Jean-Claude Juncker, Éloge funèbre à l'occasion du service funèbre officiel à la mémoire de Gaston Thorn

- seul le discours prononcé fait foi -

Altesses Royales,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

"Nu looss et a mer stëll ginn", huet de Chouer am Ufank vun der Mass gesot.

Oui, la mort impose le silence. Il n'y a pas d'expression plus forte que celle du silence.

Je vais devoir interrompre pour quelques brefs instants ce silence qui s’est posé sur la nation depuis l’annonce de la mort de Gaston Thorn. Ma fonction m'y conduit, mon coeur m’y pousse.

La mort, pour être définitive et sans appel, à chaque fois qu'elle arrête brusquement le parcours d'un homme nous rend meilleurs. Enfin: un peu meilleur. Elle nous rend meilleurs parce qu'elle assagit nos jugements et parce qu'elle applanit les divergences et les différences qui alimentent, en les amplifiant nos futiles controverses et querelles quotidiennes.

Lorsque un Grand nous quitte – et Gaston Thorn fut un Grand – les petits regards qu'on a pu jeter sur lui de son vivant s'éloignent en s'évaporant et cèdent la place à un autre regard plus large, juste, vaste, plus incisif, un regard qui enfin rend justice à la somme de toute une vie.

Le regard que je poserai sur la summa vitae de Gaston Thorn – je préfère le dire d'emblée – n'est pas un regard à vrai dire objectif. J'ai admiré trop l'homme qu'il fut et j'ai trop apprécié la majeure partie de l'oeuvre qui fut la sienne. Par conséquent, ici et devant vous, je ne me transformerai pas en historien qui passe. Je ne porterai pas sur son œuvre le regard glacial de celui qui sait, et je ne ferai pas la spéléologie des lieux publics et privés de sa vie.

Sauf pour dire, Monseigneur, que je savais Gaston Thorn profondément attaché non seulement au pays, mais aussi à la couronne. Et nous voulions vous remercier, Monseigneur ainsi que Madame la Grande-Duchesse et le Grand-Duc héritier, de vous avoir associé à cette cérémonie, présence en laquelle Gaston Thorn verrait un signe d’honneur. Je voudrais respectueusement saluer parmi nous le Grand-Duc Jean, dont Gaston Thorn fut l’un de ses quatre Premier ministres. Il vous tenait, Monseigneur, tout comme nous, en haute estime, soyez remercié de votre présence parmi nous.

Je n'ai pas connu le jeune Gaston Thorn, l'homme pressé qu'il fut à l'âge de trente ans, brûlant les étapes, gravissant à pas de géant tous les échelons d'une carrière déjà prometteuse. Il entra à la Chambre des Députés en 1959 alors que j'avais quatre ans et demi. Je n'ai pas entendu ses premiers discours au Parlement, mais je les ai relus pour m'instruire. Sa verve, son art oratoire, sa façon de sculpter les mots et donc la réalité impressionnent toujours et même à distance.

Nous n’avons pas connu, les hommes et les femmes de ma génération, ce jeune ministre des Affaires étrangères, qui de 1969 à 1974 propulsa la diplomatie luxembourgeoise sur une orbite qu'elle n'a pas quittée depuis. Gaston Thorn put Luxembourg on the map et ceux qui l'ont suivi dans ses différentes fonctions en tirent jusqu'à ce jour le plus grand des bénéfices.

J'ai observé de plus près – mais toujours de loin – l'action du Premier ministre qu'il fut. De 1974 à 1979 il a conduit l'action gouvernementale en conjuguant à merveille savoir technique et conviction politique. La période fut difficile – crise sidérurgique, intrusion du chômage dans nos quiétudes sociales, inflation de 14 % -, mais Gaston Thorn a affronté avec courage et détermination les vicissitudes de l'époque. Il affichait la couleur, il fuyait l'ambiguïté, il détestait l'abstention qui était pour lui le degré zéro de l'expression politique.

J'ai mieux connu le président de la Commission qu'il devint en 1981. Membre du Parlement européen de 1959 à 1969, il était devenu un spécialiste de la chose européenne. Président de l'exécutif européen il a dû et il a su tenir tête.

Rappelez-vous le contexte dans lequel Gaston Thorn a dû évoluer au début des années 80: grave crise budgétaire avec dans sa mouvance d'interminables tiraillements interinstitutionnels, dangereuse fébrilité internationale due à l'affrontement stérile entre les blocs, avec ce long cortège de peur, d’angoisse et de menaces des deux côtés du rideau de fer, atmosphère de guerre froide, les politiques de détente en panne.

