Jean Asselborn à l'occasion du Sommet du Millénaire à New York

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Voici soixante ans, le 26 juin 1945, était signé, à San Francisco, cette Charte des Nations unies qui créait l’organisation des Nations unies et dont l’esprit humaniste et généreux continue à inspirer notre action jusqu’à nos jours. Leçon tirée par la communauté internationale de l’échec de la Société des Nations et des affres de guerre, cet acte fondamental et novateur suscite encore aujourd’hui notre admiration. Et mon pays, le Luxembourg, tire une grande fierté du fait d’avoir figuré parmi les membres fondateurs qui ont porté les Nations unies sur les fonts baptismaux.

Aujourd’hui, soixante ans après, nous sommes réunis sur les bords de l’East River, dans cette salle oh combien imprégnée d’histoire et de charge symbolique, pour faire preuve du même courage, de la même vision au service de notre œuvre commune, les Nations unies. Il nous revient de nous montrer dignes de l’héritage recueilli et de reprendre dans des mains fermes et confiantes le flambeau transmis par nos prédécesseurs.

Comme l’a si bien exprimé notre secrétaire général, Kofi Annan, dont nous saluons l’action à la tête de notre organisation, les Nations unies sont bien "à la croisée des chemins". Nous devons adopter les orientations et prendre les décisions qui engagent un véritable renouveau du multilatéralisme, avec les Nations unies en son cœur.

Tel est le défi qui se pose à nous, tel est l’enjeu essentiel de ce Sommet !

Dans cette tâche signative, nous avons été guidés, tout d’abord par les travaux étayés du Panel de haut niveau et du "Projet Objectifs du Millénaire", puis, en mars de cette année, par le rapport du secrétaire général "Dans une liberté plus grande" qui a lancé nombre de propositions innovatrices importantes.

Sur cette base solide, un large débat s’est engagé dès le mois de janvier sous la conduite avisée du président de l’Assemblée générale, S.E.M. Jean Ping et je tiens ici à rendre publiquement hommage à ses qualités multiples de président.

Pendant une grande partie de cette période, mon pays a eu l’honneur d’exercer la Présidence de l’Union européenne et a pu ainsi non seulement conduire les travaux internes en vue de l’élaboration des positions de l’UE sur les divers thèmes en discussion, mais aussi présenter et défendre les points de vue européens au cours des débats conduits sous l’égide du président de l’Assemblée générale.

Parallèlement, un large processus de consultations a été engagé par l’Union européenne à New York, dans les capitales et à l’occasion de nombreuses rencontres ministérielles avec des groupes de pays tiers ou des pays individuels, pour lancer la dynamique politique qui doit former le fondement même de la réforme des Nations unies.

Tout au long de ces travaux, continués avec énergie sous Présidence britannique, l’Union européenne s’est montrée un partenaire déterminé et engagé, animé d’une volonté forte d’aboutir à des "résultats ambitieux et équilibrés", selon l’objectif fixé par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de mars 2005.

Cette ambition continue à nous animer, ainsi que le président en exercice du Conseil européen, le Premier ministre Tony Blair, l’a rappelé hier à cette tribune. La recherche de solutions novatrices est inéluctable devant le constat d’une interdépendance croissante des défis et des menaces. De plus en plus la paix et la sécurité, le développement, les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit se trouvent liés par des interactions étroites.

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,

Face à cette situation, la réponse est claire : il nous faut un multilatéralisme efficace et rénové, adapté aux circonstances particulières de ce début du XXIe siècle et doté des instruments et moyens suffisants pour remplir pleinement sa mission !

Le développement est et doit rester au premier plan de l’attention internationale, alors que nombre d’études, dont en dernier lieu le Rapport mondial sur le développement humain publié récemment, montrent, preuves à l’appui, que le progrès vers les Objectifs de Développement du Millénaire reste fort inégal et que des retards, voire des reculs, sont à déplorer dans un certain nombre de régions, notamment en Afrique.

