Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au CEPS (Center for European Policy Studies) à Bruxelles

Chairmen, Ambassadors, Commissioners, former Commissioners, Ladies and Gentlemen and for many of you my good friends, I will speak French later on, but I wanted to prove that I am able to speak English, but as I have a close relationship with the French president and he is always, when I’m not speaking French during the meeting of the European Council, very angry, making a tour de table when I’m speaking German or English, asking me why I am expressing myself in a dialect he doesn’t know. And as I know that many of you do know the French president, I have to speak French, because as Luxembourg is part of the abroad francophone community, many of the prime ministers of the francophonie, when they are entering my office expressing themselves in a rather good English and in having no knowledge at all as far as French is concerned, I have to deliver my public speeches in French, because French being the official language of my country too, which was quite a surprise when I was addressing the other day the governing council of the European Central Bank, where they all were [inaudible] they have to speak English. I made a decision during a week now, that to express always in French.

I made the decision to come here, because I used to know Onno [H. Onno Ruding] for so many years, I don’t really remember when we first met. I think, I was Minister of Budget replacing the then Finance Minister Jacques Santer, who was my minister and I was his deputy during the Dutch presidency of the Ecofin Council, so I came here because, not because George Bush was here, but because Onno was inviting me to address this distinguished assembly and as I know that so many friends of mine would be here, even without having Onno inviting me I would have come here.

Parce qu’en fait, lorsque je regarde la salle, je me rends compte que je tutoie au moins la moitié de la salle. Ce qui est la conséquence directe d’un parcours européen déjà long. Vous savez, entre 1982, date qui n’entrera pas dans l’histoire, mais qui pour moi fut essentielle, puisque commença alors mon parcours européen et aujourd’hui, il nous arrive de rencontrer énormément de gens et comme l’Europe est très peu flexible pour remplacer ses cadres dirigeants et ceux qui pensent que les cadres dirigeants sont un grand succès, il vous arrive régulièrement de revoir toujours les mêmes à des endroits différents. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi l’ambassadeur des Pays-Bas commence à rire, sans doute pense-t-il que je le vois trop souvent. On m’a dit que j’aurais à ma disposition 20 minutes et que je quitterai à 10 heures. Il y a là dans son introduction deux éléments, dont un est vrai, je quitterai à 10 heures, et dont l’autre se révélera avoir été faux parce que j’aurai besoin de plus de 20 minutes. Parce que 20 minutes, en règle générale, c’est le temps pendant lequel je m’arrange pour lancer la première partie de l’introduction sur le sujet que je m’apprête à aborder.

Et j’ai mis sur le menu que je dois parler de la stratégie de Lisbonne et j’ai noté avec satisfaction qui sont les sponsors de cette soirée. Voir ceux qui profitent pendant de si longues années de ma générosité sans faille enfin être tenus responsables et de voir cofinancer le dîner de ce soir me remplit d’une satisfaction que même la riche langue de Voltaire ne me permettra pas de décrire dans le détail, c’est une réelle jouissance de vous voir payer ce geste, manger aux frais des autres et manger aux frais de ceux qui paient ce soir me rend fou de joie, ce qui ne m’empêchera pas de les remercier.

Nous avons à l’agenda de la Présidence luxembourgeoise un certain de nombre de sujets qui me fâchent, qui m’intriguent, qui m’inquiètent, qui inquiètent les autres et qui tous sont reliés entre eux. On ne peut pas parler de la stratégie de Lisbonne sans parler des perspectives financières. On ne peut pas parler des perspectives financières sans faire référence à la réforme tant bien nécessaire du pacte de stabilité. On ne peut pas parler du pacte de stabilité sans parler de la stratégie de Lisbonne. Et je ne sais pas par quel bout prendre ce triptyque. J’aime, disait le philosophe français Pascal, les choses qui vont ensemble. Ces trois choses vont ensemble : la réforme du pacte, la stratégie de Lisbonne, les perspectives financières, mais je n’aime pas ces choses-là, contrairement à Pascal, qui aimait les choses qui vont ensemble, parce que ces 3 dossiers ne vont pas ensemble. Il y a ceux qui voudraient que nous relancions la stratégie de Lisbonne sans nous occuper des conséquences que se [inaudible] peut avoir sur les perspectives financières, voire sur le pacte de stabilité. Il y a ceux qui voudraient que nous en restions aux termes exacts du pacte de stabilité, tout en voulant redynamiser le processus de Lisbonne, mais ne voudraient pas que cela produise un quelconque impact sur des amendements qu’il conviendra d’apporter au pacte de stabilité et dit de croissance et, par conséquent, nous sommes là, Présidence luxembourgeoise, à prendre un problème après l’autre, tout en sachant qu’il y a des interrelations fortes entre les trois, tout le monde acceptant d’une façon ou d’une autre, ne fut-ce qu’informellement, pour lui il y a un lien, mais que nous commencerions, voudrait-il, par les dossiers qui les intéressent le plus pour avoir la conviction de pouvoir laisser tomber aux oubliettes les dossiers qui les intéressent moins.

