Jean-Claude Juncker, Transcription du discours tenu lors Réception de Nouvel An de la FEDIL, Luxembourg

Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Maréchal de la Cour,
Monsieur le Ministre d’État Honoraire,
mes chers collègues Députés et Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs.

Lorsque nous nous sommes vus pour la dernière fois dans la composition qui est celle de cet auditoire, cette fois-ci partiellement assis, nous devions de parler du programme de la Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne. A l’époque, nous vous avions promis deux ou trois choses.

Une, celle qui concernait les perspectives financières. Il faut être très habile et prendre beaucoup de risques pour réussir une telle tâche qui n’a pas pu être menée avec succès jusqu’au port, mais nos amis britanniques, pour nous avoir barré la route d’accès au port, ont dû, à un prix assez élevé pour eux, ouvrir la route au succès.

Nous vous avions promis la réforme du pacte de stabilité et de croissance dont on parlait beaucoup à l’époque et dont on parle très peu aujourd’hui. Ce qui tendrait à prouver que la réforme fût réussie, puisqu’elle ne soulève plus de controverses ni de conflits de principe. Sauf avec la Banque centrale, dont je salue ici l’éminent représentant luxembourgeois, qui a bien compris l’indépendance de l’autorité monétaire, non seulement francfortoise mais également luxembourgeoise, ce dont je le félicite, puisque lorsqu’il était mon directeur du trésor, et lorsque nous préparions le traité de Maastricht, nous avions multes débats conflictuels à ce sujet, que j’ai gagné et remporté d’ailleurs.

Nous avons voulu donner au pacte de croissance de stabilité une grille de lecture plus économique. Non plus laisser l’application du pacte de croissance et de stabilité se vautrer dans un automatisme technique qui n’avait plus de sens. Nous l’avons fait sans toutefois chasser la stabilité qui reste essentielle si nous voulons faire de l’Euro et de l’Union monétaire un succès durable et stable à chaque instant.

Et puis nous avions pour ambition de relancer la stratégie de Lisbonne. Et Monsieur le Président Schweitzer m’a fait l’amitié de ne pas faire un bilan sur la stratégie de Lisbonne qui pourtant concerne un sujet, dont il traitait, puisque c’est l’instrument d’adaptation de l’Europe au monde moderne. Cette stratégie de Lisbonne fût un échec quasiment total. Et nous l’avons relancé en respectant ses équilibres de base, ses tendances lourdes qui sont une compétitivité que nous devons retrouver, un modèle social que nous devons préserver, et une croissance qui soit durable et qui n’empêche pas la mise en place de scènes politiques environnementales. Les trois éléments faisant un tout. J’aime, disait Pascal, les choses qui vont ensemble. La compétitivité, le social et l’environnement vont ensemble.

Mais nous avons voulu changer la méthode. La méthode fût une méthode, lorsque fût lancée la stratégie de Lisbonne, neutre. Parce que les gouvernants et les gouvernements avaient habitué leur opinion publique nationale à une explication fausse, qui voulait que la stratégie de Lisbonne serait une affaire exclusivement européenne. Or, la mise en application de la stratégie de Lisbonne est une affaire d’abord nationale. Et nous avons investi beaucoup d’efforts et d’énergie dans l’explication d’une nouvelle appropriation de la stratégie de Lisbonne qui voudra que désormais les gouvernements présenteront à Bruxelles des programmes nationaux de réforme, qui traduisent dans leur réalité nationale les grands axes de la stratégie de Lisbonne.

Les gouvernements aujourd’hui et pour la première fois ont introduit leur programme de réforme nationale au niveau européen central. Et nous verrons dans un examen contradictoire avec la Commission et les autres partenaires et acteurs, quelles conclusions plus générales et puis spécifiques pays par pays, pourront être tirées des différentes présentations nationales, et qui viennent d’être faites à Bruxelles.

La Présidence de l’Union européenne qui avait pris beaucoup sur notre temps et sur notre disponibilité est venue à terme au 1 juillet de l’année 2005, et nous avons retrouvé, avec l’enchantement que vous imaginez, tous les chantiers nationaux qui avaient dû être laissés en friche. Encore que le parlement vota autant de lois que cinq années auparavant, et le conseil des ministres évacuait autant de projets de loi que les cinq années auparavant. Mais c’est à juste titre que vous me faites la remarque que l’essence n’est pas dans la quantité.

