Octavie Modert, Discours à l'occasion de l'inauguration du site du chateau d'eau dédié au dialogue entre la collection historique d'Edward Steichen "The Bitter Years" et la photographie contemporaine, Dudelange

Madame la Ministre de la Culture de la République française, Aurélie Filippetti
Cher collègue Ministre Di Bartolomeo,
Excellences,
Monsieur le Ministre d’Etat honoraire,
Monsieur le Député-Maire,
Mesdames et Messieurs les Députés, Bourgmestres et Echevins,
Madame Hennicot-Schoepges,
Chère Madame Ariana Stahmer
Chers invités d’honneur de la Grande Région qui nous ont fait le plaisir d’être aujourd’hui avec nous, liés par et dans la culture,
Mesdames, Messieurs les Directeurs, Chers collaborateurs
Mesdames et Messieurs, Chers amis

Au départ, Madame la Ministre, chers invités, il y avait non un seul, mais trois châteaux d’eau liés à l’histoire de cette Ville de Dudelange. Non, non, je n’exagère en rien.

  • Le premier était un édifice de l’usine, servant partiellement de réservoir d’eau potable. Il a été démoli entretemps.
  • Le deuxième est le château d’eau de Toulouse, qui présente un double lien avec Dudelange : d’abord parce qu’il accueillait la première galerie municipale photographique en France. Ensuite et surtout, parce que son créateur et directeur artistique, Jean Dieuzaide, était associé aux origines de la renaissance de l’exposition The Family of Man par le Luxembourg. C’était une première étape d’un dialogue international et photographique qui n’a cessé d’évoluer depuis. Votre venue aujourd’hui, Madame la Ministre, témoigne de l’importance que vous attachez à nos relations bilatérales en matière d’art et de culture. Je vous remercie chaleureusement : Vous êtes ici chez vous, car vous n’êtes qu’à un pas de chez vous, belle symbolique pour la disparition des frontières que sait faire tomber la culture. Quand le Luxembourg a pu associer ses partenaires de la Grande Région en 2007 à sa deuxième Capitale européenne de la culture, de nouveaux liens se sont tissés, des portes se sont ouvertes, des collaborations pionnières comme dans le cadre du projet MONO se sont mises en place en Grande Région – j’estime qu’il est de notre devoir d’entretenir et d’élargir constamment ces relations. L’identité de la Grande Région passe par la culture, j’en suis convaincue.
  • Enfin il y a le Waassertuerm, troisième château d’eau, que nous inaugurons aujourd’hui, pour accueillir en permanence The Bitter Years d’Edward Steichen, montrée au Museum of Modern Art MoMA à New York, il y a cinquante ans de cela exactement.

Importance de la culture au Luxembourg, en Grande Région et hommage à Steichen et à The Family of Man:

Chère Ariana Stahmer, Chère Francesca (qui ne peut être présente mais qui est unie avec nous): Votre grand-père et arrière-grand-père Edward Steichen avait quitté le Luxembourg avec sa famille en 1881. Les conditions de vie étaient difficiles. Tout culturel était inexistant à l’époque. Les temps ont changé. Heureusement.

Désormais, le Luxembourg, comme beaucoup d’autres pays, honore la mémoire de ses artistes et leur travail.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion de marquer notre admiration et notre respect pour le travail d’Edward Steichen. Travail créatif extraordinaire souligné, entre autres, par l’ami Rosch Krieps et d’autres pionniers. De ces efforts est née une prise de conscience grandissante pour le célèbre artiste d’origine luxembourgeoise qui nous a légué ses deux collections importantes– The Family of Man et The Bitter Years – qu’il a curatées au MoMA.

La création du Prix Edward Steichen par le Luxembourg en 2005 s’inscrit dans l’esprit de cet hommage commencé dans son pays natal il y a près de vingt ans.

A l’époque, dès 1994, les innombrables commentaires, les discours enthousiastes et critiques en relation avec la célèbre mise en scène humaniste The Family of Man prenaient un nouveau départ à Clervaux. Edward Steichen l’aurait sans doute apprécié: car la controverse garde à son œuvre toute l’actualité, l’UNESCO ayant même reconnu cet argument comme décisif pour inscrire La Grande Famille de l’Homme dans le Registre de la Mémoire du Monde.