Alors que les gouvernements des Dix cherchaient trop souvent refuge dans les tranchées de leur souveraineté nationale, alors que l'Europessimisme ambiant s'était mû en Eurosclérose condamnant l'Europe à un pernicieux immobilisme, voilà le Président Thorn qui dit non à l'affaissement continental, qui chante les vertus de l'Europe unie, qui donne des jambes à l'Europe sociale en érigeant en modèle européen l'information et la consultation des travailleurs tout comme l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Voilà Thorn qui lance les négociations avec les Etats-Unis sur les accords commerciaux déjà, qui renégocie la convention de Lomé, pour en faire Lomé III, lui dont on avait dit pendant les années 60 qu’il était Gaston l'Africain. Voilà Gaston Thorn qui complète l'arsénal de la Commission par une Direction générale à la Culture.

Non, ce grand Luxembourgeois n'a pas démérité de l'Europe. Tout au contraire: il fut, durant les années où déjà l'Europe se fatiguait, la seule voix européenne qui portait. Les Luxembourgeois peuvent être fiers de Thorn L'Européen.

Mais pour nous Luxembourgeois Gaston Thorn était d'abord et avant tout notre Premier ministre. J'évoquerai le rôle qui fut le sien à la tête du Gouvernement du pays et je dirai – parce que je le veux – quelques mots de l'homme qu'il fut, enfin tel que j'ai appris à le connaître.

De Gaston Thorn ass an der Mëtt vun de siwwenzeger Jore eise Staatsminister ginn. Hie wor dat mat Läif a Séil.

Seng Regierung hat eng Faarwemixtur mat däer d'Lëtzebuerger bis dohinner nach ni ugestrach haten. An et gouf an deene Jore wou hien eise Staatsminister war vill ugestrach, vill ëmgebaut, och vill opgebaut.

D'Stolkris hat de Süden an de Rescht vum Land gewalteg gerëselt, esou staark gerëselt datt deenen ale Gewunnechten d'Loft ausgaang ass an datt nei Methoden hu mussen erduecht ginn. Ënner dem liberale Gaston Thorn huet de Staat ugefaang sech ëmmer méi an d'Wirtschaft anzemëschen. D'Restrukturéierung vun der Stolindustrie huet säi ganzen Asaz verlaangt, een Asaz un deem en d'Sozialpartner voll deelhuele gelooss huet. En hat erkannt – dat war e Stéck Wäitsiicht – datt d'Politik eleng keng integral Äntwerte méi kënnt ofliwwere, mee datt déi déi am Land an an de Betriber Verantwortung droen duerch aktivt Matgestalte misste responsabiliséiert ginn. Esou sinn d'Tripartite an de lëtzebuerger Modell entstan. Hien huet dës national Konsensfabrik mat erfonnt. An an däer Fabrik – ëmmer erëm a bal vun deem, bal vun dësem, mee vu jidderengem bal iergendwann kontestéiert – dës natinonal Konsensfabrik stellt bis haut mol méi mol manner gelonge Solidaritéitsprodukter hir.

Sozial a liberal: dat war net nëmme säi wirtschaftspolitesche Credo. Dat Sozialt an dat Liberalt hunn och der Gesellschaftspolitik Rhythmus an Tempo ginn. Et ass vill Gewulls aus alen Tiräng erausgeholl ginn, an 't si muenech Regaler gestëpst ginn, bref et ass gemaach gi, wat ze geschéien hat. De Gaston Thorn huet am richtege Moment dat Richtegt zu Recht gemaach. Hien huet zu senger Zäit gepasst a seng Zäit huet zu him gepasst. A si zwee, seng Zäit an hien, si si ganz gutt mateneen eens ginn.

Et gouf him heiandsdo schwéiert Onrecht gedoen. Et si beleidegend Sätz iwwer hien – an och iwwer seng Fra, eng Fra vu staarkem Engagement a vu grousser Dignitéit – geschriwwe ginn, déi ni hätten dierfe geschriwwe ginn. De Gaston Thorn a seng Famill goufen uech blesséiert. Si haten dat net verdéngt.

Gott sei Dank ass et dem Gaston Thorn ëmmer erëm gelongen, d'Saachen, mee ni d'Mënschen, vun uewen erof ze kucken. Seng spatz Ironie huet him dobäi gehollef, eng fein Ironie déi hien, dee mat de Wieder schnëtzele konnt, ni esouwäit aus der Hand rutsche geloos huet, datt se zum blanken Zynismus verkomm wier. Hie war, wat der vill net wëssen, e vielschichtege Mënsch, e komplizéierte Mënsch, e komplexe Mënsch, mat méi wéi enger Faarw, a mat méi wéi enger Fro am Liewen an un d’Liewen.

Hie war e Mënsch vun Iwwerzeegungen, e Mënsch vun Hoffnungen, e Mënsch, wéi gesot, mat Froen, mat Froen iwwer d'Liewen, mat Froën och iwwer d’Liewen, iwwer d’Zäit nom Liewen.

Elo soe mer him Au Revoir. Eng leschte Kéier klappe mer em op d'Schëller. Esou wéi een engem Frënd, engem Kolleg, engem Kompliz op d'Schëller klappt, dee seng Saach gutt gemaach huet.

Merci Gast. Du wars ee vun eise Beschten. Äddi.

Mir vergiessen dech net.

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