"De la Communauté de défense aux mécanismes européens de gestion des crises". Contribution écrite: Jean-Louis Schiltz au sujet de la politique de la défense de l'UE, d'Wort

Qui s'en souvient encore? Le 27 mai 1952 les six Etats membres de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA), l'Allemagne, la Belgique, la France, l'ltalie, les Pays-Bas et le Luxembourg, signent à Paris le traité instituant la "Communauté européenne de défense" (CED). Le traité prévoyait notamment que "toute agression armée dirigée contre l'un quelconque des États membres en Europe ou contre les forces européennes de défense sera considérée comme une attaque dirigée contre tous les États membres. Les États membres et les forces européennes de défense porteront à l'État ou aux forces ainsi attaqués aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres". Le traité envisageait par ailleurs l'intégration des forces de défense des États membres. Le 24 avril 1954, la Chambre des députés luxembourgeoise approuva le projet. Quatre mois plus tard, le 30 août 1954, le Parlement français rejeta le traité. La CED était mort-née et l'ambition d'une armée européenne intégrée remise aux calendes grecques.

Pour combler le vide créé par l'échec de la CED, le traité de Bruxelles de 1948 fut modifié dans la foulée pour mettre en place l'Union de l'Europe occidentale (UEO) qui sera jusqu'à l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam l'unique organisation "européenne" à s'occuper de questions de défense. L'UEO ne s'est cependant jamais vu doter de capacités opérationnelles réelles et les divers essais pour réveiller la "Belle au bois dormant" sont restés vains.

La mise en place progressive de la coopération politique européenne (CPE) à partir des années 70 ainsi que le développement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) au début des années 90 répondent, quant à eux, à une logique d'intégration européenne. Ils reflètent l'ambition de l'Europe de prendre ses responsabilités et de compléter un acquis largement économique et social par une dimension clairement politique.

La menace n'est plus la même C'est avec la fin de la guerre froide que l'Europe a été amenée à repenser les questions de sécurité et de défense sur le continent et au-delà. La menace n'est plus la même; les questions ayant trait à la défense commune perdent en importance, alors que la gestion des crises aux portes de l'Europe se retrouve au premier plan de l'intérêt stratégique. Une des dispositions les plus novatrices du traité de Maastricht était d'élargir le champ d'action de la diplomatie européenne pour prendre en compte un rôle plus actif dans la prévention et la gestion des crises et c'est ainsi que depuis lors tous les domaines de la politique étrangère et de sécurité sont couverts par la PESC.

Ceci dit, c'est sans doute le sommet franco-britannique de Saint-Malo qui a marqué le tournant le plus décisif. En décembre 1998, Paris et Londres se sont mis d'accord pour lancer une véritable politique européenne de sécurité et de défense. La voie était ouverte pour lancer un des derniers chantiers européens - celui de la politique de sécurité et de défense - et pour développer ainsi une véritable capacité d'action dans le domaine de la sécurité et de la défense. Dans la suite de la percée franco-britannique à Saint-Malo, le Conseil européen de Cologne de juin 1999 a décidé la mise en place d'une capacité d'action autonome devant permettre à I'UE d'intervenir avec des forces militaires en réaction à des crises internationales. A Cologne, les Etats membres de I'UE ont aussi pris l'engagement d'améliorer l'efficacité des moyens militaires. Six mois plus tard, le Conseil européen de Helsinki a confirmé la détermination de l'Union à développer une capacité autonome en vue de conduire des opérations militaires.

