Nicolas Schmit, Discours tenu à la Conférence euro-africaine, Rabat

Je remercie le gouvernement du Royaume du Maroc de son hospitalité mais aussi de l’organisation remarquable de cette conférence. Je n’oublierai pas le Sénégal, qui a assuré une excellente préparation de cette conférence par l’organisation d’une réunion exceptionnellement efficace à Dakar. Les pays qui en ont pris l’initiative, le Maroc, l’Espagne et la France, méritent notre reconnaissance.

Le mérite immédiat de cette conférence est de répondre à une situation d’urgence, faite de drames humains, mais aussi d’ouvrir la voie à des solutions globales et durables, en s’inscrivant dans une stratégie de long terme. Tous les pays européens sont directement concernés et doivent s’engager activement.

Le maître mot de notre réunion est le partenariat. Nous sommes conscients qu’aucun de nos pays, qu’aucun des ensembles ni au nord ni au sud, ne détient seul une solution à un phénomène qui sera un des grands défis du 21e siècle.

Hier, nous avons eu des échanges de vues très utiles sur la coopération économique, les politiques en matière de développement, la nécessité de mieux intégrer les pays africains dans l’économie mondiale. Il est regrettable que le cycle de Doha dont le développement devait être un élément fondamental risque à présent d’échouer.

Les flux migratoires ne doivent surtout pas être perçus comme une nouvelle source d’antagonisme entre le nord et le sud, bien au contraire. C’est le grand mérite de cette conférence de mettre en avant et d’insister sur le caractère positif du phénomène migratoire et la dimension de partenariat. Cette approche doit aussi se concrétiser au niveau de la gestion des flux migratoires. Je soulèverai trois points à cet égard.

La lutte contre l’immigration clandestine

Force est de constater que nous avons un intérêt commun à lutter contre l’immigration clandestine, celle qui est organisée par des réseaux de trafiquants sans scrupules qui profitent de façon scandaleuse du désespoir, de la souffrance sociale de ceux qui croient qu’ils n’ont plus rien à perdre.

Cette immigration ne crée pas seulement des tensions dangereuses dans nos sociétés, elle plonge aussi ces immigrés dans une précarité et une marginalisation sociale inacceptable.

Or, gérer mieux les flux migratoires, c’est d’abord mettre en place dans un esprit de partenariat et de solidarité y compris financière les cadres et les mesures permettant de lutter efficacement contre ce trafic criminel qui fait peu de cas de la vie des hommes.

Ensuite, un meilleur contrôle aux frontières, c’est aussi un partage des efforts, sachant que nos partenaires du sud ne disposent pas toujours des moyens de contrôle nécessaires.

Finalement, nous avons l’obligation de lutter efficacement contre les réseaux de trafiquants, mais pas uniquement dans les pays d’origine et de transit. S’il y a immigration clandestine, c’est qu’il y a une demande, c’est qu’elle trouve des débouchés dans les pays de destination. Il faut donc procéder en Europe à une lutte plus efficace, plus conséquente contre les employeurs qui embauchent les clandestins pour contourner nos législations sociales.

La coopération avec les pays d’origine et de transit

Nos accords de réadmission doivent être accompagnés de mesures positives, d’accompagnement et de réinsertion. A ce titre, il est primordial de coopérer avec les pays de transit en les aidant à se doter des moyens et des instruments pour enrayer mieux les flux d’immigration clandestine. La coopération avec une organisation comme FRONTEX relève d’une importance particulière à cet égard.

Le plan d’action que nous allons adopter aujourd’hui comprend une série de mesures concrètes dont certaines ont déjà commencé à être mises en œuvre. Il nous faut maintenant poursuivre cette action dans un esprit de partenariat, mais aussi se doter des moyens nécessaires pour l’accomplir.

Lutter contre l’immigration clandestine, c’est aussi mieux organiser l’immigration légale dans un esprit de partenariat. Il nous faut d’abord créer les cadres de dialogue sur les aspects des flux migratoires, bilatéraux mais aussi multilatéraux. Ensuite, il s’agit d’acquérir une meilleure connaissance des flux migratoires: dans ce contexte, la mise en place d’un observatoire est un élément principal. Il nous faut également mieux identifier les besoins en tenant compte des intérêts des deux côtés, pays d’origine, comme pays de destination.

La fuite des cerveaux est un autre sujet-clé qu’il nous faut aborder dans le cadre de notre partenariat. Peut-être que la question suivante illustre la problématique de manière adéquate : est-il normal que l’Afrique qui manque de médecins perde un grand nombre de médecins formés à un coût élevé au profit des pays du nord? C’est une question délicate, soulevée hier à juste titre par notre collègue capverdien. Il s’agit dès à présent de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour, tout en offrant la possibilité à des immigrés bien formés d’exercer pendant une certaine période dans un pays de destination donné, mais aussi les encourager à retourner dans leur pays d’origine.

A cette fin, nous devons mettre en place une coopération étroite entre nos pays en matière de développement, notamment en ce qui concerne la mise en place de projets concrets.

La politique d’intégration

Dans le contexte plus général de la politique d’immigration, force est de constater que sans aucun doute la question des quotas est posée. Il s’agit certainement d’un élément de prévisibilité à la fois pour les pays d’origine comme pour les pays de destination. L’instauration de quotas serait également un signal que l’Europe n’est pas une forteresse, qu’il y a une chance réelle à y entrer pour trouver un emploi dans des conditions légales. Il existe cependant une difficulté réelle à gérer ces quotas.

A ce titre, il nous faut dés à présent mieux coordonner, entre partenaires européens, notre politique d’immigration légale. Des initiatives de la Commission à cet égard sont en préparation. Il est cependant tout aussi primordial que nous entrions en dialogue avec les pays d’origine.

L’immigration est une source d’enrichissement mutuel à maints égards pour nos sociétés. Mais elle ne peut pas s’organiser selon le principe du "laisser-faire, laisser-passer".

L’immigration est inséparable des politiques d’intégration. Penser que la politique d’immigration est un instrument à coût zéro est un calcul à très court terme. Il faut des politiques d’accueil, d’intégration sociale, d’éducation et de logement adaptées. L’exclusion est un mal redoutable dans no sociétés, au sud comme au nord.

Il nous appartient à présent de faire de l’immigration ce qu’elle peut être : une chance pour nos sociétés, un stimulant pour notre économie et la croissance. Il est dès lors impératif que nous nous engagions dans une coopération durable et que nous nous dotions des politiques d’accompagnement nécessaires.

Nous savons tous que les enjeux de la politique d’immigration sont les personnes, leur dignité, leur potentiel, leur culture et leurs espoirs. C’est une chance énorme pour un monde plus solidaire si nous parvenons à la saisir en commun.

Je pense que cette réunion à Rabat a ouvert des perspectives nouvelles. Pour poursuivre ce travail, comme l’a dit Franco Frattini, il nous faut mettre en œuvre de façon urgente et concrète le plan d’action adopté aujourd’hui.

Je vous remercie pour votre aimable attention.

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