Aujourd’hui, les travaux de rénovation du Château de Clervaux que j’ai pu déclencher fin 2010 sont en cours, dirigés par le Service des sites et monuments nationaux, ensemble avec le Centre national de l’Audiovisuel. Nous avons prévu la réouverture l’année prochaine [en (été) [2013].

D’ores et déjà nous pouvons constater avec satisfaction que le Grand-Duché est sorti enrichi de son expérience avec cette plus célèbre exposition photographique de tous les temps.

Le soutien de votre famille, chère Ariana, et bien sûr celui de la regrettée Joanna Steichen qui n’a pu vivre ce moment de redécouverte du patrimoine de son époux, je voudrais le souligner, nous a été précieux dans la recherche de notre way to live the cultural experiment.

Le château d’eau à Dudelange et les images de la condition humaine:

Le dossier du château d’eau de Dudelange a pu se développer et prendre l’envol dans des circonstances propices. Disons-le tout de suite: L’idée était marquée dès le départ par un brin d’exotisme. Maintes facettes demandaient des précisions et des corrections de parcours. Mais, l’idée de transformation de lieux industriels en lieux de culture peut s’appuyer sur des expériences réussies: la Tate Gallery à Londres, également le Château d’eau de Toulouse, la Völklinger Hütte, le site de Belval, et j’en passe... La voie royale pour le projet était l’excellente collaboration et la communication sans faille entre les acteurs impliqués: mon Ministère (de la Culture), le Centre national de l’Audiovisuel, le Service des sites et monuments nationaux, les bureaux d’architecte, la Ville de Dudelange. Ils se sont réunis en permanence dans une réflexion tantôt harmonieuse, tantôt controverse, mais toujours passionnée et passionnante. Je les remercie beaucoup.

La conception actuelle de ce nouveau site met l’accent sur la mise en scène dramatique de Steichen de la Grande Dépression des années trente: Des images d’hommes, de femmes et d’enfants, jetés en pâture dans la rue, touchés de plein fouet par la crise économique. Des images d’une grande tristesse et d’une grande humanité. Elles constituent un patrimoine à caractère universel qui nous rappelle sans cesse la fragilité de l’existence humaine et les limites de notre civilisation. Elles nous rappellent notre devoir de solidarité et de compassion à l’égard de ceux que le malheur frappe.

Ce château d’eau de Dudelange au Luxembourg était construit en 1928. Les photographes américains avaient commencé leur travail sur un monde rural en voie de disparition en 1935. Chers invités, vous vous demandez peut-être pourquoi nous tenons à installer cette exposition à Dudelange? Quels liens entre

  • les champs de coton du Mid West, les Arkies et Okies perdus avec leur famille au bord de la route, l’Amérique rurale, d’une part,
  • et le labeur passé à Dudelange pendant cette même époque dans la nuit des mines et les fournaises des haut-fourneaux, la région des terres rouges, d’autre part?

Avons-nous besoin de les tisser artificiellement, ces liens? Il est permis de se poser cette question, bien sûr. Mais, j’en répondrai par une autre: est-ce que ces puissants documents d’une population en crise que nous vous présenterons dans quelques instants, n’ont-ils pas vocation, au-delà de leurs apparences individuelles, de nous rappeler qu’en toutes circonstances et qu’en tous lieux, l’homme doit être respecté, dans ses droits, dans son travail, dans sa dignité, mais également aidé dans sa fragilité?

L’architecture du château d’eau a pris soin d’accentuer ce discours de la condition humaine. Nous avouons que cela n’a pas été tâche facile. Mais les deux galeries circulaires de la tour d’eau mettent merveilleusement en valeur le choix de Steichen par la hauteur des salles, les couleurs et les éclairages. Sa mise en dialogue originale et dramatique au MoMA est fidèlement reproduite sur les murs. L’exposition s’offre à nous comme un livre ouvert sur son travail de curateur. Quatre-vingt-cinq images sont présentées. Elles constituent une grande partie de la collection de The Bitter Years. Et d’autres thèmes seront présentés en rotation.

