Contribution écrite du Premier ministre Jean-Claude Juncker dans "La Croix": "L'Europe plus sociale que jamais!"

Ce n'est pas seulement en France, mais dans toute l'Europe que le débat en politique, dans les médias et la société civile témoigne de l'intérêt primordial que le citoyen porte de plus en plus à l'Union européenne. D'où vient cet intérêt soudain pour un sujet qui, pendant des décennies, n'a touché que les visionnaires, les râleurs et les experts? L'opinion publique européenne s'est réveillée parce que l'on a compris que la question européenne était étroitement liée à la question sociale.

Il y a encore quelques années, l'unification européenne était exclusivement perçue comme un moyen d'assurer la paix sur le plan européen. Pour les générations d'après-guerre, la construction européenne était la réponse aux horreurs du XXe siècle. C'est dans cette logique que la réunification du continent européen a été activement promue après 1989, ce qui a abouti cette année à l'adhésion de 10 nouveaux États membres à l'Union européenne et ce qui aboutira à la future adhésion d'autres pays.

La stabilisation politique des pays de l'Europe centrale et orientale s'est faite par leur intégration politique, économique et sociale. Pour Schuman, Adenauer et de Gasperi, les pères fondateurs chrétiens-sociaux de l'Europe, la réponse aux dangers d'autodestruction qui menaçaient le continent consistait déjà à l'époque dans l'établissement de bases communes pour une prospérité économique durable. Ainsi, la question sociale se trouvait déjà au centre des préoccupations de l'unification européenne.

Aujourd'hui, ce lien apparaît clairement et il est remis en question. Et c'est très bien ainsi! Trois points semblent être au cœur des débats et des préoccupations, notamment en France :

– le danger de délocalisation de pans entiers de l'industrie vers les nouveaux pays membres dû à la concurrence des sites de production;

– l'apparente inscription du néolibéralisme économique dans la future Constitution européenne ;

– la perte du contrôle démocratique dans la politique européenne.

Il est vrai que nous sommes confrontés à des bouleversements économiques considérables. L'économie européenne doit devenir plus compétitive et plus innovante – les chefs de gouvernement se sont mis d'accord sur cet objectif lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000. Mais ce sommet a également été l'occasion d'affirmer – et là aussi nous étions tous d'accord – que nous tenons au modèle social européen comme étant l'un des piliers de l'identité européenne. C'est pour cela que l'année prochaine, pendant la présidence luxembourgeoise de l'Union et lors de l'évaluation à mi-parcours du processus de Lisbonne, nous prêterons une attention toute particulière aux aspects sociaux, aspects qui englobent aussi l'éducation et la recherche.

Quant à la future Constitution européenne, c'est un très mauvais instrument de réduction des droits sociaux. Au contraire, elle établit pour la première fois un socle commun de droits pour les salariés, et c'est cette base qui fera dorénavant autorité partout en Europe. Ainsi, le rôle des partenaires sociaux y est notamment garanti. Et par l'intégration de la charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne dans la Constitution, des droits sociaux importants deviennent juridiquement obligatoires dans tous les pays membres.

Je ne peux pas adhérer à l'idée que la Constitution européenne mettra un terme définitif au contrôle du citoyen sur les affaires européennes. Le processus d'élaboration de la Constitution a déjà constitué en lui-même un franc progrès pour la démocratie européenne. La Convention, qui pendant plus d'un an et demi a rassemblé sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing des personnalités de tous les pays membres, a réussi à faire sortir la politique européenne des antichambres de la diplomatie et l'a placée sous les projecteurs de l'opinion publique. Le processus de ratification, qui sera accompagné d'un référendum dans de nombreux pays membres, donnera lui aussi une légitimité démocratique supplémentaire à l'intégration européenne.

Le texte de la Constitution contient à lui seul de nombreuses améliorations démocratiques. Ainsi, le pouvoir du Parlement européen, le représentant élu directement par le citoyen européen, se trouve substantiellement accru. C'est au Parlement qu'il incombe de prendre conscience de ces possibilités et de les faire siennes. Ce n'est que par ses propres ambitions politiques que le Parlement de Strasbourg pourra devenir aux yeux de ses citoyens un acteur crédible de la politique européenne. Les possibilités de participation politique sont renforcées à travers l'instrument du référendum européen introduit par la Constitution. Avec un million de signatures, on pourra dorénavant initier un référendum dans toute l'Union européenne. Le futur nous montrera comment cet instrument sera utilisé.

L'Union européenne n'est pas une conspiration du capitalisme international. Son but n'est pas, malgré les affirmations contradictoires qui circulent, de retirer aux citoyens leur émancipation parfois difficilement acquise. L'Union européenne est un projet politique et un exemple à suivre par le reste du monde, mariant harmonieusement des cultures étatiques, juridiques et économiques différentes. Ce projet n'est pas encore arrivé à son terme et c'est grâce à la force des débats politiques dans nos sociétés qu'il avance.

Nous sommes tous invités à participer à cette passionnante confrontation d'idées. Pour moi, les Semaines sociales de France, qui fêtent cette année à Lille leur centième anniversaire, constituent un moment privilégié pour faire progresser ce débat.

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