Jean Asselborn, Discours à l'occasion du débat général à la 62e session de l'Assemblée générale des Nations unies, New York

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Année après année, la communauté internationale se retrouve à New York au mois de septembre pour délibérer des grandes questions qui préoccupent l’humanité. Ce rendez-vous traditionnel revêt une importance majeure en ce qu’il nous permet d’appréhender de manière plus immédiate et plus intensive, dans toute leur complexité, les défis auxquels nous sommes confrontés, mais aussi de renforcer notre détermination à rechercher des solutions communes. Telle est l’essence même du multilatéralisme, ce multilatéralisme efficace que mon pays, le Luxembourg, a mis avec conviction au centre de son action internationale.

Et quelle illustration plus forte de cette perception partagée des enjeux globaux et de cette volonté de rechercher des solutions viables dans le court, moyen et long, voire très long terme, que l’événement à haut niveau organisé début de la semaine à l’initiative de notre Secrétaire général et consacré à la problématique du changement climatique ?

Comme l’a indiqué avant moi le Premier Ministre du Portugal en tant que représentant de l’Union européenne, dont j’appuie pleinement les propos, il est essentiel de lancer avec succès, fin de l’année à Bali, les négociations sur un régime post-Kyoto efficace et viable. C’est là notre responsabilité la plus élémentaire devant la génération actuelle et les générations futures ! Pour sa part, en tant que membre de l’UE et Etat partie du protocole de Kyoto, le Luxembourg - qui a d’ores et déjà pris des engagements individuels très lourds - est prêt à s’engager avec grande détermination dans la recherche de solutions innovatrices et courageuses.

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,

Pour traiter avec succès de la problématique du changement climatique, il nous faut l’aborder dans toute sa complexité. A cet égard, il convient de constater que faute d’une action internationale concertée et énergique, le risque est grand que les pays et les populations qui ont le moins contribué à la naissance du phénomène seront ceux qui risquent d’en porter les conséquences négatives les plus lourdes. Il s’agit-là, selon moi, d’un problème politique et je dirais même, moral, de premier ordre. Plus que jamais, la question du développement - et donc d’un développement durable, au Nord comme au Sud -, doit donc rester au premier plan de l’attention internationale. Des décisions importantes ont d’ores et déjà été prises: je citerais à cet égard en particulier la décision de l’UE intervenue en 2005, sous présidence luxembourgeoise, d’atteindre l’objectif de 0,7% d’APD en 2015. Face à un risque de tassement de l’APD, il convient de redoubler d’efforts pour faire face à nos engagements. Membre du groupe encore trop select du G-0,7 - avec une APD qui a atteint en 2007 près de 0,9% du RNB en attendant d’atteindre l’objectif d’un pourcent que nous nous sommes fixés - le Luxembourg ne pourrait que se réjouir d’un élargissement rapide de ce club.

L’année qui s’ouvre devant nous est cruciale sous l’angle du développement. Il s’agira de mener de front et de manière convergente, les négociations commerciales au sein de l’OMC, le suivi de Monterrey en matière de financement du développement, ainsi que la mise en oeuvre de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. Ce n’est que dans la mesure où nous adopterons des politiques généreuses et courageuses que nous serons en mesure de consolider les avancées et réduire les retards qui malheureusement subsistent, notamment dans un certain nombre de pays d’Afrique sub-saharienne, en matière de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. La convocation en 2008 d’une réunion de haut niveau sur la mise en œuvre à mi-parcours des OMD serait certainement une bonne occasion pour faire le bilan et relancer les efforts. Je salue à cet égard également la mise en place récente, à l’initiative de notre Secrétaire général, du groupe de pilotage pour la réalisation des OMD en Afrique : je suis persuadé qu’il apportera une contribution significative en matière de coordination et d’intensification des efforts en direction d’un continent avec lequel le Luxembourg maintient des relations de coopération intenses et multiples.

Monsieur le Président,

L’évocation des problématiques liées du changement climatique et du développement soutenable me permet d’aborder un autre sujet qui me tient à cœur et qui est au centre de l’activité internationale du Gouvernement luxembourgeois : celui de l’action humanitaire.

En discutant pour la première fois de la question du changement climatique, le Conseil de sécurité a mis en lumière les interactions multiples et complexes qui peuvent exister entre catastrophes naturelles, intensification des conflits violents à l’intérieur et entre Etats, et catastrophes humanitaires en divers points du globe. Il convient d’aborder ces situations d’urgence sur le plan opérationnel avec le souci d’une action aussi efficace et rapide que possible. Mais il faut aussi, de plus en plus, replacer ces situations d’urgence dans leur contexte politique, socio-économique et culturel afin d’essayer d’en atténuer les effets et, dans la mesure du possible, d’en prévenir la résurgence. C’est dans cette perspective qu’une nouvelle stratégie du Gouvernement luxembourgeois en matière de gestion des crises humanitaires a été présentée récemment, stratégie qui repose désormais sur trois piliers :

  • l’aide d’urgence,
  • la réhabilitation/reconstruction dans la phase transitoire et, finalement,
  • la prévention.

