Jean Asselborn, "La Chine et l'Europe: un partenariat stratégique", Discours tenu à l'occasion de la visite de la China Foreign Affairs University, Pékin, Chine

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Tout d’abord, je tiens à vous remercier très chaleureusement de votre invitation. C’est à la fois un grand honneur de pouvoir parler devant votre illustre institut et un grand plaisir de pouvoir rencontrer à cette occasion tant de futurs responsables des questions internationales de la Chine.

Comme vous le savez, ma présence actuelle en Chine se place dans le contexte de la Visite d’Etat de S.A.R. le Grand-Duc de Luxembourg, visite qui illustre parfaitement les liens amicaux et profonds qui existent entre nos pays. Nous sommes reconnaissants aux autorités chinoises de l’accueil chaleureux qui est réservé tant à notre délégation officielle qu’à la nombreuse délégation de gens d’affaires qui nous accompagne et qui témoigne de l’intérêt que le monde économique luxembourgeois porte à votre pays.

Je souhaite entamer aujourd’hui mon discours avec quelques réflexions sur l’intégration européenne et j’enchaînerai avec le thème du partenariat si essentiel que la Chine et l’Union européenne ont réussi à former au cours de ces dernières années et sur quelques perspectives pour notre coopération.

Mais, si vous me le permettez, avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite dire quelques mots sur le Luxembourg, ses relations avec la Chine et son rôle au sein de l’Union européenne.

Des liens déjà anciens ont contribué à rapprocher nos deux nations. Ainsi, des ingénieurs luxembourgeois se sont rendus à Wuhan à la fin du 19ème siècle et ont joué un rôle de pionnier dans la naissance de l'industrie sidérurgique locale. Cette coopération fructueuse continue à ce jour et s'est élargie à beaucoup d'autres domaines tels le transport aérien, la finance ou l'ingénierie.

Nous avons récemment pu célébrer le trentième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre nos pays. Au fil des années, des contacts intenses se sont établis entre les dirigeants de nos pays, sur le plan bilatéral, mais également dans le cadre plus large des relations entre la Chine et l’Union européenne.

La position du Luxembourg dans le monde se définit en effet avant tout par la place qu’il occupe dans l’Union européenne et par le rôle qu’il est amené à jouer dans le cadre européen.

On me demande souvent comment le Luxembourg a pu exercer dans l'Union européenne une influence souvent disproportionnée par rapport à la taille du pays, comment il a été en mesure d'assumer pleinement les responsabilités qui lui incombent dans le cadre de l'Union.

La réponse est simple.

L'histoire du Luxembourg est liée étroitement à l’histoire européenne. Les guerres en Europe, et surtout celles entre nos voisins allemands et français, ont toujours eu des conséquences néfastes pour le Luxembourg. Les expériences très douloureuses de la première moitié du siècle dernier, nous ont appris très tôt que le sort du Luxembourg est intimement lié à l’unité de notre continent: sans Europe unie, pas de paix en Europe.

Cette Europe unie que nous appelons de nos vœux ne peut se limiter aux questions économiques. Ce n’est pas une simple zone de libre-échange ou un cadre pour une vague coordination intergouvernementale. Dans la vision des pères fondateurs, il s’agissait de réunir les Etats européens dans un projet politique commun qui amènerait chaque pays à renoncer à des intérêts nationaux en faveur d’un intérêt général au service de tous. Construire, au-delà de la libre circulation des biens, des marchandises et des personnes, une Europe forte sur la scène internationale, une Europe capable de mener une politique étrangère et de sécurité commune à tous les Etats membres, une Europe à dimension sociale pour tous ses habitants.

C’est cette vue de l’Europe, et du rôle du Luxembourg, qui nous a conduit à toujours être aux avant-postes de la construction européenne. Nous nous sommes efforcés d’assumer le rôle d’un médiateur crédible qui bénéficie de la confiance de ses partenaires. Et ainsi, nous avons réussi malgré notre taille, ou peut-être grâce à notre taille, à exercer une influence importante sur la construction européenne, notamment lors de nos 11 présidences du Conseil de l’Union européenne.

En mars prochain, lorsque nous célébrerons le cinquantenaire du Traité de Rome qui a marqué les débuts du projet européen, nous pourrons avec satisfaction faire le bilan de la construction européenne.