Le dialogue contemporain au Pomhouse

Mais, comme les deux facettes d’une même médaille, le dialogue contemporain reste indispensable pour garder au patrimoine son ouverture à la discussion. Le plongeon insolite dans l’histoire de la photographie est relayé en amont et en aval par la maison des pompes, le Pomhouse.

Cette bâtisse aux briques forme un espace splendide, grandement ouvert à la création d’aujourd’hui, à la commande, à la rencontre. L’artiste britannique Stephen Gill l’habite en premier: il s’est vu commanditer par le Centre national de l’Audiovisuel un travail contemporain. Il l’a réalisé sur les anciens bassins de décantation, sur l’eau comme mémoire du lieu et mémoire des hommes l’ayant jadis fréquenté. Il s’agit d’un network de poésie contemporaine, en coexistence avec les habitants de Dudelange, en réplique contemporaine puissante aux images historiques puissantes dans la tour. Car il me tient toujours à cœur de soutenir, et de présenter au public, la création contemporaine.

Voilà qui se marie harmonieusement aux destinées de la Ville de Dudelange, Ville des Cultures, votre ville, Monsieur le Député-Maire Alex Bodry. Ce nouveau lieu vient soutenir les nombreux et fructueux projets culturels dont la Ville de Dudelange fait preuve depuis longtemps. Elle intensifiera encore notre bonne coopération.

La vision de ce projet est jaillie en 2001 du génie de Georges Calteux, accueillie avec enthousiasme par Jean Back, relayé par Erna Hennicot-Schoepges et Mars Di Bartolomeo. Il m’a fallu beaucoup de détermination avant que je n’aie pu en annoncer la réalisation ici-même avec Alex Bodry. Permettez-moi de remercier tout particulièrement Jean Back et son équipe du Centre national de l’Audiovisuel ainsi que Patrick Sanavia et son équipe du Service des sites et monuments nationaux pour leur dévouement et leur engagement à ce grand projet humaniste.

Un long parcours, dirait-on. Mais celui-ci doit être marqué même en temps de crise et de récession par l’audace d’une politique pour la culture.

Mesdames et Messieurs,

Le Luxembourg a également connu ses "Bitter Years", notamment au 19e siècle où, comme la Famille Steichen, de nombreux paysans, artisans et ouvriers furent obligés d’émigrer vers les Amériques. Le site industriel sur lequel nous nous trouvons témoigne des « Années Amères » pour la classe ouvrière au Luxembourg (souvent issue d’ailleurs de l’immigration), scellés par l’abandon de la sidérurgie sur le site, la fin des Hauts-fourneaux comme en d’autres lieux encore - de ce côté de la frontière comme de l’autre. Mais il témoigne aussi d’une lueur d’espoir, muté qu’il est en espace vivant de la culture industrielle faisant corps avec les fruits de la création artistique, par temps de crise économique qui nous frappe en ce moment – et paradoxalement grâce à des fonds de crise, mis en place par la politique anticyclique du Gouvernement pour contrer les effets de la crise. La culture elle aussi investit dans l’économie pour en faire tourner le moteur hésitant devant la crise. La culture a de multiples visages anti-crise. La culture est un investissement dans la société.

Mesdames, Messieurs,

Les deux maîtres d’ouvrage, pour ainsi dire, le Centre national de l’Audiovisuel et le Service des sites et monuments nationaux ainsi que leurs partenaires ont pu mettre en scène une œuvre magistrale. La ballade entre ciel et terre, le survol panoramique, la découverte touristique liée à l’émotion, la culture du dialogue vivant, de l’échange d’idées entamées entre hier et aujourd’hui, entre le site et son environnement: le troisième château d’eau donc, le Waassertuerm avec son Pomhouse, comme symboles et repères de l’histoire, deviennent soudainement un portique vers le futur. Ils pointent vers la nouvelle ville qui se prépare sur l’ancienne friche dont ils sont les pionniers, les premières réalisations, et mettent ainsi en avant l’art et la culture pour aider l’épanouissement de la personne humaine. La liberté de regarder le passé sans tabou rejoint l’obligation de travailler le contemporain sans complexes.

Aujourd’hui nous vivons un instant accompli et beau. Il me touche beaucoup. Vous avez tous contribué à ce qu’il puisse voir le jour. Je vous remercie de tout coeur.

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