François Biltgen, Discours à l'occasion de la conférence "Emploi en Europe: perspectives et priorités", Lisbonne

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous adresser les remerciements les plus vifs de mon Premier ministre Jean-Claude Juncker pour célébrer le 10e anniversaire du sommet de Luxembourg et donc de la Stratégie européenne pour l’emploi. Jean-Claude Juncker, qui en tant que Premier ministre fut à l’époque fut président du Conseil européen, mais aussi ministre du Travail et de l’Emploi - je lui ai succédé 18 mois plus tard, aurait bien voulu fêter avec nous, mais malheureusement n’a pas pu le faire.

Lorsque nous célébrons aujourd’hui le 10e anniversaire de la Stratégie européenne pour l’emploi, je veux d’abord me remettre en mémoire la situation dans laquelle nous nous trouvions - en Europe - il y a 10 ans.

Nous étions à 15 Etats membres confrontés à un taux de chômage de 11% de la population qui représentait à ce moment 375 millions d’habitants.

Ce taux de chômage de 11% équivalait à 18,3 millions de chômeurs - dont pratiquement la moitié étaient des chômeurs de longue durée.

La situation la plus critique était observée dans l’un des grands Etats membres - d’ailleurs le voisin du Portugal - qui affichait un taux de chômage de 21,4%.

Dans l’Union européenne, nous avions connu une perte de 4 millions d’emplois au cours de la période 1991-1996 et un taux de croissance qui n’arrivait pas à dépasser les 1,6% en moyenne annuelle.

D’un point de vue économique, la situation à laquelle nous étions confrontés tient en quelques mots:

  • croissance faible;
  • chômage élevé;

et le tout assorti de

  • politiques budgétaires plutôt laxistes;
  • d’une inflation non-maîtrisée et
  • de déficits qui n’arrêtaient pas de se creuser.

D’un point de vue social, le tableau n’était pas encourageant non plus.

  • Les politiques de l’emploi étaient majoritairement passives car elles se concentraient trop souvent sur le "simple" versement de prestations de chômage.
  • Dans de nombreux Etats membres, l’on essayait d’endiguer le nombre de chômeurs par le recours à des systèmes de retraites anticipées.
  • Le passage de l’école au travail n’était pas toujours simple puisque les systèmes d’éducation et de formation étaient en déphasage par rapport aux besoins des entreprises lesquelles se trouvaient confrontées à de rapides mutations technologiques.

10 ans après le commencement de la Stratégie pour l’emploi, la situation est toute autre.

Le taux de chômage est descendu à 6,7% pour une Union européenne à 27 Etats membres.

D’un point de vue purement arithmétique, l’on peut dire qu’en l’espace de 10 ans, l’Union européenne s’est agrandie de 112 millions de nouveaux habitants et qu’en parallèle, le nombre total de chômeurs à l’intérieur de nos 27 Etats membres a diminué de deux millions et demi de personnes.

Mais dans les années '90, nous étions très loin de la situation actuelle.

Les problèmes économiques et la montée du chômage étaient sur le devant de la scène politique.

Les premières discussions qui sont à l’origine de la stratégie européenne pour l’emploi remontent à '93 et au Livre blanc du président Jacques Delors, dans lequel figurait le premier fondement d’une coopération véritable en matière de politiques de l’emploi.

Ce fondement s’est développé ensuite à travers le Conseil européen d'Essen en décembre 1994 et de plusieurs autres réunions successives des chefs d’Etat et de gouvernement.

Les réflexions menées pendant ce temps ont débouché, en juin 1997, sur le traité d’Amsterdam et sa base juridique spécifique, consacrée à la Stratégie coordonnée pour l'emploi .

En l’espace de ces 4 ans, les politiques nationales de l’emploi étaient devenues une "question d'intérêt commun".

Cette "question d’intérêt commun" était tellement forte que le Conseil européen d’Amsterdam demanda au Luxembourg de convoquer au 2e semestre 1997 une réunion extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement consacrée exclusivement à ce sujet.

Pire, les conclusions du sommet d’Amsterdam en juin ’97 nous avaient donné mandat d’anticiper les dispositions du traité d’Amsterdam - lequel ne devait entrer en vigueur que deux ans plus tard.

Cette "invitation" de la part du Conseil européen allait nous causer nos premiers soucis puisqu’il était loin d’être évident de rendre opérationnelle une disposition d’un traité qui n’avait pas encore été ratifié.

En conséquence, il fallait beaucoup d’efforts de persuasion pour convaincre l’un ou l’autre pays un peu plus récalcitrant de se "lancer dans l’aventure".

Certains d’entre vous se rappellent peut-être que les discussions officielles ont commencé à l’occasion de la réunion informelle des ministres de du Travail et de l’Emploi à Echternach le 4 juillet.