Du point de vue de la qualité, nous avons dû opérer un changement de discours. Dans une déclaration de politique générale, que j’ai eu l’honneur de présenter à la Chambre des députés, j’ai attiré l’attention de nous tous, des membres du parlement, parfois du gouvernement et du grand public en général, sur une dégradation de l’état de nos finances publiques qui ne vint pas par surprise, mais qui fût perceptible en perspective depuis les années 2002, 2003 et 2004. En présentant à la Chambre le budget pour 2004, j’avais attiré l’attention des parlementaires sur le fait que très probablement les exercices budgétaires de 2005 et 2006 seront des exercices très difficiles. Et ils l’ont été.

Monsieur Schweitzer regardant le Luxembourg de loin, ce qui le rend encore plus petit, n’a pas omis de citer dans la rubrique des succès remarquables, nos trois principaux problèmes, qui sont l’emploi, les finances publiques et nos régimes notamment de sécurité sociale.

Le budget luxembourgeois à le comparer avec ses confrères des petits royaumes et petites républiques qui entourent le Grand-Duché, souffre toutes les comparaisons puisque l’état de nos finances publiques est autrement meilleur que l’état qu’on peut observer dans les autres États.

Mais toujours est il, qu’au niveau du budget de l’administration centrale, je veux dire par là le vrai budget celui dont nous apprenions la contexture lorsque nous étudions nos finances publiques, le budget de l’État, le budget central accuse un déficit de 4,2% en terme de PIB. Grâce à l’excédent de nos régimes de sécurité sociale, le budget de l’État, l’ensemble des finances publiques a pu être ramené à 1,7% pour 2006. Mais ils ne peuvent pas se leurrer, le train de vie de l’État, le financement de notre façon collective d’être, rongent de plus en plus sur nos possibilités matérielles et financières. Par conséquent, il faudra que dorénavant nous adoptions une autre façon d’être et une autre façon de financer notre façon d’être.

J’avais esquissé devant le parlement plusieurs pistes que nous sommes entrain d’examiner avec attention au sein du comité de coordination tripartite, et dont une concerne, comment vous appelez ça, l’indexation automatique des salaires. J’avais bien vu que même dans nos milieux patronats le progrès est à ce point irrésistible que les discours d’année en année changent de couleur. Fût un temps, où on me demanda à cette occasion d’abolir l’ensemble du système, fût un temps gêné ou le président de la Fedil demanda à d’autres d’exposer ce sujet un peu difficile. Et puis j’ai constaté que la Fedil, devant l’impossibilité de faire accepter de garder le système de l’indexation automatique des salaires, tout en lui apportant pudiquement un certain nombre d’aménagements si non de modulations. Ce qui fit que, fort de cet appui du monde patronal luxembourgeois, je proposais à la Chambre de réfléchir à l’introduction d’une tranche maximale d’indexation. Chose curieuse, les applaudissements que j’avais pensé nourris se firent attendre. En fait je les attends toujours. Le fait est que le gouvernement continuera à plaider auprès de ses partenaires la modulation comprise dans ce sens-là de l’indexation.

Nous ferons d’autres propositions en matière d’amélioration de la compétitivité de nos entreprises, bien que les discours mettant en cause les performances en terme de compétitivité de l’économie luxembourgeoise ne m’impressionnent pas toujours. Et que les discours de nos employeurs varient suivant le lieu où ils s’expriment.

Lorsqu’ils me parlent, lorsqu’ils parlent au Luxembourg, la compétitivité va en se dégradant. Lorsque nos patrons s’expriment à l’étranger, loin des frontières les plus proches des frontières, ils trouvent tout de même à l’égard des performances de compétitivité de l’économie luxembourgeoise un mode d’expression plus laudatif.

D’ailleurs l’autre jour, j’ai vu un représentant de la Chambre de commerce tentât d’inciter les milieux économiques allemands de venir investir au Luxembourg, parce que, disait-il, les charges salariales sont autrement moins lourdes qu’en Allemagne, qu’en France et qu’en Belgique. Si quelqu’un dit vrai, il faut le dire, et celui qui le disait, disait vrai, parce qu’en effet les charges qui pèsent sur nos entreprises qu’elles soient fiscales, qu’elles soient sociales ou même parafiscales sont autrement moins élevées que les charges qui pèsent sur nos concurrents directs. Toujours est-il, que nous connaissons un problème de compétitivité qui concerne les entreprises et qui concerne là encore notre façon d’être.

Nous avons des procédures incroyablement longues et difficiles. Nous avons un système de vouloir mettre à tout prix tout le monde d’accord, pas seulement les actionnaires mais les stakeholders, et tous les Luxembourgeois sont des stakeholders à cent pourcent. Et donc nous avons beaucoup de mal à trouver l’intersection entre ce qui est faisable et entre ce qui est possible. Il faudra que nous travaillions sur ce sujet.