Je crois que le bilan intérimaire qu’il conviendra d’apporter à la stratégie de Lisbonne a toute son importance. Nous avons, je crois en mars 2000 à Lisbonne, lancé cette stratégie et lorsque nous l’avons fait, nous n’étions pas très modestes, parce que nous avons dit, promis un peu, laissé entrevoir aux Européens qu’il serait possible entre 2000 et 2010 de faire de l’économie européenne l’économie la plus compétitive du monde, basée sur une large assiette de connaissances et nous avons assorti cet élan économique par divers acteurs enrichissants comme ceux qui avaient trait à la cohésion sociale ou aux politiques environnementales que nous avons rajoutées à la stratégie de Lisbonne, lors du Conseil européen Göteborg et sous Présidence suédoise.

Je ne me rappelle plus très bien du moment où nous avons pris la décision de dresser un bilan. Ce fut une bonne idée, mais l’idée de faire cet examen de conscience sous Présidence luxembourgeoise s’est révélé être une idée qui ne cesse de nous tracasser. Nous avons dit qu’il y a trop de processus en Europe. Nous avons dit qu’il faudra rationnaliser la stratégie de Lisbonne. Nous avons dit qu’il faudrait voir les intersections de la stratégie de Lisbonne avec les autres dossiers dont je vous ai parlé et nous avons dit qu’il faudrait fixer non pas de nouvelles priorités, mais « reprioritiser » la stratégie de Lisbonne.

Tout le monde dit que Lisbonne fut un échec. Ce n’est pas entièrement faux, ce n’est pas entièrement vrai. Il est vrai que le bilan de Lisbonne est un bilan mitigé. Mais même si cela était un énorme succès, les Européens ne diraient jamais que c’était un grand succès, puisque les Européens n’aiment pas parler de leurs succès. C’est toute la différence avec nos amis américains, que j’ai eu récemment l’occasion de re-rencontrer, pour qui tout va bien, qui ne voient pas de très grands problèmes devant eux, qui se croient capables de surmonter toutes les difficultés qui existent, celles à la rencontre desquelles ils vont aller. Alors qu’en Europe, nous donnons toujours l’impression que tout ce qui ne peut pas fonctionner en théorie ne peut pas fonctionner en pratique.

Prenez l’euro : nombreux sont les professeurs, surtout d’expression allemande, mais non exclusivement d’expression allemande, qui nous avaient décrit qu’une union économique et monétaire ne pouvait pas fonctionner, que la monnaie unique serait la dernière décision européenne qui la conduirait définitivement à l’échec absolu. Lorsque j’ai signé le traité de Maastricht le 7 février 1991, ou nonante-et-un, comme il faut dire, Philippe, comme nous sommes à Bruxelles. Parmi ceux qui ont signé le traité, rares étaient ceux qui y croyaient. Je suis d’ailleurs avec l’euro le seul signataire politiquement survivant du traité de Maastricht. Il est fort à parier que l’euro me survivra. Ben, on va voir.

Jamais nous n’avions pensé que nous serions onze pour lancer l’euro, que nous serions douze peu de temps après, je n’entrerai pas dans le détail du parcours qui fut celui de la Grèce pour y rentrer. Tous ceux qui disaient à l’époque que nous connaîtrions l’échec se sont finalement trompés, les Européens, beaucoup d’Européens, nos amis américains également.