Depuis 1957, l’Union européenne s’est approfondie.

Elle s’est approfondie par l’établissement d’un marché unique garantissant la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux à l’intérieur de nos frontières. Elle s’est approfondie par la création de l’euro.

Sept ans après le lancement de la monnaie commune, l’euro est rapidement devenu la deuxième devise internationale de référence. Aujourd’hui, la zone euro est une entité économique importante qui représente 23% du produit national brut mondial et du commerce mondial. J’espère que la Chine continuera encore à accroître sa part de réserves monétaires étrangères en euros.

Mais l’Union européenne n’est pas seulement une union économique. Elle s’est approfondie à travers une politique régionale et de cohésion entre les régions développées et les régions moins favorisées en Europe et qui vise à réduire les écarts de prospérité entre les régions. Par le développement d’une politique de protection de l’environnement et des consommateurs. Par la coopération en matière judiciaire et en matière d’immigration.

Dans le domaine de la libre circulation des personnes, des progrès impressionnants ont été obtenus. Grâce à la Convention de Schengen, nous avons créé en Europe un espace sans frontières et sans contrôles d’identité aux frontières, un espace dans lequel on peut circuler en toute liberté dans 15 pays de l’Europe, et bientôt 25. Cette Convention, nommée d’après un petit village luxembourgeois, a aussi des avantages directs pour les ressortissants des pays tiers, dont la Chine.

En effet, c’est sur cette base que l’accord ADS (Approved Destination Status) a pu être mis en place, qui permet aujourd’hui aux touristes chinois d’obtenir plus facilement des visas et de voyager librement à travers les pays Schengen sans contrôle supplémentaires aux frontières des différents Etats membres.

Mais l’Union ne s’est pas non seulement approfondie, elle s’est également élargie.

Alors qu’en 1975 elle ne comptait que 9 membres, nous en sommes aujourd’hui à 25, et, avec la Bulgarie et la Roumanie au 1er janvier 2007, bientôt à 27 États membres. Le marché unique et la monnaie commune ont jeté les bases d’une économie intégrée et performante qui, après ce dernier élargissement, comptera près de 500 millions d'habitants.

On entend parfois le reproche en Europe que l’Union se serait élargie trop rapidement.

Je ne partage pas cette position. Grâce à l’Union européenne, les valeurs de la démocratie, de la paix, de la réconciliation, de la prospérité se sont répandues partout en Europe. Nous avons assisté à la fin définitive de la période d'après-guerre et la séparation cruelle de notre continent. Nous avons réussi à réconcilier l'histoire et la géographie. Notre modèle économique et social lié à un niveau de vie élevé, une haute productivité et une qualité exceptionnelle de nos technologies font de l’Union européenne un pôle d’attraction important à la fois en Europe, pour les autres pays européens non encore membres de l’Union, et dans le monde.

A la veille du cinquantenaire de l’Union, nous avons toutes raisons d’être fiers de nos succès. Mais la maturité apporte son lot de problèmes. Comme vous le savez, l’Union européenne traverse actuellement une phase difficile.

Le traité constitutionnel qui constitue une nouvelle étape importante de l’intégration européenne - et je crois que c’est la plus importante de ces dernières années car il constitue un saut qualitatif dans l’histoire de l’intégration européenne - ce traité n’a pas encore été ratifié par l’ensemble des Etats membres. Deux Etats membres, la France et les Pays Bas, ont exprimé un avis négatif lors de referenda tenus l’année dernière. Si le processus de ratification du traité constitutionnel a été ralenti, il ne s’est cependant pas arrêté pour autant.

En effet, le Luxembourg a été le premier Etat membre après ces échecs successifs à ratifier le traité par référendum. Le processus de ratification a ainsi été relancé : le traité constitutionnel reste d’actualité. Aujourd’hui, 15 États membres, et bientôt 16 avec la Finlande, ont ratifié le traité, ce qui représente une majorité d’Etats membres de l’UE et également une majorité de sa population.

Alors, où en sommes nous aujourd’hui ?

