Anne Brasseur: Les réformes sont là!

Le Jeudi: "Robert Garcia (Les Verts) a parlé d'un gouvernement démissionnaire. Quel est votre bilan personnel à mi-parcours"

Anne Brasseur: "Nous sommes au-delà de la mi-parcours et de nombreuses mesures concrètes ont non seulement été initiées, mais mises en œuvre sur le terrain. J'en ai assez de passer mon temps à présenter des projets pour qu'on me réponde toujours que rien ne se passe!

On me dit: "Le nouvel abécédaire, est-ce tout?" Or, tout commence par là, ce sont les fameux "basics", qui assurent un bon départ à tous les enfants! Il ne faut pas oublier que cette nouvelle méthode d'apprentissage de l'allemand comme langue structurée remplace, dans le consensus, un manuel vieux de vingt ans.

Un autre exemple est le manuel de chimie pour la classe de troisième présenté le 4 février. Cet excellent manuel, développé au Luxembourg, a été possible grâce à la réforme de la division supérieure de l'enseignement secondaire."

Le Jeudi: "Malgré vos efforts, on a le sentiment que vous êtes mal perçue et que vos dires sont mal interprétés, du back to basics aux cinq mots à apprendre aux enfants..."

A. B.: "Ces cinq mots – bonjour, au revoir, merci, s'il vous plaît et pardon – ont été évoqués dans le contexte de l'enseignement précoce et préscolaire concernant le développement langagier à cultiver chez les enfants. Ces mots feront des enfants tolérants, qui se tiennent aux règles, vont vers les autres et savent vivre en société. Sans ces mots, sans ces valeurs de base, on ne peut pas construire d'éducation ni d'instruction."

Le Jeudi: "Le projet de loi sur le financement de l'enseignement privé n'a pas été mieux accueilli..."

A. B.: "Il ne faut pas se méprendre, je suis un défenseur de l'école publique. Mais elle n'apporte pas de réponses à toutes les situations. Historiquement, je pense à l'enseignement des filles, assuré par des congrégations jusqu'au siècle passé, mais aussi aux écoles internationales, indispensables au développement de la place de Luxembourg.

Actuellement, les frais d'inscription y sont souvent exorbitants et ce projet de loi permettrait de donner un coup de pouce à ces établissements. D'ailleurs, dans notre déclaration de coalition est inscrit le soutien aux écoles privées. Cette loi ne fait que donner un cadre légal à des mesures de financement qui existent déjà, comme c'est le cas du lycée technique Emile Metz.

Quant à la crainte de l'endoctrinement dans les écoles confessionnelles, il faut savoir que le pourcentage d'élèves dans ces régimes est très bas."

DÉFINIR L'ÉCOLE

Le Jeudi: "On a également beaucoup dit que le cataclysme provoqué par PISA n'avait pas eu les réponses adaptées. La politique des petits pas est-elle vraiment la seule solution?"

A. B.: "Mais les grandes réformes sont en cours! Voyez la réforme de la division supérieure de l'enseignement secondaire, avec une spécialisation dès la troisième. Ou bien la loi – dont un document d'orientation est présenté à la Chambre ces jours-ci – sur l'école dans son ensemble. Une innovation avec, pour la première fois, la définition de la mission de l'école, de sa finalité, des rôles des partenaires, des droits et devoirs de chacun.

Sans oublier la réforme de la loi de 1912, qui réglera tout l'enseignement primaire et la réforme de la base légale de 1945 sur l'apprentissage, à faire avec les Chambre professionnelles.

Réformer les structures est une chose, mais il faut aussi garantir leur application. C'est sur le terrain que tout se passe."

Le Jeudi: "De nombreux projets pilotes, souvent très intéressants, existent de par le pays. Ils semblent pourtant avoir du mal à dépasser le stade expérimental..."

A. B.: "C'est vrai que longtemps, chacun a travaillé dans son coin et que les évaluations à grande échelle ou les recoupements n'étaient pas évidents. Le fait qu'on ne puisse pas avoir de banque de données nominative jusqu'à l'année passée nous compliquait aussi la vie. C'est pourquoi j'ai mis en place récemment un Observatoire des statistiques et de l'évaluation. Le savoir-faire de la culture et du contrôle de la qualité nous fait encore défaut."