Je me rappellerai toujours qu’un jour en août 1995, je faisais une visite officielle à la Maison Blanche avec Bill Clinton et qui me disait, est-ce que tu pourrais me parler un peu des grands problèmes européens ? Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous êtes en train de concocter ? Moi, je me lançais dans un grand discours sur l’euro et Bill Clinton, après 2 ou 3 minutes, m’interrompit amicalement, non, non, non, quel sera le sort de la Turquie, déjà la Turquie à l’époque.

J’ai été voir le ministre des Finances, Monsieur Rubin à l’époque, qui me dit, parlez-moi de l’Europe. Je lui parle de l’euro, ça ne l’intéressait pas. Non, non, regardons un peu le système financier international, regardons de près les grands équilibres macro-économiques qui traversent la planète. Ça ne l’intéressait pas.

Une année après, deux années après, je dois dire, en 1997, j’étais de retour à Washington, pour les réunions annuelles du Fonds et de la banque et voilà qu’un samedi soir, le ministre des Finances américain m’appelle à mon hôtel. Il me dit, vous m’avez expliqué il y a 2 années l’euro, enfin, ça ne s’appelait pas encore l’euro, enfin, la monnaie unique. Est-ce que vous pourriez venir me voir ce soir pour que nous en discutions ? Alors, prenant soudainement conscience de l’importance momentanée qui était la mienne, parce que lorsque le ministre des Finances américain appelle le luxembourgeois, c’est pas une chose qui arrive tous les jours, sauf si vous êtes en présidence, alors il ne peut pas contourner le Grand-Duché, même si parfois ils doivent venir rendre visite aux petits royaumes qui nous entourent pour le moment, ça c’est assez normal. Et donc je disais, non, j’ai pas le temps ce soir, je ne peux pas venir, alors il dit, alors on va prendre le petit-déjeuner ensemble à la Treasury demain à 7 heures et demie, dimanche. Alors je me suis dit, si un ministre américain des Finances invite le luxembourgeois à prendre le petit-déjeuner un dimanche matin à 7 heures et demie à la Treasury, c’est que les Américains sont en train d’y croire. Mais tous les Allemands n’y croyaient pas encore, surtout pas les professeurs du monde académique allemand. Monsieur Ravaso, bien sûr, y croyait, puisqu’il était un des nombreux architectes de cette construction finalement très équilibrée qui est due, bien sûr, à sa sagesse inventive et créatrice je dois dire, parfois outrageusement créatrice d’ailleurs, parce qu’il travaille pour la Commission.

Donc, nous ne sommes ni fiers ni contents de nos succès, nous n’en parlons pas, nous sommes strictement incapables d’expliquer aux Européens qui nous observent toujours avec inquiétude, bien qu’avec patience, pourquoi l’euro fut un réel bonheur pour l’Europe. Imaginez-vous le système monétaire européen qu’on aura bien connu sans l’euro, sans la monnaie unique, pendant la période que nous venons de traverser ? L’éclatement de la première guerre continentale en Europe, après la Deuxième Guerre mondiale, les crises financières mexicaines, argentines, russes, la guerre du Kosovo, la guerre de l’Iraq, les crises pétrolières, les mouvements erratiques des prix pétroliers. Quelle aurait été la réaction du système monétaire européen ? Moi, j’ai vécu une époque où j’étais à Bruxelles tous les 6 mois pour assister à des réalignements monétaires. Les jeunes ministres des Finances d’aujourd’hui, qui tous sont plus âgés que moi, ne se rappellent plus de cette époque, où il fallait que nous ajustions, réajustions, repensions et refixions l’essentiel de nos arrangements monétaires. Nous ne connaissons plus cette époque et nous ne parlons plus des problèmes qui furent les nôtres avant que nous n’ayons donné la réponse de la monnaie unique, qui est la seule réponse valable, bien qu’insuffisante, à la globalisation et à la mondialisation. Donc, l’Europe n’aime pas parler de ses succès. Je le dis parce que je crois que dans la mise en œuvre de l’agenda de Lisbonne, il y a un certain nombre de [inaudible] insuffisants, insuffisamment nombreux, mais tout de même assez perceptibles dans la réalité quotidienne de notre marché intérieur qui reste à parfaire.

