pays plurilingue dont la polyglossie ne cesse de se développer à tous les niveaux, terre d’accueil pour près de 40% de sa population, le Luxembourg vit le dialogue des cultures comme une source d’enrichissement quotidienne. Il est donc bien placé pour témoigner de son expérience concernant les multiples facettes de la diversité culturelle: linguistique, littéraire, éducative, religieuse, économique et médiatique.

L’encadrement culturel est en parfaite symbiose avec le thème central de ce premier Forum. Je n’en veux pour exemple que

  • le vernissage de l’exposition «Idee Europa» du «Deutsches Historisches Museum» de Berlin.
  • L’intermède musical «Liszt: la Hongrie et l’Italie à Luxembourg» par l’interprète Carlo Maria Dominici. Permettez-moi d’ouvrir une brève parenthèse sur Liszt, compositeur et interprète ouvert à tous les courants musicaux et artistiques de son époque. Infatigable voyageur, allergique à toutes sortes de frontières, nationales ou culturelles, il a passé un bref séjour au Luxembourg, plus précisément au…château de Colpach, où il avait été invité par le propriétaire de l’époque, le peintre hongrois Munkacsy et son épouse. Il y arriva le 7 juillet 1886 et malgré un état de santé plus que précaire, il accepta de se rendre à Luxembourg, le 19 juillet, pour donner un concert au cours duquel il interpréta son premier Rêve d’amour, le Chant polonais d’après Chopin et les Soirées de Vienne d’après Schubert. Ce fut son dernier concert. Il contracta une pneumonie dans le train qui devait le ramener à Bayreuth où il  s’éteignit auprès de sa fille Cosima Wagner et de quelques disciples.
  • Enfin je me réjouis tout particulièrement  de l’avant-première mondiale de la nouvelle pièce de Jorge Semprun, mise en scène par Marc Olinger. Ecrivain bilingue, ancien ministre de la culture espagnol, conférencier brillant que nous avons pu admirer récemment au Théâtre des Capucins, Jorge Semprun a vécu la diversité culturelle dans son âme dans sa chaire.

Altesse Royale, Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d’enfreindre pour une fois les règles de la rhétorique et de renoncer au traditionnel mot de la fin. Car ce n’est pas une fin, c’est un début, une Première et même une double Première que je veux «ouvrir» aujourd’hui. Première manifestation de grande envergure au nouveau Centre de rencontres Neumunster, avant même son inauguration officielle, qui aura lieu le 28 mai prochain. Premier forum européen de la Culture à Luxembourg, destiné à devenir un rendez-vous annuel du monde intellectuel, culturel et spirituel européen, dans la belle tradition de Colpach.

Aussi je suis  fière de pouvoir céder la parole à notre premier orateur, Monsieur Jorge Semprun, qui a toujours été et qui reste un homme d’avenir. Parce qu’il s’est toujours battu et continue de se battre, à travers sa propre diversité culturelle, dans sa vie et dans son œuvre, pour un monde plus juste, plus pacifique et plus humain.

Dernière mise à jour