Certains citoyens européens se sont exprimés contre l’adoption du Traité constitutionnel. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont opposés à la poursuite du projet européen. Ils ont voulu faire entendre leurs craintes dans le domaine économique et social. Ils ont voulu se faire entendre de leurs autorités nationales et des institutions européennes qui souvent leur paraissent trop lointaines. Les votes négatifs révèlent à cet égard une certaine crise de confiance. Or, il est crucial d’avoir le soutien de nos citoyens pour ce projet. C'est pourquoi nous avons convenu d’une période de réflexion. Nous devons en profiter pour engager une discussion au sujet de l’Europe avec tous nos citoyens. À nous de les écouter et de les entendre.

Pendant cette phase de réflexion, il nous incombe également de montrer que l’Union fonctionne et peut apporter des résultats concrets sur des sujets qui intéressent nos citoyens comme l’énergie, l’environnement ou une politique commune sur les migrations. Lors du Conseil européen de juin dernier, les Chefs d’État et de gouvernement ont présenté l’idée d’une « Europe des projets ». Elle constitue une première étape en ce sens. Mais elle ne saurait en constituer que le point de départ.

Pour moi, il est clair que nous ne pouvons pas nous arrêter là et que nous devons travailler et aller plus loin. Nous devons trouver un nouvel élan pour construire un vrai projet politique autour d’institutions réformées, d’un modèle social modernisé et d’un grand marché efficace et dynamique, créateur de plus d’emplois. Et nous devons rassembler nos citoyens autour de ce projet politique.

En tant qu’Union de 25 Etats avec une population dépassant 450 millions de personnes, une production représentant près d’un quart du PNB mondial, l’Union européenne constitue de facto un acteur international majeur qui doit être prêt à partager la responsabilité de la sécurité internationale et de la construction d’un monde meilleur. Et l’Union, malgré la passe interne difficile qu’elle traverse, et dont j’ai parlée à l’instant, est prête à assumer cette responsabilité.

Au cours des dernières années, l’Union s’est dotée d’une Politique étrangère et de sécurité commune tout comme d’une Politique européenne de sécurité et de défense. Elle a développé un concept stratégique qui lui est propre et s’est donné une capacité d’action autonome soutenue par des forces militaires et civiles crédibles ainsi que les moyens d’y recourir pour réagir face aux crises internationales.

Des forces européennes ont ainsi été déployées dans des pays aussi divers que la Bosnie-Herzégovine, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine ou la République Démocratique du Congo. En juillet de cette année, nous avons contribué, en coopération avec la Mission des Nations Unies au Congo, à la sécurisation des premières élections libres dans ce pays depuis quatre décennies.

Les Etats membres de l’Union européenne se sont également engagés à contribuer quelque 7.000 troupes ainsi que des unités navales et aériennes au renforcement de la FINUL, de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban, fournissant, selon les mots du Secrétaire général des Nations Unies, la « colonne vertébrale » de cette Force cruciale pour la consolidation de la cessation des hostilités et une pleine mise en œuvre de la résolution 1701.

Viennent s’ajouter à ces opérations militaires, les missions civiles qui vont du renforcement de l’Etat de droit et de l’administration civile à la police, en passant par la formation et l’observation.

L’Union est ainsi présente dans la province d’Aceh en Indonésie dans le cadre de la mission civile de surveillance du traité de paix que nous menons ensemble avec 5 pays partenaires de l’ASEAN ainsi que la Suisse et la Norvège.

Vous vous demandez probablement pourquoi l’Union européenne ? Et pourquoi Aceh ? Et bien, parce que nous étions le seul acteur acceptable par toutes les parties et capable de mener une telle opération.

Nous menons actuellement 7 autres missions de gestion civile de crises dont je voudrais en mentionner encore 2 qui me semblent particulièrement importantes, à savoir la mission EUJUST LEX en Irak qui vise à renforcer l’Etat de droit et la mission d’assistance frontalière à Rafah, EU BAM. Depuis novembre 2005, l’Union européenne y assiste l’Autorité palestinienne dans la gestion du poste frontalier de Rafah, le seul point de passage permettant de quitter Gaza sans passer par Israël.