Sur l’agenda de Lisbonne, il faut dire des choses simples : tout d’abord, il faut avouer que les opinions publiques européennes ne savent pas de quoi nous parlons lorsque nous faisons référence à l’agenda de Lisbonne. Je l’ai bien ressenti pendant la récente campagne électorale luxembourgeoise, je veux parler des élections que nous avons eu en juin 1999. Chaque soir, lorsque je faisais référence à l’agenda de Lisbonne, personne ne bougeait dans les salles, il n’y avait pas de mouvement dévoué, ni de mouvements divers, à part les Portugais qui étaient là et qui maîtrisent moins bien que d’autres la langue luxembourgeoise, bien que faisant de grands efforts et qui pensaient que je suis en train de faire des compliments à la communauté portugaise, à part ça, il n’y a jamais eu de réactions. Personne ne sait de quoi nous parlons lorsque nous parlons de la stratégie de Lisbonne et de son agenda. En fait, il s’agit de faire en sorte qu’aujourd’hui, nous fassions des réformes dont l’Europe a besoin pour que demain, le plus grand nombre d’Européens puisse avoir accès au modèle social européen. En plus, redécouvrir pour ceux qui en sont éloignés les mérites de ce modèle, et pour que ceux qui en profitent puissent garder son bénéfice pour eux et pour leurs enfants. Ce n’est pas une stratégie de technocrates, une stratégie de scientifiques, une stratégie de ceux qui penseraient au monde de demain sans penser à celui d’aujourd’hui. C’est un programme qui voudrait que le modèle social européen soit maintenu en Europe. C’est la raison pour laquelle nous avions dit à Lisbonne en 2000 qu’il faudra 3 choses : accroître la compétitivité de l’Europe, puisque la compétitivité n’est plus européenne. Nous avons accumulé d’énormes retards par rapport aux autres parties de la triade économique, il faudrait la cohésion sociale et il faudrait une politique environnementale harmonieuse. À vrai dire, le problème qui est le nôtre aujourd’hui, c’est bien cette perte de compétitivité que nous accusons, perte de compétitivité qui nous a conduits au bord du marasme de la pause de croissance économique et qui en fait contribue à fragiliser les systèmes sociaux qui jadis caractérisaient les États membres de l’Union européenne. Que la Commission ait choisi de mettre l’accent sur les politiques de compétitivité, de croissance et d’emploi, est une approche que je partage. Nous ne sommes pas prêts, lorsque nous nous comparons avec d’autres parties du monde, du point de vue social et du point de vue environnemental. Nous sommes devenus faibles lorsque nous évoluons dans un tableau comparatif, ensemble avec les autres économies importantes du monde. Donc, l’accent doit être mis sur le renforcement de la compétitivité.

Nous avons eu entre 1992 et 2002 une croissance économique en Europe qui fut ultrafaible, à la comparer aux performances qui furent celles des États-Unis ou d’autres parties du monde. Si vous regardez de près le potentiel de croissance économique de la zone euro ou de l’Union européenne, vous constaterez que l’Europe, aujourd’hui, est capable de croître chaque année, si tout va bien, de 1,7 %. Croître à un rythme de 1,7 % sur les 10, 15, 20 années à venir est le remède le plus sûr pour devoir tuer d’une façon ou d’une autre le modèle social européen, puisqu’il n’est plus finançable si le potentiel de croissance économique de l’Europe n’était pas corrigé vers le bas. Par conséquent, que la Commission mette l’accent là-dessus me paraît tout à fait justifié. J’ajoute toutefois qu’il ne faudrait pas que nous éliminions de notre chambre d’en dessous la cohésion sociale et les politiques environnementales. Il n’y aura pas de cohésion sociale raffermie ni de politique environnementale harmonieusement gérée s’il n’y a pas un retour en Europe à des performances de croissance plus conséquentes. La croissance, le renforcement de la compétitivité ne sont pas une fin en soi, c’est un instrument, la compétitivité et la croissance, pour pouvoir faire en sorte que la cohésion sociale puisse être mieux [inaudible], il faut que la politique environnementale puisse s’articuler d’une façon plus équilibrée. Il faut bien distinguer entre la précondition de la croissance et de la compétitivité et les résultats, les instruments, les finalités de la cohésion sociale et la politique environnementale, développement durable au sens large du terme puisqu’il renferme des catégories qui ne sont pas exclusivement environnementales. Alors, nous savons parfaitement ce qu’il faut faire en termes de réformes. Je n’assiste jamais au niveau des ministres des Finances à un débat féroce sur ce qu’il faut faire. Que nous soyons de gauche ou de droite ou du centre, notions qui n’ont aucun sens, nous savons exactement quelles réformes nous devons faire devant les défis que nous posent le vieillissement progressif de nos populations et de la crise démocratique dont l’Europe parle insuffisamment, mais qui sera le grand problème de demain. Donc, le programme des réformes est bien connu. Ce que nous ne savons pas, c’est quelle stratégie choisir pour gagner des élections lorsque nous faisons les réformes dont nous avons la conviction qu’elles devraient avoir été faites par les gouvernements précédents, c’est tout le problème.

