Luc Frieden, ministre de la Défense, devant l´Assemblée de l´Europe Occidentale

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d’avoir l’occasion de m’adresser aux membres de l’Assemblée parlementaire à un moment où l’Europe met en œuvre des décisions de portée historique pour sa sécurité et sa défense.  

Monsieur le Président,

C’est dans un contexte spécifique que le Luxembourg assumera, du 1er janvier au 30 juin 2005, les Présidences de l’UE et de l’UEO: D’une part, l’année à venir marquera le début du processus de ratification du nouveau traité constitutionnel avec ses nouvelles dispositions pour approfondir l’Europe de la sécurité et de la défense. Pour mon pays, le processus engagé depuis le  Conseil de Maastricht en 1991 en matière de politique européenne de sécurité et de défense doit aboutir à faire de l’Union européenne une institution politique complète dotée d’une capacité d’action crédible. D’autre part, la menace du terrorisme international exige des engagements fermes et des alliances efficaces de tous ceux qui oeuvrent pour la démocratie et la liberté. Enfin, par leurs effets internationaux, les crises régionales exigent aujourd’hui, plus que par le passé, des réponses collectives, des réponses européennes.

Mesdames et Messieurs les députés,

Le monde a changé. Grâce à la construction européenne, nous avons assuré la paix sur notre continent durant les soixante dernières années. La guerre froide est heureusement terminée. La liberté et la démocratie pluraliste ont gagné du terrain. Mais ces valeurs fondamentales qui expliquent notre engagement politique ne sont pas assurés à jamais. Il nous faut donc une stratégie européenne de sécurité intérieure et extérieure pour défendre la paix, la liberté, l’État de droit et la démocratie. La PESD est un élément important de cette stratégie que nous appelons de nos vœux.

En matière de politique de sécurité et de défense, nous avons partagé bon nombre des analyses et des idées mises en avant par votre Assemblée, au cours des dernières années. Ces travaux ont contribué de manière significative à façonner l’Europe de la sécurité et de la défense. 

L’Europe doit disposer d’une véritable capacité d’action pour assurer, dans un esprit de solidarité et d’engagement pour les valeurs de liberté et de démocratie, ses propres responsabilités, en pleine transparence et complémentarité avec ses partenaires, au premier rang desquels figurent les Etats-Unis. Mais cette dimension nouvelle de l’intégration européenne qu’exige la menace terroriste et les crises régionales avec effet doit s’appuyer, en démocratie parlementaire, sur des opinions publiques convaincues de sa nécessité. Il faut donc un débat autour de ces questions. Nos concitoyens doivent comprendre pourquoi il nous faut aujourd’hui des forces armées réformées pour agir dans un environnement qui au cours des dix dernières années a changé de fond en comble. Je crois que c’est là une des missions principales du débat parlementaire national et européen, et je tiens à saluer ici la détermination et l’efficacité avec lesquelles vous avez, Monsieur le Président, poursuivi avec vos collègues cette tâche au sein de cette Assemblée.

Aujourd’hui, cinquante ans après la signature du Traité modifié de Bruxelles et suite à la signature du traité constitutionnel de l’Union européenne, l’instance parlementaire se trouve au seuil d’une nouvelle ère. Nous devons réfléchir ensemble pour trouver les instruments parlementaires les plus efficaces pour mener ces débats auxquels mon pays attache une grande importance. 

Monsieur le Président,

La sécurité de notre continent est indivisible et les risques auxquels elle est exposée, tout comme les réponses à y apporter, ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Union : la stabilité et la paix même loin de notre  périphérie immédiate assurent notre sécurité de façon directe et substantielle. Ce qui se passe dans les Balkans, en Ukraine, au Proche-Orient, en Afghanistan ou ailleurs a aujourd’hui des conséquences directes sur notre sécurité intérieure et notre stabilité. Le monde est devenu « global », pas seulement en termes économiques ; nous assistons au cours des dernières années à une globalisation ou mondialisation de l’instabilité. Il faut donc nécessairement une réponse globale, dans laquelle l’Europe et ses États-membres doivent prendre leurs responsabilités.