Pour l’anecdote, Echternach est une petite ville médiévale qui est connue dans le monde entier pour sa procession qui rassemble chaque mardi de Pentecôte 8.000 danseurs et 50 fanfares en hommage à Saint Willibrord, véritable Européen, car Anglais de naissance, éduqué en Irlande, il s’est fixé après un pèlerinage à Rome au Luxembourg d’où il a au 8e siècle surtout missionné dans les actuels Pays-Bas et l’Allemagne du Nord. Les participants à la procession traversent la ville en effectuant un rythme qu’on décrit de 3 pas en avant - puis de 2 pas en arrière.

Ce rythme allait aussi être celui qui nous a été imposé dans la préparation du Conseil européen des 20 et 21 novembre ‘97.

Trois pas en avant - deux pas en arrière. Mais tout comme la procession dansante d’Echternach, nous avons finalement avancé et sommes arrivés à bon port.

Au-delà de cette anecdote, il faut savoir que nous avons essayé de mobiliser tout une série d’acteurs pour contribuer à la réflexion sur ce qui devait être la Stratégie européenne pour l’emploi:

  • Etats membres . et au plus haut niveau politique;
  • Partenaires sociaux européens et nationaux;
  • organismes institutionnels les plus divers et
  • de nombreux acteurs - économiques comme sociaux - reconnus pour leurs compétences en matière de politiques de l’emploi.

Entre juillet et novembre 2007, il ne s’est pas passé un seul jour sans 3 ou 4 réunions bilatérales, trilatérales ou multilatérales entre la Présidence - représentée au plus haut niveau politique - et des interlocuteurs intéressés au débat sur l’emploi.

Je n’irai pas jusqu’à évoquer les innombrables entretiens téléphoniques passés à gauche et à droite - de tôt le matin jusqu’à tard le soir … mais je garde seulement un mauvais souvenir de la note téléphonique qui nous avons dû régler au cours de ces quelques mois.

Il fallait "défricher le terrain", convaincre les nombreux hésitants, séduire les uns, persuader les autres, mais aussi contourner de multiples obstacles.

Le 20 novembre 1997, nous étions enfin prêts.

Prêts à accueillir à Luxembourg les chefs d’Etat et de gouvernement de nos Etats membres.

Prêts aussi à négocier ce qui allait devenir la Stratégie européenne pour l’emploi.

Avec le recul, je dirais aujourd’hui que les discussions entre chefs d’Etat et de gouvernement et les interventions des uns et des autres étaient constructives.

Bien sûr, les débats sur quelques dispositions des lignes directrices - comme par exemple les "objectifs chiffrés" - étaient plus difficiles.

Mais nous n’étions pas disposés à abandonner le mot d’ordre qui nous a guidé pendant tous les mois de préparation: "Pas de littérature, mais DES MESURES CONCRETES ET VERIFIABLES".

Reste que le sommet a réussi à définir une stratégie d’ensemble pour coordonner, au niveau européen, les politiques nationales de l’emploi.

Cette coordination comprenait une série d’objectifs ciblés, encadrés par ce que l’on appelait à l’époque les "4 piliers":

  • l’insertion professionnelle;
  • l'esprit d'entreprise;
  • l'adaptabilité et
  • l'égalité des chances.

Je n’oserai pas faire une comparaison entre le cadre qui a été fixé à Luxembourg en novembre 1997 et les "lignes directrices emploi" que nous connaissons aujourd’hui.

Pourtant, force est de constater que les lignes directrices d’aujourd’hui ne diffèrent pas fondamentalement des priorités politiques qui furent entérinées à l’époque lors de ce sommet extraordinaire.

La première ligne directrice emploi du cycle actuel de la Stratégie de Lisbonne demande par exemple aux Etats membres d’ "améliorer la capacité d’adaptation des travailleurs et des entreprises".

Il y a dix ans, ceci figurait dans une ligne directrice qui s’intitulait: "encourager la capacité d’adaptation des entreprises et de leurs travailleurs"!

La deuxième ligne directrice du cycle actuel demande aux Etats membres notamment de prendre des mesures pour "permettre une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée".

A l’époque, cela s’appelait "concilier vie professionnelle et vie familiale" et figurait en titre de la ligne directrice 17.

La troisième ligne directrice exhorte les Etats membres à "développer de nouvelles sources d’emplois dans le secteur des services aux personnes et aux entreprises notamment au niveau local".

Traduit dans la terminologie de 1997, cela s’appelait "exploiter complètement les possibilités offertes par la création d’emploi à l’échelon local (…) et dans les nouvelles activités liées aux besoins non encore satisfaits par le marché".

Pour le volet "formation professionnelle", la ligne directrice 23 d’aujourd’hui demande aux Etats membres d’ "établir des stratégies efficaces d’apprentissage tout au long de la vie".

