Jean-Louis Schiltz, Discours devant le Conseil économique et social de l'ONU à l'occasion de la session de fond 2007, Genève

- seul le discours prononcé fait foi -

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues ministres,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Le thème de l’examen ministériel cette année est le "Renforcement de l’action menée pour éliminer la pauvreté et la faim, notamment grâce au partenariat mondial pour le développement ".

Le rapport préparé par le Secrétaire général à cette occasion est très complet et brosse un tableau de la situation complexe de la pauvreté et de la faim dans le monde. Le rapport couvre la pauvreté rurale et urbaine ainsi que les différentes facettes du développement et du suivi de la mise en oeuvre des Objectifs du Millénaire pour le Développement en passant par la réduction de la faim et de la malnutrition, l’alphabétisation et l’éducation, la santé, les inégalités, le développement économique, la création d’emplois, l’environnement, la bonne gouvernance et la démocratie.

D’emblée M. Le Président, il m’est difficile de cacher mon inquiétude, mais aussi ma frustration, devant un constat qui revient tout au long du rapport: Globalement nous enregistrons certes des progrès encourageants vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement ; certes, de par le monde la faim et la pauvreté régressent, mais –et c’est cela qui nous interpelle-l’Afrique subsaharienne ne participe pas à cet élan positif. Elle en est apparemment exclue. Et comme s’il ne suffisait pas que certains pays africains piétinent sur place dans leur développement; d’autres même reculent !

Comment dans ces conditions, Monsieur le Président, parler de partenariat mondial ? Serions-nous, Monsieur le Président, en train de faire fausse route ?

Le diagnostic était pourtant limpide dès le départ: c’est en Afrique subsaharienne que vit la majorité des personnes avec moins d’un dollar par jour; où l’accès à l’eau potable est le plus hasardeux et où le VIH/sida sévit comme nulle part ailleurs.

Pour ma part je refuse d’admettre que les bailleurs de fonds se seraient détournés de l’Afrique; je refuse de croire que les dirigeants africains auraient renié la bonne gouvernance. Et pourtant une évidence s’impose à mon exercice d’analyse: en Afrique, pour une myriade de raisons, internes et externes, la route du développement est plus longue et semée de plus d’embuches. C’est pourquoi ma conviction profonde est qu’ensemble nous devons persévérer et redoubler d’efforts. Tout autant en termes de contributions financières qu’en termes de partenariat.

Des efforts ont certes été faits suite aux engagements pris depuis le Sommet du millénaire en 2000, mais il est aujourd’hui évident que ces efforts n’ont pas été suffisants et que maintenant, à mi-chemin vers 2015, nous sommes encore loin de nos objectifs dans tous les domaines qui comptent dans la lutte contre la pauvreté. Ce n’est donc pas le moment de lâcher prise et de baisser les bras – le sérieux de notre action est en jeu. Mais bien plus grave encore: les conditions de vie de millions de femmes, d’hommes et d’enfants sont en jeu. C’est face à eux et devant eux que nous avons pris l’engagement d’oeuvrer au mieux-être d’ici 2015.

C’est pourquoi nous nous sommes réunis ici aujourd’hui non seulement pour échanger des expériences et identifier des obstacles, mais également pour réaffirmer notre volonté politique, pour faire résonner à nouveau l’écho de la Déclaration du Millénaire et pour faire avancer la mise en oeuvre de l’agenda des Nations Unies pour le développement.

Cette volonté politique doit en premier lieu se montrer au niveau national, car la responsabilité première du développement, avec son pendant de bonne gouvernance, incombe d’abord aux pays en voie de développement. A eux d’identifier les besoins les plus pressants, de définir leurs priorités, d’élaborer et de mettre en oeuvre des politiques nationales pour l’éradication de la pauvreté et de la faim. Nous sommes tous conscients de la difficulté, voire de l’énormité de cette tâche. C’est pour cela que la communauté internationale doit se tenir prête aux côtés des pays en développement et surtout des moins avancés parmi eux pour les conseiller, accompagner et appuyer financièrement et oeuvrer ainsi ensemble à leur développement durable, mais cela doit se faire en prenant appui sur les priorités nationales – c’est cela aussi – ou peut-être même surtout – le partenariat mondial auquel nous aspirons.

