Nicolas Schmit, "Pour la Constitution européenne ... quelle voie de sortie?", Contribution écrite du ministre délégué aux Affaires étrangères

La guerre du Liban a suffisamment démontré que l’Union européenne doit se donner les moyens pour pouvoir jouer un rôle international de premier plan. Alors que l’Union, confrontée à une situation internationale périlleuse, doit se résoudre à devenir un acteur international efficace et crédible, elle ne peut pas s’enliser dans une sorte de statu quo interne provoqué par les échecs aux referenda français et néerlandais.

Certes, la future Présidence allemande a pour mission de préparer une voie de sortie. En attendant, nous faisons semblant de proroger une période de réflexion qui a surtout pour objet d’occulter l’absence de vision politique claire de notre avenir. Se lamenter alors indéfiniment sur la crise profonde que traverserait la construction européenne n’est susceptible ni de provoquer le nécessaire sursaut ni de conquérir l’adhésion des citoyens.

Il est juste que le retour aux questions institutionnelles ne peut à lui seul redonner confiance. L’Europe des projets et des résultats qui prouve sa nécessité par sa capacité d’agir là où les citoyens l’attendent, en est certainement un moyen.

Mais il n’y a pas à choisir entre, d’une part, une Europe qui développe des projets et arrive de plus en plus difficilement à les adapter, et, d’autre part, une Union qui adapte ses institutions et les mécanismes décisionnels, en les rendant plus démocratiques, plus transparents et surtout plus efficaces.

Les deux sont étroitement liés et dans un monde en pleine accélération, l’Europe ne peut pas donner l’impression que pour le moment elle ne sait qu’arrêter les horloges.

Le dilemme du prisonnier constitutionnel

Le projet de Constitution européenne reste sans doute le meilleur moyen, même s’il est à certains égards imparfait, pour permettre à l’Union d’être à la hauteur des défis majeurs qui exigent des solutions européennes: un rôle plus actif et plus solidaire sur la scène internationale afin de mieux défendre les intérêts de l’Europe et de promouvoir la paix et le développement; une défense mieux organisée du modèle social européen face à la mondialisation; un renforcement de nos capacités technologiques; la promotion du développement durable; la lutte contre la criminalité internationale et le terrorisme en vue d’une plus grande sécurité; une meilleur gestion des flux migratoires…

Sur chacune de ces questions, la Constitution permettrait une action plus efficace. Hélas, à ce stade, il faut reconnaître que ce texte a relativement peu de chances pour entrer rapidement en vigueur.

Nous risquons de nous manœuvrer dans une situation de blocage voire de dilemme dont il sera difficile de sortir. Ceux qui ont ratifié le texte affirment ne pas pouvoir ou vouloir le changer. Ceux qui ont échoué le processus de ratification affirment, et c’est aussi politiquement compréhensible, ne pas pouvoir soumettre le même texte à leurs électeurs dans un nouveau référendum.

Finalement ceux qui n’ont pas encore engagé la procédure de ratification, et ils sont encore au nombre de sept États membres, sont dans une position d’attente qui risque de durer.

Il est pourtant trop risqué de se résigner à un statu quo qui plonge l’Europe élargie dans un état de "langueur" évoqué par Catherine Colonna, ministre française déléguée aux Affaires européennes, dans un discours sans complaisance prononcé, à la fin août, devant la Conférence des Ambassadeurs de la France.

"L’Union européenne est … atteinte d’une sorte de maladie de langueur, de fatigue généralisée, qui n’augure rien de bon de sa capacité future à répondre aux attentes des peuples si nous ne trouvons pas rapidement les moyens de lui donner une nouvelle impulsion."

Il est acquis que l’Europe ne peut pas avoir pour seul horizon de nouveaux élargissements sans que préalablement sa capacité d’absorption ait été renforcée sur un plan politique, financier et institutionnel. Peut-être les calendriers électoraux ne facilitent-ils pas toujours des décisions, mais ils ne doivent pas nous conduire à un immobilisme d’autant plus dangereux que l’adhésion des citoyens à la construction européenne faiblit dans un grand nombre de pays, dont le Luxembourg où elle reste néanmoins très forte. Par ailleurs, la période de réflexion n’a un sens que si elle permet de dégager des voies de sortie.