A cette fin, l’Europe a choisi de se donner les moyens politiques, civils et militaires pour être un acteur solidaire et efficace aux côtés de ses partenaires de l’OTAN. Dans ce contexte, le plus grand défi sera de contribuer à perfectionner les nouveaux éléments constitutifs de la PESD dans une approche intégrée, en tirant le meilleur bénéfice des structures existantes tout en les agençant dans une nouvelle logique politique, plus efficace, plus rationnelle et plus opérationnelle. Dans ce contexte, la Présidence luxembourgeoise se propose d’agir dans la continuité, tout en établissant, bien entendu, un certain nombre de priorités.

Les opérations militaires actuellement menées par l’Union montrent que l’Europe a décidé de dépasser la rhétorique. Face aux crises régionales, face aux impacts qu’elles peuvent avoir sur les sociétés et les intérêts européens, face à la menace terroriste, elle est disposée à faire davantage d’efforts pour contribuer à la sécurité et la paix dans le monde.  La mission ALTHEA en Bosnie-Herzégovine, qui débutera formellement cette semaine-ci, est une illustration parfaite de cette détermination. Cette opération démontre en même temps que l’Union européenne et l’OTAN sont en mesure de coopérer de manière exemplaire et de développer des synergies constructives pour gérer les crises internationales. Les autres missions de l’Union dans les Balkans, au Congo et en Géorgie, qu’elles soient militaires ou civiles, constituent des efforts importants pour contribuer à la stabilité et à la paix et pour aider les pays concernés à préparer un futur plus prometteur et plus prospère.

Notre personnel militaire et civil dans ces régions, comme ailleurs dans le monde, y sont de grands artisans de paix, des ambassadeurs de l’Union oeuvrant pour la stabilité et pour notre sécurité. Je voudrais leur exprimer notre gratitude pour les risques et les engagements qu’ils prennent pour notre sécurité, pour notre liberté. Nos citoyens et nous, responsables politiques de la défense leur devons beaucoup. C’est avec ce message de gratitude que je me rendrai chez tous les soldats européens en mission durant notre Présidence. Permettez-moi également d’exprimer, dans ce contexte, ma profonde satisfaction quant à la participation des pays non membres de l’Union européenne à ces opérations. Je me réjouis de voir que les accords de Nice sont interprétés de manière non étriquée et que les pays tiers saisissent l’opportunité qui leur est offerte pour participer aux missions de l’Union. J’adresse donc mes remerciements aux représentants de la Bulgarie, de l’Islande, de la Norvège, de la Roumanie et de la Turquie pour les efforts que leurs gouvernements ont consentis au cours des dernières années et pour les contributions significatives aux opérations en cours.

La politique étrangère commune fonde son autorité sur l’existence de moyens d’intervention militaire crédibles. C’est pourquoi la future Présidence luxembourgeoise s’appliquera à renforcer les aspects opérationnels, à la fois militaires et civils, de la PESD et à mettre en œuvre une stratégie pour combler les lacunes capacitaires. Pour faire face aux défis et pour être en mesure de contribuer à la gestion de crises dans le futur, il convient de poursuivre et de renforcer le processus de développement des capacités à moyen et à long terme. L’Union a pris la décision de compléter l’approche quantitative d’Helsinki par une approche qualitative. En d’autres mots: il y a lieu d’adapter, à l’horizon 2010, le processus d’Helsinki aux objectifs définis par la stratégie de sécurité européenne et à la dimension plus vaste de la défense européenne, conformément au Traité constitutionnel. Nous veillerons à développer les capacités militaires en tenant compte d’un certain nombre de critères précis et mesurables comme la mobilité stratégique, la déployabilité, l’interopérabilité et la durabilité. La mise en œuvre du concept des groupements tactiques est d’importance capitale pour permettre à l’Union de réagir rapidement en cas de besoin. Nous sommes très satisfaits de voir que d’ici peu l’Union européenne disposera de treize battlegroups nationaux ou multinationaux. Le fait que lors de la réunion des ministres de la Défense du 22 novembre dernier presque tous les Etats ont pris des engagements concrets démontre la volonté politique de tous de doter l’Union d’un instrument militaire rapide de gestion de crise dans un esprit européen. Cette réunion du 22 novembre était dès lors un pas important pour concrétiser la PESD. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de tirer tous les avantages des arrangements de Berlin + au niveau technique et militaire pour la coopération entre l’UE et l’OTAN. Dans le domaine de la réaction rapide, il faut mettre au diapason les ambitions européennes et celles de l’OTAN, ceci dans une optique de complémentarité et de renforcement réciproque.