Je ne voudrais pas créer ici l’impression que l’Union européenne ne perçoit son action sur le plan international qu’en termes de forces. Il n’en est rien : l’action diplomatique est et reste au centre de notre politique étrangère et de sécurité. Nous avons cependant cherché à rendre notre action plus globale, plus cohérente, à créer des synergies. Les efforts diplomatiques, les politiques en matière de développement, de commerce et d’environnement, les missions de gestion civile et militaire de crises doivent poursuivre un même objectif.

L’Europe que nous aspirons à ériger n’est pas une Europe-puissance qui chercherait à imposer une quelconque hégémonie. Notre aspiration et notre vision sont celles d'une Europe-partenaire, non pas observateur d’un monde en mutation, mais acteur engagé sur la scène internationale.

Une Europe, partenaire de la Chine, ce qui m’amène à ma dernière partie : les relations entre l’Union européenne et la Chine.

En mai 2005, sous Présidence luxembourgeoise, nous avons pu célébrer le trentième anniversaire des relations diplomatiques entre l’UE et la Chine.

Depuis leur établissement en 1975, les liens entre l’Union et la Chine se sont développés rapidement ; d’une relation à dimension unique basée principalement sur le commerce à un partenariat stratégique qui repose sur trois fondements : le dialogue politique, des relations économiques, sectorielles et commerciales ainsi que le programme de coopération entre la Chine et l’Union.

Ainsi, en 1985, nous avons signé l’Accord de commerce et de coopération sur la base duquel nous avons diversifié nos relations et établi une coopération de plus en plus étroite. Or, même si cet accord constitue toujours le cadre juridique principal de notre coopération, je crois qu’il ne reflète plus vraiment la dimension qu’ont prise nos relations à l’heure actuelle. Votre Premier Ministre, M Wen Jiabao, a également identifié la modernisation de cet accord comme une des cinq priorités pour le renforcement des liens entre l’Union européenne et la Chine. Et nous partageons tout à fait cette analyse.

J’espère qu’au prochain sommet UE-Chine, qui se tiendra dans quelques jours à Helsinki nous parviendrons enfin à lancer des négociations pour un nouvel accord de partenariat qui doit constituer la base juridique pour le développement de relations bilatérales toujours plus intenses dans tous les domaines.

Sur le plan commercial, les relations entre l'Union européenne et la Chine sont devenues de plus en plus étroites. Quasiment négligeable il y a à peine vingt ans, le commerce entre l’Union et la Chine a été multiplié par quarante depuis le début des réformes dans votre pays à la fin des années soixante-dix. Le commerce bilatéral atteint aujourd’hui un total de 200 milliards d’euros dans les deux sens (150 de la Chine vers l’Union européenne et 50 de l’Union vers la Chine) et l'Union est le principal partenaire commercial de la Chine. Cette dernière quant à elle est actuellement le deuxième partenaire commercial de l’Union européenne, après les Etats-Unis.

Évidemment nous souhaiterions une balance commerciale un peu plus équilibrée. Il n’est pas sain que les exportations d’un pays valent le triple des importations en provenance de son partenaire. Le rééquilibrage prendra du temps. Il ne doit cependant pas passer par la fermeture des marchés européens, mais il dépendra surtout des conditions qui prévaudront sur le marché chinois ; en premier lieu, une ouverture accrue de ce marché, en deuxième lieu, une stimulation de la consommation interne.

Permettez-moi de m’étendre un peu sur ces deux sujets.

1) Premièrement, une ouverture accrue du marché chinois

Vous me direz que le marché chinois est extrêmement ouvert et que le fait que la Chine soit devenue, depuis son adhésion à l’OMC, le premier destinataire des investissements directs étrangers en est la preuve flagrante. Que les excès de ces investissements sont une des causes de l’apparition de surcapacités dans certains secteurs qui, à terme, constitueront une menace sérieuse pour la persistance d’une croissance saine, ou pour employer un terme à la mode, d’un développement durable de l’économie chinoise. Mais cela ne doit pas amener la Chine à se fermer aux investissements et aux produits étrangers, ni amener l’Europe à ériger des barrières contre investissements et produits chinois.