La devise "silence, on réfléchit jusqu’en 2007" est-elle crédible ?

Faut-il alors enterrer la Constitution, comme certains voulaient déjà le faire ? Faut-il se lancer dans une nouvelle négociation pour l’amender, exercice compliqué et hasardeux et probablement voué à l’échec ?

Faut-il reconnaître que les votes aux deux referenda gagnés au Luxembourg et en Espagne ont été des votes pour rien ? Rien de tel. Ces votes ont donné à ce texte une assise politique qu’il n’aurait pas autrement.

Mais à condition de vouloir tout, ne risque-t-on pas de perdre tout ? Dans les circonstances politiques difficiles ne devrait-il pas être notre objectif primordial de préserver le maximum de la substance de ce texte constitutionnel et surtout de le voir entrer en vigueur le plus rapidement possible.

Reconnaissons que l’originalité de ce projet réside avant tout dans sa première partie et que c’est la troisième qui était la plus controversée. Nous ne pouvons pas ignorer que beaucoup de citoyens qui ne rejettent pas d’emblée l’idée d’une constitution européenne, ont eu des difficultés à identifier les 448 articles auxquels s’ajoutent un nombre considérable de protocoles et de déclarations à un texte constitutionnel.

Il a sans doute été une erreur, et le débat en France l’a bien montré, de constitutionnaliser la troisième partie. La Convention n’en avait d’ailleurs jamais été saisie.

C’est la première partie du projet de Constitution qui contient les éléments novateurs les plus importants. Ils ont été peu contestés par ceux qui sont attachés, en dépit de leur vote, aux progrès de la construction européenne. Il s’agit d’abord des réformes institutionnelles rendant les mécanismes décisionnels plus démocratiques, plus efficaces et plus transparents. Ce sont ces innovations dont l’Europe a le plus urgemment besoin, précisément pour décider et agir mieux et plus rapidement.

L’idée de revenir simplement à un texte constitutionnel réduit et simplifié tel que proposé par le Président de la commission constitutionnelle du Parlement européen est sûrement attrayante. Mais elle obligerait certains États membres de passer dans cette hypothèse par un referendum à cause principalement de la nature constitutionnelle d’un tel texte.

Il serait dans le contexte actuel politiquement plus facile de reprendre dans un traité réformant l’actuel traité de Nice les principaux éléments de réforme contenus dans la première partie. L’approche développée par Nicolas Sarkozy dans son récent discours de Bruxelles me paraît être un moyen adapté à une situation d’urgence permettant à l’Union européenne de sortir rapidement de l’incertitude actuelle.

Substance versus forme: faux débat ou vraie question ?

Faudrait-il parler de "mini-traité"? Je comprends les raisons qui ont amené M. Sarkozy à choisir cette expression, mais il s’agit-là avant tout d’une question de mots. L’Europe a besoin de réformes dans un délai rapproché. Pas question alors de se plonger dans une négociation ou une renégociation qui risquera de s’éterniser. Il faut s’entendre sur la mise en œuvre d’un paquet de réformes déjà agréées dans le cadre du projet constitutionnel. Il ne faudra donc pas une longue conférence intergouvernementale, puisque ce qu’il s’agit de reprendre dans un traité de réforme a déjà été approuvé par les gouvernements de tous les États membres et ratifié par 14 d’entre eux.

Sur base d’orientations arrêtées par le Conseil européen, une conférence réunissant les représentants des gouvernements, éventuellement assistés d’un représentant de chaque Parlement national, de la Commission et du Parlement européen, comme on l’a connu lors des précédentes conférences intergouvernementales, pourraient rapidement se mettre d’accord sur un tel traité de réforme. Le calendrier pour l’adoption de ce texte, le plus proche possible des dispositions institutionnelles du projet de traité constitutionnel, et de sa ratification devrait être serré.

Les éléments cités par Nicolas Sarkozy qui a sûrement été inspiré d’éminents membres de la Convention européenne, sont ceux qui devraient obligatoirement figurer dans un tel texte.

