Jean-Claude Juncker devant la commission "Affaires économiques et monétaires" du Parlement européen

Mesdames et Messieurs les collègues,
Chers amis,

Pour beaucoup d’entre vous je me présente aujourd’hui pour la dernière fois devant vous. Mais l’heure n’est pas à la nostalgie, mais l’heure est à l’action.

Je voudrais dire que l’année 2012, en termes de résultats pour la zone euro, fut plutôt une bonne année - une bonne année que je souhaite à toutes et à tous parmi vous. Nous avons pris des décisions qui vont loin.

Nous avons stabilisé la zone euro, alors qu’en janvier 2012, il y a exactement une année, beaucoup qui nous observent et certains parmi nous pensaient que la zone euro irait vers, comment dire, vers sa faillite. Tous les futurologues qui, surtout dans le monde anglo-saxon, ont estimé que la zone euro en 2012 éclaterait, ont vu - est-ce qu’ils ont vu? - que la zone euro est toujours en vie, que la Grèce, dont on avait prédit la sortie de la zone euro, est toujours membre de la zone euro, et avec une belle vigueur et des réformes et d’ajustements.

Et donc, après avoir mis en place le Mécanisme européen de stabilité, après avoir mis en place le plan de sauvetage - expression que je n’aime guère - pour la Grèce, après avoir mis en place le traité fiscal - que je n’aime qu’en partie - après avoir veillé à trouver des solutions pour le secteur bancaire espagnol, nous sommes, il est vrai, aujourd’hui en janvier 2013 dans une bien meilleure situation que celle qui caractérisait le début de l’année passée.

Ma méthode pour diriger les travaux de l’Eurogroupe fut en fait - et je suis à l’heure du bilan - un mixe, une intersection entre la méthode inclusive, que je revendique, et la méthode communautaire, qui n’existe pas vraiment en zone euro.

Veiller toujours à garder à bord tous les États membres de la zone euro, cela prend du temps, cela mérite réflexions successives, cela mérite réflexions ajustées aux attentes des uns et des autres, et méthode communautaire au sens où je voulais toujours que ceux qui ne sont pas membre de la zone euro, ne se sentent pas, comment dire, les enfants perdus de l’Europe. Ma méthode fut donc toujours inclusive.

Et cette méthode inclusive a un énorme désavantage, elle prend du temps, elle pèse sur le déroulement de vos journées de travail, puisque vous devez répondre à tous les appels téléphoniques et autres qui vous sont faits. Et elle demande des séances de l’Eurogroupe parfois prolongées jusqu’à l’aube du matin. Parce que je voudrais qu’en Europe on comprenne bien, comme l’euro est notre monnaie commune, et donc la monnaie de tous les États membres de la zone euro, tout le monde a le droit, le devoir et le pouvoir de s’exprimer. Vu la médiocrité de certains de nos résultats, ces réunions pourraient se faire endéans deux ou trois heures, mais alors vous n’auriez pas accordé le droit à la parole à tout le monde.

Je lis parfois que ceux qui se sentent déjà mon successeur, pensent que finalement cela ne demande pas tellement de temps que j’y ai consacré. Oui, il est possible de le faire en moins de temps, et vous verrez les résultats endéans les 6 mois, si on ne prend pas le temps d’écouter à mesure égale tous les États membres, membres de la zone euro, non-membres de la zone euro.

Nous avons su adopter en 2012 le traité fiscal européen. Il est entré en vigueur après avoir été signé le 2 mars 2012, parce que plus que 12 États membres de l’Union européenne l’ont signé. Il reste quelques États membres de la zone euro à ratifier ce traité. C’est le cas de la Belgique, c’est le cas des Pays-Bas, et c’est le cas notamment du Luxembourg. Ces ratifications ne sont pas assurées, mais cela ne changera rien à l’entrée en vigueur du traité dont je parle.

