Jean Asselborn, "La Belgique sur la scène internationale - regards de l'étranger", discours tenu lors d'un symposium à l'occasion du 175e anniversaire du Traité de Londres de 1831 et de la dynastie belge, Bruxelles

Sire
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Contrairement à ce qu’implique l’intitulé du symposium de ce jour, le Luxembourg ne porte pas "un regard de l’étranger" sur l’accession de la Belgique à la scène internationale. En 1830, le Luxembourg profond s’est spontanément rallié à la révolution belge. Les luxembourgeois ont participé aux affrontements armés et ont siégé pendant neuf ans au sein des pouvoirs exécutifs et législatifs de Belgique.

Pour le peuple belge, la séparation du Royaume des Pays Bas devait permettre l’accession à l’indépendance. La véritable motivation luxembourgeoise ne relevait pas de revendications politiques. Elle était surtout économique et sociale, face à l’oppression fiscale particulièrement mal ressentie dans le pays pauvre que nous étions. Ainsi en 1823, un métallurgiste néerlandais n’avait-il pas noté dans un rapport au Roi des Pays Bas qu’ "au Luxembourg la première industrie est la pauvreté".

Pour le Luxembourg, la perception de la Belgique sur la scène internationale se résume en deux mots d’apparence contradictoire:

Séparation et partenariat

Partenaires révolutionnaires en 1830, les peuples belges et luxembourgeois visaient la séparation des Pays-Bas. Par un retournement de l’histoire, cette sécession allait conduire à une deuxième séparation, celle du Luxembourg et de la Belgique.

Pour se faire reconnaître par la communauté internationale, Belges et Luxembourgeois n’avaient de choix que d’accepter les conditions du Traité des XXIV articles qui - dès le 15 novembre 1831 - imposait leur séparation. Le refus du Roi des Pays-Bas de signer ledit Traité amenait Belges et Luxembourgeois à persévérer dans leur partenariat révolutionnaire pendant huit ans encore. En 1839 la Conférence de Londres recueillait l’assentiment des Pays-Bas au Traité des XXIV articles. Elle scella définitivement l’indépendance du Luxembourg, son accession à la scène internationale et la séparation de la Belgique.

Cette séparation belgo-luxembourgeoise fut vécue douloureusement des deux côtés de la nouvelle frontière ardennaise. Le Luxembourg médiéval - territoire uni du Saint Empire au Département des Forêts - fut scindé en deux. Sa population francophone intégrait la Belgique d’aujourd’hui sous la dénomination de "Province belge du Luxembourg".

Le Luxembourg, nouvellement indépendant, recueillait sa seule population de langue germanique. Les Belges nous appelaient dorénavant les "Grands Ducaux".

Les poussées révolutionnaires de 1848, la crise de 1867 tout comme les troubles de la première guerre mondiale rallumèrent en Belgique des regrets au sujet de la séparation. Mais le Luxembourg de l’époque avait assumé son nouveau statut et était en phase de passer d’un État à une Nation.

Huit décennies allaient s’écouler avant que ces séparations du XIXe siècle ne voient naître le partenariat belgo-luxembourgeois du XXe siècle.

Huit décennies durant lesquelles la perception luxembourgeoise de la Belgique fut diffuse et se limitait souvent à celle d’un passage matériel vers le monde extérieur. Ainsi, les ports belges devinrent le passage obligé des 20 % de la population luxembourgeoise de l’époque qui dès 1840 cherchait son avenir économique aux États-Unis. Les intérêts belges en Afrique attiraient nombre de mes compatriotes de la fin du XIXe siècle.

Je salue ici la présence de mes collègues représentants des puissances européennes qui nous ont accompagné durant toutes ces années:

  • Les Pays-Bas dont la Maison Royale allait - en union personnelle - assurer la fonction de Chef d’État du Grand Duché de Luxembourg jusqu’en 1890 et dont les services diplomatiques offraient jusqu’en 1867 la première représentation de mon pays sur la scène internationale.
  • La Grande Bretagne, la Russie et l’Autriche dont les intérêts stratégiques dans la zone de fracture entre l’Allemagne et la France s’avéraient des garants de notre indépendance. Je mentionne tout particulièrement la Russie qui à partir de 1867 reprenait la relève pour représenter diplomatiquement le Luxembourg dans les capitales où nous n’entretenions pas d’ambassades.
  • L’Allemagne qui accueillait dès 1842 le Luxembourg dans le Zollverein qui allait devenir un puissant outil pour l’essor économique du Luxembourg.
  • La France dont le rayonnement culturel n’allait jamais faiblir et dont l’offre de rachat de mon pays pour la somme de 5 millions de florins allait amener en 1867 notre neutralité et précipiter le démantèlement de la forteresse ce qui évitait au Luxembourg de devenir un enjeu militaire dans la guerre de 1870.

