Jean-Claude Juncker, Transcription de l'intervention du Premier ministre au Parlement européen

Monsieur le Président, Madame et Monsieur les rapporteurs, Monsieur le Commissaire, Mesdames, Messieurs, chers collègues, je voudrais d'abord féliciter vos deux rapporteurs pour le rapport qu'ils vous ont soumis et qu'ils nous ont soumis puisque nous le lisons et nous en discutons. Ce rapport voit juste et va suffisamment loin pour que nous puissions nous en occuper au cours des mois à venir.

Je partage l'analyse qui est faite dans ce rapport de Mme Berès et de M. Langen sur le bilan de la première décennie de la monnaie unique. Il n'y a rien à ajouter ou à enlever à ce qu'ils ont exprimé dans leur rapport. De plus, c'est un rapport qui recueille une grande majorité au sein de cette assemblée, du moins lorsque la Commission s'est exprimée à son sujet. Je constate que l'enthousiasme de l'assemblée pour la monnaie unique est autrement plus grand aujourd'hui qu'il y a 12 ou 13 ans, voire dix ans, ce dont il convient de se féliciter.

En ce qui concerne les divergences économiques, les deltas entre les réformes structurelles et les différences en matière de gestion des finances publiques, je voudrais d'abord faire observer que je n'ai pas compris le sens du rapport lorsqu'il dit que les résultats ne correspondent pas aux attentes qui ont été formulées à l'époque de l'introduction de la monnaie unique. Je ne connais aucun rapport de nature quantitative sur les divergences entre les différents États membres de la zone euro. Ce rapport n'existant pas, c'est donc un propos de circonstance, que je n'ai pas compris, tout en partageant l'avis que ces divergences ont tendance parfois à s'accroître, ce qui, à ce jour, ne menace pas la cohésion de la zone euro mais qui, si cette divergence devait persister, pourrait mettre à mal, sur le long terme, la cohésion de la zone euro.

Pour le reste et sur ce plan, il convient de se féliciter que l'Europe – l'Union européenne d'une façon générale et l'Eurogroupe en particulier – aujourd'hui confrontée à l'une des plus graves crises qu'elle ait eu à traverser au cours des décennies écoulées, ait géré d'une façon compétente la crise qui est actuellement la nôtre, notamment en évitant de commettre les erreurs commises en Europe au cours des années 70. Constater que nous n'avons pas répété les mêmes erreurs n'est pas une mince affaire car économiquement et politiquement, ceci nous a permis d'éviter que la crise n'accroisse les divergences au sein de l'Union monétaire et contribue à saper sa cohésion.

Or, face à une crise de la taille que nous connaissons et face à une crise qui ne cesse de s'étendre de plus en plus à l'économie réelle, une réaction de politique économique forte et coordonnée au niveau européen est nécessaire et nous devons réfléchir à la meilleure façon de l'organiser en tenant compte, d'un côté, de notre cadre conceptuel et réglementaire – je fais référence au pacte de stabilité et à la stratégie de Lisbonne – et en tenant compte, de l'autre, de la gravité de la crise dont les conséquences sont autrement plus graves que nous ne l'avions imaginé il y a quelques mois.

La création de la deuxième grande monnaie au niveau mondial confère certes des avantages mais comporte aussi des obligations, le G20 de vendredi et de samedi à Washington nous ayant rappelé les obligations qui sont les nôtres et qui sont celles des autres. Nous devons utiliser et mettre à profit les trois semaines qui nous séparent du Conseil européen de décembre pour affiner avec habileté notre stratégie européenne et pour éviter des réactions disparates au niveau national. Ces réactions disparates nous guettent bien sûr. J'observe avec attendrissement les rappels et les appels renouvelés à la coordination des politiques économiques qui s'expriment surtout dans la langue de Voltaire.

Je voudrais que ceux qui nous appellent à la coordination des politiques économiques donnent d'abord l'exemple de la sincérité de leurs propos. J'observe que les différents gouvernements des différents pays membres de la zone euro se jettent avec gourmandise, et à raison, sur les problèmes que connaît le secteur automobile de leur pays. Je voudrais que ceux qui parlent de l'automobile et qui ne cessent de parler de la coordination des politiques économiques coordonnent les actions nationales lorsqu'il s'agit de prendre des initiatives dans le secteur automobile. Le reste est de la littérature. Qu'on coordonne vraiment et qu'on prouve, exemple à l'appui, la sincérité de ces propos.