Au Luxembourg notamment - mais enfin je commencerai à m’exprimer plus nationalement à partir de ce moment-ci - le parti des Verts ne va pas voter en faveur de ce traité, parce qu’il estime que c’est un traité à l’allemande, ils en ont marre du diktat allemand. Je ne fais pas mienne cette critique, mais je veux vous dire que tel est l’état d’esprit d’un certain nombre des parlementaires luxembourgeois, que je ne partage pas. Mais nous avons besoin d’une majorité constitutionnelle, donc d’une majorité de deux tiers, et donc nous devons plaider auprès des autres partis, non-membres de la coalition gouvernementale pour avoir leur approbation. Des problèmes analogues se posent, me semble-t-il, dans d’autres pays.

Et un des problèmes essentiels est de trouver l’autorité indépendante que le traité fiscal exige en matière de surveillance et de gesticulation, et de jugement budgétaire.

Pour les petits États membres, Malte, Luxembourg, mettre en place une autorité indépendante, inventer quelque chose de nouveau, ne relève pas de l’impossible, mais relève de l’idiotie.

Dans les grands États membres vous avez des experts partout qui ont montré l’excellence de leur analyse, mais dans les petits États membres c’est une chose un peu plus compliquée, mais nous y arriverons.

Sur le Mécanisme européen de stabilité - je suis pour quelques jours encore le président du conseil des gouverneurs - les choses vont dans la bonne direction. Le mécanisme a été mis en place. Qui aurait pensé il y a 14 mois, que nous serions à même de monter, si j’ose dire, un tel mécanisme. Nous devons veiller à ce que ce mécanisme, l’ESM, puisse remplir toutes les fonctions qui lui avaient initialement été assignées, y compris la recapitalisation directe des banques. Là il faudra que, après que la surveillance unique ait été mise en place - et là encore il faut un arrangement - un accord entre votre parlement et le conseil. Nous avions prévu que nous acceptions l’idée que recapitalisation directe des banques il puisse y avoir à travers le Mécanisme du système européen que nous avons mis en place.

Il est vrai que sur ce point il y a une lourde interrogation sur l’héritage qui vient du passé. Est-ce que l’ESM peut recapitaliser les banques en appliquant rétroactivement les dispositions qui le caractérisent, ou est-ce qu’il faudrait que nous limitions l’intervention du Mécanisme européen aux nouveaux problèmes qui surgiraient?

J’ai un point de vue personnel exprimé. Je crois qu’il faut assurer une certaine rétroactivité au mécanisme, sinon il perd une bonne partie de son sens. Ce qui ne veut pas dire que nous serions négligents sur les aspects fautifs des comportements des uns et des autres. Mais je crois que le mécanisme doit être la boîte à outils qui doit être rendue opérationnelle pour recapitaliser les banques. Toutes les décisions allant dans ce sens doivent être prises par consensus par le conseil des gouverneurs de l’ESM. Et je voudrais qu’une décision définitive, bien articulée, bien argumentée, bien sculptée soit livrée au cours du premier trimestre 2013.

Puis, Mesdames et Messieurs les députés, il y a eu le rapport Van Rompuy auquel j’étais invité de contribuer. Vous vous souviendrez sans doute, je le redis pour que cela reste dans l’histoire, que ce fut d’abord un rapport commun des 4 présidents, dont certains d’entre vous n’ont pas hésité - et j’ai admiré la formule - de parler du rapport des sages. Connaissant les autres, j’ai quelques doutes sur la caractérisation de cette description. Connaissant moi-même, j’ai l’interrogation profonde sur le qualificatif de sage.

Nous avons produit ce rapport qui fut endossé dans son entièreté par le président Herman Van Rompuy, et je dois dire que les résultats du dernier conseil européen furent, pour le dire franchement, et je le dis publiquement, décevants. L’idée initiale fut de présenter à la planète entière qui nous observe, ce que nous oublions souvent, la roadmap pour les décennies à venir. Vers où va l’Union économique et monétaire? Quel est le degré de solidarité qui doit exister au sein de l’Union économique et monétaire?

Les Américains et d’autres nous interrogent sur la voie que nous emprunterions pour les décennies à venir. Or lors du dernier conseil européen nous avons répondu à des questions du très court terme, puisqu’un accord sur les voies définitives à suivre, et sur plusieurs décennies, ne préexista guère et n’existait pas au moment de la réunion du conseil européen.

