Discours du ministre des Affaires étrangères et de l´Immigration, Jean Asselborn, devant la 59ième Assemblée des Nations unies

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire général,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur tout particulier pour moi en tant que membre du nouveau gouvernement luxembourgeois et Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’intervenir pour la première fois devant cette Assemblée composée des nations du monde.

Monsieur le Président,

Vous accédez à la présidence de notre Assemblée générale à un moment où des décisions lourdes de conséquences pour l’avenir de notre Organisation doivent être préparées et discutées. Notre Secrétaire général nous l’a rappelé : les Nations Unies se trouvent à la croisée des chemins. Je ne doute pas que sous votre conduite experte et avisée notre Assemblée générale sera en mesure de faire face de manière efficace et décisive, en apportant des réponses constructives et consensuelles aux grandes questions de l’heure.

La session qui s’ouvre devant nous et qui mènera vers la célébration du 60ième anniversaire de la création des Nations Unies devra être celle du renouveau du multilatéralisme. Je puis vous donner l’assurance, Monsieur le Président, que mon pays – membre fondateur des Nations Unies – entend contribuer activement à ce chantier primordial, et ce notamment au titre de la présidence du Conseil de l’Union européenne que le Luxembourg assumera à partir du 1er janvier 2005, à la suite de l’actuelle présidence néerlandaise. Il va sans dire que je souscris entièrement au discours de mon collègue Bernard Bot, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, devant cette haute assemblée.

D’ici à la 60ième session de l’Assemblée générale trois thèmes resteront au centre de notre attention

  • les questions liées au maintien de la paix et de la sécurité ;

  • le dossier complexe du développement et de son financement ;

  • et enfin, la réforme des Nations Unies.

Monsieur le Président,

Cette véritable relance de la coopération multilatérale, nous devons tout d’abord l’entamer en matière de maintien de la paix et de la sécurité, en nous appuyant sur la Charte des Nations Unies. Si les crises régionales et les guerres civiles se sont multipliées en divers endroits du globe – et notamment sur le continent africain – au cours de l’année écoulée, l’expérience historique – souvent tragique et douloureuse – nous a appris que la paix et la stabilité ne sauraient être préservées et garanties que dans le cadre d’un ordre international fondé sur la règle de droit, des institutions communes fortes et efficaces, fondées sur la base de valeurs fondamentales partagées telles qu’énoncées dans notre magnifique Déclaration universelle des droits de l’homme et les actes normatifs subséquents qui sont venus la compléter. Telle est également la leçon tirée des horreurs et des conflits fratricides du siècle écoulé par les Etats membres d’une Union européenne désormais si heureusement élargie à Vingt-cinq.

Dans ce contexte, nos regards se tournent avec inquiétude vers le Proche et le Moyen-Orient où les situations de tension, voire de crise ouverte semblent s’intensifier. S’agissant du conflit israélo-palestinien, nous devons rappeler avec insistance, face à une situation marquée par de nombreux blocages de part et d’autre, que la voie de la négociation et du compromis est la seule envisageable et que la « Feuille de route » reste le seul moyen de parvenir à une solution négociée entre les parties qui soit fondée sur la coexistence de deux Etats, à savoir un Etat palestinien viable, d’un seul tenant et indépendant vivant en paix aux côtés d’un Israël aux frontières sûres et reconnues. Ceci vient également d’être réaffirmé avec vigueur par le Quartette. De même, tout retrait d’Israël de la bande de Gaza devrait se situer notamment dans le contexte du processus politique décrit par la feuille de route.

L’adoption à l’unanimité de la résolution 1546 du Conseil de Sécurité relative à la situation en Iraq et le rétablissement subséquent de la souveraineté irakienne ont marqué une étape importante dans le processus de reconstruction politique, sociale et économique de ce pays meurtri. L’Union européenne a adopté quant à elle début septembre tout un ensemble de mesures en vue de renforcer encore l’engagement européen aux côtés de l’Iraq. Nous espérons que les circonstances seront bientôt telles que les Nations Unies pourront pleinement jouer le rôle qui leur revient, en particulier en ce qui concerne le processus politique et la préparation des élections, ainsi qu’en matière d’assistance humanitaire et de reconstruction.