Pourquoi est-ce que ces réformes n’ont pas été faites ? Pourquoi est-ce que les réformes les plus importantes, faire en sorte que nos systèmes de Sécurité sociale redeviennent durablement finançables n’ont pas été faites ? Je crois parce que nous n’osons pas dire aux Européens que ces réformes doivent être faites. Les Européens n’aiment pas la réforme. Il fut un temps où celui qui disait : moi, je fais une réforme, il était couvert d’applaudissements nourris de toutes les [inaudible]. Aujourd’hui, vous êtes devant une salle et vous dites, moi je veux faire une réforme, vous êtes immédiatement suspect. On ne vous aime plus. On dit, pourquoi est-ce qu’il fait de la politique ? Il fait de la politique pour faire des réformes, qu’il rentre chez lui et tout est bien. Donc, cette volonté qui fut celle de la génération de guerre, de faire en sorte que leurs enfants trouvent une atmosphère, un environnement où ils pourraient mieux vivre, a totalement disparu. Nous sommes, que nous le voulions ou non, devenus totalement égoïstes. Nous aimons le court terme. Nous ne regardons pas le moyen terme, parce que nous détestons le long terme, puisqu’il ne nous concerne pas dans nos autobiographies. C’est toute la difficulté que peuvent avoir ceux qui en Europe veulent faire et veulent lancer des réformes.

Deux, pourquoi est-ce que nous avons échoué ? Parce que nous n’avons pas utilisé la bonne méthode. Il est facile en Europe de fixer les grands objectifs, d’emprunter de grandes avenues, de faire miroiter les lendemains qui chantent. Mais lorsqu’il s’agit de traduire en politique nationale les objectifs globaux sur lesquels, dans l’enthousiasme œcuménique, vous vous êtes dits d’accord en Europe, nos volontés s’abaissent. Alors, ce qui est essentiel dans cette réflexion sur la stratégie de Lisbonne, sur cette mid-term review comme on dit dans un franglais pas trop approximatif, c’est que nous redécouvrions l’ownership pour continuer sur la lancée franglaise, l’appropriation nationale du processus de Lisbonne. Si les gouvernements ne ressentent pas la pression de l’opinion publique nationale, la remise en cause parlementaire nationale, la pression des partenaires sociaux nationaux, rien ne sera fait. C’est la raison pour laquelle la Présidence luxembourgeoise, de concert d’ailleurs avec la Commission, propose d’obliger les États membres à présenter, pour traduire en effets nationaux l’agenda de Lisbonne, des programmes d’actions nationaux. La Commission proposera sur une base triennale des lignes directrices intégrées qui renferment tous les aspects importants dans le cadre qui est celui que je suis en train d’évoquer, les gouvernements nationaux présenteront des programmes d’action nationaux qu’ils devront, si c’est faisable, mettre en œuvre de concert avec les partenaires sociaux et qu’ils devront traduire devant les parlements nationaux pour qu’il y ait un contrôle parlementaire national, ce qui n’exclut pas la dimension européenne du processus, mais qui renforce l’appropriation nationale qui est essentielle pour que la stratégie de Lisbonne puisse connaître des résultats au plan national. Le traité de Maastricht dit sagement que les politiques économiques restent du ressort national, mais qu’elles sont d’intérêt commun. Par conséquent, il faut plus qu’un encadrement stratégique européen, mais il faut une application nationale des objectifs qui auront été fixés en fonction des contraintes et des exigences de la stratégie de Lisbonne.

