Intervention de Jean Asselborn à l'Assemblée générale de l'ONU

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Voici quelques jours à peine s’est tenu dans cette même salle le Sommet de suivi du Millénaire qui a réuni un nombre jamais atteint de hauts responsables politiques provenant de toutes les régions du monde.

A cette occasion – et au terme d’un processus de discussion et de négociation long et approfondi – nous avons adopté ce qui doit constituer notre feuille de route pour la période qui s’ouvre devant nous : le document final doit non seulement inspirer, mais orienter de manière concrète l’action de la communauté internationale au sein des Nations unies.

Si toutes nos attentes, toutes nos ambitions ne se sont pas réalisées dans ce document, si d’importantes lacunes doivent impérativement être remplies – je pense notamment au domaine crucial du désarmement et de la non-prolifération – il convient cependant de se féliciter du fait qu’autour des piliers centraux des Nations Unies que sont le développement, la paix et les droits de l’homme un large accord s’est cristallisé et un nouvel agenda international a émergé.

Monsieur le Président,

Il est particulièrement opportun et propice que les travaux de la présente session ordinaire de l’Assemblée générale s’ouvrent dans la suite immédiate de cet important Sommet. En effet, si nous pouvons estimer que les fondements ont été jetés lors de cet événement, il convient désormais de parachever l’œuvre entreprise, de consolider les pans de murs déjà érigés, de construire concrètement les parties esquissées – et je citerais à cet égard en particulier le Conseil des Droits de l’Homme – et doter notre projet d’un toit solide. Le renouveau du multilatéralisme dans le contexte des conditions spécifiques de ce début de siècle, la réforme des Nations unies est un processus qu’il nous revient de mener avec détermination, mus par un réel sens de l’urgence au regard de l’importance de la tâche qui nous attend et des enjeux existentiels que celle-ci comporte pour des milliards d’hommes et de femmes.

Monsieur le Président,

Connaissant votre engagement personnel, votre dynamisme et vos multiples qualités, je suis convaincu que vous dirigerez les travaux de cette 60ème session ordinaire de l’Assemblée générale de manière à ce que, tous ensemble, nous puissions exécuter le mandat impératif qui nous a été confié par le Sommet, mais, plus encore, par nos peuples qui se tournent avec espoir vers un système des Nations unies rénové et renforcé. Dans cet esprit, mon pays est prêt à souscrire avec conviction au "accountability pact" proposé par notre Secrétaire général, dont nous tenons une nouvelle fois à saluer l’action à la tête de notre Organisation.

Je relève avec satisfaction votre intention, Monsieur le Président, de présenter rapidement un plan de travail détaillé et opérationnel en vue d’organiser de la manière la plus efficace nos travaux afin de mener à bien les tâches qui nous attendent dans les délais qui nous sont fixés. Il nous faut apporter la preuve concrète que notre Assemblée ne retournera pas au "business as usual" une fois que les feux des projecteurs se seront éteints. Pour tous ceux – et j’en suis – qui sont convaincus que notre Assemblée, véritable parlement des nations du monde, a un rôle primordial à jouer dans l’émergence d’un consensus politique fort à l’échelle mondiale, l’adoption de décisions concrètes et opérationnelles rapides doit apporter un démenti cinglant à toutes les Cassandres, à tous les cyniques, à tous les tenants d’un statu quo garant d’immobilisme.

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,

Dans son discours lors de l’ouverture de la 60ème session ordinaire de l’Assemblée générale, notre Secrétaire général a défini avec clarté la mission qui nous attend dans les mois à venir. Parmi les sujets qui devront retenir notre attention, je voudrais insister en particulier sur les suivants:

  • les Droits de l’Homme, en vue de renforcer l’impact de cette dimension essentielle dans toutes les activités de l’ONU, notamment à travers la mise en place urgente du Conseil des Droits de l’Homme, en nous basant sur les acquis positifs des travaux préparatoires au Sommet;
  • la mise en place de cet organe innovateur qu’est la Commission de consolidation de la Paix;
  • la réforme des organes principaux de notre Organisation, dont notamment l’élargissement urgent du Conseil de Sécurité dans les deux catégories de membres en vue de le rendre plus représentatif des réalités de ce début du XXIème siècle, plus transparent et plus efficace;
  • la concrétisation de la notion de "responsabilité de protéger", dont la confirmation dans le document final constitue, à mon sens, l’une des principales avancées du récent Sommet; et enfin,
  • la réforme de la gestion administrative et financière des Nations unies, afin que l’efficacité et l’intégrité de notre organisation se trouvent consolidées.