C’est également avec l’attention la plus grande que le Luxembourg suit l’évolution de la situation dans la région des Grands Lacs, des Balkans occidentaux – et, plus particulièrement au Kosovo –, ainsi qu’au Soudan/Darfour et mon pays se rallie entièrement aux positions développées à ce sujet devant vous par mon collègue néerlandais au nom de l’Union européenne.

La sauvegarde de la paix, la prévention et la gestion des crises et le maintien de la paix figurent parmi les tâches les plus nobles de notre Organisation et le Conseil de Sécurité a un rôle éminent à jouer dans ce contexte. Nous ne devons pas hésiter à envisager des solutions innovatrices, à définir de nouvelles approches et solutions institutionnelles pour renforcer notre capacité collective de prévention et d’action sur base de la Charte. Je voudrais saluer dans ce contexte les dispositions prises par le Secrétaire général en matière de prévention du génocide.

J’ose espérer que le Groupe de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement saura nous saisir de propositions courageuses pour améliorer notre capacité d’action en commun et pour gérer les nouvelles menaces pour la paix et la sécurité, au premier plan desquelles il convient de mentionner le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Le dispositif de lutte contre le terrorisme des Nations Unies a été renforcé récemment notamment par l’adoption de la résolution 1535 (2004) du Conseil de sécurité et des mesures d’exécution qui en découlent. Mais le récent rapport de l’Equipe d’appui analytique du Comité 1267 nous a rappelé que beaucoup restait à faire pour mettre fin à ces pratiques méprisables et inacceptables qui ont déjà endeuillé tant de familles.

La lutte contre le terrorisme ne saura être gagnée par des moyens militaires et policiers uniquement. Il faut s’attaquer aux racines qui génèrent la haine, la brutalité, la destruction aveugle de vies humaines. L’essence du système multilatéral est le droit de tout peuple, de tout être humain, à vivre dans la paix et la dignité.

La prolifération des armes de destruction massive reste également une préoccupation de première importance. Si des avancées significatives ont pu être obtenues, des nouvelles inquiétantes nous sont parvenues ces derniers mois d’autres régions du globe et notamment d’Iran et de la Corée du Nord : sur tous les dossiers, les éclaircissements indispensables doivent être fournis et toutes les garanties données, notamment dans le cadre d’un respect strict des régimes de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.

Dans ce contexte, je soulignerais que la conférence de révision du Traité de Non Prolifération de 2005 doit être l’occasion de réaffirmer la validité et la pertinence de la recherche en commun de solutions aux questions complexes de la non-prolifération.

Monsieur le Président,

Sur l’ensemble de ces dossiers liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales, les Nations Unies trouveront un partenaire fiable et engagé dans l’Union européenne qui a fait de l’émergence d’un multilatéralisme efficace l’une des priorités de sa Stratégie de sécurité adoptée en décembre 2003. Ce n’est pas sans fierté que je permets d’ajouter que le Luxembourg assume également ses responsabilités en matière de maintien de la paix en contribuant des contingents militaires à la KFOR au Kosovo et l’ISAF déployée en Afghanistan et désormais placée sous le commandement du Corps européen.

La question du développement est et doit rester au centre de l’attention de la communauté internationale. Alors que des millions d’être humains continuent à vivre dans des circonstances inacceptables, notre mobilisation autour de la réalisation des Objectifs de développement du Millénaire doit être constante, voire doit encore s’intensifier au vu du constat que nombre d’Etats, notamment en Afrique subsaharienne, continuent à éprouver les plus grandes difficultés à progresser en vue de l’échéance de 2015. Pour sa part, le Luxembourg est prêt à assumer sa part dans l’indispensable effort de solidarité internationale : en 2003 notre aide publique au développement a atteint 0.81% de notre Revenu National Brut et l’objectif d’un pourcent à atteindre dans les années à venir est inscrit dans le programme du nouveau gouvernement constitué en juillet de cette année.

La lutte contre la pauvreté et l’engagement pour un développement durable à l’échelle globale constituent les objectifs majeurs de la politique de coopération luxembourgeoise, une politique que nous mettons en œuvre – de concert avec nos partenaires – dans un esprit de partenariat et de participation. Dans nos actions de coopération, un accent particulier doit être mis sur la poursuite des efforts internationaux en matière de santé reproductive et, en particulier, de lutte contre ce fléau terrible que reste le HIV/SIDA.

