Jean Asselborn lors de la commémoration du 60e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis (28e session extraordinaire de l´Assemblée générale des Nations unies)

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Il est des lieux, il est des évènements qui jamais ne se perdent dans l’histoire, qui toujours restent présents dans l’esprit des hommes.

Auschwitz-Birkenau, Bergen-Belsen, Treblinka et les autres camps de la mort sont de ces lieux emblématiques qui subsistent comme une blessure toujours ouverte dans la conscience morale de l’humanité. C’est là où l’extermination voulue, planifiée, organisée de millions d’êtres humains a été mise en œuvre dans les usines de la mort nazies.

C’est là où l’expérience de l’humiliation et de la négation de l’humain a trouvé son expression la plus absolue. Toujours nous aurons mémoire de ces hommes et ces femmes, de ces enfants, persécutés en raison de leur race ou de leur religion, de leurs convictions politiques ou de leur nationalité, victimes de la barbarie et de la haine. Leur souffrance est indicible et leur expérience incommunicable ; ne reste pour nous que le  devoir de mémoire et cet appel moral imprescriptible: "plus jamais ça !"

Mais la mémoire des victimes nous impose un autre devoir, celui de chercher à comprendre l’enchaînement des causes et effets, la logique funeste qui a conduit des millions d’être humains vers une mort qui, soixante ans après, nous reste encore incompréhensible.

Car seul ce travail sur les faits historiques peut nous mettre en mesure de tirer les enseignements moraux et politiques de l’enfer concentrationnaire afin d’éviter qu’il ne se reproduise. "Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter" nous rappelle George Santayana dans son fameux aphorisme. Rechercher les causes de la Shoah, qui a frappé de manière si impitoyable et aveugle les juifs d’Europe, mais aussi de la volonté d’extermination dont ont été victimes d’autres hommes et femmes encore, c’est dénoncer les idéologies de la haine et de l’exclusion fondées sur l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie qui, malheureusement, trouvent encore jusqu’à nos jours de tristes propagandistes.

Le devoir de mémoire entraîne également une obligation d’éducation en particulier en direction des jeunes générations : celle-ci constitue non seulement une obligation morale  mais surtout un devoir civique de tout premier ordre auquel nous ne saurions nous soustraire.

Monsieur le Président,

Grande est mon émotion à l’idée de pouvoir intervenir aujourd’hui dans l’enceinte des Nations Unies, au nom de l’Union européenne, dans le cadre de cette commémoration du 60eme anniversaire de la libération des camps de concentration. C’est l’occasion de témoigner de notre respect pour les innombrables victimes, connues ou anonymes, de ces usines de la mort. C’est aussi l’occasion de saluer avec gratitude les armées alliées qui ont mis fin, voici soixante ans, au cauchemar nazi et qui ont permis la libération des trop rares survivants des camps.

Il paraît particulièrement indiqué que cette séance de commémoration se tienne dans l’enceinte même des Nations Unies, cette organisation née des affres de la guerre et qui évoque dans le préambule de la Charte "les indicibles souffrances" infligées à l’humanité. Cette même Charte proclame l’émergence d’un ordre mondial plus juste et plus pacifique, fondé sur le respect des droits de l’homme et du droit international, et  organisé autour d’institutions internationales que nous avons reçues en héritage des visionnaires qui, réunis voici soixante ans à San Francisco, ont porté sur les fonds baptismaux cette Organisation des Nations Unies qui constitue toujours une source d’inspiration et d’espoir pour l’humanité toute entière. Et ces deux textes magnifiques que sont la Convention sur la répression et la prévention du crime de génocide et la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptées respectivement le 9 et le 10 décembre 1948, expriment une même vision empreinte d’humanisme.

C’est dans la même perspective que l’aventure européenne a été lancée au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale.

Fondamentalement, le projet européen a été et reste un projet de paix visant, et je cite une formule tirée du préambule du traité de Paris de 1951, "à substituer aux rivalités séculaires une fusion [des] intérêts essentiels [des Etats parties], à fonder par l’instauration d’une communauté économique les premières assises d’une communauté plus large et plus profonde entre des peuples longtemps opposés par des divisions sanglantes, et à jeter les bases d’institutions capables d’orienter un destin désormais partagé" (fin de citation).

Ainsi tant les Nations Unies que l’Union européenne constituent, parmi d’autres, des essais de tirer les enseignements de l’expérience profondément traumatique des camps et de la guerre.

Et ces hautes et nobles aspirations doivent être maintenues vivantes et adaptées aux exigences particulières des temps présents: telle est notre responsabilité, tel est notre devoir, tel est notre engagement.

C’est dans cette perspective que le "plus jamais ça" rappelé au début de mon discours ne doit pas se limiter à une simple exhortation morale, pour puissante qu’elle soit, mais il doit constituer une ligne de conduite constante dans la définition et la mise en œuvre concrète de politiques et de mesures auxquelles nous sommes confrontés. C’est ainsi que la mémoire devient mémoire agissante dans un acte de fidélité active au témoignage muet, mais éloquent que nous ont légué les victimes des camps de la mort. Soyons attentifs à l’avertissement du poète Paul Eluard qui nous dit : "Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons".

Sachons-nous montrer dignes de cet héritage essentiel !

Je vous remercie de votre attention.

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