En 1997, nous demandions aux Etats membres et aux partenaires sociaux, au titre de la ligne directrice 5, de "s’efforcer de développer des possibilités de formation tout au long de la vie".

Bref, avec ces quelques exemples que l’on pourrait multiplier à l’infini, vous aurez compris que le cadre actuel des lignes directrices n’a pas fondamentalement changé par rapport aux politiques et aux mesures qui avaient été retenues par le Conseil européen extraordinaire de novembre ‘97.

Exprimé autrement, cela signifie que les domaines définis il y a 10 ans ont gardé toute leur actualité:

"Le Sommet européen de 1997 avait visé juste - les lignes directrices emploi de cette époque sont à la base de l’actuelle Stratégie européenne pour l’emploi et n’ont jamais été démenties !".

Au-delà de ce constat, il ne faut pas oublier que l’une des évolutions importantes de ces 10 dernières années fut la coordination entre différentes politiques telle qu’elle fut construite ici à Lisbonne pendant la Présidence portugaise au printemps 2000.

Le Sommet de Lisbonne a clairement démontré que l’on peut renforcer l’emploi, engager des réformes économiques, garantir la cohésion sociale, … le tout dans le cadre d’une économie fondée sur la connaissance.

Les conclusions de ce sommet parlent non seulement d’une économie européenne plus compétitive, mais d’un lien étroit entre "performances économiques" et "amélioration quantitative et qualitative de l'emploi", respectivement "plus grande cohésion sociale".

Permettez-moi la remarque que ces éléments ont eux-aussi gardé toute leur valeur dans les débats d’aujourd’hui.

Quelles conclusions faut-il tirer de 10 ans d’expérience dans le domaine de la Stratégie européenne pour l’emploi ?

Le processus de Luxembourg a préfiguré la méthode ouverte de coordination, qui quelques années seulement plus tard allait être consacrée par la Stratégie de Lisbonne.

La Stratégie européenne pour l’emploi, autonome jusqu’à la révision de la Stratégie de Lisbonne, s’est désormais fondue dans les Lignes directrices intégrées. Mais ses principes demeurent. Ses résultats aussi.

Les chiffres montrent - et je vous rappelle ceux que j’ai mis en avant au début de mon intervention - que le fonctionnement des marchés du travail dans les Etats membres s’est fortement amélioré. Le chômage structurel a considérablement baissé et les marchés de l’emploi répondent beaucoup mieux - et plus vite - aux changements dans nos économies.

Les mesures nationales prises au titre des lignes directrices emploi - pour investir dans l’éducation et la formation, pour améliorer le fonctionnement des services publics de l’emploi, pour offrir de nouvelles chances à ceux qui recherchent un emploi, pour mieux organiser le dialogue social, pour mettre en œuvre le principe de l’égalité des chances et bien d’autres encore - ont toutes produit leurs effets.

"Le chemin sur lequel nous nous sommes engagés en 1997 était le bon".

Pour terminer, je dirais que si quelqu’un d’entre vous - la Présidence par exemple - me demanderait de me projeter dans le futur - mais là, je suis dans les mains de Monsieur Socrates et de José Vieira, voire aussi de Vladimir Spidla - je dirais que l’on ne devrait pas changer fondamentalement le cadre des lignes directrices existantes.

Je soumettrais simplement à votre réflexion les 3 éléments suivants que l’on pourrait renforcer dans le prochain cycle de lignes directrices :

1) les systèmes d’éducation et de formation dans tous nos Etats membres se modernisent. Cette modernisation devrait viser aussi les instances qui ont comme rôle de guider et de conseiller les jeunes dans leur choix de leurs études. C’est une question d’orientation professionnelle qui doit permettre aux élèves et aux étudiants de choisir des formations qui débouchent sur de réelles possibilités d’emploi(s);

2) les entreprises privées qui opèrent sur nos marchés du travail s’investissent de plus en plus dans un partenariat avec les services publics de l’emploi. Il faut les encourager pour que cette collaboration - souvent très fructueuse - soit développée;

3) au niveau de nos entreprises, il y a encore une bonne marge de manœuvre pour établir une vraie stratégie de gestion prévisionnelle des ressources humaines. Celle-ci est indispensable dans le contexte des mutations rapides de nos tissus économiques et notamment dans le cas de restructurations. Elle mériterait d’être renforcée.

Je ne terminerai pas mon intervention sans remercier encore une fois la Présidence portugaise.

J’ai accepté avec beaucoup de plaisir - et aussi avec un peu de fierté - son invitation pour vous parler du 10e anniversaire de la Stratégie européenne pour l’emploi.

Et, rassurez-vous: je ferai de même en 2017 - au moment où l’on fêtera le 20e anniversaire du "processus de Luxembourg".

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