Permettez-moi d’évoquer comme exemples deux secteurs que je connais particulièrement bien: le secteur financier, et la sidérurgie.

a) La Chine a choisi de protéger son secteur financier au moins jusqu’au début de l’année prochaine. Son accord d’adhésion à l’OMC le lui permet. Mais j’espère très sincèrement qu’elle sera prête, dès l’expiration de ce délai, à s’ouvrir réellement à la concurrence internationale. A juste titre, elle a utilisé la période entre son adhésion à l’OMC et 2007 pour assainir son système bancaire et pour préparer ses institutions financières à la concurrence internationale. Je suis convaincu que cette concurrence internationale sera bénéfique à ses institutions financières, maintenant que leur situation a été assainie.

En contrepartie, il faudra évidemment que la communauté financière internationale, et l’Europe en particulier, s’apprête aussi à accueillir, à bras ouverts, les institutions financières chinoises. Le Luxembourg est ainsi ravi que ICBC (prononcer en anglais) ait choisi le Luxembourg comme base pour son expansion sur le marché européen. comme la Bank of China qui l’a précédée.

b) Dans le secteur sidérurgique, le grand problème de la Chine, ce sont les surcapacités. Mais les surcapacités en quoi ? Certainement pas en produits hauts de gamme, mais plutôt en acier brut. Ce n’est pas en fermant son marché aux investissements et participations étrangers que la Chine résoudra ces problèmes. La Chine, en tant que premier producteur et consommateur mondial d’acier, a évidemment droit à un champion national et même international. Est-il normal que le prix du minerai de fer ait été fixé ces deux dernières années par les entreprises japonaises ou allemandes avec les grandes multinationales minières, alors que le plus grand producteur et consommateur est la Chine ? Non ce n’est pas normal, mais c’est la conséquence logique d’un manque d’ouverture à l’étranger dans un secteur souvent qualifié de stratégique. Une ouverture mutuelle ne saurait être que bénéfique : les entreprises européennes profiteront de leur présence sur le plus grand marché de l’acier du monde, et la Chine acquerra le savoir faire nécessaire pour restructurer et consolider son marché national, pour avoir les capacités de devenir un acteur de poids et compétitif sur le marché international.

2) Le deuxième facteur qui est nécessaire pour rééquilibrer la balance commerciale avec l’Europe pourrait être une augmentation de la consommation des ménages chinois.

Aujourd’hui une grande partie des importations en provenance de l’Europe concerne des produits destinés à l’investissement dans des investissements durables. C’est favorable à court terme pour l’Europe, mais je crois qu’une solution plus durable serait une augmentation nette de l’importation de produits de consommation des ménages qui, actuellement, connaissent toujours le taux d'épargne le plus élevé au monde. La population chinoise économise pour pouvoir financer ses dépenses de santé, sa vieillesse et l’éducation de ses enfants.

C’est dans ce secteur de la gestion des dépenses sociales que je vois un nouveau domaine de coopération privilégiée entre la Chine et l’Union européenne.

L’Europe a acquis une certaine expérience dans ce domaine et même si aujourd’hui tout le monde est d’accord qu’elle doit moderniser son fameux modèle social européen, il faut quand même admettre qu’elle a réussi à offrir à sa population un certain filet de sécurité en matière sociale. Filet de sécurité qui garantit une meilleure qualité de vie à nos citoyens mais leur permet aussi de consacrer davantage de revenu à la consommation. L’Europe, je crois pouvoir le dire, est prête à partager ses expériences dans le financement des soins de santé, de l’éducation, des pensions de vieillesse et dans la redistribution des richesses entre régions riches et pauvres avec la Chine. C’est à mon avis une coopération de longue haleine, qui produit des résultats lentement, mais qui est nécessaire et potentiellement fructueuse.

Dans les prochaines décennies, le monde devra faire face à des défis énormes. Nous assisterons à une concurrence de plus en plus accrue au niveau de l’accès aux ressources et aux matières premières. Face à la dépendance croissante de nos économies et face à l’intégration des marchés énergétiques, une coopération internationale dans le domaine de la sécurité d’approvisionnement énergétique s’impose.

Les changements de la géographie commerciale mondiale sont tels que la Commission européenne est en train d'élaborer une analyse stratégique destinée à réorienter la politique économique et commerciale de l'Union envers la Chine. Cette analyse, qui devrait être publiée dans quelques semaines, formera la base d'un nouveau partenariat reposant sur une large assise ainsi que des valeurs et des intérêts économiques et commerciaux convergents.