(Applaudissements)

En ce qui concerne la politique monétaire, vous connaissez la timidité qui est la mienne, je n'en dirai jamais un mot, sauf pour dire que je persiste à croire que le rôle joué par la Banque centrale européenne ces derniers mois fut tout à fait exemplaire.

Intégration et supervision des marchés financiers, voilà un autre pan des considérations que vos rapporteurs ont traité dans leur rapport. Le G20 nous a fixé une feuille de route ambitieuse; elle doit être traduite de façon concrète par le G20, et donc par l'Union européenne et par les membres de l'Eurogroupe. Vous vous rappellerez sans doute que les pays membres de l'Eurogroupe et ceux de l'Union européenne ont été les premiers à réclamer que l'on tire les leçons appropriées de la crise que nous connaissons et je ne voudrais pas réserver à plus tard le chapitre de mes mémoires consacré à cet épisode. Il y a quatre ans que nous ne cessons de répéter – je parle des responsables de l'Eurogroupe – aux ministres des finances du Japon et des États‑Unis et que nous ne cessons d'attirer l'attention de nos amis américains à la fois sur les risques de leur double déficit et sur les risques découlant de la sous‑évaluation systématique des risques, notamment en matière immobilière.

Voilà deux ans qu'à plusieurs, au niveau du G7, et notamment sous présidence allemande du G7, nous revendiquions, avec une certaine brutalité des propos, une réglementation plus poussée des marchés financiers. Je n'accepte pas que ceux qui l'ont refusée hier donnent aujourd'hui l'impression d'être les leaders, pour m'exprimer en anglais, de la réaction européenne. Les gouvernements américain et britannique avaient tout le temps nécessaire pour accepter les propositions de l'Eurogroupe sur une meilleure réglementation des marchés financiers, ils ne l'ont pas voulu. Qu'ils ne donnent pas aujourd'hui l'impression d'entraîner les autres.

L'élargissement de la zone euro ne suscite pas de ma part des propos qui divergeraient de ce que disaient vos rapporteurs. Je rappellerai tout simplement que le fait d'appartenir à la zone euro est bien sûr un avantage, une opportunité, mais qu'il comporte aussi des obligations dont certaines devront être remplies avant de pouvoir accéder à la zone euro.

Cet enthousiasme bien compréhensible pour la nouvelle formation du G7 n'est pas sans soulever des problèmes concernant la représentation extérieure de la zone euro. Nous avons toujours plaidé, au sein de l'Eurogroupe, pour que l'Union européenne et l'Eurogroupe soient plus présents au G20, au Fonds monétaire international et au Fonds de stabilité financière. Nous étions les premiers, à l'Eurogroupe, à revendiquer une place durable et permanente pour la Commission au G20, ce qui n'a pas empêché le Président de la Commission de ne pas revendiquer la présidence de l'Eurogroupe – on verra plus tard avec quelles conséquences. Mais nous pensons que la Banque centrale européenne et la Commission doivent être représentées de façon durable au niveau du G20, tout comme l'Eurogroupe, qu'il soit représenté par le président de l'Eurogroupe, qui modestement essaie d'animer les travaux des ministres des finances, dont M. Sarkozy a relevé qu'ils ne sont pas à la hauteur, ou qu'il le soit par quelqu'un d'autre. Je ne cherche pas la présidence de l'Eurogroupe au niveau des ministres des finances pour mon plaisir et pour ma gloire personnelle, qui n'est guère extensible, je le fais par devoir; si d'autres pensent qu'ils peuvent mieux assumer ces tâches, qu'ils le fassent mais qu'ils y appliquent pour les années à venir la même intensité que celle qu'ils donnent l'impression de vouloir appliquer au moment où nous sommes.

Pour le reste, en ce qui concerne les instruments économiques de l'UEM et la gouvernance de notre groupe, je considère que nous avons fait, au cours des dernières années, des progrès remarquables, mais lorsqu'on discute sur le plan international de la politique de change, de la politique monétaire, il n'est pas pensable que la deuxième monnaie du monde ne soit pas représentée politiquement et monétairement par ceux qui ont pour charge de gérer ces deux aspects et ces deux compartiments de notre politique commune.

Si on veut que les ministres des finances, au sein de l'Eurogroupe, gèrent convenablement le pôle économique de l'Union économique et monétaire, il faut que les différents chefs d'État et de gouvernement donnent à leur ministre des finances les instructions nécessaires. Au Luxembourg, vous le savez, cela ne pose aucun problème.

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