L'Europe aux prises avec l'argent sale, Interview avec le ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden

La place financière luxembourgeoise a-t-elle plus à craindre de la levée à terme du secret bancaire ou de la détérioration de son image par les accusations de blanchiment d'argent, comme celles récemment formulées par le rapport des députés français Vincent Peillon et Arnaud Montebourg ?

Luc Frieden: Ni de lune ni de l'autre. La place financière, c'est bien plus que la gestion de fortunes. Elle a bien d'autres activités qui ne dépendent pas du secret bancaire. Quand bien même la gestion de fortunes devrait disparaître, la place financière ne s'écroulerait pas. Mais ce n'est pas ce que nous souhaitons: la gestion de fortunes est une activité importante que nous devons maintenir et consolider.

Les clients apprécient le savoir-faire luxembourgeois dans ce domaine et préferent placer leur argent ici plutôt que sur une île étrange et lointaine.

Quant à l'image de la place, les clients, eux, connaissent la réalité et savent faire la différence avec les critiques et préjugés d'un rapport, fût-il parlementaire. Les banques aussi. Ce ne sont pas des établissements luxembourgeois qui occupent la place mais des filiales de grands groupes européens. Les maisons mères, françaises, allemandes ou autres, connaissent nos règles prudentielles. Je ne les ai pas vues prendre la décision de fermer leurs filiales à Luxembourg au cours des dernières années.

Bien au contraire.

Quel est votre degré d'attachement au secret bancaire ?

Luc Frieden: Le secret bancaire à lui seul ne signifie rien. Il entre, pour moi, parmi beaucoup d'éléments nécessaires au développement de la vie économique. C'est un élément, qu'il ne faut pas surestimer. En tant que ministre de la justice, il a tout son sens quand il sert à protéger la vie privée. C'est un instrument juridique; rien d'autre.

Mais l'enjeu n'est pas que juridique. Il est aussi économique...

Luc Frieden: J'y vois d'abord un instrument juridique. Mais qui a ses limites. Je n'accepterai jamais un secret bancaire absolu. J'ai toujours dit, et nous l'avons écrit dans tous les textes, qu'il doit être levé devant le juge dans le cadre des commissions rogatoires internationales.

Avez-vous toute confiance en la Commission de Bruxelles pour négocier avec la Suisse, Monaco, le Liechtenstein, et les autres pays tiers à l'Union européenne, des "mesures équivalentes" à l'échange d'informations entre administrations fiscales des Quinze, c'est-à-dire à la levée du secret bancaire ?

Luc Frieden: Ce n'est pas une question de confiance. La Commission a reçu un mandat du conseil des ministres des finances de l'Union et c'est ce conseil qui appréciera le résultat des négociations et décidera, à leur lumière, si les mesures équivalentes proposées sont satisfaisantes. Lors du conseil de décembre dernier, nous avons trouvé un accord qui sert de base de négociations. La Commission doit nous faire un rapport sur leur avancée en juin et nous avons jusqu'à la fin de cetteannée pourtrouver un accord.

Le Luxembourg joue-t-il un rôle particulier dans ces négociations ?

Luc Frieden: Le Luxembourg ne mène aucune négociation séparée avec la Suisse ou qui que ce soit. Le commissaire européen Fritz Bolkenstein mène ces discussions au nom des Quinze, avec la présidence espagnole de l'Union. Il n'y a pas de Luxembourgeois dans la délégation. Sur le fond, notre démarche n'a pas changé: notre préférence va au secret bancaire. Mais nous sommes un petit pays et, en bons Européens, nous ne voulons pas nous opposer à la levée de ce secret, mais seulement si les pays tiers à l'Union en font de même, car il s'agit d'éviter une fuite de capitaux.

Le secret bancaire sera-t-il levé à l'horizon 2010 ?

Luc Frieden: Une levée est proposée pour 2010, mais ce n'est qu'un projet pour ouvrir les négociations avec la Suisse et les autres pays. Cela peut être plus tard. Il est trop tôt pour donner une date. Le secret bancaire sera maintenu au Luxembourg aussi longtemps qu'il prévaudra aux alentours de l'Union européenne et dans les territoires dépendants de certains Etats membres de l'Union (les îles Anglo-Normandes pour le Royaume-Uni et les Antilles pour les Pays-Bas, NDLR).

Pourquoi le Luxembourg n'est-il pas, selon vous, un "paradis fiscal" ?

Luc Frieden: Il faut savoir ce que l'on veut dire quand on utilise un tel terme. Un paradis fiscal est une place où l'on ne paie pas d'impôts. Ce n'est pas le cas au Luxembourg, où les sociétés et les personnes physiques paient des impôts. L'épargne des non-résidents n'est imposée dans aucun pays européen. Le Luxembourg a une fiscalité moins importante que d'autres pays de l'Union européenne. Mais, dans le cadre communautaire, cela est tout à fait permis: l'lrlande a un système de fiscalité attractive comme celle du Luxembourg. Je vois qu'en Allemagne on est en train de baisser l'impôt sur les sociétés. Chacun essaie, dans un cadre de concurrence fiscale, d'être attractif pour son développement économique. Nous ne faisons rien d'autre.

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