Il est évident, que des économies budgétaires vont devoir être décidées. Nous aurons une réunion du comité de coordination tripartite le lundi 20 février. Nous commençons à présenter les premières idées du gouvernement à ce sujet, puisqu’elles concernent en tout premier lieu les partenaires sociaux, dont j’ai compris qu’ils sont d’accord sur l’essentiel, c'est-à-dire sur ce qui leur est commun, lorsque le gouvernement avance des propositions de réformes.

Un jour, j’avais invité la tripartite à réfléchir à l’abolition des systèmes de préretraite, du moins à l’introduction de certains éléments qui permettraient de freiner le recours facile automatique aux préretraites-ajustement. Réaction œcuménique des syndicats et des patrons pour me dire qu’une telle idée ne serait pas bien bonne. Je propose l’allongement de la durée du travail, je veux parler de la durée tout au long de la vie, applaudissement des uns, remarques acerbes des autres, qui me rendent attentif au fait, ce que je savais déjà, que le nombre de ceux en retraite ayant entre 50 et 60 ans, est disproportionnellement plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays.

Sur tous ces problèmes, nous nous devons bien sûr de revenir. Et nous verrons ensembles quels automatismes qui poussent à la dépense et qui nous empêchent de réfléchir à leur bien-fondé, peuvent être réaménagés de façon à ce que le budget de l’État en sorte vainqueur et à ce que les entreprises retrouvent une parcelle de compétitivité en ce faisant.

Le gouvernement bien sûr n’imposera pas ses vues, puisque nous sommes en discussion, mais le gouvernement in fine s’imposera par ses idées. Ce qui ne revient pas tout à fait à la même chose.

Nous avons à cœur de bien faire comprendre, par le pays dans son ensemble, que soit nous continuons sans y réfléchir à financer les politiques qui sont celles d’hier, ou si nous nous dotons de moyens pour pouvoir financer les politiques qui sont celles d’aujourd’hui et demain.

Il est évident que la priorité des priorités revient à la formation et à l’éducation. Il est évident que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est un élément de compétitivité d’une économie nationale et j’ajoute des entreprises. Et donc le paquet doit être ficelé de façon à ce que ces éléments de notre façon de vivre ensemble, là encore, soit prise en compte. Il est évident que la première des priorités doit revenir à la recherche, la recherche publique et la combinaison entre recherche privée et recherche publique. Le budget de l’État veillera à augmenter dramatiquement les crédits qui sont affectés aux politiques de recherche. Et si nous affectons ces montants supplémentaires, considérablement supplémentaires aux politiques de recherches, il est évident que nous devrons réaliser des économies par ailleurs, puisqu’il n’est pas dans l’intention du gouvernement d’alourdir considérablement les charges fiscales qui pèsent sur l’économie ou sur le pays dans son ensemble.

Nous verrons tout cela au cours des quelques semaines à venir, de sorte à permettre au gouvernement d’annoncer au pays après tout ce débat avec les partenaires sociaux, l’ensemble des mesures que nous aimerions prendre, y compris d’une modification législative parfois substantielle au mois de mai lors de la déclaration sur l’état du pays.

D’ici là nous aurons à cœur de répondre présent lorsque des défis nous sont lancés. Nous sommes dans ce pays, depuis toujours, très portés vers l’international. Lorsque vous êtes petits comme nous le sommes, vous n’avez guère d’autre choix. Comme nos voisins par exemple, s’obstinent avec une méthode qui rappelle un système de parler notre langue, nous nous sommes mis à parler le français, l’allemand et les autres langues. Et comme en matière linguistique nous avons toujours su ajuster notre façon de nous exprimer sur celle des autres, nous avons toujours voulu être internationaux. La place financière est là pour le prouver, et le profil de notre paysage industriel le prouve également.

Nous sommes maintenant confrontés avec cette OPA hostile de Mittal Steel sur Arcelor. Et nous disons Non parce que nous sommes actionnaires, et donc shareholders, et parce que nous sommes partie concernée, donc stakeholders. Nous disons Non à cette façon de faire. Je relève parfois dans des journaux évolués qui relèvent de la presse financière internationale, que nous nous vautrerions dans un discours archaïque, romantique, d’un autre siècle. Ce n’est pas vrai.