Sur base du constat établi par les Nations Unies selon lequel un euro investi dans la prévention permet d’épargner huit euros dans la réaction et la résolution des crises, désormais près de 5% du budget humanitaire luxembourgeois sera consacré, dans une approche proactive, au volet prévention.

Monsieur le Président,

Le Document final du Sommet mondial de 2005, qui constitue plus que jamais la "feuille de route" de l’action internationale, a insisté sur ce constat fondamental selon lequel "le développement, la paix et la sécurité et les droits de l’Homme sont inséparables et se renforcent mutuellement".

J’estime, pour ma part, qu’il s’agit-là d’un principe cardinal qui devrait inspirer et orienter toute l’action des Nations Unies et de ses Etats membres dans une perspective d’ensemble cohérente sur les grands problèmes de l’heure. Qu’il s’agisse des conflits en Afrique - et je pense plus particulièrement aux situations aux conséquences humanitaires dramatiques qui se présentent actuellement au Soudan, en Somalie, en RDC ou encore au Zimbabwe - ; qu’il s’agisse du Proche-Orient, où il importe de soutenir pleinement les efforts israélo-palestiniens en cours et de progresser enfin vers une solution négociée de deux Etats vivant côte à côte en paix et en sécurité, mais aussi d’œuvrer en faveur d’une solution durable pour toute la région; qu’il s’agisse enfin de l’Afghanistan, de la Birmanie/Myanmar ou d’autres foyers de violence ou d’instabilité encore, la prise en compte simultanée des dimensions de la paix et de la sécurité, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit et du développement socio-économique est une exigence incontournable.

Qu’il me soit permis ici d’évoquer d’un mot le courage des moines et citoyens birmans qui expriment depuis des semaines de manière pacifique leur aspiration à la démocratie et au respect des droits de l’Homme. Je condamne dans les termes les plus fermes la violence des forces de sécurité à l’égard de ces manifestants pacifiques et appelle les autorités à y mettre un terme.

Cette exigence que je viens d’évoquer ressort également avec grande clarté des travaux menés par cet organe nouveau et innovateur - dont le Luxembourg est membre depuis le début de l’année- qu’est la Commission de consolidation de la paix. Les stratégies intégrées de consolidation de la paix avec chacun des pays concernés devront prendre en compte l’ensemble de ces facteurs pour briser définitivement les cycles de la violence et placer ces pays sur un parcours stable de développement. J’aimerais mentionner dans ce contexte également la dimension essentielle de la réconciliation et la lutte contre l’impunité, en saluant tout particulièrement l’action des différentes juridictions internationales et notamment de la Cour Pénale Internationale.

S’agissant de la protection et de la promotion des droits de l’Homme qui constituent l’un des axes primordiaux de la politique étrangère luxembourgeoise, je continue à placer un grand espoir dans le nouveau Conseil des Droits de l’Homme qui vient d’achever la mise en place de ses structures institutionnelles, avec, en particulier, le système des examens universels périodiques qui constitue une innovation significative.

Fidèle à ses convictions et à ses engagements, le Luxembourg s’associe pleinement aux initiatives annoncées par un groupe d’Etats de toutes les parties du monde visant à faire avancer le débat international en matière d’abolition de la peine de mort.

Monsieur le Président,

Dans ce rapide survol de la situation internationale en matière de paix et de sécurité, vous me permettrez de m’arrêter un instant sur cette question importante qui préoccupe tant les Nations Unies que l’Union européenne qu’est le Kosovo.

Dernier acte de la tragédie yougoslave, le dossier du Kosovo doit désormais trouver une solution urgente. L’Envoyé spécial du Secrétaire général, le Président Ahtisaari, a déployé une activité considérable pour dégager, en ligne avec les principes directeurs établis, les bases du statut futur du Kosovo. La troïka de représentants de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la Russie est actuellement engagée dans une dernière tentative de rapprocher les deux parties et ces efforts se sont poursuivis ces derniers jours ici à New York. Elle a convenu de livrer son rapport au Secrétaire général pour le 10 décembre. Je voudrais réitérer à cette tribune que l’Union européenne est prête à assumer pleinement ses responsabilités dans une région pour laquelle un avenir européen est tout tracé.

Monsieur le Président,

Je voudrais également consacrer mon attention à un autre dossier qui préoccupe l’opinion publique internationale et dont l’impact potentiel sur la paix et la sécurité internationales est très préoccupant : je veux parler du dossier du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Voici quelques jours, j’ai eu l’occasion d’exposer les vues du Gouvernement luxembourgeois à la tribune de la Conférence générale de l’AIEA à Vienne.

Ici à l’Assemblée générale, il m’importe de plaider encore une fois en faveur de la poursuite des efforts en matière du désarmement nucléaire et d’un renforcement du régime en matière de non-prolifération, dont le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) reste, et doit rester, la pierre angulaire.

