Jean Asselborn, Discours du ministre des affaires étrangères à l'occasion de la 61e session de l'Assemblée générale des Nations unies, ONU, New York

Madame la Présidente,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Voici deux ans, à cette même tribune, j’avais cité, en conclusion de mon propos, ces vers célèbres du poète espagnol Antonio Machado:

"Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout voyageur;
Il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant".

Depuis lors que de chemin parcouru !

En effet, l’ouverture de cette 61e session de l’Assemblée générale est tout d’abord pour nous l’occasion de jeter un regard rétrospectif pour mesurer les avancées que nous avons pu réaliser, en particulier depuis le sommet de septembre 2005, mais également pour essayer d’évaluer le parcours qu’il reste à réaliser pour mettre en œuvre les nobles ambitions définies d’un commun accord voici un an dans cette salle qui voit se rassembler chaque année ce véritable "parlement des nations".

C’est à cette occasion historique que nous avons réaffirmé avec force que la paix et la sécurité, le développement et les droits de l’Homme sont les piliers du système des Nations unies et constituent les axes essentiels d’un ordre mondial plus juste et plus pacifique.

Un an plus tard, qu’avons-nous réalisé et comment ces progrès peuvent-ils être analysés au regard de ce test qu’est la réalité effective des choses, l’évolution d’une situation internationale complexe et en perpétuel devenir?

I - Paix et Sécurité

Madame la Présidente,

Lorsque nous promenons notre regard sur la situation actuelle, nous devons constater que zones d’ombre et raisons d’espoir cœxistent, même si une note d’inquiétude certaine doit être relevée.

Plus que jamais, le Moyen-Orient reste traversé par des tensions politiques, militaires, socio-économiques et culturelles profondes, dont les affrontements militaires sur la terre libanaise et les bombardements au nord d’Israël n’ont offert que l’exemple le plus récent. Un mois de guerre a laissé derrière lui un terrible héritage de morts et blessés, de destruction et de contamination par les mines et les engins non explosés, tout comme des conséquences économiques majeures. Mon pays s’est immédiatement associé aux efforts internationaux de solidarité et la conférence de Stockholm a permis de coordonner le soutien international et d’avancer vers la reconstruction, sous l’égide des Nations unies et du gouvernement libanais.

Mais au-delà de cette réaction immédiate, une fois l’arrêt des hostilités obtenu - tardivement, il est vrai - il convient désormais de consolider le cessez-le-feu et de construire les bases d’un processus politique soutenable, dont la résolution 1701 du Conseil de sécurité définit les principaux éléments. Comme l’a encore confirmé, il y a quelques jours à cette tribune la présidente en exercice du Conseil européen, S.E. Mme Tarja Halonen, l’Union européenne est prête à jouer pleinement son rôle dans ce contexte. Déjà les contributions européennes - auxquelles mon pays a tenu à participer - constituent ce que notre secrétaire général a appelé "l’épine dorsale" de la FINUL renforcée. De même, la tâche d’appuyer l’émergence d’un Liban pleinement souverain et indépendant, qui exerce sa souveraineté et le monopole de la force armée sur l’ensemble de son territoire, doit être menée à bien et tous les acteurs régionaux doivent contribuer à ce processus. En obtenant la levée du blocus du Liban et en abordant de manière concrète la question des prisonniers, notre secrétaire général a jeté les bases d’une solution durable et nous le félicitons pour son action efficace.

Ayant pu me rendre moi-même voici quelques jours à Beyrouth, à Tel Aviv et à Ramallah, je me suis encore une fois rendu compte sur place à quel point l’absence d’une paix véritable dans cette région affecte négativement les populations civiles, en particulier dans les Territoires occupés, où la situation humanitaire se détériore de jour en jour. A quel point aussi les logiques de l’affrontement, de la violence et du désespoir tendent à se répandre et à s’enraciner. C’est cet engrenage funeste qu’il s’agit d’enrayer. Plus que jamais, il est évident qu’il ne saurait y avoir de solution militaire ou unilatérale aux conflits persistants dans la région. Le 15 septembre, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont réitéré leur plein appui à la recherche de solutions négociées. Ils ont salué l’annonce par le président Abbas quant à un accord relatif à la formation d’un gouvernement d’unité nationale, tout en exprimant l’espoir que le programme d’un tel gouvernement reflètera les principes du Quartette. Voici deux jours, le Quartette a également repris cette position à son compte.

