Marie-Josée Jacobs, "Le style managérial des femmes, avantage concurrentiel?". Allocution à l'occasion de la table ronde de la Fédération des femmes cheffes d'entreprise

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,

L’intégration des femmes dans le monde professionnel se poursuit continuellement.

Dans le cadre des "Forum Femmes et Entreprises", organisés en 2002 et 2004, par le ministère de l’Egalité des chances et l’Union des entreprises luxembourgeoises, il était encore question de promouvoir la participation des femmes à la prise de décision.

Aujourd’hui, le titre de votre table ronde illustre combien les mentalités ont déjà évoluées : il n’est plus question de savoir si, oui ou non, les femmes doivent se décider à franchir le pas vers les postes clé du management. Votre message, Mesdames, est clair : les femmes sont bel et bien des managers. Il existe un style managérial féminin et peut-être même, l’approche qu’ont les femmes est une clé de succès pour être plus compétitive.

Les opinions divergent si, oui ou non, il existe un style de management que l’on pourrait qualifier d’être typiquement "féminin".

Le thème est d’actualité, mais il n’est pas nouveau. De nombreux témoignages de femmes et d’hommes parus au Luxembourg, mais également dans nos pays voisins ces dernières années ont fait apparaître que, même si les avis restent fort contrastés, il y a, en général, deux attitudes face à cette question:

Une première attitude est de dire que le style managérial au féminin n’existe pas et que les qualités du leadership ne sont pas liées au sexe. Le management serait unisexe et ce serait avant tout une question de personnalité et de compétences.

Les différences ressenties seraient essentiellement dues à la présence de stéréotypes à la fois en ce qui concerne le genre et en ce qui concerne le leadership.

Il y aurait donc deux images dans nos têtes, ressenties comme étant incompatibles: d’une part, l’image type de la femme plus douée pour l’empathie, les qualités relationnelles, la communication et l’écoute et, de l’autre côté, l’image type du leader vu comme étant individualiste, compétitif, voire agressif, caractéristiques plutôt attribués à l’homme.

Les qualités de la réussite du management seraient les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Cette idée semble être confirmée par des études sur le leadership. De nombreuses études montrent que, d’une manière générale, les critères qui entrent en ligne de compte pour qualifier une personne de leader ont surtout rapport aux traits de la personnalité (comme la confiance en soi, l’optimisme, l’ambition) et beaucoup moins à des facteurs externes.

Une deuxième attitude est de prétendre, au contraire, que les femmes managers auraient un style particulier et qu’il y aurait donc des différences liées au sexe.

Vouloir spécifier des différences entre femmes et hommes managers est courir le risque de tomber dans les clichés. C’est ce que nous voulons justement éviter !

Il est certain que, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les idées stéréotypées continuent à influencer notre perception du manager, femme ou homme.

Des enquêtes montrent néanmoins qu’ il y a des différences de perception dans la vie professionnelle. Dans une étude menée en Allemagne en 2007 sur le respect envers les leaders et l’influence des facteurs du genre parue dans le magazine "Women in Management Review", il est apparu qu’il existe des préjugés envers les leaders en fonction du sexe. Dans cette enquête sur 200 personnes, les femmes managers déclarent avoir plus durs à se faire respecter en tant que cheffes que les hommes. Il existerait encore beaucoup de non dits dans un environnement encore largement dominé par les hommes.

Cela pourrait expliquer pourquoi l’attente envers des femmes managers puisse différer de celle envers leurs homologues masculins et que les femmes managers doivent être plus déterminées et travailler plus dur pour être acceptées en tant que leader.

Les avis restent controversés et il me semble qu’il y ait autant de réponses que de personnes interrogées à cet égard, que ce soit de la part des femmes dirigées par des femmes ou de la part des hommes dirigés par des femmes.

Pour ma part, il me semble que la réponse dépend aussi de l’âge de la personne interrogée. Les différences de style s’estompent dans des équipes jeunes et où les femmes sont très présentes. Les jeunes femmes ne croient pas, pour la plupart, à un modèle de management féminin, alors que les femmes plus âgées et plus expérimentées ont encore évolué dans un environnement beaucoup plus traditionaliste et exclusivement masculin et ont, par conséquence, fait d’autres expériences.

Une enquête sur 275 participants réalisée sur Internet entre juillet et septembre par le magazine Paperjam, patronnée par le ministère de l’Egalité des chances et dont les résultats seront publiés d’ici une semaine, tentera également d’y apporter une réponse à la question si oui ou non il existe des différences entre leadership féminin et masculin.

Quelle que soit l’approche, il est un fait non contesté que la réussite des femmes dans le monde managérial dépend de nombreux facteurs. Je me permets d’en relever trois qui me semblent essentiels.

Tout d’abord, au Luxembourg comme ailleurs, l’environnement social et de travail a évolué et continue d’évoluer rapidement.

Une augmentation lente mais constante de l’emploi national féminin, cependant toujours inférieur à la moyenne européenne, est enregistrée ces dernières années. L’accroissement de l’emploi féminin est même supérieur à celui des hommes, ceci étant lié surtout à l’augmentation de frontalières sur le marché de l’emploi national.

A l’avenir, cette participation accrue des femmes à la vie active va influencer positivement le marché de l’emploi et également avoir peu à peu ses effets au niveau de la composition des étages de direction dans les entreprises.