Voilà. Moi, j’aurais envie de tout inventer à partir du point zéro, de dire, on va maintenant faire un grand truc. Mais le grand truc est un petit truc. Il faut accompagner la stratégie de Lisbonne d’une bonne méthode de travail. Je ne plaide pas la cause de la renationalisation de l’agenda de Lisbonne, qui dit programme d’action à présenter par chaque gouvernement national. On s’imagine facilement la critique des excités qui nuisent à présenter celui qui dit comme quelqu’un qui voudrait se mettre derrière des barrières nationales, ce n’est pas le cas de la force cumulée de nos économies nationales réformées [inaudible] mettra l’élan dont l’Europe en terme de compétitivité et de croissance et d’emploi a outrageusement et ardemment  besoin.

Cela n’ira pas sans que nous regardions de près le dossier des perspectives financières. Je suis tout à fait impressionné par la simplicité de l’esprit de ceux qui pensent qu’on peut avoir une Europe plus forte, une Europe qui portera toute son attention sur la nécessité qu’il y a d’accroître nos moyens de recherche et de développement, exigence fondamentale de l‘agenda de Lisbonne sans que nous révisions le cadre financier qui est le nôtre actuellement et que nous devrons mettre en place en vue de la période 2007-2013, que nous devons dès aujourd’hui préparer. Il y a 6 États membres qui pensent que l’ambition européenne peut être plafonnée à 1 % du PIB européen. Il y a la Commission se lançant dans les armes d’une mégalomanie qu’elle a elle-même créée qui pense que c’est 1,24 et qui nous dit qu’en limitant son ambition à 1,24, elle fut d’une grande retenue, et puis il y a les sages comme nous, qui ne disent rien et qui pensent qu’il faudra d’abord étudier les politiques, puis fixer les volumes financiers qui correspondent à ces politiques et puis organiser le financement de ces volumes financiers, c’est à quoi nous sommes en train de nous consacrer. Mais cette idée que l’ambition européenne pourrait trouver place dans un cadre budgétaire limité à 1 %, qui est à peu près celui que nous avons aujourd’hui, bien que nous ayons subi, voulu ou voulu ardemment, l’élargissement vers les pays de l’Europe centrale et de l’Europe orientale, est une idée pas trop simpliste pour pouvoir correspondre aux exigences [inaudible] et contenus d’avoir un complément qui reste énormément compliqué. Nous verrons tout cela en mettant un accent sur les nouvelles politiques et potentialités, comme celle de la recherche où nous avons un énorme retard sur les États-Unis. Nous sommes, je crois, à 1,73 % du PIB en termes de recherche et de développement, alors que les États-Unis sont à presque 3 %, le Japon étant à 3,11 et des poussières, ce qui fait que les perspectives financières doivent respirer au rythme de ces ambitions que nous allons fixer dans l’agenda de Lisbonne renouvelé, ce qui évidemment va poser, lorsque nous voulons accroître, ne fut-ce que très modestement, la dépense européenne, ce qui aura pour conséquence que nous devons réfléchir au financement de ce budget et de ces budgets européens. Henning Christopherson nous a quittés, il m’a si souvent entendu que je comprends tout à fait qu’il ait quitté la salle prématurément, parce que nous avons passé de si nombreuses nuits bruxelloises ensemble lorsqu’il était commissaire au Budget et moi ministre du Budget pour qu’il ne s’en souvienne plus, mais lorsqu’il était commissaire au Budget, nous devions année après année financer le budget européen par des accords intergouvernementaux qui ajoutaient des ressources nationales aux ressources de l’Union européenne, parce que les ressources de l’Union européenne étaient insuffisantes. Je ne voudrais plus devoir revivre ces temps perdus, parce qu’en fait, on n’avait pas les instruments communautaires pour financer les ambitions communautaires. Et donc, il faudra que nous reparlions du financement, ce qui veut dire que nous recadrions le sujet. Est-ce que nous voulons continuer à raisonner en termes de catégories, en distinguant les États membres en deux groupes : celui qui est formé par les contributeurs nets et celui qui se compose des bénéficiaires nets. Ce n’est pas la conception de l’Europe. Il ne faut pas tracer en Europe les grands instruments de solidarité qui font l’honneur et la noblesse de l’Europe. Moi, je préfère vivre au Luxembourg, pays contributeur net, ne pas être l’attrait du développement économique en Europe, ne pas devoir être bénéficiaire des fonds structurels européens, d’une façon qui ne correspondrait pas à ce que je souhaite et donc moi, je ne voudrais pas que nous continuions à opérer ces distinctions artificielles, tout en reconnaissant que les pays contributeurs nets, dont nous sommes, ont de bons arguments à faire valoir. Mais l’Europe n’est pas l’addition de pays bénéficiaires nets et de pays contributeurs nets. De tels raisonnements, en fait, traduisent une mauvaise perception de l’essentiel de la substance européenne.