Qu’il me soit également permis d’insister brièvement sur ces autres types d’armes aux effets déstabilisants, ou aux conséquences inacceptables pour les civils, que sont, d’une part, les armes légères et de petit calibre et, d’autre part, les sous-munitions. J’ose espérer que des avancées significatives pourront être enregistrées en particulier pour ces deux catégories d’armes dans un proche avenir. Le Gouvernement luxembourgeois compte, pour sa part, participer activement à ce débat et prépare actuellement un projet de loi interdisant la fabrication, le stockage, l’utilisation et le commerce des armes à sous-munitions.

Monsieur le Président,

Si la poursuite du désarmement international et le renforcement des régimes internationaux en matière d’armes de destruction massive restent des objectifs constants du Gouvernement luxembourgeois, ce n’est pas sans une préoccupation sérieuse que nous devons observer certaines évolutions en cours en matière de respect des normes internationales actuellement en vigueur, et notamment s’agissant du dossier iranien.

Alors que l’accord qui vient d’être conclu entre le Secrétariat de l’AIEA et la République islamique d’Iran va dans la bonne direction, nous notons cependant avec inquiétude que l’Iran n’a toujours pas pris les mesures nécessaires pour se mettre en conformité avec les trois résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Je voudrais lancer à cette tribune un nouvel appel à l’Iran d’y donner enfin suite et de suspendre toute activité liée à l’enrichissement.

Monsieur le Président,

Dans l’ensemble des dossiers que je viens d’évoquer, la Charte a confié un rôle central au Conseil de sécurité. Il est essentiel que le Conseil de sécurité soit adapté aux réalités géopolitiques de ce début du XXIème siècle à travers un élargissement de sa composition dans les catégories des membres permanents et non-permanents, en garantissant une place adéquate pour les petits Etats qui représentent la vaste majorité des Etats membres de cette Organisation. Il est tout aussi important de moderniser ses modes de fonctionnement en vue d’assurer une efficacité et une transparence accrues, tout en associant plus largement l’ensemble des Etats membres. Sur base de la décision qui a été adoptée par consensus dans les derniers jours de la session précédente de l’Assemblée générale, j’ose espérer que des progrès significatifs pourront être accomplis en matière de réforme du Conseil de sécurité dans les mois à venir.

Soucieux d’apporter sa contribution à la réalisation des objectifs de la Charte et d’assumer sa part de responsabilités en matière de paix et de sécurité internationales, mon pays, le Luxembourg, aspire à devenir pour la première fois depuis qu’il a apposé sa signature en 1945 à la Charte de San Francisco, membre non-permanent du Conseil de sécurité pendant les années 2013-2014.

Monsieur le Président,

La réforme du Conseil de sécurité constitue une part importante de l’agenda de réforme des Nations Unies défini lors du Sommet de 2005. Si le recours à des formules multilatérales, avec les Nations Unies au cœur, doit être crédible, il faut que l’instrument mis à la disposition de la communauté internationale soit pleinement en phase avec les évolutions de notre temps et puisse répondre de manière adéquate aux attentes d’efficacité et efficience des Etats et des populations du monde entier.

L’effort de réforme doit être poursuivi et appuyé avec conviction par une Assemblée générale revitalisée, exerçant avec énergie et discernement ses prérogatives et réalisant ses objectifs prioritaires. La réforme – et donc la modernisation du multilatéralisme – ne peut réussir que si elle repose sur une volonté partagée des Etats membres.

Ceci s’applique en particulier au domaine de ce qu’on appelle la "system-wide coherence" en matière d’activités opérationnelles. Dépasser une fragmentation qui s’est développée au cours des plus de soixante années d’histoire onusienne, redonner au système et à ses acteurs une capacité d’action plus efficace, notamment au niveau des pays et des populations concernés, renforcer la cohérence opérationnelle dans les huit domaines couverts par le Rapport du Groupe de haut niveau, tels sont des objectifs de première importance pour la performance et, partant, la crédibilité du système des Nations Unies, telles sont aussi des décisions qui doivent être prises avec courage et volontarisme dans les enceintes pertinentes.

Alors que le succès de la réforme se traduira par une situation "gagnant – gagnant – gagnant" pour les pays donateurs, les pays récipiendaires et les Nations Unies dans leur ensemble, comme l’a si bien dit M. Ban Ki-moon, l’échec de la réforme risque fort de marginaliser le système dans son ensemble dans le long terme. Le choix est clairement posé devant nous, à nous d’exercer les responsabilités politiques qui sont les nôtres.

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Plus que jamais, le multilatéralisme efficace reste un grand espoir de nos populations animées du désir d’un monde plus juste, plus pacifique et plus prospère, où les grands équilibres écologiques sont préservés et où chaque homme et chaque femme puissent vivre dans la dignité et dans la pleine jouissance de leurs droits humains.

Ne décevons pas cette attente.

Et rappelons-nous de cette phrase empreinte de sagesse du philosophe romain Sénèque :

"Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile".

Je vous remercie de votre attention.

Dernière mise à jour