Face au fléau du sous-développement, nous devons agir. En mai de cette année, sous présidence luxembourgeoise, l’Union européenne a pris la décision majeure de mobiliser d’importants volumes additionnels d’aide publique au développement et d’atteindre l’objectif des 0.7% du revenu national brut d’ici à 2015. Mon pays s’honore de faire partie du groupe encore trop peu nombreux du G-0.7 et compte atteindre l’objectif d’un pourcent du RNB dans les années à venir. Parallèlement, des efforts importants doivent être accomplis par les pays donateurs et les pays récipiendaires en matière de qualité de l’aide,  de bonnes pratiques, de gouvernance et de lutte contre la corruption. A l’approche de la conférence ministérielle de l’OMC à Hong-Kong les questions commerciales doivent figurer tout en haut de l’agenda mondial.

Les catastrophes humanitaires du tsunami, les récentes famines en Afrique et l’ouragan Katrina nous ont rappelé, si besoin il y avait, que nous devons pouvoir disposer d’instruments dotés de moyens financiers suffisants et qui puissent être mobilisés de manière plus rapide et plus prévisible. Dans cette perspective, mon pays appuie fortement une révision du CERF (Central Emergency Revolving Fund) et a annoncé d’ores et déjà sa volonté de contribuer de manière substantielle à un CERF renforcé.

La recherche de la continuité et de la cohérence qui doit marquer l’action de la communauté internationale dans les situations de post-conflit est au centre de la nouvelle Commission de Consolidation de la Paix dont nous avons décidé si opportunément la création et que nous devons mettre en place rapidement. Elle permettra d’intégrer davantage dans une même perspective la gestion de la sortie de crise, les actions humanitaires et la relance des processus de développement. L’action internationale doit se fonder sur cet axiome fondamental : il n’y a pas de paix sans développement, il n’y a pas de développement sans paix !

Au printemps de cette année, nous avons commémoré dans cette même salle, lors d’une cérémonie digne et émouvante, le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis. Que cette évocation des horreurs de l’holocauste soit pour nous un rappel constant que la communauté internationale ne peut plus assister impuissante et passive à des faits de génocide, de purification ethnique, de  crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Voilà pourquoi ce que nous nommons la responsabilité de protéger doit devenir une réalité effective lorsque la situation l’exige.

Dans le même ordre d’idées, nous devons renforcer nos mécanismes de protection des droits de l’Homme, alors que les droits de l’Homme constituent le troisième pilier de l’action des Nations unies, avec le développement et la sécurité avec lesquels une interaction constante existe. La mise en place rapide du Conseil des Droits de l’homme que nous nous apprêtons à créer doit renforcer l’action des Nations unies dans ce domaine et permettre un suivi plus permanent et plus performant de la situation des droits de l’homme partout dans le monde.

Ces quelques thèmes – auxquels il convient d’ajouter des sujets aussi importants que la lutte contre le terrorisme, l’environnement et le développement durable ou encore les questions de désarmement et de non-prolifération – doivent être débattus et décidés dans un cadre multilatéral, au sein d’institutions légitimes et efficaces, appuyés sur des services dont la qualité, l’objectivité et la probité doivent être au-dessus de tout soupçon. Les réformes déjà engagées  ou envisagées contribueront, je n’en doute pas, à atteindre pleinement ces objectifs partagés par tous.

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,

 A l’aune de ces quelques ambitions que je viens d’esquisser, avons-nous réussi à faire avancer les choses, nous sommes-nous montrés dignes de l’héritage laissé par les pères fondateurs des Nations unies ?

Certes, j’aurais préféré que nous fussions capables de pousser plus loin l’accord, de prendre des décisions plus hardies, plus immédiatement opérationnelles. Constatons néanmoins ensemble que le présent Sommet a pris un certain nombre d’orientations ou de décisions de principe qui posent les bases de progrès ultérieurs. Sur certaines questions, des mandats précis et des calendriers détaillés tracent les contours de la marche à suivre et il importera d’exécuter ces orientations avec célérité et détermination. Les fondements ont été jetés, il convient désormais de construire. La maison ne saurait rester sans toit. Prenons tous l’engagement politique ferme et irrévocable, animés d’un véritable sentiment d’urgence, de mener à bonne fin dès la présente Assemblée générale, cette œuvre importante.

Un intellectuel américain a récemment écrit, et je cite, "Like fairies and paper money, the UN ceases to exist if people stop believing in it" (fin de citation). Sachons exprimer par notre action déterminée que, soixante ans après sa création, nous continuons à croire avec conviction dans cette organisation des Nations unies que nous avons en partage !

Dernière mise à jour