Monsieur le Président,

Permettez-moi de consacrer quelques instants à la question du développement. Le développement est et reste la principale question politique et morale de notre temps. Nous devons constater que les progrès vers les Objectifs de Développement du Millénaire restent inégaux, et quelques reculs doivent être signalés, notamment en Afrique subsaharienne. Le Rapport mondial sur le développement humain publié récemment constate, et je cite, "qu’au milieu d’une économie mondiale de plus en plus prospère, 10,7 millions d’enfants naissent chaque année sans la perspective de fêter leur cinquième anniversaire, et plus d’un milliard de personnes survivent dans la pauvreté absolue avec moins d’un dollar par jour. L’épidémie du VIH/SIDA a causé la plus grande récession du développement humain. En 2003 la maladie a tué trois millions d’individus et en a infecté cinq millions d’autres" (fin de citation).

Devant ces constats alarmants, la mise en place d’un véritable partenariat pour le développement fondé sur les acquis de la conférence de Monterrey et reposant sur des responsabilités partagées à charge aussi bien des pays donateurs que des pays récipiendaires reste une tache prioritaire. Les pays du Sud doivent prendre en main leur propre développement en définissant des stratégies nationales détaillées et opérationnelles et en agissant sur le plan de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.

Les pays du Nord doivent remplir leurs engagements en matière commerciale, de réduction de la dette et d’amélioration de la qualité de l’aide et des bonnes pratiques. Un accent particulier doit être mis sur l’augmentation des flux financiers pour le développement : à cet égard, alors que le Luxembourg exerçait la présidence de l’Union européenne lors du premier semestre de cette année, les Etats membres de l’Union européenne ont pris la décision historique de s’engager, avec des calendriers précis, à une augmentation très importante de l’aide publique au développement, en vue d’atteindre l’objectif des 0,7% du revenu national brut au plus tard en 2015.

Quatre des cinq Etats - dont mon pays - qui ont atteint ou dépassé cet objectif de 0,7% confirmé une nouvelle fois par le Sommet, sont des Etats membres de l’Union européenne, et le gouvernement luxembourgeois a confirmé son intention d’atteindre un pourcent du RNB dans les prochaines années.

Malheureusement, trop souvent les fruits du développement sont anéantis par des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme. Au Soudan, dans la région des Grands Lacs, dans d’autres régions encore, cette vérité d’évidence se démontre jour après jour : il n’y a pas de développement sans sécurité, il n’y a pas de sécurité sans développement ! Voila pourquoi je me félicite tout particulièrement de l’accord intervenu lors du Sommet sur la mise en place de la Commission de la consolidation de la paix qui devra nous permettre d’envisager les problèmes de transition immenses qui confrontent les pays sortant d’un conflit d’un point de vue d’ensemble, en liant les dimensions de gestion de crise, d’aide humanitaire, de reconstruction des structures étatiques, judiciaires et locales et de fourniture des biens et services publics essentiels avec la relance du processus de développement économique et social.

La nécessité pour les Nations unies de pouvoir disposer d’un instrument d’aide humanitaire susceptible d’intervenir plus rapidement et de manière plus prévisible, tout en disposant de moyens financiers suffisants, n’a été que trop tragiquement soulignée ces dernières semaines et mois. Dans cette perspective, sur base du mandat donné par le Sommet, le Luxembourg soutient activement la réforme du "Central Emergency Revolving Fund" (CERF) qui doit se concrétiser dans les mois à venir, afin que ce fonds rénové soit pleinement opérationnel dès le début de 2006. Mon pays a d’ores et déjà annoncé, voici quelques jours ici à New York, une contribution de quatre millions de dollars au capital de ce nouveau fonds et d’autres Etats ont confirmé des apports importants.

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,

Si le développement est, selon la formule bien connue, le nouveau nom de la paix, force est cependant de constater que de multiples conflits internationaux et intra-étatiques et foyers de tension, continuent à marquer la face du monde.

La paix et la stabilité au Moyen-Orient demeurent ainsi au premier plan de nos préoccupations.