INSTRUCTION ET ÉDUCATION

Le Jeudi: "Comment voyez-vous l'école du troisième millénaire: un lieu de vie, une institution d'apprentissage, un reflet de la société?"

A. B.: "On ne peut pas définir un lieu de vie unique pour tous les établissements depuis la rue Aldringen. Dans un projet de loi sur le fonctionnement des établissements post-primaires, déposé la semaine passée, nous donnons plus d'autonomie aux lycées.

Des initiatives existent déjà, mais il manque le cadre légal. Ainsi, chaque établissement disposera d'une relative autonomie financière et la communauté scolaire – enseignants, directeur, enfants et parents – pourra établir un projet pédagogique.

Au-delà, l'école est certainement un reflet de la société, mais elle ne doit pas suivre les effets de mode. Elle doit continuer à transmettre certaines valeurs. A ce niveau, elle assume une mission d éducation, elle jette les bases nécessaires à l'instruction, qui reste son rôle essentiel. C'est pourquoi je voudrais séparer les deux fonctions en impliquant plus d'éducateurs dans les écoles."

Le Jeudi: "Le grand défi à venir est sans aucun doute l'intégration. Comment abolir les inégalités quand au clivage social s'adjoint la fracture numérique?"

A. B.: "L'école doit essayer d'atténuer les inégalités, mais elle ne peut pas les effacer d'un seul coup, c'est une utopie.

On ne peut pourtant pas baisser les bras et c'est dans cet esprit que je conçois les devoirs à domicile réguliers, souvent mal interprétés. L apprentissage ne peut se faire correctement sans la répétition par des exercices à la maison, préparés et contrôlés à l'école.

Les parents ne doivent pas, bien sûr, suppléer l'enseignant, mais vérifier que l'enfant fait les répétitions. Imaginez que, sans devoirs, les familles culturellement privilégiées prendraient le temps de faire les répétitions alors que les autres élèves seraient laissés à euxmêmes.

Concernant la fracture numérique, je travaille en étroite collaboration avec François Biltgen (ministre délégué aux Communications) en mettant sur pied des "Internetstuff" pour les adultes et en équipant les écoles pour les enfants. A nous d'utiliser ces technologies de façon intelligente."

Le Jeudi: "S'il n'y avait pas eu PISA, auriez-vous mené la même politique?"

A. B.: "Le constat que nos élèves ingurgitaient trop de matières avec des programmes surchargés, je l'avais fait avant même les élections. PISA a confirmé la voie engagée et m'a permis de poursuivre des mesures déjà entamées. Le but n'est pas d'être les premiers de la prochaine étude PISA, mais de dispenser aux élèves un savoir qu'ils pourront utiliser. Mon ambition reste de leur donner un fondement solide sur lequel ils pourront construire leur instruction. Qu'on l'appelle "basic" ou autrement n'y change rien."

MÉTHODE BRASSEUR

Selon la ministre, il y a deux façons de procéder avec l'Education nationale. Soit on est pragmatique et avance un pas après l'autre. Soit on place le débat au niveau idéologique et on déclare, comme François Mitterand, qu'on veut 80% des élèves au niveau bac pour, ensuite, essayer de trouver la méthode pour l'appliquer. Inutile de préciser qu'Anne Brasseur a choisi la première...

"Mener une offensive ne veut pas dire tout détruire. On peut changer la structure de l'école, mais si la mise en œuvre n'est pas assurée, on n'a rien réussi. Mon offensive se fait sur le terrain, contre l'échec scolaire", précise la ministre.

En matière de pédagogie, "le plus important est de s'occuper des élèves. En allemand on dit "sich kümmern". Cela signifie prendre l'enfant dans son ensemble, là où il est, et l'aider à régler ses problèmes, à avancer. C'est dans ce sens que sont instaurés les devoirs à domicile ou l'appui obligatoire en 7e pour les mathématiques, le français et l'allemand en cas de difficultés au deuxième trimestre. Il faut éviter l'échec à tout prix".

Au niveau de l'évaluation: "Les notes sur 60 resteront car il faut quelques contraintes, des repères pour se mesurer. Les notes seront complétées par des appréciations et par des contrôles continus dans le post-primaire."

En bref et avant tout, l'état d'esprit d'Anne Brasseur est que "dans l'école, il doit y avoir des structures, des règles à respecter pour assurer un apprentissage progressif, un pas après l'autre".

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