Nous ne disons pas Non en principe à des OPA. Nous ne disons pas Non en principe aux conséquences qui découlent d’une mondialisation bien comprise. Mais nous disons non en tant qu’État, en tant que gouvernement et en tant qu’actionnaire à cette OPA hostile, non pas parce qu’elle nous dérangerait, mais parce que nous pensons qu’elle a été mal préparée et qu’elle sied male à notre façon européenne de faire les choses.

Et je voudrais dire une fois pour toutes que le fait que Monsieur Mittal, qui est un homme respectable, soit indien, n’intervient aucunement dans la mise en place d’éléments de défense. Qui serions-nous, si nous disions que cette OPA est hostile parce que son principal metteur en scène est indien ? Nous qui aimons commercer avec l’ensemble de la planète, nous qui voulons être internationaux et qui avons toujours été - que Monsieur Mittal soit portugais, français, indien ou belge ne change en rien la donne. Et donc il ne faudrait pas, et je l’observe parfois avec tristesse, se laisser aller à des remarques xénophobes qui n’ont pas lieu d’être et qui font très province.

Nous disons non à cette OPA parce que l’expérience, notamment industrielle qui est la nôtre, est tout à fait différente. Lorsque des grands regroupements se sont faits dans ce pays, ils ont toujours été faits d’une façon amicale, ou du moins avec une certaine complicité entre les différents acteurs qui sont intervenus. Lorsque Arcelor a vu le regroupement d’Usinor, d’Arceralia et d’Arbed, les dirigeants de l’Arbed d’abord et des dirigeants des trois ensuite, sont venus nous voir. Ils nous ont expliqué la chose. Et au début j’étais contre. A chaque fois que je découvre quelque chose que je ne comprends pas, je suis contre. Je n’ai pas compris. Et on m’a expliqué la chose. Monsieur Kinsch, qui est un grand explicateur, qui sait parler simple lorsque les choses deviennent compliquées, a réussi, tout comme Guy Dollé et d’autres, à me convaincre et le gouvernement d’ailleurs a accompagné avec Madame Polfer qui était Vice-Premier ministre, ce regroupement qui faisait du sens, qui traduisait un réel souci industriel, qui se caractérisait par un véritable concept industriel, et qui en terme de gouvernance présentait des avantages que je n’arrive pas à découvrir dans l’offre qui nous est faite par Mittal.

Et par conséquent les éclaircissements dont nous aurions voulu qu’ils nous soient présentés avant le lancement d’une opération qui fût programmée, ne nous ayant toujours pas atteinte, nous restons sur la réserve. Et nous maintenons qu’une OPA hostile conduite comme elle a été conduite, peu maîtrisée comme elle a été peu maîtrisée, appelle à priori une réaction hostile. Et nous sommes en train avec les gouvernements français et espagnols de mettre en place un système de défense, qui bien sûr connaît ses fragilités, puisque ce ne sont pas les gouvernements et heureusement, qui décideront en dernière instance.

Mais le fait de voir les trois pays dont sont originaires les trois éléments qui forment le groupe Arcelor devrait tout de même donner à réfléchir à ceux qui pensent que les opérations de ce type puissent se faire en quelques semaines et sans préparation sérieuse aucune.

La complémentarité géographique n’ouvre pas nécessairement une avenue directe sur les complémentarités stratégiques. Et le gouvernement luxembourgeois voudrait rester un partenaire stratégique sur la sidérurgie européenne. Et nous tenons beaucoup à l’aspect européen des choses. Parce que la couleur européenne d’un dossier ne se lit pas sur des seuls éléments de pavillon de ceux qui forment un projet. On ne peut pas dire qu’une société établie aux Pays-Bas fait une OPA sur une société établie au Luxembourg, et par conséquent l’opération serait européenne du début à la fin. Non, il y a les éléments industriels, il y a les éléments sociaux, il y a les éléments de gouvernance, il y a les éléments stratégiques, il y a les éléments de positionnement des pays concernés, des régions concernées, des travailleurs concernés par rapport aux défis qui sont les nôtres.

En un mot, sur le plan national le gouvernement fera son devoir et saisira le parlement et donc le pays d’un certain nombre de propositions qui ne vont pas à priori faire basculer et faire évoluer vers le haut la popularité du Premier ministre. Mais il faut bien expliquer au pays que nous ne sommes pas malades, mais que nous risquons la maladie et que par conséquent nos efforts doivent être concentrés sur la médecine préventive qui en règle générale ne fait pas mal, puisqu’elle se passe d’actes chirurgiques. Et sur le plan de la défense offensive et non pas exclusivement défensive de nos grands intérêts vers l’extérieur, le gouvernement fera plus ses devoirs.

Merci beaucoup.

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