En décembre 2003, l'UE a défini une stratégie européenne de sécurité. Celle-ci précise de manière concrète les objectifs assignés à la PESC et l'ambition de l'Union en la matière. Elle a permis, après les attentats du 11 septembre 2001 et les dissensions créées par la guerre en Irak du printemps 2003, de rassembler les États membres de l'Union autour d'une vision commune de leur sécurité. Cette stratégie européenne de sécurité a jeté les bases de la solidarité européenne face aux menaces communes. Elle a aussi jeté les bases de l'action collective nécessaire pour y répondre en tenant compte de défis tels que le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliquescence des Etats et la criminalité organisée. Pour ce faire, la stratégie en question s'organise notamment autour du développement des capacités diplomatiques, civiles et militaires de l'Union et de ses États membres. Forte des synergies qui ont ainsi pu être mises en œuvre, l'Union européenne est aujourd'hui présente dans les Balkans occidentaux, en Afrique et en Asie. Elle contribue activement au maintien et à la consolidation de la paix dans les régions et zones de crise et le Luxembourg participe à ces missions avec un effort réel, en ligne avec sa taille et ses capacités.

Tout au long des années, le Luxembourg s'est engagé en faveur d'une Union européenne forte, dotée d'une politique de sécurité et de défense cohérente qui la mette en mesure de contribuer à la paix et à la stabilité dans le monde, fidèle en cela aux valeurs fondamentales qui sont les siennes, à savoir la liberté et la démocratie. Le Luxembourg, comme les autres États membres, a développé des capacités lui permettant de contribuer concrètement et activement aux missions de gestion de crise de l'Union européenne. Actuellement, nos soldats et policiers participent aux opérations de I'UE et de I'OTAN dans les Balkans, en Afrique ou encore en Afghanistan. Notre contribution est indubitablement appréciée par nos partenaires. Elle est à la fois utile et nécessaire. Elle constitue l'une des expressions de notre solidarité au niveau international, solidarité à laquelle nous attachons tant d'importance, solidarité qui nous a si souvent servi et dont nous devons aujourd'hui plus que jamais faire preuve à l'égard des autres.

La situation désespérée de beaucoup de pays et les conflits régionaux nous concernent directement. Les Balkans sont à deux heures de vol de chez nous; le Congo, c'est la porte à côté et ce qui se passe en Afghanistan ne doit pas nous laisser indifférents. Même si seuls nous ne pouvons pas grand-chose, il est tout aussi impensable de rester les bras croisés. Nous ne pouvons pas nous dérober à nos responsabilités et nous attendre à ce que d'autres se chargent "pour nous" de défendre ceux qui souffrent dans des pays en guerre ou dans des régions où tout n'est qu'instabilité et crise récurrente. C'est de ce constat que procède la participation active de l'armée luxembourgeoise aux missions militaires de gestion de crise. Cela est d'autant plus important que dans les années à venir nous devrons de plus en plus aborder sous ce même angle de la sécurité des questions ayant trait à l'énergie, à l'eau, aux ressources naturelles, voire au changement climatique. Le risque de développements similaires dans des domaines tels que celui de la souveraineté alimentaire est d'ailleurs à mon sens tout à fait réel.

L'échec de la CED fait partie de l'Histoire Aujourd'hui, l'échec de la CED fait partie de l'Histoire. LUE a mis en place une politique de sécurité et de défense qui lui permet de participer à la gestion internationale des crises de façon efficace. La récente mission EUFOR en République Démocratique du Congo en est un exemple patent. Ceci ne signifie pas que cette politique n'est plus perfectible. Au contraire, je suis convaincu qu'elle se renforcera encore dans les années à venir. En tant que membre fondateur de I'UE, le Luxembourg se doit de participer à ce processus. Les engagements du Luxembourg ne sont pas des engagements symboliques. Certes, ils sont et continuent d'être adaptés à notre taille et à nos capacités, mais ils n'en sont pas moins réels et concrets.

Nous devons continuer à contribuer de façon active aux actions de l'Union européenne dans le domaine de la défense.

Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que si nous devions aujourd'hui dresser l'inventaire des secteurs où "l'Europe est en marche", la défense figurerait à coup sûr en bonne place sur la liste.

Il y va de notre sécurité à tous et c'est somme toute une bonne chose!

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