Les tensions persistantes au Moyen-Orient ne doivent cependant pas nous faire détourner notre attention de l’Afrique, ce continent frappé par les fléaux de la pauvreté, de la maladie, des affrontements armés, mais aussi, en même temps, cette terre d’espoir dotée d’une extraordinaire vitalité et créativité. Alors que conflits intérieurs et crises internationales subsistent - trop nombreux - en maints endroits en Afrique - citons la Côte d’Ivoire, le Soudan, notamment dans la région du Darfour où une crise humanitaire de grande ampleur menace, la Corne de l’Afrique, d’autres encore - des signes d’espoir, certes parfois fragiles, peuvent êtres relevés dans des pays aussi divers que le Libéria, la Sierra Léone ou encore en RDC, où un processus électoral d’une ampleur sans précédent est en train de se poursuivre avec le soutien massif, entre autres, des Nations unies et de l’Union européenne.

L’Union Africaine joue, elle aussi, un rôle croissant et positif dans la gestion des crises sur le continent africain, à l’instar de son action au Darfour à travers l’AMIS. Il est essentiel que cette action cruciale puisse être rapidement reprise et relayée par le déploiement d’une mission des Nations unies élargie, telle que prévue dans la résolution 1706 (2006) du Conseil de sécurité.

Avec la création et la mise en place, voici quelques mois, de la Commission de consolidation de la paix, un autre engagement du Sommet a été traduit dans les faits. Les Nations unies disposent désormais d’un instrument innovant pour gérer les situations post-conflit, afin d’assurer une transition optimale du maintien de la paix et de la prise en compte de l’urgence humanitaire vers la reprise du processus de développement. Souhaitons donc beaucoup de succès à ce nouvel organe qui suscite de grands espoirs partout dans le monde.

Avant de quitter le thème de la paix et de la sécurité, je ne voudrais pas omettre d’aborder brièvement deux sujets qui ont un impact majeur à cet égard, à savoir le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

S’agissant du fléau du terrorisme, une action décidée et concertée au plan régional et international s’impose. Je ne peux qu’exprimer ma satisfaction devant le fait que dans les tout derniers jours de la 60e session, sous l’impulsion énergique du président Jan Eliasson - dont je voudrais ici saluer l’action - l’Assemblée générale a adopté une "stratégie antiterroriste mondiale de l’ONU". Cette stratégie doit agir tant sur les conditions propices à la propagation du terrorisme que sur la prévention et l’action contre le terrorisme, y compris à travers les divers organes des Nations unies, tout en garantissant le respect des droits de l’Homme et des règles de l’État de droit. Comme les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne l’ont déclaré voici quelques jours, cette dernière considération s’applique en particulier au traitement de tous les détenus, comme à la problématique des lieux de détention secrets.

Le dossier de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs continue à susciter de vives inquiétudes sur le plan international. L’attitude et les activités de la Corée du Nord en matière de prolifération nucléaire ont mené le Conseil de sécurité à adopter récemment à l’unanimité la résolution 1695. Autre sujet d’inquiétude, l’Iran. Le Conseil de sécurité a défini dans sa résolution 1696 les principaux paramètres qui orientent l’attitude à l’égard du dossier nucléaire iranien de la communauté internationale et de l’Union européenne, qui est depuis plus de deux ans en discussion avec l’Iran. C’est en donnant suite à ces demandes, et notamment la suspension de toute activité d’enrichissement, que des négociations en vue de la conclusion d’un accord global pourront être engagées et que la confiance pourra être restaurée.