Le Président en exercice du Conseil de l’Union européenne, Jack Straw, a rappelé, voilà deux jours, à cette tribune, l’esprit dans lequel les négociations sur le dossier nucléaire ont été menées ces derniers mois avec l’Iran : la coopération et le respect des normes et traités internationaux, et non pas la discrimination ou la volonté de créer des dépendances nous a animés dans ce dossier.

L’Iran a souscrit dans l’Accord de Paris à une suspension totale de toutes les activités liées à l’enrichissement et de toutes les activités de retraitement. C’est cet engagement qui a permis un développement de la coopération politique et économique avec l’Union européenne. C’est cet engagement - qui, ai-je besoin de le rappeler, a été entériné par l’AIEA - que j’appelle aujourd’hui l’Iran à respecter.

Dans ce contexte, je souhaite saluer ici l’accord intervenu aujourd’hui avec la République démocratique de Corée quant à l’abandon de tous ses programmes nucléaires et à la réintégration du traité de non-prolifération nucléaire.

Le 22 juin 2005, plus de quatre-vingt pays et organisations, réunis à Bruxelles à la Conférence internationale sur l’Irak co-parrainée par l’Union européenne et les Etats-Unis, et en présence de notre Secrétaire général, ont exprimé leur soutien au gouvernement intérimaire irakien et à ses priorités politiques, économiques et de sécurité. Cette importante conférence a permis en particulier aux Etats membres de l’UE  de réaffirmer leur soutien unanime et solidaire à l’objectif d’un Irak sûr, stable, unifié, prospère, démocratique et respectueux des droits de l’Homme, qui bénéficiera du plein exercice de sa souveraineté et qui coopèrera d’une manière constructive avec ses voisins et la communauté internationale et la fin de la violence dans ce pays. Et c’est notre organisation qui, plus que jamais, a un rôle moteur à jouer dans ce contexte.

Monsieur le Président,

Le Proche-Orient n’a été que trop rarement le théâtre d’évolutions positives. C’est pourquoi je tiens à saluer le courage politique des dirigeants des deux côtés en ce qui concerne le retrait réussi de Gaza et de certaines parties du Nord de la Cisjordanie. Il convient désormais de profiter de cette dynamique positive pour lancer une véritable perspective de paix, fondée sur la Feuille de route qui reste le cadre de référence incontournable en la matière. Les conditions pour favoriser l’émergence d’un climat de paix ont été rappelées par le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005. En particulier, la prise de contrôle de Gaza par l’Autorité palestinienne offre désormais à celle-ci l’occasion de démontrer sa maturité institutionnelle et administrative, notamment en matière de maintien de l’ordre et de lutte contre le terrorisme. La cessation de tout acte de violence par les parties reste également une exigence incontournable.

S’agissant de la question cruciale des activités de colonisation israélienne dans les territoires occupés, le Conseil européen a encore constaté, et je cite, que "la politique de colonisation constitue un obstacle à la paix et menace de rendre matériellement impossible toute solution fondée sur la coexistence de deux Etats" (fin de citation).

Dans le même contexte, le Conseil européen a exprimé sa préoccupation quant à la poursuite de la construction de la barrière de séparation dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est et dans ses alentours, et ce en contradiction avec les dispositions pertinentes du droit international, tout en reconnaissant le droit d’Israël de protéger ses citoyens contre des attentats.

Gageons que la prochaine réunion du Quartette demain ici à New York saura trouver les formules politiques qui permettront de prolonger la dynamique positive du désengagement de Gaza en dégageant les voies d’une paix juste et durable dans cette région déchirée du globe.

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,

Comme si souvent, zones d’ombre et lueurs d’espoir se mêlent lorsque nous analysons la situation internationale. Mais une constante demeure : le rôle central des Nations unies dans la recherche de la paix et de sécurité internationales.

Soixante années après la signature de la Charte de San Francisco, nous sommes tous réunis ici pour confirmer notre contrat de confiance avec cette Organisation des Nations unies qui est notre patrimoine commun, des Nations unies rénovées et réformées, mises en phase avec les défis et les menaces de notre temps et qui sachent répondre aux attentes des peuples du monde. Signataire de la Charte en 1945, le Luxembourg, pour ce qui le concerne, est prêt à renouveler ce contrat de confiance avec enthousiasme, confiance et détermination !

Je vous remercie de votre attention.

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