La réponse aux défis de la mondialisation, la seule réponse possible pour des acteurs politiquement responsables est un renforcement de notre partenariat. Car aucun pays, quelque soit sa taille ou son poids économique, ne pourra, seul, résoudre les problèmes globaux. La recherche de solutions novatrices est désormais inévitable devant ce constat d’une interdépendance croissante des défis et des menaces auxquels nous sommes exposés.

Dans beaucoup de domaines, nous travaillons déjà ensemble.

L’Union européenne et la Chine ont, par exemple, établi une vingtaine de dialogues sectoriels qui couvrent une large panoplie de sujets, de la technologie spatiale à la réglementation en matière d’entreprises, de sujets environnementaux à l’éducation, la société d’information et recherche et développement. Lors du dernier Sommet, de nouveaux dialogues ont été signés en matière d’emploi et d’affaires sociales, énergie, transport et indications géographiques.

Nous coopérons également sur le plan scientifique. Prenez par exemple deux projets européens, à savoir Galileo, qui est un système européen de navigation guidé par satellites et ITER, qui est un réacteur expérimental à fusion nucléaire. Dans le cadre de ces deux projets, l’Union européenne et la Chine sont partenaires et, grâce entre autres, au soutien de votre pays, l’ITER sera construit en Europe.

Cette coopération, nous devons encore la développer et l’étendre à d’autres secteurs.

Prenez l’exemple du domaine de l’environnement et du changement climatique, qui affecte profondément les politiques nationales internes et les relations internationales.

Ou encore, le développement durable qui s’inscrit dans le même ordre d’idées. Coopérer pour répondre aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Nous devrons assurer une cohérence dans nos relations entre les différentes politiques en intégrant des considérations d'ordre à la fois économiques, sociales et environnementales.

Ni la Chine ni l’Union européenne ne peuvent plus se permettre de poursuivre un agenda purement bilatéral mais doivent ensemble rechercher des solutions aux grandes questions globales : problèmes migratoires importants, menaces pour l’environnement, catastrophes naturelles et des crises humanitaires ou pandémies. Ensemble, nous devons lutter contre le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ou la grande criminalité. Ensemble, veiller à réduire les tensions et préserver la paix dans le monde.

L’Union européenne est à la fois capable et prête à s’investir dans les relations internationales, d’assumer ses responsabilités sur le plan international et de jouer son rôle de partenaire fort et fiable de la Chine. Et, je suis sûr qu’il en va de même pour la Chine. Car il est dans notre intérêt commun de mettre en œuvre un partenariat renforcé qui tient compte de nos spécificités propres.

Quel est cet intérêt commun ?

La Chine a besoin de marchés ouverts, d’investissements porteurs de technologie et d’une coopération technique et scientifique avec les pays les plus avancés en matière de recherche scientifique. L’Europe a beaucoup à offrir dans ce domaine. La croissance de la Chine est un des moteurs importants de l’économie mondiale et elle offre des perspectives de marché et de développement à de nombreuses entreprises européennes de tous les secteurs. Je mentionnais tout à l’heure l’importante délégation qui nous accompagne dans cette visite d’Etat. Cet intérêt est révélateur du potentiel énorme que représente le marché chinois pour tous les pays européens.

L’Union européenne pourra apporter dans différents domaines, son know how, son savoir-faire spécifique. Au-delà de la coopération scientifique et des transferts de technologie, je voudrais dire un mot sur l’intérêt de l’Europe à voir la réussite de la politique d’«ouverture et de réformes » de la Chine et de son intégration dans le système mondial.

Le succès de ces réformes passe par l’établissement d’un Etat de droit efficace. Votre président M. Hu Jintao y insiste à raison dans ses discours. Il s’agit d’un projet considérable auquel l’Europe apporte déjà sa contribution et sur lequel nous pourrons encore coopérer. L’Union européenne a ainsi apporté son concours technique à l’organisation d’élections, la formation des scrutateurs, la production de matériels d’éducation au vote, des élections des municipalités organisées dans les communes rurales de Chine. À tous ces projets un point commun: le transfert d’un savoir-faire européen, qu’il soit technique, administratif ou de gouvernance sur des questions auxquelles la Chine est confrontée. Dans des domaines très importants pour le commerce international, des projets de coopération ont été entrepris pour faciliter l’adoption de législations dérivant de l’OMC, la mise en place de normes, la protection des brevets ou la propriété intellectuelle. Dans le domaine juridique, nous coopérons notamment à la formation des juges et des procureurs.