Nous acceptons aujourd’hui – dans ce nouveau format à l’ECOSOC - qu’on nous tende le miroir, non pas pour nous adonner aux autocongratulations, pour sombrer dans des lamentations stériles, mais plutôt pour faire le constat sobre et sans équivoque de ce qui nous reste à faire. L’enceinte de l’ECOSOC sied parfaitement pour réaffirmer au niveau international notre volonté politique d’être à la hauteur des engagements pris.

Le reflet du miroir nous rappelle au moins deux promesses au-delà du concept de partenariat et de sa mise en oeuvre: d’une part, celle de l’accroissement de l’aide, d’autre part, celle d’une aide plus efficace, alors que pour moi les engagements pris en 2000 à New York, en 2002 à Monterrey et en 2005 à Paris ne font qu’un.

Rarement – sinon jamais auparavant – le cadre conceptuel pour une action internationale concertée n’avait été énoncé de manière aussi pertinente que durant ces dernières années.

Rarement la communauté internationale ne s’était fixé un calendrier de suivi aussi contraignant. Car après cette session de l’ECOSOC, ici à Genève, suivront en 2008, coup sur coup, les réunions de Doha et d’Accra pour mesurer notre sens des responsabilités face au Consensus de Monterrey et de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide.

Entretemps, il serait plus qu’indiqué – et c’est un euphémisme de le dire - que nous remettions sur les rails le processus du Doha Development Round de l’OMC. Les populations dans le besoin comptent sur nous; nos opinions publiques aussi sont au rendez-vous.

Niveau de l’aide et efficacité de l’aide: A ces égards, Monsieur le Président, je me trouve en territoire connu, pour avoir modestement, mais activement participé à la définition des standards de quantité et de qualité en vigueur notamment dans ma fonction de Ministre d’un pays membre du G-0,7 et, a fortiori, en capacité du Président du Conseil des Ministres de l’Union européenne au cours du premier semestre 2005: six mois au cours desquels la communauté internationale, avec l’appui déterminé de l’UE, a concrétisé ses ambitions pour clamer davantage d’efficacité de l’aide et tracer le chemin pour y arriver. Six mois aussi, au cours desquels les Etats membres de l’Union se sont pour la première fois engagés à porter leur APD à 0,7% du RNB d’ici 2015. Six mois, Monsieur le Président, au cours desquels la volonté politique était au rendez-vous avec – au-delà des paroles – des chiffres et des engagements concrets à l’appui, car il s’agit de la première fois dans l’histoire où un groupe d’Etats s’est engagé à atteindre les 0,7% à une date déterminée, soit en 2015.

Mais qu’en est-il au niveau des faits aujourd’hui. Avons-nous été à la hauteur de nos engagements du passé?

L’Union européenne est certes « on track » pour respecter les engagements pris à Monterrey, elle a consacré 0,42% en 2006 à l’effort de développement – mais globalement l’APD des pays de l’OCDE a baissé de 5,1% en 2006. Voilà un développement inquiétant. Une telle évolution de l’APD, si elle se confirme à l’avenir, ne permettra pas d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015. Il nous faudra annuellement 150 milliards USD pour y arriver – une somme substantielle et en même temps insignifiante face à l’ampleur du défi du développement.

Après 2003, l’annulation des dettes extérieures de l’Irak et du Nigéria a donné lieu à une embellie que je qualifierais de conjoncturelle des statistiques de l’APD. Le Comité d’aide au développement de l’OCDE, qui fait autorité en la matière, ne s’y est pas trompé en dénonçant la tendance alarmante à la baisse qui a repris le dessus.