Séparation et partenariat vous disais-je

Il fallait le cataclysme de la première guerre mondiale pour que Luxembourgeois et Belges se retrouvent en partenaires pour créer en 1922 l’Union économique belgo-luxembourgeoise. Elle fut assortie d’une union monétaire qui allait survivre à toutes les crises monétaires des années 20 aux années 80.

Cette union dépassait rapidement le simple partenariat économique. Entre Luxembourgeois et Belges s’installa un véritable esprit de communauté. Il amenait les deux partenaires à élargir leur coopération à de nouveaux domaines y compris celui de la concertation sur la scène internationale.

Cette communauté entre Luxembourgeois et Belges rayonnait vers l’extérieur. Dans l’exil londonien de la deuxième guerre mondiale, elle s’ouvrait en 1944 vers les Pays Bas. Les séparations de 1830 et 1839 se voyaient ainsi transformées en union Benelux.

Le rôle que la Belgique a joué par la suite - et continue de jouer aujourd'hui - dans la construction européenne mériterait un symposium à lui seul. Cette action de la Belgique s’est souvent exercée de concert avec ses partenaires du Benelux. Ni moi, ni mon collègue néerlandais n’en serions donc les plus objectifs commentateurs.

Sire,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

On dit parfois à l’adresse du Luxembourg que "plus un pays est petit, plus son étranger est grand". Pour le Luxembourg, l’étranger ne saurait désigner la Belgique. Car rien de ce qui est belge ne doit nous être étranger.

Aujourd'hui comme en 1830, nous portons sur la Belgique un regard de l’intérieur de notre communauté d’idéaux et d’actions.

Ses idéaux, la Belgique les chante dans le refrain de son hymne national qui - outre un hommage à son Roi - célèbre "la Loi, la Liberté".

La Belgique accéda à la scène internationale avec une constitution dont le caractère libéral fit référence au XIXe siècle, notamment par ses garanties pour la liberté de la presse et la liberté religieuse.

Pour la Belgique, la loi est la protection des moins forts, de ceux qui ne disposent ni de la force de coercition ni du poids politique ou économique pour défendre leurs légitimes intérêts.

La Belgique est un ardent défenseur de la liberté: de la liberté individuelle comme de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour certains, l’engagement humaniste de la Belgique et la transposition qu’elle en fait dans sa législation est un irritant dans les relations internationales. Quoiqu’il en soit, ces ambitions belges contribuent à une prise de conscience de la communauté internationale que les hommes doivent toujours répondre de leurs actes qu’ils les posent sur leur territoire ou à l’étranger.

Vivant ses convictions profondes, la Belgique est un partenaire fiable et prévisible. Parce que pragmatique, parce qu'adepte du dialogue et maître du compromis, la Belgique est aussi un partenaire réaliste qui sait transposer ses idéaux dans l’action.

Fort de son attachement au respect de la loi et de la liberté, la Belgique a puissamment contribué à la mise en place - dans le monde et en Europe - d’un système international basé sur le droit et le respect de l’autre.

L’exemple le plus récent de son action internationale est fourni par le remarquable travail accompli depuis presque un an par la Belgique en tant que Présidence en exercice de l’OSCE. Je saisis l’occasion pour en féliciter et en remercier notre ami Karel De Gucht. Pour nous tous, la Présidence belge de l’OSCE est de bonne augure pour le prochain défi que s’est fixé la Belgique comme futur membre du Conseil de sécurité des Nations unies.

Voix influente dans les enceintes internationales, la Belgique ne manque pas de donner corps à sa parole.

Ainsi est-elle engagée dans nombre de missions de maintien de la paix à travers le monde, qu’il s’agisse de missions des Nations unies, de l’Union européenne ou de l’Alliance Atlantique.

Le partenariat belgo-luxembourgeois n’est pas absent de ces missions. Le déploiement des militaires luxembourgeois se trouve largement facilité par l’étroite coopération avec la Belgique dans ces missions.

Sire,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Tel est le regard que le Luxembourg porte sur la Belgique, acteur international.

Nous ne prétendons pas à la parfaite objectivité. Dans ce couple belgo-luxembourgeois rodé par "l’indépendance et l’interdépendance", nous aimons mettre en exergue nos points forts. Nous laissons aux autres le soin de nous chercher des faiblesses.

Au milieu du XIXe siècle, l'arrivée du chemin de fer apportait au Luxembourg son ouverture sur le monde extérieur. Une chanson patriotique de l'époque célébrait l'évènement tout en rappelant le sentiment de notre identité nationale par les mots "nous voulons rester ce que nous sommes".

A notre partenaire de longue date, à la Belgique jubilaire et ouverte sur le monde, le Luxembourg dit aujourd'hui

Restez comme vous êtes!

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