Il faudra encore intensifier cette coopération et, j’en suis convaincu, elle contribuera à nous rapprocher également sur des questions qui aujourd’hui constituent peut-être encore des points de friction dans nos relations. Je pense par exemple à la protection des droits de l’Homme. Dans un État de droit, le respect des droits de l’Homme est une conséquence quasi automatique. La loi protègera le citoyen qui en contrepartie doit respecter la loi.

Le dialogue régulier établi avec la Chine en matière de droits de l’Homme est de ce fait d’une grande importance. Ces échanges, auxquels j’ai eu l’occasion de participer l’année dernière à l’occasion de notre Présidence de l’UE, permettent d’accroître la compréhension mutuelle de nos positions respectives et de rapprocher nos positions. Des sujets aussi vitaux, et qui peuvent donner lieu à la préoccupation, que la liberté d’expression, la liberté religieuse ou la liberté de réunion et d’association voire l’application de la peine de mort y sont régulièrement évoqués. Il me semble s’agir là d’un élément essentiel de notre coopération.

Il n’est bien évidemment pas exclu que nos relations connaîtront de temps en temps des périodes un peu plus difficiles. Mais je suis confiant que, si nous coopérons, nous arriverons également à surmonter ces difficultés.

La crise du textile en 2005 en est un bon exemple. Elle a pu être surmontée grâce au savoir faire et à la bonne volonté de part et d’autre. Et également grâce aux règles de l’OMC, développées dans le cadre de la coopération multilatérale de la communauté internationale.

En ce qui concerne plus particulièrement le cycle de négociations de Doha, la Chine, tout comme l'Europe, a tout à gagner d'une conclusion rapide et ambitieuse de ce cycle même si celui-ci se trouve actuellement malheureusement dans une impasse. Nous oeuvrons toujours vers un accord, aussi minimes que les chances d’une conclusion des négociations puissent paraître. Et il incombera à la Chine de jouer pleinement son rôle de poids lourd de l'économie globale.

Pour moi, il est évident que l’avenir de nos relations doit se traduire par une coopération accrue qui, de son côté, doit s’inscrire dans le cadre d’un multilatéralisme effectif.

Une coopération accrue qui s’exprimera au sein d'un partenariat équilibré visant à réduire et résoudre les conflits d’intérêt bilatéraux et qui contribuera à la résolution des problèmes de la planète. Un tel partenariat s’avérera particulièrement important en vue d’un règlement du dossier nucléaire iranien. L’unité de la communauté internationale, la coopération de tous, et notamment des pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, et donc aussi de la Chine, continuera à être cruciale dans ce contexte.

Et je ne me lasserai jamais de rappeler que dans notre monde interdépendant, la seule manière possible et admissible d’agir pour des acteurs qui se veulent responsables et crédibles doit être un multilatéralisme efficace, fondé sur des règles internationales mises en œuvre avec le soutien d’organisations internationales fortes, au sein d’institutions légitimes et efficaces, appuyés sur des services dont la qualité, l’objectivité et la probité doivent être au-dessus de tout soupçon.

Il nous faut donc un multilatéralisme efficace et rénové, adapté aux circonstances particulières de ce début du 21e siècle et doté des instruments et moyens suffisants pour remplir pleinement sa mission.

Il ne faut pas se méprendre. Le multilatéralisme n’est pas une fin en soi. C’est une attitude politique. C’est le seul moyen à notre disposition pour résoudre les problèmes auxquels font face nos sociétés aujourd’hui. Je sais qu’il y a d’autres vues à ce sujet dans le monde. À nous de démontrer la force et l’utilité de nos convictions et de nous mettre ensemble pour trouver des solutions innovatrices aux défis auxquels nous devons faire face.

À l’Union européenne et la Chine d’assumer leurs responsabilités et de s’engager activement dans la défense du multilatéralisme. Au partenariat UE - Chine de contribuer sa part à un monde plus équitable, plus sûr et plus uni.

Je vous remercie.

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