Depuis le Sommet du Millénaire (2000), d’autres voies de mobiliser des ressources pour le développement ont été explorées et développées – et le rapport du Secrétaire général en fait état – notamment les sources innovantes de financement ainsi que les sources privées de financement pour le développement, les transferts des migrants, le transfert net des ressources, les initiatives "aid for trade" ou encore les fonds mobilisés et véhiculés par les ONG et les partenariats privé-public de plus en plus nombreux.

Il s’agit là d’efforts et d’initiatives hautement louables. Elles présentent toutes leurs propres avantages comparatifs, et le rapport que nous avons devant nous en brosse un tableau complet. Néanmoins, il est dorénavant clair, et le Secrétaire général le souligne : ces initiatives ne sauront se substituer à l’aide publique au développement qui reste centrale pour la mise en oeuvre de notre partenariat mondial pour le développement.

En termes d’une aide plus efficace, l’Union européenne n’a pas chômé non plus : en novembre 2005, les ministres du développement, la Commission européenne et le Parlement européen ont adopté le Consensus européen sur la coopération au développement sur base duquel – et dans l’esprit de la Déclaration de Paris – la Commission européenne a soumis un Code de conduite sur la complémentarité et la division du travail entre bailleurs de fonds que les ministres ont adopté pas plus tard qu’en mai de cette année. Inutile de souligner que le Luxembourg souscrit pleinement à ces démarches qui vont dans la bonne direction, c'est-à-dire vers un suivi de substance à Doha et à Accra en 2008.

A l’ONU également, nous progressons. Sur base des recommandations de son prédécesseur, le Secrétaire général pousse dans la direction d’une plus grande cohérence du système onusien dans son ensemble et par là-même une plus grande qualité et efficacité de l’aide multilatérale. Très pertinemment, le Secrétaire général complète le tableau des nouveaux défis que nous affrontons en se faisant l’avocat de la lutte désormais urgente contre les causes du changement climatique.

Le Luxembourg, pour sa part, est honoré de s’être vu confier un mandat de co-facilitateur pour cet exercice de cohérence par la Présidente de l’Assemblée générale. Principalement à travers notre très estimé Représentant permanent à New York, nous nous dépensons sans compter pour rendre ce multilatéralisme aussi efficace qu’il est, à nos yeux, indispensable.

C’est dans ce même esprit, que dans les pays en développement l’ambition "to deliver as one UN" peut compter sur notre soutien sans faille.

Monsieur le Président,

Au nom du gouvernement luxembourgeois, je voudrais réaffirmer aujourd’hui notre volonté de porter l’APD du Grand Duché à 1% du RNB dans les années à venir et de nous impliquer davantage encore dans les travaux qui visent à accroître l’efficacité et la qualité de l’aide.

Le Luxembourg sera aussi là pour rappeler sans cesse à l’échelle européenne la nature des engagements pris, soit 0,7% pour 2015. Pour veiller à leur mise en oeuvre. Pour mettre en avant l’urgence qu’il y a à honorer ces engagements. Pour nous faire l’avocat des plus pauvres au jour le jour avec à la clé, qui sait, de nouveaux engagements dans le même sens, aussi de la part d’autres bailleurs ou groupes de bailleurs.

Enfin, le Luxembourg sera là pour insister chaque jour aussi sur le fait que ce n’est que sur base d’un partenariat réellement vécu que ces engagements pourront trouver leur pleine expression. Que ce n’est que sur base de ce partenariat que nous pourrons réussir tous ensemble le défi du développement.

Nous tous, nous le devons d’abord à notre propre crédibilité, mais nous le devons, ensuite et surtout, aux millions d’hommes et de femmes qui continuent de souffrir et de mourir de faim, car, Monsieur le Président, s’il y a bien un combat qui vaut la peine d’être mené avec acharnement et ténacité c’est bien celui contre la pauvreté.

Je vous remercie de votre attention.

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