Il faudra parler du chèque britannique, qui fut inventé par l’accord de Fontainebleau que je continuerai jusqu’à la fin de ma vie à appeler Fontainebluff, parce que l’élément explicatif de base justifié à l’époque n’est plus là aujourd’hui, et il faudra donc que nous réformions ne fussent que les bases d’assiette sur lesquelles prennent appui tous les calculs ayant trait au chèque britannique. Mais je laisse de côté ce problème, puisqu’il y a des échéances électorales qui font qu’il sera ainsi qu’on ne pourra toucher à ce sanctuaire que lorsque le suffrage universel [inaudible] se sera exprimé d’une façon à ce point évident que ceux qui en sont les bénéficiaires pourrons peut-être co-gérer les problèmes qui sont ceux de l’Europe.

Le pacte de stabilité, je ne serai pas very unspoken sur cette affaire, bien que j’aie dû passer toute ma journée sur le pacte de stabilité. Il est évident que nous ne pouvons pas chasser la stabilité ni de notre vocabulaire ni de notre pratique. Il est évident que nous devons réfléchir à la question suivante : Est-ce que les mêmes règles peuvent s’appliquer en période de mauvaise conjoncture qu’en période de bonne conjoncture ? La réponse est non. Il faut d’autres règles, ce qui voudra dire que nous devons renforcer la dimension préventive du pacte, façon pour dire qu’il faudra que les États fortement endettés et les États à tendance déficitaire investissent les surplus budgétaires réalisés en période de bonne conjoncture dans la réduction de la dette publique et des déficits pour que ces États puissent disposer de marges de manœuvre généreuses qu’ils pourront mettre à profit sous forme d’une mise en application du jeu des stabilisateurs automatiques pendant les périodes de mauvaise croissance. C’est une règle de bon sens. Mais comme le bon sens est inégalement réparti à travers le continent, il est terriblement difficile de mettre d’accord tout le monde sur ces quelques idées. À partir du moment où on quitte le terrain théorique pour pénétrer celui de la pratique douloureuse, les bonnes intentions ont une tendance curieuse à s’évaporer. Il est évident que nous devons apporter à la lecture des situations des finances publiques nationales si elles sont déficitaires, même si elles ne le sont pas, une lecture économique supplémentaire. Il est évident qu’il faut s’intéresser de très près à la nature de la dépense publique, voir si un dérapage budgétaire est dû à la seule explosion des dépenses de consommation ou si ce dérapage entre guillemets est dû à l’accroissement notable des dépenses d’investissement, des dépenses de recherche et de développement, s’il le faut, des dépenses militaires, si tel devra être la nouvelle ambition de l’Europe de demain. Donc, introduire dans le système d’appréciation des facteurs d’appréciation tels que nous pourrons porter, après avoir fait une lecture économique appuyée, des dépenses qui peuvent diverger suivant le moment du cycle économique. Tout cela doit être fait. Nous avons, je crois, jusqu’au mois de juin pour terminer ce travail. Je ne sais pas si nous y arriverons, puisque l’enthousiasme que certains mettent à nous accompagner sur cette route, qui n’est pas à ce point vertigineuse, laisse parfois à désirer, mais j’ai la ferme intention de conclure sur ces trois dossiers : l’agenda de Lisbonne avec l’appui apprécié du président Barroso, et de l’ensemble de la Commission sur les perspectives financières pour ne pas faire ce que la Commission voudrait que nous fassions et sur le pacte de stabilité où nous ne pourrons pas faire ce que les autres voudraient, c'est-à-dire de laisser le pacte en état, alors qu’il n’est que très difficilement applicable en période de mauvaise conjoncture ou le flexibiliser de façon à ce que nous [inaudible] d’appréciation politique absolu. Pour tout cela, pour tout ce qui va suivre, nous aurons besoin de cette détermination, de cette patience dont ont besoin les grandes ambitions et les grandes distances. Merci.

Dernière mise à jour