Soucieux des deniers publics que nous gérons en tant que responsables politiques, il est inconcevable que la modernisation et l’adaptation de l’outil militaire échappent à une dynamique européenne d’intégration et de rationalisation. Le Luxembourg reconnaît la nécessité d’accomplir des efforts soutenus pour renforcer la compétitivité de la base industrielle et technologique de la défense. La restructuration des industries européennes de défense dans les Etats concernés doit être favorisée, une collaboration plus étroite et plus efficace établie au niveau des industries de défense. La nouvelle Agence européenne pour la défense a donc un rôle crucial à jouer. 

Enfin, la PESD permet également d’utiliser toute une gamme d’instruments civils pour la gestion des crises, particularité à laquelle nous attachons une grande importance. Le renforcement des capacités civiles constitue une amélioration indispensable pour l’approche intégrée de l’Union et le Luxembourg fera un effort particulier pour faire des progrès dans ce domaine et pour rendre l’Union plus opérationnelle en combinant les capacités d’action militaire et civile.

Monsieur le Président,

La lutte contre le terrorisme international est devenue, après les événements dramatiques des trois dernières années aux Etats-Unis et en Europe, une des priorités de l’action de l’Union, au plan intérieur comme au plan des relations extérieures. Depuis 2001, nous avons identifié des lignes directrices claires et fortes et avons décidé l’adoption de mesures collectives à caractère normatif ou opérationnel.

L’Union européenne s’est dotée d’une feuille de route intégrant toutes les dimensions de la lutte contre le terrorisme, y compris les dimensions sécurité extérieure de l’Union avec la PESD. Ce travail essentiel devra continuer sous Présidence luxembourgeoise, notamment en veillant à mettre en œuvre le plan d’action que le Conseil européen adoptera sans aucun doute d’ici la fin de l’année. La coordination des travaux en matière de terrorisme effectuée dans les différentes enceintes du Conseil me semble essentiel à cet égard.

L’Europe reste confrontée à des menaces et des défis en matière de sécurité et aucun pays n’est en mesure de faire face, seul, aux problèmes. Parmi ces nouvelles menaces le terrorisme occupe une place particulière.

Le Conseil européen a souligné l’importance primordiale qu’il attache à l’utilisation du large éventail d’instruments dont dispose l’Union européenne dans le cadre de la lutte contre tous les facteurs qui alimentent le terrorisme: l’extrême pauvreté, l’injustice sociale, les injustices politiques, pour ne nommer que celles-là. 

La stratégie européenne de sécurité constitue un cadre essentiel pour l’élaboration d’une politique efficace de lutte contre le terrorisme au plan multilatéral s’articulant autour des Nations Unies. 

Il est évident que la future Présidence luxembourgeoise attachera une haute priorité et une importance particulière à ce dossier en veillant à coordonner sans cesse la politique extérieure de sécurité de l’Union et les politiques menées dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures. Ma double casquette de ministre de la Défense et de ministre de la Justice me sera, je l’espère, d’un avantage certain pour atteindre cet objectif. Le nouveau traité constitutionnel favorise également cette approche intégrée.

Monsieur le Président,

Si l’UE, d’après la stratégie européenne de sécurité, entend agir dorénavant en tant qu’acteur global, il va sans dire que son action ne sera pas isolée. Nous comptons agir de manière solidaire,  avec nos alliés, en particulier dans le cadre du partenariat stratégique qui nous lie aux Etats-Unis d’Amérique. Le fait que la nouvelle administration Bush entre en fonctions en janvier 2005 et l’importance que nous attachons à ce partenariat me conduisent tout naturellement, Monsieur le Président, à consacrer quelques réflexions sur ce sujet.