  • D’abord l’extension de la majorité qualifiée et de la codécision. L’élargissement de l’Union la rend absolument nécessaire. La démocratisation des processus décisionnels ne peut plus être retardée. L’urgence d’une telle réforme dans des domaines tels que la coopération judiciaire et la lutte contre la criminalité n’est plus à démontrer.
  • L’introduction de la double majorité simplifie la prise de décision, la rend plus transparente et établit un bon équilibre entre les États dans les processus décisionnels.
  • L’élection du Président de la Commission par le Parlement européen renforce la légitimité démocratique de cette institution-clé.
  • Une meilleure organisation du pouvoir législatif, exercé conjointement par le Parlement et le Conseil, simplifie les procédures, améliore l’efficacité, la transparence et le caractère démocratique de la législation européenne.
  • La création de la présidence stable du Conseil européen, dans le respect des équilibres institutionnels que le projet de traité constitutionnel a préservé, donne à la conduite politique des affaires de l’Union un élément de permanence absolument nécessaire.
  • La mise en place du ministre des Affaires étrangères de l’Union tel que prévu par le projet de Constitution est indispensable à une mise en œuvre efficace et cohérente de la politique étrangère et de sécurité de l’Union. Elle devrait aller de pair avec la création d’un service diplomatique commun.
  • L’institution d’un meilleur contrôle de subsidiarité comportant un rôle accru pour les Parlements nationaux à travers le système d’alerte précoce correspond à une exigence d’une très forte majorité d’États membres qui craignent une centralisation exagérée des compétences.
  • La reprise du droit d’initiative citoyenne, une des réformes les plus originales du projet de traité constitutionnel, souligne le caractère démocratique du projet européen en donnant aux citoyens une réelle emprise sur son devenir.
  • L’amélioration du système des coopérations renforcées donne au fonctionnement d’une Europe élargie plus de flexibilité et permet ainsi des avancées autrement impossibles.
  • Finalement, la création de la personnalité juridique de l’Union permet de dépasser une situation juridique qui n’a plus lieu d’exister.

Il s’agit là d’un paquet de réformes substantiel qui pourrait être, le cas échéant, complété dans le domaine des finances de l’Union.

Reste la question de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union. Elle devrait faire partie d’un tel paquet puisqu’elle a été approuvée par les gouvernements des États membres et il faut lui donner un véritable caractère juridique. En ce qui concerne la dimension sociale de l’Europe, la reprise de l’article III-117 me paraît également nécessaire. Il permet, précisément dans le contexte de la mondialisation, un renforcement de la dimension sociale dans les différentes politiques européennes.

Retour vers le futur ?

Est-ce que l’adoption d’un tel paquet mettrait définitivement fin au processus constitutionnel ? Les citoyens européens restent, avec 61% très majoritairement favorables à l’idée d’une constitution pour l’Union européenne (64% pour les Luxembourgeois). Il serait regrettable d’avoir une Constitution ou un texte fondamental au rabais. Il faut néanmoins une réflexion approfondie sur la nature d’un tel texte, sa fonction politique et surtout son assise parmi les peuples européens. Un tel texte ne pourra pas réunir simplement, comme le fait l’actuel projet, toute une série de dispositions très différentes, y compris les nombreux Protocoles. Il faut un texte dont la légitimité politique sera forte et universellement reconnue. Là aussi, l’idée d’une nouvelle Convention qui devrait se réunir après les élections européennes de 2009 me paraît tout à fait appropriée. Une des faiblesses majeures de la précédente Convention a été qu’elle n’a pas été alimentée suffisamment, en dépit des efforts louables, par un large débat démocratique. En décidant de convoquer une nouvelle Convention chargée d’élaborer un texte fondamental après les élections européennes permettrait de lancer un vrai débat démocratique autour de ces élections. Celles-ci prendraient ainsi une dimension telle que la mobilisation des électeurs serait sûrement encouragée. Le projet européen, comme grand projet démocratique, en sortirait renforcé. La désaffectation dangereuse des citoyens pourrait être renversée, ce qui est un des enjeux majeurs.

La construction européenne est l’histoire à la fois d’énormes acquis mais aussi d’échecs souvent restés provisoires. Mais sa force résidait jusqu’à présent dans sa capacité à transformer ses échecs en nouvelles avancées. Cinquante ans après le Traité de Rome, qui est lui-même le résultat d’un tel sursaut après l’échec de la CED, les citoyens européens ne se satisferont pas d’une belle Déclaration, ils demandent une orientation claire pour leur avenir commun. Ce débat doit être ouvert.

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