Actuellement, nous en sommes cependant encore loin. Comme le note le STATEC dans son étude "Egalité hommes - femmes, mythe ou réalité?", l’exercice d’une fonction de supervision varie du simple au double entre hommes et femmes: 13% pour les femmes et 26% pour les hommes.

Un autre facteur lié à l’emploi n’est pas négligeable: le travail à temps partiel dont bénéficient plus de 30% des femmes actives au Luxembourg.

Dans ce contexte, il faudra veiller à l’avenir, à ce que les notions de management et de temps partiel ne s’excluent plus.

Dans le cadre des actions positives dans les entreprises du secteur privé, certaines entreprises pratiquent déjà une politique d’encadrement et de supervision dans ce sens. Je citerai comme exemple, la société de domiciliation, Alter Domus, qui affiche la parité entre femmes et hommes qui sont membres du comité de direction. Parallèlement, le temps partiel est considéré comme étant un type d’occupation accepté et pratiqué parmi des seniors, managers et au niveau de la direction.

Qui dit postes de manager implique, dans notre environnement professionnel de plus en plus complexe, compétitif et de haute technicité, la nécessité d’une formation supérieure. Le fait que de plus en plus de jeunes femmes poursuivent des études supérieures aura, à l’avenir, des répercussions positives sur la position des femmes à des postes clé de l’économie.

Actuellement, il y a encore un écart entre femmes et hommes à ce niveau.

Selon une enquête du CEPS/instead, parue en mai 2007, parmi les personnes ayant un niveau d’études universitaires, 64% sont des hommes et 36% des femmes. Même si les femmes appartenant aux jeunes générations ont un niveau équivalent et même supérieur à celui des jeunes hommes, il reste que les femmes sont encore sous-représentées dans la population active fortement diplômée.

D’autre part, les femmes diplômées sont moins souvent investies de fonctions de supervision. De plus, constate le CEPS, leurs responsabilités sont généralement plus limitées que celles des hommes.

Ces différences ne pouvant s’expliquer par des causes objectives, le fameux plafond de verre, cet ensemble de barrières invisibles qui bloquent la carrière professionnelle des femmes, semble donc toujours être d’actualité.

La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale reste un thème qui concerne encore et surtout les femmes, même si de plus en plus d’hommes prennent le congé parental et sont prêts à partager les tâches domestiques.

Nous savons que le fait d’avoir des enfants est un facteur pouvant freiner l’activité professionnelle, surtout à un niveau décisionnaire.

Cependant, dans ce domaine, les mentalités changent peu à peu.

Dans une enquête réalisée par le Centre d’Etudes et de Population sociale parue ce 21 novembre dernier, le CEPS note que les comportements d’emploi des femmes ont évolué au cours des dernières décennies, et notamment au niveau des interruptions de carrière où la majorité des femmes ne planifient plus d’arrêter leur activités professionnelles à la naissance d’enfants.

Cette évolution dans les comportements des femmes et leur volonté de veiller à la continuité de leur évolution professionnelle, auront également leurs répercussions au niveau du monde du management.

Je pense que, d’une manière générale, la mixité est un avantage et que les équipes de travail mixtes sont plus efficaces que des équipes composées exclusivement de femmes ou d’hommes. Ceci est d’autant plus vrai pour les postes de management.

La capacité de diriger dépend de la personnalité de l’individu qui est due en grande partie à la socialisation en tant que femme ou en tant que homme. Il y a peut-être des différences quant à la manière d’exercer le pouvoir, mais il faut des capacités indépendant du sexe, telles p.ex. la capacité de prendre des décisions,la capacité d’écoute et de pouvoir diriger des gens.

Le fait d’avoir une femme comme "cheffe" peut avoir des conséquences positives sur l’organisation de travail dont personne ne se plaint. Exemple: les réunions à 19 heures se raréfient ! D’autre part, il peut y avoir des effets positifs sur le climat social et l’ambiance de travail.

En général, les femmes sont plus impliquées dans la vie familiale que les hommes. Cela peut avoir des conséquences positives sur la vie professionnelle: par exemple, une meilleure écoute et une meilleure compréhension pour des employés qui se trouvent face à des imprévus familiaux.

Ce sont des éléments qui peuvent contribuer à gérer des équipes plus motivées et donc plus productives, ce qui peut être un avantage important face à la concurrence.

Les hommes continuent à occuper les postes les plus élevés de la hiérarchie des professions et seulement 23% des postes des dirigeants sont occupés par des femmes.

Je pense néanmoins que les chiffres montrent que le management se féminise peu à peu. Ainsi, d’après l’étude du CEPS/instead qui a été présentée le 13 novembre dernier sur les femmes et le marché de l’emploi, la part des femmes parmi les dirigeants a doublé dans le secteur financier en quinze ans.

Une évolution positive se dessine donc nettement. Toutefois, la sous-représentation des femmes dans les instances de décision au sein des entreprises reste d’actualité, même si l’on constate une augmentation au niveau des effectifs.

Face au vieillissement inévitable et prévisible de nos sociétés et en vue de la pénurie prochaine de personnel qualifié et de personnes cadres, une plus grande implication professionnelle des femmes, la valorisation du personnel féminin et l’élimination de toutes les discrimination à l’égard des femmes et des hommes contribuera à atteindre les objectifs de Lisbonne en vue d’une stratégie européenne efficace pour l’emploi et la compétitivité.

Je vous remercie de votre attention.

Dernière mise à jour