Depuis toujours, les relations transatlantiques ont été plus qu’une simple alliance d’intérêts. Elles relient une communauté d’Etats qui souscrivent à des valeurs fondamentales, des idéaux et des intérêts communs.  L’Europe et l’Amérique du Nord partagent une histoire culturelle et spirituelle.

Je ne partage pas les vues de certains qui veulent diviser l’Europe entre ceux qui sont du côté américain et ceux qui veulent faire de l’Europe un contrepoids aux Etats-Unis. Il peut y avoir sur l’un ou l’autre dossier une divergence de vues entre Européens ou avec nos amis américains. Mais pour l’essentiel, l’Europe doit apporter sa contribution à la défense en commun des valeurs que nous jugeons essentielles, dans le cadre du dialogue transatlantique. Ce dialogue, nous le voulons substantiel, reposant sur une faculté d’écoute réelle et de prise en compte des intérêts des uns et des autres. Car sur l’essentiel, la défense de la liberté et de la démocratie, nos objectifs ont été, sont et resteront identiques. Notre approche conjointe face à la crise en ex-Yougoslavie demeure à cet égard exemplaire. Le passage de relais entre la S-FOR de l’OTAN et la mission ALTHEA de l’UE s’inscrit dans la même veine. 

A maintes reprises, les Etats-Unis ont réitéré leur appui à la construction européenne et l’Union, a pour sa part, confirmé son aspiration à jouer son rôle au sein d’un partenariat équilibré.  J’accorde une grande importance à une stratégie commune États-Unis-Europe tant en matière de sécurité extérieure que dans les questions ayant trait à la sécurité intérieure et notre Présidence de l’Union nous permettra d’œuvrer en ce sens.

Dans la gestion des conflits, l’OTAN reste la pierre angulaire du dispositif transatlantique. Comme le disait l’autre jour Jaap de Hoop Scheffer, le secrétaire général de l’OTAN dans une interview: L’Europe a besoin de l’OTAN, l’OTAN a besoin de l’Europe. Il a tout à fait raison. L’Union européenne a créé de nouveaux instruments qui lui permettent, avec les Etats-Unis, de contribuer efficacement, de manière crédible et coordonnée, à la gestion des crises en Europe et au-delà. La PESD n’est pas destinée à se substituer à l’OTAN. Elle est orientée vers le renforcement de la communauté transatlantique. La nouvelle stratégie de sécurité européenne partage les perceptions américaines quant à la nature des menaces et apporte une réponse européenne pour garantir notre contribution. L’Europe a besoin des Etats-Unis pour sauvegarder sa sécurité, et inversement: une Europe forte, démocratique et prospère est un gage de sécurité pour les Etats-Unis.

Dans un monde interdépendant et face aux nouvelles menaces, nos actions pour la stabilité, la démocratie et la liberté doivent être coordonnées et complémentaires. Nos différents partenariats avec la Russie dans les domaines de la sécurité intérieure et extérieure doivent également être renforcés dans l’intérêt de la stabilité dans le monde et en Europe. Mais pour que la voix de l’Europe soit entendue, il faut que l’Europe exprime une opinion commune, unique en matière de politique étrangère et de sécurité.

Monsieur le Président,

J’ai pu constater qu’il existe un accord très large entre les orientations politiques dont je vous ai fait état et celles exprimées ici par votre Assemblée. Permettez-moi de souligner l’importance que la Présidence luxembourgeoise attache aux rapports avec les instances parlementaires. Nous voudrions que la coopération entre la Présidence et les parlementaires, tant au niveau national qu’au niveau européen, reste marquée par une communauté d’esprit et d’intentions.

Notre politique de sécurité et de défense n’a qu’un seul objectif: défendre les valeurs fondamentales auxquelles nous croyons : la liberté, la démocratie et les droits fondamentaux de l’homme.

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