En complément d’une augmentation de l’Aide Publique au Développement à l’échelle mondiale, d’autres sources de financement peuvent être mobilisées et l’initiative des Présidents Lula et Chirac a tracé un certain nombre de pistes de réflexion intéressantes à cet égard. Il nous semble primordial de maintenir le Consensus de Monterrey dans son intégralité : toute stratégie de développement efficace dans le moyen et long terme doit reposer sur une combinaison adéquate d’éléments comme l’Aide Publique au Développement, le commerce international, l’investissement direct étranger et les efforts internes des pays concernés, notamment en matière de renforcement des capacités, de gouvernance et d’Etat de droit. A cet égard, je reste persuadé que tous les efforts doivent être développés en particulier pour aboutir à une conclusion positive du Round du développement de Doha.

En tant que Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, une innovation dans notre contexte politique national, je me dois d’insister – à l’instar de notre Secrétaire général qui a prononcé, le 29 janvier 2004 un discours stimulant en la matière devant le Parlement européen – également sur l’importance croissante de la problématique des migrations, notamment pour l’Europe. Ce dossier devra être abordé en veillant à une gestion ordonnée des flux migratoires, en insistant sur les notions d’intégration et de coopération internationale. Une action déterminée contre la criminalité organisée notamment liée à toute forme de traite des personnes, en est le corollaire indispensable.

Nous sommes appelés à intensifier nos efforts au cours de l’année à venir en vue de préparer cet événement important que sera le Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de septembre prochain, ce qu’il est convenu d’appeler, en jargon onusien, le « Major Event ». Cinq ans après le Sommet du Millénaire, cette rencontre des plus hauts responsables politiques de la planète devra être l’occasion de la définition d’une nouvelle synthèse, d’un nouvel agenda mondial à l’aube du XXIe siècle.

En effet, les défis sont multiples et importants : il s’agit de passer en revue l’ensemble des engagements pris dans la Déclaration du Millénaire et lors des grandes conférences dans les années 90, pour en évaluer la mise en œuvre et, le cas échéant, procéder au sein de notre Organisation aux ajustements et adaptations rendus nécessaires par un contexte mondial changeant, tout en maintenant le niveau d’ambition commun qui nous anime. Nous devons veiller à ce que ce nouvel agenda mondial soit l’expression des vœux et aspirations de l’ensemble de la communauté internationale. En particulier, la dimension du développement doit garder la position centrale qui est la sienne. Mais il convient également d’ouvrir notre organisation sur les nouveaux questionnements, les nouvelles problématiques qui se posent en matière de maintien de la paix et de sécurité.

Ni l’une, ni l’autre de ces deux dimensions ne constituent des domaines réservés de tel ou tel Etat ou groupe d’Etats ; elles constituent des préoccupations communes à tous les Etats membres et, en tant que telles, doivent être gérées de concert au sein des institutions multilatérales qui sont notre patrimoine commun. La vitalité et la pertinence de notre Organisation est la clé de cette tentative de redéfinir les termes de l’ordre du jour international en insistant sur les notions d’interdépendance et de solidarité. Si l’enjeu est essentiel, les risques ne sont pas négligeables et il nous reviendra de tracer ensemble une démarche convergente, inclusive et équilibrée qui permette à chacun de participer pleinement et d’exprimer ses aspirations et ses attentes.

Pour atteindre cette haute ambition, il nous faut tout d’abord susciter l’émergence d’un nouvel état d’esprit dans nos délibérations. Après les divisions et controverses des dernières années, il faut que la communauté internationale se retrouve, se ressoude autour d’objectifs communs et partagés. C’est à ce prix que les Nations Unies resteront le siège par excellence de la légitimité internationale et le centre vital de l’action multilatérale, comme l’a rappelé récemment notre Secrétaire général. C’est cet état d’esprit qui doit animer la démarche commune vers le « Major Event » de l’année prochaine.

Nous devons convenir d’une procédure qui assure la participation de tous, qui garantisse le nécessaire équilibre entre les différentes dimensions du processus et qui nous guide vers la convergence sur la substance des messages politiques à définir. Soyez en tout cas assuré que mon pays, tout comme ses partenaires de l’Union européenne sont prêts à s’investir pleinement dans ce débat.