Toujours est-il que le président du conseil, Monsieur Van Rompuy, fut chargé d’ici juin de présenter un certain nombre d’idées dont je voudrais qu’elles soient novatrices, sur la voie à suivre. Ces idées doivent - qu’il élabora ensemble avec le président de la commission, vous aurez remarqué que le président de l’Eurogroupe ne figure plus dans ce groupe de réflexion, il y a des raisons à cela - ces réflexions doivent porter sur la concertation ex-ante en matière de coordination des politiques économiques. Je voudrais que sur ce point nous soyons, et nous deviendrons plus précis.

Depuis 1997 nous parlons du renforcement de la coordination des politiques économiques. Avec Robert j’ai présidé un conseil européen, nous avons adopté une résolution des ministres des affaires économiques à l’époque, et malheureusement plus aujourd’hui, où nous avons dit, voilà le renforcement de la coordination des politiques économiques est essentiel. On ne peut pas rester avec un système où le bras monétaire, francfortois est des plus musclé, et où le bras économique et donc politique, politique et donc économique est sous-musclé. Depuis 1997 nous en parlons. Ceux qui l’ont refusée à l’époque, se font aujourd’hui les premiers plaideurs et les protagonistes de cette idée. Je veux parler d’un pays voisin du Luxembourg, et d’un petit royaume non très éloigné du Luxembourg. Okay, welcome to the club.

Et il faut maintenant que nous veillions à ce que, à chaque fois qu’un gouvernement préconise une réforme notamment structurelle, que cette réforme soit exposée à l’Eurogroupe. Que le ministre en charge de la traduction en fait d’une réforme structurelle imaginée par son gouvernement, nous explique ce vers quoi il tente, et que les autres puissent dire quelles seront les conséquences de cette réforme sur les politiques des autres pays. Débat intéressant où les déclarations solennelles seront nombreuses, où les résultats de traduction en faits réels seront plutôt médiocres. Mais au moins auront-nous un texte qui nous permettra de nous interroger entre nous au sein de l’Eurogroupe.

Nous devons parler de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire, enfant pauvre de l’Union économique et monétaire. Et je ne voudrais pas que l’insertion dans le mandat de Monsieur Van Rompuy de la dimension sociale disparaisse au rythme des analyses plus profondes sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire.

Je voudrais, j’y tiens, c’est une conviction et une nécessité, que partout dans les États membres de l’Union économique et monétaire nous nous mettions d’accord sur le principe d’un salaire social minimum légal. Il ne faut pas parler de dimension sociale en des termes nobles, il faut parler de la dimension sociale en des termes très concrets, et donc je revendique pour ma part que nous nous mettions d’accord sur un socle de droits sociaux minimaux des travailleurs. Et dans ce cortège de droits sociaux minimaux pour les travailleurs figurera évidemment, sinon l’exercice est très peu crédible, la revendication essentielle que salaire minimum social légal, il devrait y en avoir dans tous les États membres de la zone Euro, sinon nous perdons l’adhésion des couches laborieuses, pour m’exprimer dans un langage quelque peu marxien, qui gênera la gauche parmi vous, mais qui traduit bien ma pensée.

Il faudra que nous nous mettions d’accord sur les éléments de solidarité qui figurent dans le mandat de Monsieur Van Rompuy. Moi je crois qu’il faudra que nous nous mettions d’accord, 1 sur le principe, et 2 sur les modalités d’un fonds de résolution bancaire, "Abwicklungsfonds", que nous nous mettions d’accord sur les lignes générales directrices d’un système de garantie de dépôts. On ne peut pas mettre en place la surveillance bancaire sur laquelle nous avons fait d’énormes progrès en fait, et omettre de notre cercle de réflexion le mécanisme de résolution et le fonds de garantie des dépôts.

Je ne parlerai pas de Chypre, sauf pour répondre aux questions qui me seront posées, ni de la Grèce, où nous avons fait d’énormes progrès grâce à la détermination du gouvernement grec, grâce à la résolution du parlement grec, grâce à la contribution de la société grecque, qui souffre, dans ses couches les moins favorisées, énormément des détails de la mise en place de ces programmes d’ajustements, ce que nous avons trop souvent tendance à oublier. Je ne parlerai pas, je m’excuse auprès de Marianne et d’autres, du two-pack et de six-pack, nous y viendrons si vous le voulez bien.

Merci!

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