II - Développement

Madame la Présidente,

Le document conclusif du Sommet a mis un accent particulier sur la dimension du développement qui affecte directement le sort de milliards d’êtres humains. Si 2005 a été l’année des grands engagements pour le développement avec le Sommet du G-8 de Gleeneagles et la décision de l’Union européenne, intervenue sous Présidence luxembourgeoise, d’atteindre le seuil des 0.7% du RNB consacré à l’aide publique au développement dès 2015, l’année 2006 a été l’année de la mise en œuvre, avec en particulier l’adoption de la résolution 60/265 qui définit désormais le consensus international en la matière.

Le Luxembourg, pour sa part, continue à s’honorer de sa participation au club - malheureusement encore trop restreint - du G-0,7 ; avec 0.82% de notre RNB consacré à l’aide publique au développement en 2005, en attendant d’atteindre 1% dans les années à venir.

La réunion du début de la semaine consacrée à l’examen de la mise en œuvre du Plan d’action de Bruxelles en faveur des pays les moins avancés a encore une fois montré que la mise en place d’un véritable partenariat pour le développement reste une tâche prioritaire et urgente. Ceci reste malheureusement aussi vrai en ce qui concerne l’action internationale contre le VIH/SIDA, à laquelle une réunion à haut niveau a été dédiée au mois de juin.

Soucieux d’améliorer la qualité et l’efficacité de l’aide au bénéfice des plus démunis, mon pays attend avec beaucoup d’intérêt les résultats du panel sur l’architecture du développement qui seront rendus publics dans les mois à venir. Plus que jamais, la formule selon laquelle "le développement est l’autre nom de la paix" reste d’une actualité brûlante.

III - Droits de l’Homme, démocratie et État de droit

Madame la Présidente,

En septembre 2005, les participants au Sommet ont reconnu de manière solennelle que le développement, la paix et la sécurité et les droits de l’Homme sont liés et se renforcent mutuellement.

En vue de renforcer le dispositif international en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme, l’Assemblée générale a décidé en mars de cette année de remplacer l’ancienne Commission des droits de l’Homme par un Conseil des droits de l’Homme. Alors que la première session du nouveau Conseil a permis de réaliser un certain nombre d’avancées importantes sur le plan normatif, il importe désormais de consolider sa mise en place, en le dotant de l’ensemble des moyens et instruments - dont les procédures spéciales - pour lui permettre de promouvoir la cause des droits de l’Homme et de réagir rapidement et efficacement face à des situations spécifiques de violation graves de ceux-ci.

Dans le même ordre d’idées, on ne peut que se féliciter de la conclusion récente des négociations sur une Convention sur les droits des personnes avec des handicaps et exprimer l’espoir que cet instrument important pourra être adopté au cours de l’automne par cette Assemblée générale.

Autre innovation significative adoptée par le Sommet l’année dernière, la notion de "responsabilité de protéger" en cas de génocide, de crimes de guerre, de purification ethnique ou de crimes contre l’humanité, doit trouver application dans le cadre des critères et conditions définis dans le document conclusif du Sommet pour devenir progressivement une norme incontestée qui puisse guider l’action de la communauté internationale lorsque la situation l’exige.

IV - Pour un multilatéralisme efficace

Madame la Présidente,

Si la paix et la sécurité, le développement et les droits de l’Homme sont les trois piliers fondamentaux sur lesquels reposent les Nations unies, ces valeurs fondamentales ne peuvent se concrétiser et s’exprimer pleinement dans la réalité qu’à travers un système multilatéral performant et crédible.

Le multilatéralisme ne doit pas rester un vain mot! A la lumière des récents événements au Moyen-Orient, aucune Nation, grande ou petite, ne peut désormais échapper au constat que le multilatéralisme offre le seul cadre viable à la recherche de solutions aux conflits et aux menaces qui nous guettent.