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire général,

Dans la perspective d’un renouveau du multilatéralisme, telle que je l’ai esquissée ci-dessus, la réforme des Nations Unies occupe une place centrale. Il faut mieux adapter nos institutions aux défis nouveaux et aux mandats actuels qui sont les siens. Cette véritable « mise à niveau » du système onusien doit se traduire par un renforcement réel des instruments d’analyse, de décision et d’action dont nous disposons. Ce multilatéralisme efficace doit s’exprimer à travers un renforcement du système onusien dans son ensemble.

En adoptant une approche plus globale, nous concevons l’enjeu de la réforme non pas comme un jeu à somme nulle, mais comme un jeu à somme positive, où chaque acteur, chaque institution profite de l’impulsion nouvelle ainsi donnée.

Des progrès importants ont d’ores et déjà été faits s’agissant de la revitalisation de l’Assemblée générale, sous la conduite du Président de la 58ème Assemblée générale, l’Honorable Julian Hunte. Ces efforts doivent désormais, d’une part, trouver une traduction dans les faits et, d’autre part, être poursuivis et approfondis.

La réforme du Conseil de Sécurité – en discussion depuis plus d’une dizaine d’années – devra être menée de manière à permettre à cet organe essentiel de mieux représenter la réalité du monde d’aujourd’hui, condition même de sa légitimité, tout en garantissant l’efficacité de son action. Une interaction plus active avec l’Assemblée générale et un meilleur partage des rôles, de même qu’une transparence accrue à l’égard des Etats non-membres du Conseil de Sécurité devraient accompagner et encadrer tout élargissement futur du Conseil.

La restructuration des travaux de l’ECOSOC et des grandes commissions de l’Assemblée devrait être menée avec détermination et courage, afin que des activités plus concentrées et mieux organisées puissent gagner en pertinence et en impact politique à l’échelle des problèmes de substance qui y sont traités.

Le renforcement de l’Etat de droit à l’échelle mondiale tel que l’a appelé dans ses vœux notre Secrétaire général, et en particulier, la consolidation de la Cour pénale internationale et son universalisation à terme, me paraissent constituer un objectif de première importance, tout comme la protection des droits de l’homme, dont je souhaiterais souligner, une fois de plus, le caractère central.

Enfin, je ne voudrais pas omettre d’évoquer le Secrétariat des Nations Unies et les personnels des Nations Unies qui accomplissent, avec courage et dévouement, parfois au péril de leur vie, une mission extraordinairement difficile. Il est essentiel que nous soyons en mesure de doter notre Organisation des moyens, notamment financiers, dans le cadre des discussions budgétaires de cette année, pour faire face aux mandats que nous lui conférons, notamment s’agissant des opérations de maintien de la paix. Il est également essentiel que l’organisation puisse adopter une politique déterminée en matière de protection des personnels des Nations Unies qui agissent en notre nom, dans des circonstances souvent dangereuses, aux quatre coins de la terre.

Monsieur le Président,

Monsieur le Secrétaire général,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Il paraît que si l’on veut jeter un sort à quelqu’un, on lui souhaite de vivre en des temps intéressants. Je ne sais pas si nous vivons sous un sort, mais je sais en tout cas que nous vivons des temps intéressants, des temps du débat et de la réorientation, des temps du choix et de la relance de la coopération internationale. Sachons saisir cette chance en donnant ce « supplément d’âme » à nos Nations Unies, qui se sont révélées à l’épreuve comme indispensables. Mais avouons aussi que ce choix du multilatéralisme est un choix exigeant qui nous demande à tous une disponibilité accrue à remettre en question nos certitudes d’antan et d’accepter de nouvelles approches dans un cadre institutionnel rénové.

Sur la voie de ce renouveau, inspirons-nous des vers magnifiques du poète espagnol Antonio Machado (et je cite) :

« Voyageur, le chemin

C’est les traces de tes pas

C’est tout, voyageur ;

Il n’y a pas de chemin,

Le chemin se fait en marchant

Le chemin se fait en marchant » (fin de citation)

Je suis confiant qu’ensemble, nous aurons la vision et le courage de faire le premier pas….et les pas suivants sur ce chemin ambitieux.

Je vous remercie de votre attention.

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