Il est de notre responsabilité de doter ce système multilatéral des moyens adéquats pour exécuter ses principales missions. Nous devons également veiller à ce que les procédures de travail et de décision de nos organes soient définies et agencées de manière à obtenir le meilleur rendement et une performance qui réponde mieux aux attentes légitimes des Etats membres. La recherche d’un meilleur rapport coût/efficacité au bénéfice de nos populations devrait être un objectif partagé par tous les États membres, grands ou petits, du Nord comme du Sud.

La crédibilité, voire même peut-être la survie, du multilatéralisme comme méthode pour gérer les grands problèmes communs de l’humanité est à ce prix.

Quelques progrès ont été accomplis au cours de l’année passée en matière de réforme de la gestion administrative et financière, mais beaucoup reste à faire et nous devons nous unir pour mener à bien une réforme indispensable pour transformer nos Nations unies dans un instrument pleinement adapté pour gérer les graves et multiples défis de ce XXIe siècle débutant.

Dans ce contexte, nous ne pouvons négliger l’organe auquel la Charte des Nations unies réserve un rôle primordial en matière de sauvegarde et de préservation de la paix et de la sécurité internationales, à savoir le Conseil de sécurité.

Depuis un grand nombre d’années, les voies et moyens pour renforcer la légitimité et l’efficacité de cet organe primordial font l’objet de discussions approfondies, sans que pour autant des progrès notables aient pu être discernés.

Pour notre part nous restons convaincus qu’une réforme du Conseil de sécurité reste indispensable. Celle-ci doit être réalisée tant en ce qui concerne le renforcement de son caractère représentatif à travers une augmentation du nombre de ses membres à la fois permanents et non permanents - sans pour autant alourdir son fonctionnement par l’attribution du droit de veto - que par une amélioration de ses règles de fonctionnement pour augmenter l’efficacité et la transparence de ses travaux et, partant, d’augmenter la légitimité de son intervention.

V - Conclusion

Madame la Présidente,

Je souhaiterais conclure, en évoquant la figure de celui qui nous a guidé, celui qui nous a fourni les points de repère, comme il a guidé cette Organisation depuis dix ans: je veux bien sûr parler de notre scrétaire général Kofi Annan.

Même s’il reste encore quelque temps avant l’échéance de son mandat et que je suis sûr qu’il entend encore réaliser nombre de missions importantes d’ici-là, il m’importe cependant de lui rendre dès à présent hommage et de le remercier pour l’œuvre accomplie au cours d’une vie consacrée au service de cette Organisation.

Madame la Présidente,

Le pays que j’ai l’honneur de représenter devant vous, le Luxembourg, entend également à l’avenir être partie prenante à la vie et au devenir de cette Organisation qui continue, plus de soixante ans après sa création, de représenter un noble idéal et un espoir pour des millions et des millions d’hommes et de femmes. Le Luxembourg souhaite se mettre au service de cet idéal et de la communauté internationale et assumer sa part de responsabilité dans ce cadre. Voilà pourquoi, nous avons, il y a cinq ans, décidé de présenter notre candidature à un siège non-permanent au Conseil de Sécurité pour le bienium 2013-2014. Membre fondateur des Nations Unies, mais qui n’a jusqu’à présent jamais siégé au sein de cet organe, le Luxembourg conçoit cette candidature comme une expression nouvelle de son engagement pour les objectifs et les principes de la Charte, pour la paix et la sécurité, le développement et les droits de l’Homme, pour un système multilatéral efficace.

Madame la Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Il nous faut persévérer, malgré les difficultés et les obstacles, à travers le dialogue et la diplomatie, à modeler une Organisation des Nations unies digne de nos attentes.

Et en cela, soyons inspirés par cette réflexion du grand Michel-Ange qui disait: "Le plus grand danger n’est pas que notre but soit trop élevé et que nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignions".

Je vous remercie.

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